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La table dressée, il manque quatre de nos invités. En attendant qu'ils arrivent, je patiente dans le jardin avec Ayden. Assis sur deux balançoires adjacentes, nous nous balançons lentement, nos mains liées dans le vide.

Il a le regard dans le vague, un léger rictus aux lèvres. J'aime le voir ainsi : simplement heureux. Un sourire s'imprime sur mes traits.

Il est beau.

Face à nous, le ciel se couche dans des couleurs rosées. Le violet se mélange au bleu et au rose. J'apprécie ce spectacle en silence. Je laisse mes pieds en suspens, comme je le faisais lorsque j'étais petite avec ma mère. Elle me poussait et moi, je riais. Je pose ma tête sur la corde, fermant les yeux. Je me délecte du petit vent frais et de la bonne odeur du jardin. Même après la dispute avec Daniel, je me sens bien. Même mieux qu'avant.

— Alors les amoureux, comment ça va ? s'enquiert une voix derrière nous.

Même si je ne le veux pas, j'ouvre quand même les paupières. Ambre s'avance vers nous, tout sourire.

— Très bien, et toi ?

Elle s'assied par terre, face à nous. En tailleur, son regard pétille de curiosité.

— Tu as bien fait de m'inviter ce soir, je n'aurais pas à cuisiner au moins. Je vais vraiment rencontrer tes beaux-frères ?

J'acquiesce, moi-même ayant du mal à y croire.

— J'avais donc raison en te traitant d'abrutie lorsque tu as quitté Ayden ?

— Oui, balbutié-je ne sachant plus où me mettre.

— Je suis trop forte ! s'exclame-t-elle en tapant dans ses mains.

L'intéressé reste silencieux, perdu dans la contemplation du ciel. Mon amie met ses mains en porte-voix autour de sa bouche, dans ma direction.

— Il est pas un peu bizarre ton copain ? me demande-t-elle.

— Je t'entends, déclare-t-il tranquillement.

— Je sais, répond-elle l'air de rien.

Nous restons tous les trois silencieux. Discrètement, je serre la main d'Ayden.

— Je suis content que tu sois l'amie de Rosalie, affirme soudainement mon compagnon.

Ambre me fait les gros yeux, comme si elle se demandait pourquoi il lui disait ça. Je lui souris et hausse les épaules, lui signifiant que je n'en sais pas plus qu'elle. J'adore son côté énigmatique, si imprévisible.

— Pourquoi vous me regardez comme ça ? nous questionne-t-il, gêné.

— Pour rien Chou. Pour rien, susurré-je, attendrie.

— Où est ma petite sœur ? s'écrie une voix masculine.

Nos trois derniers invités s'avancent dans le jardin, Paul progressant dans notre direction.

— C'est une manie de me considérer comme une petite sœur alors que je suis plus âgée ? m'enquiers-je avec un regard appuyé vers Ambre.

Elle me sourit innocemment, l'air de rien. Elle se présente à eux et je me lève de la balançoire. Ayden reste assis. Je place face à lui, entourant son visage de mes mains.

— Tu viens ?

Son regard observe les personnes derrière moi, mélancolique.

— Ce sont eux, ta famille, murmure-t-il.

— Oui. Et toi.

Mes yeux se lèvent vers le ciel, en pensant à ma mère. Puis ils se posent à nouveau sur lui, qui m'observe intensément. Je pose mon front sur le sien et me perds dans ses yeux bleus.

— Bon, vous venez ? s'impatiente Ambre.

— On arrive, dis-je en ne quittant pas les prunelles d'Ayden.

Je me rapproche de lui et lui murmure :

— Tu es merveilleux.

Puis je dépose un baiser sur le haut de son crâne et lui tends la main pour qu'il me rejoigne. L'espace de quelques secondes, je l'ai vu gêné. Cependant, il ne refuse pas mon compliment, au contraire. Il m'offre un sourire timide tandis que nous regagnons les autres pour dîner.

— Comment ça s'est passé avec Daniel ? s'informe Andrew une fois que nous sommes tous installés.

