Chapitre 29 : Détente et apprentissage
Aveline regarda s'éteindre les dernières braises du feu. Cela faisait trois jours qu'ils voyageaient, et trois jours qu'elle ne parvenait pas à oublier. L'odeur âcre de la mort semblait la poursuivre, la traquer. Une nuit elle s'était éveillée en plein milieu de la forêt, seule, en train de gratter la terre. Garrett l'avait retrouvée et ramenée. Il n'essayait pas de lui dire de vaines paroles pour la consoler, Gaëtan non plus, ils se contentaient de la rassurer. Le soir son compagnon l'emprisonnait entre ses bras, lui embrassant le front, lui demandant chaque fois si elle désirait quelque chose. Quant à son maitre, fidèle à lui-même, il se contentait de blagues douteuses mais drôles, et de sous-entendus qui la faisaient sourire. La journée ils parvenaient à l'apaiser, mais la nuit aussi près que puisse être Garrett, elle était seule.
« Aveline ! » Le cri de Gaëtan la fit sursauter. Elle fronça les sourcils avant de se relever. Où était-il ? D'ailleurs Garrett semblait lui aussi avoir disparu. Elle suivit donc les appels de son maitre. Ils ne devaient pas être bien loin. Poussant une branche elle découvrit une rivière qui semblait être assez profonde et les deux hommes dedans. Elle se retourna.
« A quoi vous jouer ?! » Ses joues s'étaient empourprées, on ne changeait pas les idées d'une jeune femme comme ça.
« Viens te laver avec nous ! » Gaëtan et son ton toujours enjoué.
« Je le ferais seule après. » Elle n'aimait pas l'eau. Dans un bain elle adorait cela, mais dans une si grande étendue cela l'effrayait.
« Je n'aurais pas d'autres occasions de t'admirer sans offenser Garrett moi ! » Les bruits et les cris étouffés lui laissèrent supposer que le jeune homme n'avait pas apprécié. « Tu vois ! Un tyran ! Aie donc pitié de l'homme que je suis condamné à vous regarder batifoler dans les champs en fleurs... » Mélodramatique maintenant. Il aurait dû devenir comédien et non Cape Rouge.
« L'eau te fera du bien. » Le contraste de la voix de Garrett comparée à celle de leur maitre la fit un peu plus rougir. « Si Gaëtan tente quoi que ce soit je le noie. » Oh, ça elle n'en doutait pas. Finalement elle se retourna, ils arboraient tous deux le même sourire ravis. Et ils n'avaient pas pieds, ils se débattaient avec l'eau.
« Je... Je ne peux pas, d'accord ?» Comment faisaient-ils pour être si différents tout en usant de regards si semblables ? « Je mets juste mes pieds dans l'eau alors... » Cette idée ne la rassurait pas plus que cela, néanmoins elle s'assit par terre pour retirer ses bottes et relever son pantalon. Soigneusement elle se débarrassa de ses armes et rangea le tout sur la rive. Une fois prête elle prit place au bord de l'eau y mettant ses jambes. C'est vrai que cela était agréable. Tout en nageant Garrett s'approcha d'elle.
« Tu vois ce n'est pas si terrible. » Il lui embrassa le genou la faisant sourire. La tendresse de son regard la rassurait.
« Et moi je n'ai même pas le droit à un malheureux petit signe de tendresse ! » Ils levèrent les yeux au ciel. Gaëtan aimait beaucoup trop être le centre de l'attention.
« Ce n'est pas le genre de chose que l'on quémande, tu devrais le savoir. » Le maitre éclaboussa gentiment son élève tout en s'approchant. Aveline les observa se chamailler. De vrais enfants, mais cela la faisait rire, comme à chaque fois qu'ils en avaient l'occasion ils s'amusaient. Les deux hommes échangèrent un regard entendu. La jeune femme haussa un sourcil, quel était l'air espiègle qui venait d'apparaitre sur le visage de ses compagnons ? Elle les vit s'approcher d'elle comme deux prédateurs, fronçant les sourcils elle sortit les jambes de l'eau. Malheureusement ils furent plus rapides à bondir pour se saisir d'elle. Aveline se débattit de toutes ses forces, ce qui ne l'empêcha pas de finir dans l'eau. Elle n'avait pas pied. Elle se battit un instant sentant que l'eau s'engouffrait dans sa bouche. Bientôt elle ne pourrait plus revenir à la surface. Oppressée par une enclume invisible elle se sentait attirée vers les profondeurs. On lui ceintura la taille la gardant hors de l'eau. Laborieusement la jeune femme reprit sa respiration. Ses joues s'empourprèrent alors qu'elle donnait un coup de coude à Garrett qui l'empêchait de se noyer.
« Vous n'êtes que deux imbéciles ! » Rien que cette phrase lui couta le peu d'oxygène de son corps.
