Chapitre 22 : Cressida


Le jour n'était pas encore levé lorsque Cressida passa les portes de la Capitale. Les gardes ne l'arrêtèrent pas quand elle pénétra dans la ville. Les marchands commençaient à peine à installer leurs étales pour le marcher. Parfait. Elle n'avait plus qu'à trouver l'apothicaire qui s'était occupé d'Aveline. Elle avait un mauvais pressentiment. Sa longue cape noire soulevait la poussière derrière elle, au moins elle s'était épargné le rouge. Cela était trop voyant et elle ne souhaitait pas qu'on l'identifie comme membre de la guilde. Elle tint son capuchon pour dissimuler son visage, il y avait toujours un risque de croiser une connaissance et elle préférait éviter cet inconfort.

Ses pas la menèrent devant la boutique qu'elle cherchait. Le quartier n'était ni le plus pauvre, ni le plus riche de la Capitale. Tant mieux elle n'avait aucune envie d'embrocher un ou deux badauds ivres qui penseraient pouvoir s'amuser avec elle. Quoi que cela ne la mettait pas non plus à l'abri. Elle poussa la porte faisant tinter une clochette.

Une drôle d'odeur flottait dans l'air. Elle la connaissait trop bien. Son nez se plissa et elle le couvrit avec un foulard. Cressida n'aimait pas cela, pas du tout. Elle traversa la boutique déserte pour passer la porte menant à une pièce exigüe, surement la réserve. Son regard se posa sur le corps étalé par terre. Une grimace déforma ses traits. Même si l'on s'habituait à la mort, cela restait toujours aussi dégoutant. Elle retint son envie de vomir pour se pencher sur la dépouille. Il avait été purement et simplement égorgé. Un mode opératoire que chacun pouvait utiliser, mais ici le travail était trop propre. Un professionnel était à l'origine de ce meurtre.

La femme se redressa. Cela ne servait à rien de chercher, elle ne savait même pas ce qu'elle devait trouver. Maintenant elle ne pouvait plus qu'à trouver quoi faire jusqu'au soir, moment où elle pourrait rencontrer l'interlocuteur de Gaëtan. Cet imbécile avait d'ailleurs refusé de lui en dire plus. Il aimait les mystères, ce qui était parfaitement inutile. Mais on ne changeait pas un gamin dans un corps d'homme de son acabit, il avait bien trop de fierté.

Sortant de la boutique elle put reprendre son souffle. Elle était maintenant soucieuse. Quelqu'un savait qu'ils mèneraient une enquête, soit cette personne était extrêmement perspicace, soit ils avaient un loup dans la bergerie. Aucune des deux options ne la satisfaisait. Elle se mit donc à la recherche d'une auberge tout en ruminant ses idées noires.

*

*           *

Après un bon bain, un repas nourrissant et quelques heures à ne rien faire, Cressida prenait la route de son lieu de rendez-vous. Son épée toujours à sa ceinture la femme se glissa dans les rues. Elle n'avait jamais aimé la nuit, c'était toujours là que vous aviez le plus de problème. Les bandits préféraient la pénombre pour opérer, ce n'était pas de sa faute. Et le comble pour quelqu'un cherchant à éviter les ennuis, était que son rendez-vous avait lieu dans un des plus bas quartiers de la ville. Enfin, si elle ne se faisait pas remarquer, elle ne craignait rien. Finalement elle entra dans la taverne. Le bruit était insupportable, sans parler des rires ivres. Cressida s'appuya contre le comptoir.

« Holly. » L'homme la regarda un instant. La détailla. Lui montra l'étage avec deux doigts. Elle hocha la tête. Se détourna.

Tous ces codes pour ne pas se faire prendre. Se sentir en sécurité dans un endroit où cette idée était surfaite. Elle secoua la tête, de toute manière, tant qu'ils pouvaient communiquer. Elle monta à l'étage, deuxième porte. Sans cérémonie elle entra dans la pièce, dont la lumière n'était qu'une bougie vacillante. Son regard s'arrêta sur la jeune femme en train de lire, vêtue d'une tenue de servante elle leva les yeux vers sa collègue.

« Cressida, cela faisait longtemps. » Tout dans sa voix trahissait son amusement. Evidemment c'était elle que Gaëtan avait choisi comme intermédiaire.

« Pas assez malheureusement. » Il n'était cependant pas l'heure de se chamailler, elles avaient passés l'âge. « Je ne suis pas là pour que l'on remue le passé Mary. » Holly était d'ailleurs un surnom ridicule.

« Exact. J'aurais préféré que Gaëtan se déplace lui-même, sans te vexer ta compagnie est beaucoup moins agréable. » Elle ne releva pas. Inutile, ce n'était qu'une provocation de plus, depuis bien longtemps elle avait cessé d'en faire la liste.

« Il s'est trouvé une nouvelle amie, beaucoup plus disponible que toi. » Ce n'était pas très fairplay, qu'importe. Mary ne sembla pourtant pas surprise et esquissa même un sourire.

