Chapitre 2 : Prêtresse
Avec l'aide de sa sœur Aveline se déshabilla pour se vêtir d'une tenue plus confortable. Sa grand-mère avait déjà préparé le souper et elle n'eut qu'à s'installer, éreintée de sa journée de travail. La jeune fille servit sa petite sœur en premier, puis son aïeule. Elle qui avait toujours l'air fraiche et pimpante avant, semblait maintenant avoir pris cent ans d'un coup.
« Il faut que la petite commence à travailler, les choses ne peuvent pas continuer ainsi. » Brusquement Aveline reposa ses couverts alors que près d'elle sa sœur se faisait toute petite.
« C'est hors de question, elle doit continuer de suivre les cours que donne les Prêtresses. » Le sujet avait réussi à être évité durant presque une année. Il constituait un tabou qu'Aveline évitait de soulever.
« Cela ne peut pas continuer ainsi. Tu le sais aussi bien que moi, tu as certes un salaire confortable, mais une fois le loyer payé il nous reste peu d'argent malgré les travaux que je fais-moi aussi pour le palais. » Sa grand-mère dispensait des cours sur les bonnes manières et le maintien à des jeunes demoiselles de la haute société.
« Nous nous en sortons très bien ainsi Grand-Ma. » Elle manqua de se bruler avec le potage, mais préféra ne faire aucun commentaire.
« Et bien trouves toi un époux. Ce n'est pas si difficile que je sache. » Second tabou. Cette soirée devait être une signe de la pleine lune imminente, elle ne voyait pas d'autres explications.
« Je ne veux pas me marier et tu le sais. Toutes mes chances se sont envolées avec notre argent. » Sa grand-mère eut un long soupire de consternation.
« Pas toutes, ce marchand qui te fais les yeux doux à chaque marché. Il est riche, et tu serais un moyen pour lui d'avoir un titre. » Aveline serra sa cuillère, atterrée.
« Je ne veux pas l'épouser et je ne le ferais certainement pas. Il à l'âge d'être mon père, et à la même allure qu'un porc qui sort de son bain de boue. » Sa petite sœur pouffa.
« Aveline ! » Ah oui, la bienséance. Cela l'avait vraiment aidé jusqu'à maintenant, elle vivait dans un taudis sans espoir d'en sortir.
« Pardon, c'est un manque de respect pour les porcs. » Sa grand-mère frappa sur la table.
« Ne sois pas grossière ! Si tu espères mieux redescends de ton nuage ! Tu es pauvre, une petite bibliothécaire, et tu es loin d'être un canon de beauté. » Cette fois elle se leva. Furieuse.
« Je ne me marierais jamais ! Tu entends ? JAMAIS ! »
Sur ces quelques mots, faisant fi des protestations de son aïeule elle quitta la maison. L'avantage qu'avait eu leur grande demeure était de pouvoir trouver à tout instant un endroit assez éloigné des gens qui avait le don de vous énerver. Dans leur petite maison de ville cela n'était même pas possible. Et inutile de préciser qu'en rentrant elle aurait le droit à tout un laïus plaintif sur sa conduite « honteuse » et totalement « irrespectueuse ».
Aveline connaissait maintenant la Capitale et ses habitants. Ce qui n'empêchait à la nuit d'être fraiche. La jeune fille se perdit dans ses pensées pendant qu'elle déambulait dans les rues. Dans son esprit elle se remémora ce qu'il c'était passé quelques jours plus tôt alors qu'elle allait quitter la bibliothèque. Cette histoire de renverser le pouvoir l'inquiétait, mais à qui en parler ? Le Palais était un véritable coupe gorge, plus encore que les bas quartiers. Ne rien dire restait l'option la plus sûre. On ne pouvait faire confiance à personne, surtout lorsqu'il s'agissait d'un complot. Pourtant cela n'avait en soi rien de spectaculaire, il devait bien y avoir plusieurs complots par an. Du moins c'est ce que voulait montrer les différentes exécutions sur la place publique. Ceux qui avaient comploté dans sa bibliothèque seraient très certainement arrêtés. Il n'y avait pas à s'en inquiéter. Oublier, voilà ce qu'elle devait faire pour ne pas se retrouver prise dans une histoire qui ne lui apporterait que des soucis.
