C comme Cafard
L'adolescent brun de dix-huit ans et demi (le « et demi » était important) sortit de son appartement quelque peu vétuste avec un soupir à fendre l'âme : il faisait une chaleur à crever et il allait passer la mâtiné enfermé dans la boulangerie. Mais le côté positif était qu'il ne travaillait pas l'après-midi et qu'il avait le dimanche de repos.
Alors qu'il s'arrêtait sur le pas de la porte pour fermer celle-ci à clé, il vit une chose intruse du coin de l'œil.
– Qu'est-ce que...
Il regarda avec horreur la petite bête qui semblait être figée à trois pas de lui, avant qu'elle ne se mette à galoper direction son appartement, disparaissant derrière le battant.
Eren resta un petit moment abasourdi, jusqu'à ce que l'effroi monte crescendo en lui, le faisant pâlir brusquement. Il verrouilla sa porte avec empressement et quitta l'immeuble au pas de course, le dégoût faisant crisper ses doigts nerveusement.
– Sainte Merde, fit-il alors qu'il ouvrait la boutique, vérifiant autour de lui qu'une bête immonde n'allait pas se jeter sur la porte.
– Ça va, Eren ?
Ce dernier se retourna vers Connie, plantant son regard turquoise dans celui de son ami.
– T'as l'air tendu, expliqua le rasé déjà prêt à recevoir des clients.
Le brun souffla et se dirigea vers sa caisse, laissant la porte en verre grande ouverte pour laisser entrer l'air frais du matin.
– Ouais, ça va.
Connie le regarda encore quelques secondes en plissant les yeux, son expression disant clairement : « Toi, espèce de petit menteur, tu me prends pour un con ». Mais il finit par hausser les épaules, ne voulant pas lancer un débat.
Eren soupira. Dieu savait à quel point il avait en horreur les insectes et là, là ! il a fallu qu'il tombe sur... sur... sur cette immondice, cette monstruosité !
En revoyant comment la bête avait couru pour aller dans son appartement, un frisson de pur dégoût le secoua. Il n'était pas près d'y remettre les pieds.
– Comment va Sasha ? demanda-t-il pour essayer de ne plus penser à cette... chose.
– Elle se remet. Je pense qu'elle sera de retour lundi.
Un sourire niais prit place sur le visage du rasé, alors qu'un client venait de faire son entrée.
– Olé !
Ce fut au tour d'Eren de sourire.
– Bonjour, jeune Adélaïde !
Le vieille femme aux cheveux relevés en un chignon sévère le regarda avec des yeux pétillants tout en s'avançant vers lui.
– Bonjour, mon garçon !
– Comment allez-vous, aujourd'hui ?
– Cette chaleur est insupportable ! Heureusement qu'il y a un petit vent frais pour tempérer tout ça ! s'exclama-t-elle en regardant avidement les pâtisseries et viennoiseries.
Elle releva le nez de la vitrine et fronça les sourcils en voyant la mine de son petit protégé.
– Quelque chose te turlupine, mon brave garçon ?
L'adolescent ouvrit la bouche puis la referma, passant une main nerveuse dans ses cheveux tout en faisant voyager ses yeux dans la boutique, tentant de trouver un moyen de détourner l'attention de sa cliente.
Il regarda Connie discuter poliment avec un jeune couple, deux enfants braillards accrochés à leurs mains. Ses yeux se posèrent sur la porte d'entrée, regardant avec effarement le nouveau client voyager jusqu'à lui.
– Alors ?
Il fit voguer ses yeux entre la vieille femme et le nouveau venu, peu désireux de dévoiler sa phobie des insectes devant un presque inconnu... enfin, peu désireux de dévoiler sa phobie à quelqu'un, tout court.
– Oh ! Euh... Ce n'est rien, vraiment... Ne vous en faites pas, mademoiselle Adélaïde !
Il passa une nouvelle fois sa main dans ses cheveux, envoyant un sourire crispé à la dame et tentant de ne pas jeter des coups d'œil à l'homme patientant derrière elle.
– Eren...