« Si tu parles d'Aveline, cela ne risque pas d'arriver. Elle est amoureuse. » Au moins elle pourrait changer de sujet.

« Parles moi d'elle Mary. Qu'a-t-elle de particulier ? » Après tout c'était pour cela qu'elle était venue, et elle exigeait des réponses à présent.

« A part que sa vie est un énorme bordel ? Je n'ai que quelques pistes. » Mary soupira. « Honnêtement pour le moment je ne vois pas qui pourrait lui en vouloir. Son fiancé est l'un des nôtres, elle avait plus ou moins un autre prétendant, mais il n'est pas très intéressant : toujours à travailler, il souhaite devenir dirigeant. » Cela ne les aidait pas beaucoup. Mais la jeune femme finit par brandir le livre qu'elle tenait dans les mains. « Cependant, il se pourrait que ce vieux livre poussiéreux et ennuyeux à mourir nous aide. Regarde. » Cressida soupira avant de prendre l'ouvrage. Elle n'était pas une grande lectrice, et préférait de loin manier l'épée plutôt que les mots. Raison pour laquelle elle évitait tout débat avec Gaëtan. Elle observa les pages avant de soupirer.

« La généalogie de l'ancienne famille royale, palpitant, vraiment, mais je n'ai pas le temps pour une leçon d'histoire. » Elle avait autre chose à faire que de regarder des noms qu'elle connaissait déjà.

« Dernières pages. » Nouveau soupir. Les dernières pages, bien, elles étaient... Blanches. Cressida leva les yeux au ciel. « Concentre toi, c'est une illusion. Tout le monde pense que la famille royale a été décimée. Cependant il semblerait que quelqu'un ait continué de remplir cet arbre. » Cette fois elle se concentra, déjouer une illusion n'était pas simple, il fallait savoir ce que vous regardiez. Ce que vous vouliez voir apparaitre. Les lettres commencèrent à se former sous ses yeux. Elle plissa les paupières pour mieux lire. La page apparue entièrement. Elle retint à hoquet de surprise.

« Pourquoi quelqu'un aurait pris soin de noter ça ? Je veux dire, que peut apporter un membre de la famille royale, un coup d'état n'est même pas envisageable. » Mary haussa les épaules, apparemment elle n'en savait pas plus. Au moins ses recherches avaient abouties à quelque chose.

« Je n'en sais rien, mais une chose est sûre, Aveline est la dernière de sa lignée et quelqu'un cherche à l'avoir. » Maintenant elle comprenait l'importance de protéger la jeune fille, même si elle ne savait toujours pas ce que cela pouvait bien apporter à quelqu'un.

« Nous savons au moins pourquoi quelqu'un ne voulait pas qu'elle se marie. » Elles seraient au moins d'accord sur une chose.

« Et nous pouvons supposer que quelqu'un souhaite l'épouser pour autre chose que ses beaux yeux. Cependant cela ne résout pas le problème, certes cet homme aurait un titre, et après ? Les dirigeants sont toujours là, et je doute que quelqu'un suive une personne venue de nulle part. » Il fallait croire qu'elles étaient toutes les deux aussi dubitatives l'une que l'autre.

« Je suis désolée Cressida, je n'ai pas les réponses. » Malheureusement. La femme secoua légèrement la tête.

« Tu sais où nous contacter si tu as de nouvelles informations. » Mary hocha la tête regardant l'autre s'en aller.

*

* *

Après le voyage du retour Cressida avait été informé leur supérieur des découvertes de Mary. Il était tard, aussi elle avait été prendre un bain avant de rejoindre sa chambre pour se coucher. Elle affronterait Gaëtan le lendemain, elle n'en avait pour l'instant pas la force. Ses sourcils se froncèrent il y avait quelqu'un dans sa chambre, comme le laissait apparaitre la faible lumière qui passait par la fenêtre. L'homme se leva. La confrontation était donc inévitable. Elle soupira tirant légèrement sur la tunique qui lui arrivait à mi-cuisse. A cette heure-là personne ne trainait jamais dans les couloirs normalement, et la pudeur n'était pas le point fort de leur refuge de toute manière.

« J'aurais aimé que tu vienne me parler Cressida. » Evidemment. Seulement elle ne voulait pas, cela était déjà assez humiliant qu'il l'ait envoyé vers l'une de ses amantes.

« Je comptais te voir demain, je suis épuisée et je pensais que tu dormais déjà. » Ce qui n'était pas totalement faux. Même si elle savait qu'il était plus de ceux qui se couchent tard.

« Tu m'en veux. » Il la connaissait beaucoup trop bien. Elle referma la porte alors que Gaëtan s'approchait d'elle. « C'est pour ça que je ne voulais pas te dire qu'il s'agissait de Mary. » Il voulut lui prendre la main elle se déroba allant poser ses vêtements sales sur une chaise.