*
* *
Après avoir erré une bonne heure dans les rues, Aveline rentra chez elle sur la pointe des pieds. Il était rare que sa grand-mère s'inquiète de son absence et sa sœur se couchait assez rapidement après le diner. La jeune bibliothécaire alluma une chandelle pour pouvoir enfiler une chemise de nuit avant de se glisser sous sa couverture. Près d'elle, le rythme régulier de la respiration de sa jeune sœur l'apaisa.
« Aveline ? » Bien, celle-ci ne dormait pas.
« Oui Alana ? » Toutes deux chuchotaient. Même si les ronflements de leur grand-mère dans la pièce à côté était sonore, mieux valait éviter de réveiller le dragon.
« J'aimerais savoir, est-ce que j'ai le choix ? » Au moins dans le noir sa sœur ne verrait pas son scepticisme.
« Le choix pour quoi ? » Sa voix était douce. Parler avec sa sœur n'était jamais source de cris.
« De ce que je veux faire. Toi et Grand-Ma vous vous disputez sans cesse, mais vous ne prenez pas la peine de me demander. » Aveline hocha la tête, son cœur se serra. C'est vrai qu'elle avait toujours souhaité que sa sœur ait une éducation complète avant de se trouver un emploi. Pourtant jamais elle ne lui avait demandé son avis.
« Et bien, là je t'écoutes. » Dans le noir elle se mordillait la lèvre, anxieuse de ce que sa sœur voulait.
« J'aimerais entrer au Temple. Devenir une Prêtresse novice, je sais que cela ne vous rapportera rien, mais ça sera une bouche de moins à nourrir. J'ai l'âge et la Prêtresse Thia dit que je serais parfaite. » Un tas de choses avaient traversés l'esprit d'Aveline, mais pas cela.
« Je... Honnêtement, cela me laisse perplexe. Tu sais que tu n'auras pas le droit de te marier ou d'enfanter ? » Elles n'avaient pas l'habitude de se parler de cela, mais elle voulait être sûr que sa sœur ait conscience de ce qu'elle perdrait.
« Je sais Aveline. Donc tu ne repousses pas l'idée ? » La jeune fille prit sa sœur dans ses bras.
« Non, pas du tout. J'irais même parler à la Prêtresse Thia pour voir les démarches à faire. » Même sans le voir elle sentait le sourire d'Alana près d'elle.
« Merci. » Aveline frictionna le dos de sa sœur.
« Dors maintenant. »
*
* *
Une dernière fois Aveline vérifia que les livres étaient les bons. Sa conversation de la veille avec sa sœur était sa nouvelle source de préoccupation. Elle trouvait l'idée d'Alana excellente, mais elle était prête à parier que sa Grand-Mère trouverait quelque chose à redire à cela. Elle qui avait toujours rêvé de voir l'une de ses petites filles mariée à un riche Seigneur. D'un geste de la main Aveline repoussa cette idée, son aïeule mourrait déçue, à l'évidence. Une pile de livre dans les bras elle prit la direction des bureaux. Le Seigneur d'Aël était rentré dans la nuit et lui avait fait savoir qu'il avait besoin de ces ouvrages au plus vite. Pour atteindre l'étage administratif, elle dut gravir deux étages. Le Seigneur qu'elle allait visiter était l'un des nouveaux prétendants au titre de dirigeant. Les élections étaient certainement l'un des évènements qui bouleversaient le plus le palais. Les nobles devaient parier sur la bon « cheval » pour assurer leur place, en somme verser assez d'argent et arranger assez de mariages. Par bonheur elle y avait échappé. Les couloirs grouillaient de serviteurs qui nettoyaient les différents bureaux, appartements, et pièces qui constituaient le palais. Pour sa part son travail allait devenir plus soutenu avec les arrivées, les départs et les retours de livres, sans compter tous ceux qu'elle devait décider de garder ou jeter. Le pire étant qu'elle adorait cela.