Il déglutit : son prénom sortit de la bouche d'Adélaïde n'annonçait jamais rien de bon. Il se souvenait encore de l'engueulé qu'il s'était pris quand il lui avait caché qu'il avait eu une -très!- mauvaise note en français, il y a un an de cela.
Adélaïde Anton était intrusive et surprotectrice mais il l'adorait quand même.
– Bon... d'accord, céda-t-il d'une petite voix, des rougeurs imprégnant vivement ses joues.
Le visage de la femme s'adoucit et elle commença à le fixer doucement, le conviant à se confier. Il se racla nerveusement la gorge, se préparant mentalement à la future honte qui allait le submerger.
– Eh bien, en fait... je... j'ai le phobie des insectes...
Il s'arrêta, regardant derrière Adélaïde le mec qui l'avait sauver d'une agression il y a cela deux jours. Celui-ci haussa un sourcil ses yeux plantés dans les siens, semblant vouloir connaître le fin mot de l'histoire.
Super.
– Et ?
Le brun fronça les sourcils, l'irritation commençant à la titiller : il n'avait fichtrement pas envie d'étaler sa peur idiote comme ça ! Cependant, le regard que lui lança la vieille dame – qui avait dû suivre le cour de ses pensées – le dissuada de l'envoyer paître, de manière courtoise ou non.
Il se résigna alors.
– Et ! il se trouve qu'une blatte a eu la merveilleuse idée de rentrer dans mon logement, ce matin-même, expliqua-t-il avec une moue mi répugnée, mi horrifiée.
– C'est tout ? demanda la femme en haussant les sourcils, l'air sincèrement étonné et blasé.
Là, cette fois-ci, Eren ne résista pas à la sensation qui s'empara de lui et cria presque, paraissant passablement excédé :
– Comment ça « c'est tout » ?! Un putain de cafard de merde a choisi mon appartement comme lieu de résidence ! On parle bien d'un cafard ! Un putain de gros truc dégueulasse qui fait « Criii !» quand on l'écrase, et qui court à trois milles kilomètres-heure !
Le frisson de pur écœurement qui le parcourut fut visible par les deux adultes en face de lui, de même que son souffle anarchique.
Le regard surpris que lui lança Adélaïde le ramena sur Terre et il sentit la honte l'étreindre une nouvelle fois.
– Oh ! Pardon ! Je suis désolé de vous avoir crié dessus, mademoiselle Adélaïde, mais vous devez savoir que moi et un truc ressemblant de près ou de loin à un insecte, ce n'est pas compatible.
Elle hocha la tête et lui sourit avec compréhension.
– Ne t'en fait pas, mon garçon, nous tenons tous en horreur quelque chose... Pour ma part, si les serpents pouvaient disparaître, ça m'arrangerait grandement.
Elle lui fit un clin d'œil et passa sa commande, partant après un « au revoir » joyeux, une poche de pains aux raisins à la main.
L'homme s'avança.
– Bonjour, monsieur, le salua le brun quelque peu gêné.
– Salut, gamin.
La façon dont l'adulte se mit à le fixer le rendit tout de suite mal à l'aise. Ses yeux gris semblaient le sonder, mais il ne parvenait pas à savoir ce qu'il pouvait bien penser.
Le soldat ne bougeait pas et le brun commençait de plus en plus à se sentir comme une proie.
– Une baguette.
Eren fut tellement surpris de l'entendre parler, qu'il n'esquissa pas un seul geste. Il se reprit cependant et se retourna sans dire mot, se rappelant de la commande qu'avait passé l'homme il y a cela deux jours.
– Ce sera tout ? demanda-t-il.
Le caporal hocha la tête, sortant le montant que lui indiquait la pancarte à côté du pain.
Alors que le jeune Jaeger tendait sa main dans le but de prendre les pièces, l'homme, au dernier moment, lui attrapa fermement le poignet sans pour autant lui faire mal.
Éberlué et quelque peu paniqué, il releva ses grandes orbes bleus pailletés de vert vers son client.
– Nettoie ta maison de fond en comble et fais des pièges.
Eren ne répondit rien, son cerveau refusant de comprendre un seul mot de la phrase prononcée par son homologue.