« Tu aurais dû nous prévenir tout de suite que tu ne savais pas nager ! » Malgré elle, elle s'accrocha à Garrett, prendre le risque de se noyer était inutile.
« Vous vous seriez moquez... » Même si elle s'y était habituée, elle évitait autant qu'elle le pouvait les railleries de ses deux compagnons.
« Entre la broderie et le ménage, c'est vrai que tu n'as pas dû avoir le temps d'apprendre à survivre. » Exactement le genre de remarques qu'elle voulait éviter. En plus elle était une véritable catastrophe en broderie. La compagnie des livres lui seyait mieux que celle des aiguilles, ses doigts s'en souvenaient.
« Désolé de ne pas avoir été occupée à me rouler dans la boue tout en montrant mes poings. » Depuis elle s'était largement rattrapée. Derrière elle, Garrett ricana, elle se dévissa le cou pour lui lancer un regard noir.
« Heureusement que tu as le meilleur maitre dans tous les arts alors ! » Ils se rapprochèrent du bord et elle put s'accrocher aux rochers.
« Ne sois pas aussi présomptueux Gaëtan ! » Les deux hommes s'éclaboussèrent avant que le plus jeune ne reporte son attention sur Aveline. « Je ne me serais pas moqué... » Le regard de Garrett la fit presque chavirer alors qu'il remettait en place l'une de ses mèches de cheveux. « Et il n'est jamais trop tard pour apprendre. » Son visage se fendit en un sourire qu'elle lui rendit. Finalement, elle allait apprendre à ne pas se noyer.
*
* *
Le soleil jouait à cache-cache dans les nuages lorsqu'ils s'arrêtèrent à l'entrée d'un village. Gaëtan leur avait fait revêtir des tenues sobres et passe partout, ils étaient de simple voyageur à la recherche d'un endroit où dormir. Aveline ne savait pas vraiment où il voulait en venir, mais aussi étrange que cela puisse paraitre elle lui faisait confiance. Elle rajusta la robe qu'il l'obligeait à porter, si elle s'était habituée aux tuniques et pantalons, là elle se sentait affreuse, le tissu la grattait, et la couleur du tissu était affreuse, sans compter l'immonde ceinture de cuir qui serrait sa taille.
« Nous allons descendre de cheval ici. Quoi qu'il arrive nous sommes de simples voyageurs, et surtout nous restons ensemble. Compris ? »
Ils hochèrent la tête. Lorsque Gaëtan était aussi sérieux, les choses étaient réellement graves ou dangereuses. Les rênes en main ils s'avancèrent jusqu'au village. Aveline fronça les sourcils, quelque chose clochait. Elle n'avait que peu voyagé tout au long de sa vie, une chose cependant demeurait certaine, où qu'ils aillent il y avait toujours des soldats pour faire des rondes. Or cette fois-ci les seuls hommes en arme qu'elle distinguait semblaient être de simples villageois. Quelque chose clochait.
On leur bloqua le passage lorsqu'ils arrivèrent à la clôture de fortune qui barricadait l'endroit.
« Qui êtes-vous ? » Gaëtan hocha légèrement la tête en signe de respect.
« De simples voyageurs. Nous venons trouver du repos, ma belle-fille est enceinte et le voyage l'épuise. » Pourquoi voulait-il tant qu'elle soit enceinte ? Quoi que le visage de l'homme se fit moins dur. Il la détailla un instant. « Nous avons de quoi payer. » Le maitre d'arme tapota sa bourse. L'homme se tourna vers l'un de ses compagnons et fit un léger signe de tête.
« Allez-y, vous trouverez une petite auberge au bout de la rue principale. » Il fixa Gaëtan quelques instants. « Si vous nous apportez des misères, nous vous tuerons. » Le message était on ne peut plus clair. « Les chevaux restent ici. »
Aveline attendit un signe pour obtempérer. Une fois qu'elle fut certaine elle tendit les rênes à un homme qui emmena sa monture plus loin. Garrett se glissa derrière elle lui passant un bras autour de la taille pour l'attirer contre lui d'une manière légèrement possessive. Il lui avait pris son sac, lui servant un regard lourd de sens lorsqu'elle avait tenté de protester. Résignée, elle l'avait laissé faire. Alors qu'ils pénétraient dans le village aux rues étroites la jeune femme sentit les regards curieux et parfois hostiles des habitants. Finalement elle appréciait d'être entre les deux hommes, quelque chose dans cet endroit lui donnait froid dans le dos, comme si elle était en danger. Et pourtant elle savait qu'elle était traquée depuis son départ du palais des Capes Rouges. Ils longèrent la petite rue qui semblait être l'artère principale, jusqu'à une auberge à l'enseigne instable. Aveline examina la maisonnette défraichie. Où Gaëtan les avait-il embarqués ? Ils entrèrent, elle remarqua que Gaëtan avait glissé une main dans son dos, prudent. Une nouvelle fois ils furent l'objet de regards en coin.
