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— Ça va aller, m'assure Ambre en frottant énergiquement mon épaule.
Je colle mon front sur la vitre de sa voiture en lâchant un petit soupir.
Quand elle est venue me chercher à mon appartement, elle s'est précipitée sur moi, me trouvant prostrée sur le canapé. J'ai dû paraître ridicule à enserrer ce stupide coussin. Malheureusement, je ne suis pas parvenue à bouger d'un iota. J'ai alors prononcé une phrase qui ne devait avoir ni queue ni tête, mais elle a compris l'essentiel : Armand m'avait quittée.
Elle est d'abord restée muette avant de me dire qu'il fallait que je parte avec elle. Pour me changer les idées. J'ai refusé. Cependant, puisque je me trouve ici maintenant, c'est qu'elle a fini par me convaincre.
— Non. Il ne me reste que toi et ton grand-père maintenant, murmuré-je, traçant des formes sans nom dans la buée.
— Ne dis pas n'importe quoi. Tout le monde t'apprécie, Rosie.
Je ne la crois pas. Néanmoins, je garde cette pensée pour moi, voulant éviter de me disputer avec mon amie. À la place, je m'emmure dans un silence lourd.
— Ne reste pas silencieuse, ça me stresse, déclare-t-elle.
— Que veux-tu que je te dise ?
Elle soupire longuement, mais ne trouve rien à répondre, subissant juste mon humeur massacrante. Nous finissons par atteindre Perpignan. Je m'y suis déjà rendue une ou deux fois. J'ai toujours trouvé cette ville trop grande pour moi ; je m'y perds.
Nous empruntons les escaliers pour rejoindre son logement. Il s'agit d'un petit studio très agréable. Ses draps pastel s'accordent aux rideaux blancs. La kitchenette s'avère bien pratique.
— Pose ton sac, je vais nous préparer deux cafés.
Je m'exécute avant de m'asseoir sur le canapé qui fera office de lit ce soir.
D'un coup, je me redresse lorsqu'une idée me vient.
— Ambre, penses-tu que ton grand-père était au courant ?
Elle revient avec deux tasses fumantes, m'en offrant une.
— Réfléchis, Rosie. Armand ne va pas lui dire la veille pour le lendemain qu'il part et qu'il doit trouver quelqu'un d'autre.
J'acquiesce, comprenant la situation. Il m'a bien bernée, jusqu'au bout. Tout se tramait donc dans mon dos depuis le début...
— Tu ne vas pas le lui reprocher ? Ce n'était pas à lui de te le dire.
— Ton grand-père m'a sauvé la vie. Je ne pourrais jamais lui en vouloir, murmuré-je.
Elle me donne un grand sourire, essayant de me motiver.
— Allez, ce soir, on sort ! Arrête de tirer cette tête de six pieds de long ! s'exclame-t-elle avec envie.
Je ne parviens pas à lui rendre son emballement. Depuis qu'Armand a fermé la porte d'entrée, je n'y arrive pas. En ce moment, je ressens de la déception. Je lui avais donné ma confiance et il l'a broyée sans état d'âme. Il me reste un goût amer dans la bouche : celui de l'humiliation. Je me suis voilé la face. Voilà à quoi ça mène de faire confiance à autrui, cela nous revient toujours dessus.
* * *
Je m'affale sur mon lit, épuisée. Ce week-end, Ambre ne m'a pas laissé une minute de répit. Nous étions constamment occupées. Le soir, nous sortions et la journée, nous visitions les coins de la ville que je ne connaissais pas encore. Nous avons beaucoup discuté et j'avoue me sentir mieux. Elle sait constamment comment m'épauler.
Maintenant que je me retrouve seule dans notre appartement, ce sentiment de légèreté s'est envolé pour laisser place à un poids énorme qui semble m'étouffer.
Toutes ses affaires ont disparu. Il n'y a plus rien. Pas un vêtement, ni un stylo, ni une brosse à dents. Comme s'il n'avait jamais vécu entre ces murs. Je n'ai pas trouvé de mot sur la table.
Va-t-il disparaître de ma vie aussi simplement ? Manifestement, oui. Je ravale un sanglot et range machinalement mes affaires. Je ne pleurerai plus pour lui. Ni pour personne. J'en ai assez de m'attacher pour finalement être abandonnée. Je ne laisserais plus cette situation se reproduire.
Il fait nuit noire, mais qu'importe. Prise d'un élan de révolte, je me vêtis d'un pull chaud et m'enfuis dehors, courant jusqu'à la falaise. Essoufflée, je me rapproche du bord et écoute la mer plus que je ne l'aperçois.
