Chapitre 14 : Quand vient l'heure du choix
Aveline leva le bras pour remettre un ouvrage à sa place, une grimace se peignit sur son visage. Elle ne se ferait décidemment jamais à la douleur qui lacérait son dos. L'incident avait eu lieu quelques jours auparavant, et pourtant elle souffrait toujours autant. Pour ne rien arranger elle n'avait pas cessé de faire des cauchemars, sa maison qui brulait, les cris de sa sœur et elle ne pouvant pas bouger, pétrifiée. Au réveil son cœur battait la chamade. Cela passerait surement avec le temps, du moins elle l'espérait. Au moins tous ces cauchemars l'empêchaient de penser trop à Mahe et à sa réaction puérile. Elle ne l'avait pas encore affronté, faisant semblant de dormir lorsqu'il venait la voir chez elle. Sa grand-mère n'avait même pas essayé de la sermonner, de toute manière pour le moment le jeune Seigneur était partit pour quelques jours, régler des affaires pour sa tante. Cela lui laissait de quoi réfléchir à ce qu'elle allait dire, tant qu'elle ne flanchait pas lorsqu'il lui servirait un sublime sourire innocent. Elle était certaine qu'il pouvait balayer ses convictions d'un seul mouvement de lèvre. Ce qui était plutôt effrayant en soi, être amoureuse ne lui avait pas réussi la première fois, une seconde serait une erreur, mais apparemment il était déjà trop tard.
« Tu es déjà de retour dans ta bibliothèque ? » Aveline pivota sur le côté. Mahe s'approcha d'elle pour la prendre par la taille mais elle recula tout en fronçant les sourcils.
« Tu es déjà rentré ? » Il sembla légèrement dubitatif, comme s'il ne s'était pas attendu à cette réaction. Ce qui était surement le cas.
« A t'entendre on dirait que tu es déçue, ou mécontente. » Elle croisa les bras sur sa poitrine, prenant soin de ne pas le regarder.
« Aucun des deux je suis en colère. » Il la dévisagea sans comprendre et elle soupira. « Je n'ai pas apprécié ta petite fanfaronnade pour t'imposer face au Seigneur Seth la dernière fois, c'était puéril. » Il fit un pas vers elle. Puis un sourire doux naquit sur ses lèvres, décidément c'était une arme dont il savait se servir.
« Fanfaronnade ? Sérieusement, on utilise encore cette expression ? » Il eut un léger rire. Et elle faillit craquer, mais réussit au prix d'un effort à garder son sang-froid, haussant un sourcil. « Aveline, je suis désolé. C'est vrai que ce n'était pas très fairplay de ma part, mais ce n'est pas entièrement ma faute, je n'apprécie pas la manière qu'il a de te tourner autour. » Elle leva un peu le menton. Au moins il reconnaissait. Elle laissa retomber ses bras le long de son corps.
« Dans un autre langage on appelle cela de la jalousie. Ici plutôt mal placée puisqu'il n'y a rien entre lui et moi. Et tu reste simplement un galant homme qui me fait la cour parce qu'il n'a rien de mieux à faire. » Elle avait dit cette dernière chose avec le sourire. Mahe fit mine de réfléchir.
« Il y a bien quelques jeunes femmes à la cour qui m'occuperaient volontiers, malheureusement elles sont bien ennuyeuses. » Il réussit à lui prendre la main avant qu'elle ne se dérobe pour l'attirer un peu plus vers lui.
« C'est sûr qu'une bibliothécaire qui passe sa vie à ranger, trier et réparer des livres, c'est beaucoup moins ennuyeux. » Il explosa de rire, et elle se sentit bien. Là était le problème, ils n'iraient jamais plus loin que le flirt et quelques chastes étreintes.
« Disons que tu as une manière de ma railler que j'apprécie grandement. »
Il plongea son regard dans le sien. Elle venait de se laisser misérablement prendre au piège alors qu'il l'embrassait. Toujours la même délicatesse dans ses gestes, la même envie. Son baiser se fit soudain plus entreprenant. Aveline se sentit perdre pied. Si elle cédait maintenant, si elle le laissait faire, si elle s'accrochait il serait trop tard. Une pression pour le faire reculer lui fit comprendre qu'elle ne voulait pas.
« Je suis désolé, je ne voulais pas te brusquer. » Elle se dégagea gentiment de son étreinte. Elle ne pouvait pas continuer comme ça. Etre une distraction que l'on balayerait parce qu'elle n'avait pas sa place dans ce monde qui l'avait abandonnée.
