-Épilogue-
Trois ans plus tard
Comme à mon habitude, je sers mes clients au Passe-Temps. Ambre s'est installée dans l'ancien bureau de Jacques. Elle passe clairement autant de temps que moi ici, en tant qu'associée.
— Deux bières pour mes frères et un café pour Katy, souris-je.
Paul continue de me considérer comme sa petite sœur. De même pour Ambre, à mon grand désespoir. Aujourd'hui, Andrew m'accepte totalement. Ayden l'a pris sous son aile et il suit des études d'architecture, lui aussi. Sa mère et Daniel ont divorcé dans les mois qui ont suivi mon apparition dans leur vie. Malgré moi, je ressentirai toujours de la culpabilité, même s'ils m'affirment tous que je n'y suis pour rien.
— Et non, vous ne la payez pas !
Katy lâche un soupir d'exaspération. J'ai toujours refusé qu'ils déboursent le moindre centime ici.
Ses fils sont mes frères et je suis plus qu'heureuse de les avoir dans mon quotidien... Quant à Katy, elle est cette figure féminine qui me manquait si cruellement. Elle ne s'est jamais montrée réticente à l'idée d'incarner ce rôle.
Soudainement, Chris entre dans la salle. Oh, il s'est lié d'amitié avec son voisin. Sa femme en a eu assez et les a forcés à discuter. Aujourd'hui, ils s'entendent comme larrons en foire.
— Encore la même chose ? m'enquiers-je, de bonne humeur.
— Exactement !
Pauline virevolte dans la salle, à son aise. Elle est toujours mon employée, égayant la clientèle. Ce lieu plein de vie fonctionne à merveille.
Après avoir servi Chris et son voisin, je me rends compte que Paul a contourné le comptoir afin de me rejoindre.
— Je peux faire quelque chose pour toi petit frère ? m'informé-je, nettoyant des verres.
Sans un mot, il s'adosse au comptoir et croise les bras. Je hausse un sourcil, me demandant ce qu'il cherche. Subitement, il paraît extrêmement sérieux.
— Aujourd'hui, notre rencontre remonte à trois ans, jour pour jour, annonce-t-il solennellement.
— Pourquoi t'aurais-je invité à dîner si ce n'était pas pour ça ?
Rassuré, il me sourit. Enfonçant ses poings dans ses poches, je le trouve juvénile, mais si mature. Mon frère.
— Je voulais m'assurer que tu le savais, conclut-il, visiblement ému.
S'avançant dans ma direction, il me serre dans ses bras. Je lui rends son étreinte avec plaisir. À chaque fois, il tente de montrer qu'il est fort. Il est bien moins réservé que son cadet, pourtant il témoigne d'une fragilité touchante. Jouant mon rôle de sœur, je lui prouve ma présence.
Par la suite, il reprend sa place l'air de rien. Réprimant un sourire, je le vois reprendre le dessus dans son coin.
Ils ont repris contact avec leur père. En ce qui me concerne, je ne l'ai plus jamais revu. Il n'a pas cherché à m'affronter à nouveau non plus.
Voyant l'heure, je range mon tablier.
— Vous viendrez à la maison tout à l'heure ? les interrogé-je.
Les deux frères voulaient piquer une tête à la plage cette après-midi avant de nous rejoindre. Ils échangent un regard complice qui suffit à me combler.
— Aucun problème !
— Chris, tu diras bonjour à ta femme et à tes enfants, déclaré-je en saluant Pauline.
— Rosie, tu ne sais pas quoi ? Nous avons un nouveau voisin. Il a tondu un dimanche à neuf heures du matin...
J'éclate de rire, connaissant déjà la finalité de cette histoire. Mon ami, lui, n'a pas l'air de comprendre. Il s'agit d'un éternel recommencement...
— Si tu veux bien, nous en reparlerons dans quelques années.
— Très drôle, marmonne-t-il.
— Bon, je dois y aller.