« Qu'est-ce que vous voulez ? » La voix de la femme était peu engageante, tout comme son air sec, visiblement elle n'appréciait pas les visites.
« Une chambre pour passer la nuit. » Le maitre d'arme sortit quelques pièces de sa bourse, il les laissa tomber sur le comptoir, faisant hausser les sourcils à la femme qui sembla se radoucir.
« Suivez-moi. » Elle monta les quelques marches branlantes menant à un étage qui menaçait de s'écrouler sous leur poids. La femme poussa une porte leur indiquant leur chambre.
« Il n'y a qu'un seul lit. » Gaëtan posa son sac en souriant.
« Nous nous arrangerons, merci. » L'aubergiste hocha la tête avant de sortir. Garrett alla vérifier que la porte était bien fermée avant de se tourner de nouveau vers eux. Aveline plissa les narines à l'odeur de renfermé qui régnait dans la pièce. Elle tenta d'ouvrir la petite lucarne mais la poignée lui resta dans la main. « Ce nouveau petit nid douillet vous plait ? » S'il voulait juste leur montrer l'endroit le plus miteux du royaume, il avait réussi.
« Quelle mission avons-nous cette fois ? Je ne vois pas beaucoup de nobles. » Garrett se laissa choir sur le lit qui émit un long craquement de protestation.
« Aucune, je voulais juste vous montrer cet endroit. » Les deux élèves lui lancèrent le même regard au même instant.
« Et maintenant que nous avons pu admirer, pouvons-nous partir ? J'ai bien peur que le lit ne résiste pas à cette nuit... » Garrett s'était d'ailleurs relevé pour s'adosser au mur, en ayant auparavant prit soin de tester la solidité.
« Si vous ne faites pas de galipettes dedans, il tiendra le choc. » Aveline épousseta une chaise avant de s'asseoir prudemment dessus.
« Si tu cessais tes énigmes pour nous dire clairement les choses. » La jeune femme croisa les bras sur sa poitrine.
« Puisque vous insistez... » Il prit le risque de s'installer sur le lit qui émit de nouveau un craquement sourd. « Nous nous situons dans un village au bord de la frontière du royaume, l'un des plus éloigné de la Capitale. » Ils avaient donc droit à un cours de géographie. Génial. « Depuis un peu plus d'un an nous avons constatés des rébellions dans ces villages, étrangement toutes au même moment. Evidemment il y a toujours des famines et des épidémies qui touchent les plus faibles, les révoltes ne sont pas quelque chose de nouveau. » Un cours d'histoire maintenant. « Cependant quelque chose est différent cette fois-ci, certains village comme celui-ci ont réussi à faire fuir les armées des Dirigeants. Bien entendu, le gouvernement s'est tourné vers nous, mais nous ne sommes pas de ceux qui s'emmêlent. Donc nous avons enquêté sur tous ces villages, fait étrange ils réclament tous une chose : le retour d'un Empereur. » Aveline fronça les sourcils, c'était incompréhensible, le dernier souverain avait été un tyran qui avait saigné le royaume à blanc. « Nous soupçonnons quelqu'un de leur laver le cerveau depuis un moment, certains seigneurs sûrement. Je ne sais pas comment l'expliquer, même moi je suis dépassé par tout cela. » Son regard clair se figea dans celui d'Aveline qui se sentit frémir. « Et je pense que ce sont eux qui cherchent à t'avoir. Ce qui voudrait dire que les Dirigeants te veulent morte... » C'était certainement la meilleure nouvelle de sa vie, les personnes les plus puissantes du royaume voulait la voir refroidie. C'était encourageant...
« Nous n'en savons rien, si ça se trouve Aveline n'est même pas liée à tout ça ! » Garrett protecteur et pourtant si naïf. Le raisonnement de Gaëtan était censé, peut-être un peu trop, cela le rendait effrayant.
« J'aimerais pouvoir avoir des doutes, mais il est plus que probable que son sang fasse d'elle l'une des personnes les plus recherchées... » La jeune femme resta un instant paralysée, ses pensées assaillie par des questions auxquelles elle n'aurait sûrement de réponse. Elle sursauta lorsqu'une main serra la sienne.
« Je te protégerais toujours, je te le promets. » Ces quelques mots avaient un gout amer. Les promesses en elles-mêmes étaient amères. Il ne pourrait pas toujours la protéger. On ne pouvait pas jamais protéger les gens que l'on aimait comme on le voulait, la douleur des siennes lui revint comme une lame en plein cœur. Elle avait promis à Alana de veiller sur elle, aujourd'hui sa sœur était morte.
« Bien, nous repartirons demain. Inutile que nous restions plus longtemps, je voulais juste que vous puissiez voir pour comprendre. »
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