« Nous ne pouvons pas. Ce n'est pas contre toi. C'est... Nous ne pouvons pas. » Autant tout arrêter maintenant. Ils n'avaient pour le moment rien à perdre, leurs cœurs se remettraient.
« Qu'est-ce que ? Pourquoi ? Tu m'aimes bien, non ? » Elle rajusta son chignon comme si cela pouvait arranger les choses ou apporter une réponse supplémentaire.
« Oui, et c'est là tout le problème Mahe. Ton rang t'oblige à épouser une jeune femme qui saura plaire à ta tante. Pas une fille comme moi. » Elle croisa ses mains sur le devant de sa robe, comme à son habitude lorsqu'elle prenait son statut de bibliothécaire sérieuse. Un instant elle eut peur que Mahe lui rit au nez. Ce ne fut pas le cas.
« Tu as tout ce que l'on peut demander à une jeune dame, tu es intelligente, belle, sérieuse, tu as la bonne éducation, le titre. Je ne vois pas ce qui te fait dire de telles âneries. » Elle se retint de soupirer. Après tout il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
« Je suis bibliothécaire, sans le sous, orpheline, j'ai consommé un mariage qui n'en était pas un et j'ai eu un enfant. Je ne vois pas ce qu'il te faut de plus. » Il tendit la main vers sa joue mais se ravisa.
« Il en faudrait bien plus pour que je renonce. Tu es la seule à mettre des barrières là où il n'y en a pas. » Aveline détourna les yeux, elle ne pouvait pas supporter son regard parce que sinon elle finirait par lui donner raison. Il lui prit le visage pour la forcer à le regarder, s'il la tenait fermement il ne lui faisait pas mal. « Donne-moi la vrai raison, pourquoi est-ce que tu me repousses ? Pourquoi maintenant ? » Elle le regarda dans les yeux, il était déterminé, et dans un sens cela lui faisait peur.
« Parce que si je ne le fais pas il sera trop tard. Je ne veux pas souffrir, pas comme ça, je ne veux plus revivre ça. Pas encore. Ca fait trop mal... » Aveline sentit les sanglots lui nouer la gorge, mais elle retint ses larmes. Mahe la relâcha.
« Je ne te ferais jamais une telle chose Aveline. » Il avait l'air si sincère. Mais elle ne croyait plus aux promesses, plus depuis que son père lui avait un jour promit le soir de sa nuit de noces que tout irait bien.
« Alors, laisse-moi. C'est la meilleure chose à faire, nous n'avons rien d'autre à nous offrir que des promesses en l'air. » Il la regarda un instant. Elle sut qu'il comprenait qu'elle avait raison. « Peux-tu vraiment m'assurer que nous serons heureux, sans que les choses dérapent, que l'on s'en veuille mutuellement d'avoir détruit l'autre, sans jamais ce mentir ? » Elle vit quelque chose changer dans son regard. Il s'éloigna d'un pas comme si on l'avait piqué.
« Je n'abandonnerais pas l'idée Aveline, et crois-moi, quand tu me reverras je saurais te convaincre. »
Alors qu'il allait vers la sortie elle se demandait quelle mouche le piquait et pourquoi un tel revirement de situation. Décidemment il était bien plus complexe qu'elle ne l'avait d'abord crut.
*
* *
« Ne rumine pas tes idées noires ma chérie, cela ne te servira à rien. Tu as fait le bon choix. » Aveline n'avait même pas envie de manger le potage que sa Grand-Mère avait préparé. De toute manière elle commençait à avoir cette tambouille en horreur.
« Je sais grand-ma, je sais. » Alana ne semblait pas plus en appétit qu'elle, trop de potage tue le potage.
« Moi je suis certaine qu'il t'aurait demandé ta main. » L'innocence d'un cœur pur. Elle aurait tant aimé pouvoir être aussi naïve que sa sœur. Mais trop d'images la hantaient pour que cela arrive.
« Alana, tu dois comprendre que ta sœur à fait un choix judicieux. Les choses sont mieux ainsi, nous ne pouvons pas passer nos vies à croire en des promesses. » Pourtant cela aurait été tellement bien. Elle voulait pouvoir faire ce qui lui plaisait sans avoir à réfléchir pendant des heures si cela était bien ou non.
« Vous vous aimez, même un aveugle le verrait, alors pourquoi ? » Aveline soupira et repoussa son assiette.