« Elle a découvert qu'Aveline est la dernière descendante de la famille royale. Nous ne savons pas encore pourquoi quelqu'un cherche à lui nuire. » Il s'approcha encore effleurant son dos, elle l'évita une nouvelle fois.

« Le maitre m'a déjà dit tout cela. » La femme se planta devant lui, dans son regard il lisait l'ordre qu'elle lui intimait : pars. « Cress, pourquoi agis-tu ainsi avec moi ? » Elle détourna les yeux.

« Tu sais très bien pourquoi. Tu es un imbécile volage et puérile. » Il parvint à la faire reculer jusqu'au mur. Ses doigts se posant sur sa taille et son regard plongeant dans le sien. Il savait parfaitement qu'elle aurait pu le repousser. Elle ne le fit pas.

« Si tu m'avais laissé une chance, si tu me laissais une chance, tu verrais à quel point je prendrais soin de toi. » Ce n'était pas la première fois qu'il vivait cette scène, ce ne serait surement pas la dernière. Il lui prit doucement le visage.

« Nous savons tous les deux que cela ne fonctionnera pas... » Il l'embrassa. Tendrement, avec tout l'amour dont il était capable. Il voulait lui montrer, lui prouver, une fois encore à quel point elle comptait pour lui.

« Cress... » Ce ne fut qu'un murmure alors qu'elle le repoussait.

« Pourquoi tu continu Gaëtan ? Après tout le mal que l'on s'est déjà fait ! » Il se mordit la lèvre. Encore et toujours le passé venant les hanter, même après cinq ans.

« Nous aurions puent surmonter cette épreuve ensemble... Si seulement tu le voulais. » Le temps où ils s'amusaient ensemble lui semblait si loin qu'il avait l'impression d'avoir vieillit d'un coup.

« Non Gaëtan, c'était trop difficile de continuer ainsi. Tu le sais, alors laisse moi je t'en prie. » Surement était-il le seul à pouvoir lui arracher des larmes, il était loin de s'en vanter. Il ne pouvait même plus la serrer dans ses bras ou la protéger.

« Bien. Nous nous verrons plus tard. » Trainant des pieds, une boule dans la gorge il posa une main sur la poignée. Il se tourna une dernière fois pour la voir, fragile, en larmes. « Cress, je t'aime. » Il ne faisait qu'attiser leur douleur mais il avait besoin de le dire. Il voulait tellement qu'elle comprenne à quel point elle comptait pour lui.

*

*            *

Aveline grimaça alors que son doigt avait ripé sur la lame de l'épée. Le nettoyage s'avérait plus difficile que prévu. Gaëtan n'était pas là, apparemment il s'était senti mal mais cela cachait surement autre chose, elle se retrouvait donc seule avec Garrett. Il prenait un malin plaisir à la torturer. Elle leva néanmoins les yeux vers lui.

« Pourquoi Gaëtan est-il partit ? » Il s'était dérobé, avait prétexté être malade et avait quitté la demeure des Capes Rouges sans un mot de plus.

« Surement l'une de ses disputes avec Cressida. » C'était la première fois que Garrett lui parlait aussi gentiment.

« Qu'y-a-t-il entre eux ? Je croyais qu'ils étaient juste amis. » Le garçon haussa les épaules tout en examinant son épée.

« C'est ce qu'ils font croire, mais il y a plus que ça. Je ne sais pas vraiment en réalité, et ceux qui sont au courant restent muets. » Evidemment, cela aurait été trop simple sinon. Elle doutait que Gaëtan lui donne une réponse claire. Enfin, au moins cela serait la première fois que Garrett était plus ou moins sympathique avec elle. D'ailleurs il lui tendit un bout de tissu blanc. « Pour ton doigt, ce serait idiot de salir ton épée de nouveau. » Elle le prit essuyant le sang qui coulait sur sa main.

« Merci. » Peut-être était-ce l'occasion d'entamer une conversation calme et d'apprendre à le connaitre. « Comment es-tu arrivé là ? » Un instant il la regarda, elle crut qu'il allait lui répondre quelque chose d'acerbe, pourtant il baissa les yeux vers son épée.

« Ma mère était une catin, j'ai vécu un temps avec elle, parce qu'elle espérait que cela attendrirait le fidèle client qu'était mon père. Finalement cela était inutile alors elle m'a abandonné dans la rue de la Capitale. Heureusement les Capes Rouges m'ont trouvés, je n'avais que cinq ans, je n'ai pas entamé ma formation tout de suite, il a fallut que j'attende mes dix ans. Enfin j'ai tout de même appris à lire et toutes ces choses en attendant. » Elle hocha la tête distraite. « Je te le raconte parce qu'ici il y a très peu de secrets et que de toute manière ce n'est plus si important que ça pour moi. » Pourtant il y avait dans ses yeux une lueur étrange. Aveline n'insista pas. Il lui restait beaucoup de choses à découvrir et à comprendre.


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