— Nous savons tous qui tu vas rejoindre, se moque-t-il.
Amusée, je lui donne une gentille tape sur l'épaule avant de sortir avec gaieté. Machinalement, je me dirige vers le port. Mes pas connaissent le chemin par cœur à présent. Je longe les différents bateaux avant de m'arrêter devant le nôtre, le plus beau.
En réalité, nous avons fait l'acquisition d'un bien plus grand. Il possède une chambre supplémentaire. Ayden a entièrement revu la nôtre : il a conservé une fenêtre donnant sur la mer.
— C'est moi, chantonné-je en rentrant.
Je m'avance vers la pièce qui lui sert du bureau. Avant, sa table d'architecte trônait dans l'entrée. Aujourd'hui, il a son propre espace. Je toque sur la porte et attends d'avoir son approbation pour rentrer.
— Salut.
— Hey. Tu es déjà là ? Je n'avais pas vu l'heure, s'étonne-t-il.
À petits pas, je m'approche de lui. Nous nous sommes mariés il y a deux ans. Il m'a fait sa demande en plein milieu de la mer, pendant le coucher de soleil qui se reflétait sur l'eau. Il avait l'air si angoissé... Ses mains tremblaient pendant que ses yeux d'un bleu intense m'admiraient. Sans l'ombre d'une hésitation, j'ai accepté. Il ne pouvait pas en être autrement : je ne vois plus ma vie sans lui à mes côtés.
Nous avons organisé une petite cérémonie, avec le minimum d'invité, mais cela nous suffisait amplement. Paul m'a amenée jusqu'à l'autel, Ambre était ma demoiselle d'honneur. Ce jour a été si parfait, réunissant les personnes les plus importantes à mes yeux.
À présent, je m'appelle Rosalie Meyer.
— Je suis même un peu en retard, avoué-je, contrite.
— Il est donc temps de préparer le repas ?
— Je vais t'aider, promis.
Je me mords la lèvre inférieure en me souvenant de tous ces repas que j'ai gâchés, où nous avons dû nous rabattre sur de la salade.
— Désolé, mais, je crois qu'il vaut mieux que je me débrouille seul.
— Chou ! m'exclamé-je, vexée.
Comme à chaque fois que je le surnomme ainsi, il sourit, attendri. Il faut dire que ce nom prouve son évolution grandissante chaque jour.
Il pose une main sur ma nuque tandis que je tente désespérément de le convaincre qu'il a besoin de mon aide pour cuisiner.
— N'insiste pas, Rosie.
Vaincue, je soupire. Doucement, il se penche vers moi et m'embrasse. Mes doigts se faufilent dans ses cheveux châtains, je soupire de contentement.
Nous avons décidé de ne pas avoir d'enfants. Pour ma part, parce que j'avais eu une enfance et une jeunesse trop chaotique. Je venais tout juste de me poser, de me retrouver. Je voulais prendre du temps pour moi. En plus de ça, le Passe-Temps me prend beaucoup de temps et je ne voulais pas partager les moments qu'il me restait avec quelqu'un d'autre qu'Ayden.
Ayant tous les deux de lourds antécédents familiaux, nous ne nous voyons pas parents. Même si je sais que cette chambre en plus n'est pas seulement pour les amis, mais plutôt au cas où. Pour l'instant, ni lui ni moi ne voulons de progéniture. Néanmoins, Ambre m'a avoué que si jamais nous changions d'avis, elle le surnommerait le Petit Glaçon, en souvenir du Glacier.
Quant à Ayden, ses relations avec sa famille se sont stabilisées. Il a eu énormément de mal à passer au-dessus de toute cette histoire et lui aussi avait besoin de temps. Il m'en parle encore parfois, me faisant part de ses doutes persistants. Ses liens avec sa sœur se sont améliorés, elle passe fréquemment ici pour discuter avec son frère.
Je suis mon mari dans la cuisine pendant qu'il sort tous les ingrédients dont il a besoin.