« Assez Alana s'il te plait. Je décide moi-même ce qui est bien pour moi ou non, alors ne te mêle pas de mes choix. » Sa sœur lui lança un regard accusateur qu'elle soutint.
« Alors tu aurais mieux fait d'épouser le marchand si l'amour t'importe si peu. Au moins nous aurions eu autre chose à manger que du potage de légumes bouillies, avec plus d'eau que de légumes d'ailleurs. » Le problème dans une maison aussi petite était que la pression montait vite, surtout lorsque trois caractères bien distincts s'affrontaient. Bien qu'Aveline ne s'était presque jamais disputée avec sa sœur.
« Si ça ne te plait pas tu n'as qu'à travailler toi-même ou te trouver un mari ! Désolé de ne pas pouvoir respecter tes exigences de princesse. » En prononçant ces mots elle se savait injuste envers sa sœur, mais elle préférait ne pas y penser et mettre cette idée de côté.
« Aveline, calmes-toi. » Sa Grand-Mère avait parlé avec une voix douce. Aveline soupira avant de se lever.
« Alana, je fais ce que je peux pour nous. Mais il est hors de question que je me vende. Mahe n'avait rien à m'offrir d'autre que de l'amour, et malheureusement cela ne suffit pas pour vivre. Quelqu'un aurait mis un terme à notre relation de toute façon. Alors mieux vaut que ce soit moi. » Un instant elles se fixèrent puis Alana baissa les yeux sur son potage qu'elle se remit à manger en silence.
*
* *
La journée avait paru plus longue et fatigante que toutes les autres à Aveline. Elle avait passé sa nuit à ruminer ce qui était arrivé avec Mahe. La conclusion restait la même, leur relation était vouée à l'échec quoi qu'il en dise. Même si des sentiments commençaient à naitre entre eux, les choses étaient plus complexes que deux cœurs s'accordant. Alana dormait déjà lorsqu'elle s'installa près de la cheminée, une tisane à la main. Ses maux de tête recommençaient. Sa Grand-Mère tira une chaise pour s'asseoir près d'elle.
« Aveline, il y a une chose dont nous devons parler. » Elle leva les yeux vers le visage soucieux. Encore une conversation sérieuse. Si seulement cela pouvait s'arrêter un jour.
« Qu'y-a-t-il ? Tu semble inquiète. » Elle cala sa tasses entre ses mains pour se réchauffer.
« Tu as été très occupée ce mois-ci Aveline, et tu as eu quelques jours de travail en moins. Ma chérie, nous n'aurons pas de quoi payer le loyer, encore moins la nourriture. » Elle faillit lâcher sa tisane. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ? Elle avait tellement été prise par sa frivolité qu'elle ne s'était pas rendu compte des états de leurs réserves d'argent.
« Nous allons trouver quelque chose grand-ma, je demanderais au Seigneur Seth, il nous aidera j'en suis sûre. » Elle se releva, elle savait qu'il ne la laisserait pas tomber.
« Non Aveline, non. Je ne veux pas que l'on doive quelque chose à quelqu'un il en a déjà fait assez. Et j'ai déjà trouvé une solution au problème. » Aveline se releva et posa sa tasse sur le rebord de la cheminée. Elle s'en voulait tellement.
« Quelle solution ? » Sa Grand-Mère n'avait même pas besoin de parler pour que la jeune fille sache que ça ne lui plairait pas.
« J'ai dit à Adrian que tu l'épouserais. » Elle hésita entre faire celle qui était choquée, ou laisser sa colère exploser. Elle choisit la seconde option.
« Hors de question ! Je préfère encore devoir quelque chose à quelqu'un ! » Si seulement elle avait été plus attentive.
« Alors ce sera ta sœur. » Quelque chose qu'elle détestait plus que l'obligation était le chantage.
« Quoi ? Elle à l'âge d'être sa fille ! Comment peut-il oser te faire un tel chantage ! » Elle aussi aurait eu l'âge d'être sa fille, mais au moins elle était plus mature et elle savait ce qui l'attendait.
« Ce n'est pas lui, c'est moi. Il n'a rien dit à propos d'Alana, mais je te laisse le choix. Elle ou toi. » Aveline frappa le mur près d'elle, elle eut l'impression que sa main se brisait. Mais elle retint tes larmes.
« Je te déteste ! »
Elle avait hurlé avant de sortir en claquant la porte. La pluie glacée la fit grimacer, mais il fallait qu'elle s'éloigne de cet endroit. Son cœur allait exploser. Elle ne pouvait donc compter sur personne. Pourquoi ?
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