Elle s'arrêta finalement devant le bureau dont la porte était entre-ouverte. Les mains prises et sachant qu'on l'attendait elle se décida à entrer. Les bureaux avaient toujours eu quelque chose de spécial, déjà parce qu'ils étaient froids —aux deux sens du terme — et ensuite car il y avait très peu de lumière dans ces quelques pièces. Alors que sa bibliothèque était en plein soleil durant tout l'après-midi, lorsqu'il faisait beau. Elle entendit quelques jurons. Son sang se glaça, elle déglutit et recula d'un pas. Le Seigneur ne l'avait pas remarqué, si bien que tout ce qui recouvrait son bureau fut projeté par terre. Encore quelques pas et elle serait dehors. Elle pourrait frapper. Et... Elle trébucha s'emmêlant les pieds. Les livres qu'elle tenait lui retombèrent dessus, et elle crut bien s'être brisé le bas de la colonne vertébrale. C'était fini pour la discrétion. Elle allait surement se faire massacrer. Envoyer au cachot, où on l'oublierait jusqu'à la fin de ses jours. Lorsqu'elle releva les yeux, le Seigneur se trouvait juste en face d'elle. Aveline déglutit.
« Je suis désolé. Je... Je n'aurais pas dû entrer. » Et voilà. Finit sa bibliothèque.
« Ne vous excusez pas, c'est moi qui vous ai offert un bien triste spectacle. » Elle fixa, incrédule, la main qu'il lui tendait. Hésitante elle finit par la saisir. Elle avait mal, mais rien d'insurmontable.
« Oh, ce n'est pas grave. Je déposais juste les livres que vous avez demandés. » Aveline se rebaissa pour prendre les ouvrages qui jonchaient le sol. Il l'aida.
« Merci, je n'aurais pas dû vous déranger avec cela Dame Aveline. » Elle sursauta à l'entente du titre.
« Aveline, juste Aveline maintenant. Ou la bibliothécaire, cela dépend des gens. » Il lui sourit tout en se redressant.
« Vous avez perdu votre fortune, pas vos titres. » Il marquait un point. Mais elle était devenue domestique en acceptant d'être bibliothécaire.
« C'est un point de vue. Néanmoins, je me contente d'Aveline maintenant. » Elle eut un sourire timide. Cet homme l'avait toujours impressionné, il était son ainé seulement de deux ans, mais il avait toujours été agréable à son égard. Et les années lui avait très bien servit, il devait surement faire de l'exercice tous les jours. On n'avait pas cette musculature en restant derrière un bureau. Elle battit des paupières. Elle détestait cette partie d'elle qui détaillait les hommes, ça elle le tenait de sa grand-mère, à coup sûr. « Je vais vous laisser Monseigneur. »
« Seth. Appelez-moi Seth. Surtout que je risque de venir encombrer votre bibliothèque un moment. » Pourquoi n'était-il pas marié ? Il avait tout pour plaire, un regard clair et franc, des cheveux bruns bien peignés et une petite barbe de trois jours.
« Je peux très bien vous apportez ce dont vous avez besoin. » C'était vrai. Il était surement la seule personne pour laquelle elle ne rechignait pas à sortir de sa bibliothèque.
« Je ne voudrais pas vous faire peur une nouvelle fois. » Elle avait complètement oublié cet épisode.
« Nous avons tous nos sautes d'humeur. Vous devez juste être vraiment contrarié. » Il passa une main dans ses cheveux les ramenant en arrière.
« Ça m'arrive, j'envie le self-control qu'on certaine personne. Je vais vous laisser retourner travailler. » Aveline s'inclina.
« Bonne journée, Monseigneur. »
Elle n'était pas décidée à l'appeler Seth. Les bonnes manières étaient quelque chose de très dur à apprendre, mais il était bien plus difficile encore de désapprendre.
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