— Nous sommes bientôt en vacances, où veux-tu aller ? m'informé-je, curieuse.
J'enroule mes bras autour de son torse et lève le regard vers ses yeux bleus. En lune de miel, nous sommes partis, sur un bateau évidemment. Nous en avions loué un autre et nous avions navigué le long des côtes anglaises pendant une longue semaine, loin de tout et de tout le monde. Autant dire que cela s'est révélé étrange pour moi. Je ne suis jamais allée plus loin que Perpignan. Pourtant, il s'agissait d'un voyage fantastique, sur tous les points.
Il me soulève dans ses bras et me pose précautionneusement sur le comptoir. D'un geste lent, il soulève mon collier, un cadeau de sa part. Le pendentif ? Une petite cuillère, en souvenir de notre première altercation au cours de laquelle je m'étais défendue avec ce petit ustensile. Je ne faisais pas la maligne tant il m'intimidait. Aujourd'hui, nous en rions souvent.
— Où tu veux.
— Tu m'aides beaucoup, marmonné-je.
— J'irai bien en Irlande.
Avec un sourire nostalgique, je me souviens qu'au tout début de notre relation, je lui avais dit que ce lieu ne m'intéressait pas.
— Vendu, murmuré-je.
— Tu verras, ce n'est pas si vert que ça.
Je ris doucement devant son air hâtif. Si enfantin.
Nichant son visage dans mon cou, il y dépose un baiser. Puis je l'embrasse à mon tour. Tandis qu'il approfondit le baiser, j'entoure son corps de mes jambes et l'attire à moi.
— Je t'aime, susurré-je contre ses lèvres.
Il s'interrompt pour me regarder droit dans les yeux. Toujours aussi puissamment intense...
— Je t'aime aussi, Rosalie.
Il y a tellement de choses qui passent dans son regard lorsqu'il prononce ces mots que je me sens toute chamboulée. Je caresse tendrement sa joue, appréciant son sourire flamboyant. Qu'il est beau, même avec ces quelques années de plus...
Taciturne, il passe son doigt sur mon alliance avant d'y déposer ses lèvres. Il fait souvent ça, comme pour nous rappeler que nous sommes mariés. Cela s'avère inutile : tous les matins, je me demande s'il s'agit d'un rêve avant de me tourner vers lui. Il est toujours là, pour mon plus grand bonheur et malgré ce que nous avons surmonté.
Finalement, il me laisse aller. De mon côté, je me dépêche de préparer la table. Peu à peu, nos invités montent à bord. Simplement heureuse, je les accueille tour à tour.
Paul frotte mes cheveux, gagnant un cri de désapprobation de ma part. Ambre s'interpose en ma faveur et s'ensuit une habituelle dispute entre nous.
— Ça suffit ! s'exclame Katy. Tout le monde à table.
Sans broncher, nous suivons ses propos. Ayden prend sa place à côté de moi. Il rapproche son visage du mien. Je pensais qu'il allait me dire quelque chose, mais il préfère m'embrasser brièvement.
Avant, j'étais seule. Je classais les personnes en deux catégories. Grâce aux différentes rencontres que j'ai pu faire, mon point de vue a changé et j'ai évolué. Aujourd'hui, j'ai une famille. Je suis heureuse, j'arrête de me poser des questions inutiles. Depuis, je ne vais quasiment plus sur la falaise, préférant extérioriser mes peines avec mon entourage. Cela change la donne...
Ma mère et Jacques, bien que partis, sont toujours présents dans mon esprit et dans mon cœur. Je ne pourrais jamais oublier ce qu'ils ont fait pour moi. Ni à quel point je les ai aimés et combien je les aime encore.
Ayden rit à une blague stupide de Paul. Ambre écoute attentivement ce que raconte Andrew. Katy regarde ses enfants en souriant. Je baisse les yeux sur ma main liée à celle de mon mari.
De cette façon, ma famille et moi partageons un repas sur notre bateau, le Denise et Jacques.
FIN
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