– Pour les blattes. Nettoie ta maison et poses des pièges, réitéra le soldat après avoir lâché un soupir.
Il acquiesça lentement, zyeutant de temps en temps son membre emprisonné. Puis réfléchissant aux paroles de l'adulte, il fronça les sourcils avant d'ouvrir la bouche :
– Je... commença-t-il, captant ainsi le regard de son vis-à-vis. Je ne pourrai pas retourner dans mon appartement en sachant qu'il y à cette... bestiole à l'intérieur.
Il avait été franc. Jamais il ne pourrait faire ne serait-ce qu'un pas chez lui, alors qu'il savait qu'il y avait un gros insecte répugnant caché dans l'une des pièces.
Il se rappela de la fois où, alors qu'il avait seize ans, il avait passé la nuit dans la cuisine car une grosse araignée aux pattes surdimensionnées avait élu domicile dans sa chambre. Sur le mur opposé à son lit pour être précis. Il n'y était pas retourné jusqu'à ce que sa sœur, Mikasa, ne l'écrase. L'adolescente avait dû nettoyer durement le mur, celui-ci brille férocement au final.
Il sentit son poignet être libéré et regarda l'homme passer une main dans ses cheveux, l'air parfaitement ennuyé.
– Et je ne sais pas fabriquer ce genre de pièges, rajouta-t-il.
Le caporal soupira et ancra son regard dans le sien.
– Tu finis à quelle heure ?
– Euh, midi, pourquoi ?
L'homme sembla réfléchir un instant avant de lancer :
– Très bien. Je serai à douze heures tapantes devant la boutique.
– Mais-
– Il n'y a rien à discuter. De plus, je ne fais que mon devoir.
Eren le regarda partir, faisant encore une fois son petit salut militaire. Il ressentait encore la ferme autorité transpirer de ses dernières phrases et il en frissonna : cet homme était vraiment fait pour diriger une escouade.
Et puis...
Encore cette phrase.
~oO0Oo~
Comme promis, le soldat l'avait attendu à l'extérieur du magasin quand l'heure avait sonné midi.
Eren l'avait rejoint pour lui expliquer qu'il devait aller se changer, et une fois cela fait, ils étaient partis direction son immeuble. Le caporal n'avait rien dit quant à son aspect on ne peut plus délabré. Les murs intérieurs étaient bousillés, et une odeur d'urine flottait dans la cage d'escalier.
Présentement, ils se tenaient devant la porte de l'appartement du jeune homme. Ce dernier sortit ses clés de son manteau et les tendit à son comparse.
– Hors de question que j'entre là-dedans en premier..., fit-il en fronçant son petit nez légèrement en trompette, tenant le trousseau par la clé permettant d'ouvrir sa porte.
L'homme se retint de lever les yeux au ciel et attrapa le trousseau avant de déverrouiller le battant, le rendant par la suite à son propriétaire. Il pénétra dans le logement, suivi de très près par un Eren traumatisé.
Il vérifia directement la cuisine, lieu favori des blattes. Mais il ne se faisait tout de même pas d'illusions : ces petites bestioles préféraient largement sortir la nuit.
Le brun, de son côté, tenait fermement la veste du soldat, regardant frénétiquement de droite à gauche. Quand soudain, quelque chose à la nuance marron clair, stagnant dans un des angles de la pièce, attira son attention.
Il tira férocement sur le vêtement de son invité, celui-ci grognant de mécontentement par la suite. En voyant les yeux gris se poser sur lui, il leva un bras tremblant vers la forme au sol.
– Il est là..., dit-il d'une voix chevrotante.
L'adulte suivi la direction que montrait son bras et quand il vit la bête, il s'avança vers elle d'un pas nonchalant, laissant derrière lui la pauvre chose tremblotante.
Celle-ci regarda le caporal s'arrêter devant la créature qui n'avait plus aucune échappatoire. Il vit le pied chaussé d'une converse se lever lentement et il écarquilla les yeux, comprenant plus que parfaitement les intentions de l'homme.
– Ne faites pas-
Trop tard.