Son frère le fusille du regard.

— Quoi ? J'ai le droit de savoir, se défend-il.

— Bien sûr, le rassuré-je. Il m'a dit des choses que je ne peux pas accepter. Je refuse de le voir à nouveau, au risque de vous décevoir.

— Ce n'est pas de notre ressort, mais du tien, affirme Paul.

— Dites, vous n'allez pas rester en froid avec lui à cause de moi ? m'inquiété-je.

— Il nous a menti pendant des années. Il reste mon père quand même. Il nous faut du temps, voilà tout, répond-il avec sérieux.

Andrew approuve, toujours méfiant.

— Et pour Katy ? m'informé-je puisqu'elle se trouve de l'autre côté de la tablée.

— Leur couple battait de l'aile avant, m'apprend le cadet. Ils auraient fini par se séparer quand même, tu n'y es pour rien.

La vie de Daniel n'est pas si parfaite que ça, finalement. J'ai de la peine pour Katy, elle ne mérite pas ça...

De son côté, Ayden discute calmement avec sa sœur, même si les pressions de sa main sur mes doigts me montrent qu'il est tendu.

— Donc toi, tu es Ambre ? demande Paul.

— Exactement, sa grande sœur attitrée !

— Mais ce n'est pas possible, soupiré-je. Tu es plus petite que moi !

— Et alors ?

Je lève les yeux au ciel, un petit sourire aux lèvres. Tout paraît si simple aujourd'hui...

— Je n'aurais jamais pu deviner que ma sœur serait la petite amie d'Ayden, s'amuse Paul.

Me considère-t-il vraiment comme sa sœur ou bien dit-il simplement cela parce que c'est plus court à prononcer ?

— Il est bizarre des fois, me chuchote-t-il.

Je jette un coup d'œil vers l'homme concerné qui discute toujours avec Louise. Pas l'ombre d'un sourire...

— Je m'en fiche, affirmé-je.

— Tu dois être aussi étrange que lui alors.

— Il n'est pas bizarre, le défends-je.

— Ça, c'est toi qui le dis, intervient Ambre.

Je lui donne un coup de pied sous la table. L'air outré, son visage se fend d'une grimace.

— Henry, puis-je avoir la carafe ? demande Ayden.

Henry perd son sourire en entendant son fils l'appeler par son prénom. Je suis certaine qu'il aurait préféré qu'il l'appelle Papa. Cependant, il ne fait pas de commentaire.

— Merci.

Je n'ose pas lui dire quoi que ce soit. Après tout, il agit comme bon lui semble et je n'ai pas mon mot à dire. Il reprend sa discussion avec Louise, les muscles toujours tendus. Mais je reste persuadée que cela viendra. Il faut laisser du temps au temps.

Ambre tente d'entrer en communication avec moi et je me rends compte que j'ai omis de lui parler de quelque chose. N'ayant pas écouté ce qu'elle venait de me dire, je la coupe en lui annonçant :

— Ayden et moi allons vivre ensemble sur son bateau.

— Quoi ? s'écrie-t-elle d'une voix suraiguë.

Tout le monde se tourne dans sa direction, cherchant une explication.

— Vous saviez qu'ils allaient emménager ensemble ? demande-t-elle à haute voix.

— Merci pour ta discrétion, marmonné-je.

Mon compagnon fronce les sourcils dans notre direction et je m'excuse silencieusement en lui montrant ma meilleure amie.

— Je suis désolée, je ne m'y attendais pas, s'excuse-t-elle, confuse.

Elle s'enfonce dans son siège, les bras croisés.

— Félicitations, sourit timidement Helen.

Chacun y va de son commentaire. Ayden, comme moi, sommes très mal à l'aise alors nous répondons par de simples remerciements en espérant que leurs discussions reprennent leur cours. Ambre est une amie géniale, mais parfois, elle se montre un peu trop extravagante. Cela la rend si attachante.

— Désolée, bougonne Ambre, les bras croisés.

— Ce n'est pas grave, soupiré-je.

J'ai conscience que mon compagnon déteste se trouver au centre de l'attention. J'aurais préféré lui éviter ça.