J'aimerais être forte comme une vague. Vague à l'âme. À la place, je suis plutôt la roche qui subit la mer. Toutes ces personnes qui m'ont déçue me mettent tellement en colère. Je serre mes poings, enfonçant mes ongles dans ma peau. Un cri venant du plus profond de mon être se mélange au bruit de la brise. Je hurle jusqu'à vider mes poumons d'oxygène. Puis, je m'effondre à genoux, tremblante. J'entends ma plainte même si plus aucun son ne provient de moi. Il se répercute sur la falaise et me revient en pleine face, violemment.
Le vent se lève et je me mets à grelotter, de froid cette fois-ci. Je me recroqueville sur moi-même, cachant mon visage sur mes genoux. Pourquoi ai-je cette vie si pathétique ? Chaque fois que je pense remonter la pente, je chute à nouveau.
Un éclair me fait sursauter. Et voilà qu'il se met à pleuvoir. Je ravale mes larmes et me précipite jusqu'à mon appartement, les pieds frappant le sol. C'est peine perdue, la pluie n'a aucune pitié. Elle meurt sur moi, me trempant jusqu'aux os. Arrivée devant ma porte, je mets bien deux minutes avant de trouver mes clefs. Lorsque j'entre enfin, je me précipite dans la salle de bain, encore chamboulée.
Mes poings se serrent malgré moi et mes phalanges deviennent blanches. Je laisse l'eau chaude couler sur ma peau, me lavant de toute tristesse la remplaçant par de la colère. Encore.
* * *
Un nouveau chef a remplacé Armand : Gilles, la cinquantaine. Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de discuter avec lui, mais il m'a l'air sympathique. Ne plus croiser mon ancien petit ami quand j'annonce une commande s'avère étrange. Il va falloir que je m'y habitue.
— Tout va bien ? me demande Le Glacier au moment où je le sers.
Comme à son habitude, il vient manger aux alentours de quinze heures.
— Parce que cela vous intéresse, peut-être ? répliqué-je, sur mes gardes.
— Je ne vous ai pas vue du week-end, je me demandais si cela avait à voir avec ce qu'il s'est passé vendredi soir, explique-t-il, les sourcils froncés.
— Je n'ai plus le droit de prendre quelques jours pour moi ? m'agacé-je, presque sèchement.
Depuis mon moment de solitude sur la falaise, la colère a du mal à redescendre. Je compte bien tenir ma promesse : ne plus faire confiance, ne plus souffrir.
— Je n'ai pas dit ça. Je m'inquiétais pour vous, voilà tout, se défend-il, surpris par ma véhémence.
— Comme si mon sort pouvait alarmer quelqu'un.
Je secoue la tête et retourne au comptoir. Que me veut-il exactement ? Je range le plateau sous le comptoir et quand je relève la tête, je constate qu'il est venu jusqu'ici. Irritée, je tente de rester professionnelle.
— Puis-je faire quelque chose pour vous ? m'enquiers-je, passant outre notre discussion précédente.
— Venir déjeuner avec moi, propose-t-il.
Ahurie, je l'observe une poignée de secondes avant de secouer la tête. Quelle mouche l'a-t-elle piqué ?
— Excusez-moi, mais je suis occupée.
Il se retourne et embrasse la pièce vide du regard.
— Sans vouloir paraître indiscret, qu'avez-vous de si important à faire ? Il n'y a que moi dans cette salle.
— Selon vous, je ne suis bonne qu'à servir ? le questionné-je en montant légèrement le ton.
Surpris, il hausse les sourcils et reste silencieux, cherchant ses mots.
— À nouveau, ce n'est pas ce que j'ai dit.
Il est d'un calme presque effrayant. Différent d'Armand qui paraissait juste ralenti. Cet homme semble parfaitement savoir ce qu'il souhaite. S'il me veut, moi, il ne me connaît pas encore. Appuyé sur le comptoir, il verrouille son regard bleu dans le mien.
— Je ne veux pas déjeuner avec vous, répliqué-je.
Impassible, ses prunelles me fixent toujours. Sa mâchoire se crispe légèrement.
— Très bien, conclut-il avant de repartir à sa table.
Il ne semble pas vexé pour un sou. Cependant, il me laisse troublée. Mise à part sa commande, il ne m'a jamais prononcé aucun mot. À part vendredi soir et aujourd'hui. J'ai demandé aux habitants du village, personne ne sait rien sur lui. Pas même où il habite, ni même son nom. Et il souhaite que nous partagions le déjeuner, à trois heures de l'après-midi ?
Qu'a-t-il dans la tête ?
Une chose est sûre : je tiendrai mon serment et il ne se mettra pas en travers de mon chemin.
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