Le pied s'abattit sur le cafard, le bruit tant redouté, le fameux « Crii ! » se faisant entendre. Un bruit écœurant d'un squelette externe se faisant écrabouiller sans aucune retenue.
Eren plaqua une main sur sa bouche, retenant difficilement un haut-le-cœur.
Il détourna les yeux quand il vit le soldat se baisser en sortant un mouchoir de la poche de son pantalon, ne souhaitant absolument pas le voir récolter les morceaux dispersés de la chose éclatée.
– Pense à faire ce que je t'ai dit tout à l'heure. Et pour les pièges, il faut juste que tu prennes une boite de conserve – ou un truc du même genre –, que tu colles un ruban adhésif rugueux tout autour de l'extérieur de la boite et que tu enduises celle-ci d'huile à l'intérieur, avant de mettre du pain et de la bière dedans. Compris ? dit le soldat en se plantant devant lui.
Le jeune homme acquiesça, résistant à l'envie de regarder la main de son homologue qui renfermait l'horrible cadavre émietté.
L'adulte hocha également de la tête et se retourna, prêt à partir. Cependant l'appelle d'Eren le fit se retourner.
– Je... Je souhaiterais vous remercier pour ça, fit-il en détournant les yeux, une impression de « déjà vu » trottant dans sa tête.
– Ce n'est rien.
– Non, ce n'est pas rien, insista le brun. Je hais vraiment ces choses, continua-t-il en faisant un geste du menton vers le mouchoir. On peut dire que vous m'avez sauvé une deuxième fois.
Ses joues devinrent cramoisies après ces derniers mots, mais il releva tout de même les yeux pour les plonger dans ceux orageux du Caporal.
– Je n'ai fait que-
– Arrêtez avec cette phrase ! s'énerva-t-il. Ne mettez pas ça sur le dos d'un quelconque devoir du soldat que vous êtes ! Vous vous cachez derrière cette phrase pour ne pas montrer que vous êtes quelqu'un de serviable !
A la vue des yeux presque totalement écarquillés de l'homme, Eren ne put que se renforcer dans son jugement qu'il pensait être le bon.
– Oui, vous êtes une personne serviable, monsieur le Caporal. Quand vous m'avez aidé l'autre jour avec Niels alors qu'il m'étranglait, vous n'étiez pas obligé de le faire ! C'était un droit et pas un devoir. Vous étiez libre d'ignorer cette scène, vous aviez eu le droit de passer outre ! Pareil pour aujourd'hui, vous aviez eu le droit de partir du magasin sans vous préoccuper de moi et ma phobie, mais vous vous êtes intéressé et vous m'avez une nouvelle fois aidé !
Son regard voyageait d'un œil à l'autre, voulant être sûr que ses paroles s'imprimaient dans le cerveau entêté du soldat.
– Alors... ne rejetez pas mes remerciements. Parce que là, par contre, moi, j'ai le devoir de vous remercier.
Son invité n'esquissait pas un seul geste, laissant un silence pesant s'installer dans l'appartement.
Le brun ne se sentait absolument pas mal d'avoir oser dire ce qu'il pensait car il savait que c'était la juste vérité, et il défiait ouvertement l'homme de le contredire de ses yeux turquoises : si le plus âgé était pire qu'une tête mule, lui l'était également.
Un soupir cassa l'ambiance lourde, lui faisant hausser les sourcils.
– Très bien. J'accepte tes remerciements, céda enfin l'adulte avec une voix morne.
Un sourire lumineux vint éclairer le visage du jeune homme, ses orbes brillants de mille feux.
Le Caporal le fixa quelques instants avant de tourner les talons, pour finir par s'arrêter quelques mètres plus loin, juste devant l'embrasure de la porte.
– Levi.
Puis il reprit sa route de manière nonchalante et tourna à droite, disparaissant derrière le mur.
La moue dubitative qui avait pris possession des traits de Eren se changea en une expression lumineuse, tandis qu'il plaçait ses mains autour de sa bouche :
– Et moi, c'est Eren ! s'écria-t-il en se redressant sur la pointe des pieds, un immense sourire rongeant la moitié de sa figure.
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