— Rosie... je peux t'appeler Rosie ?

— Bien sûr, Paul.

— Depuis combien de temps es-tu avec Ayden ?

— Quatre mois, réponds-je en coulant un regard vers le concerné. D'après ce que j'ai entendu, tu as une petite amie ?

Un sourire niais étire ses lèvres. Il gagne des moqueries de son frère, dont les yeux brillent pourtant d'envie.

— Cassandra est géniale. Il faudra que tu la rencontres ! affirme-t-il, enthousiaste.

Touchée qu'il veuille me la présenter, j'accepte de bon cœur.

— Il nous saoule avec, râle Andrew.

— Nous verrons bien lorsque tu auras rencontré quelqu'un. Comme Rosie et Ayden.

— On parle de moi ? s'informe mon petit ami.

— En bien, ne t'inquiète pas, dis-je.

Il fait une moue peu convaincue et les autres s'esclaffent.

— Qu'y a-t-il ? s'agace-t-il.

— Mais rien, je t'assure. Ça suffit vous autres ?

— Pardon, sourit Paul.

Tout se passe très bien à table, pas l'ombre d'une dispute. Ayden se lève pour aider à débarrasser. Il m'a défendu d'en faire de même. Seulement, tout le monde est revenu à table depuis plusieurs minutes. Où est-il ?

— Je reviens, murmuré-je en me levant.

Je vérifie le rez-de-chaussée avant d'aller voir dehors. Au loin, je distingue sa silhouette assise par terre. Doucement, je m'installe à ses côtés.

— Qu'est-ce que tu fais là tout seul ? lui demandé-je d'une voix douce.

— Rien, je réfléchis.

— Et, à quoi penses-tu ?

— J'ai encore le droit de garder certaines pensées pour moi ? s'informe-t-il, calmement.

— Bien sûr.

Je pose ma tête sur son épaule pour ne plus avoir à le déranger dans ses réflexions. La nuit tombe peu à peu, permettant au soleil de se reposer.

— Ambre n'est pas très discrète, déclare-t-il finalement.

— Je n'avais prévu qu'elle réagisse comme ça...

— Au moins, tout le monde est courant.

Je ris doucement tandis qu'il me serre contre lui.

— Quand comptes-tu prendre tes quartiers chez moi ? s'informe-t-il, visiblement impatient.

— Théoriquement, à la fin du mois. Mais le plus tôt sera le mieux.

— Alors tu viendras demain.

— Parfait, souris-je, m'imaginant déjà ma nouvelle vie en sa compagnie.

— T'avoir dans les pattes toute la journée ? Le rêve, s'amuse-t-il.

— Attention où je te jette par-dessus bord, le prévins-je en le menaçant de mon index.

Il se met à rire, des fossettes se formant aux creux de ses yeux. Même si cette perspective l'effraie, il semble heureux, aussi désireux que moi.

— Tu arrives à discuter avec Louise d'après ce que j'ai vu, affirmé-je précautionneusement.

— Hum... oui. C'est compliqué, mais j'essaye de prendre sur moi.

— Tu t'en sors plutôt bien.

Le sujet paraît toujours tabou. Néanmoins, il ne se bloque plus à la conversation. Il baisse les yeux sur le brin d'herbe avec lequel il joue depuis tout à l'heure avant de me demander :

— Tu pensais ce que tu m'as dit tout à l'heure, sur la balançoire ?

Il semble tout ému et le voir comme ça me touche vraiment. Il n'est pas bizarre comme le supposent les autres. Il est lui, Ayden, et c'est ce qui me plaît. Il attend ma réponse, même si pour moi, elle paraît totalement logique.

— Évidemment. Ayden Meyer, tu es un homme extraordinaire.

Ses yeux se recouvrent d'un voile et il m'offre un sourire splendide.

— Merci, me dit-il simplement.

Je l'embrasse sur la joue, puis sur le nez, le front et enfin sur les lèvres. Il sourit toujours tandis qu'il répond à mon baiser. Posant sa main sur ma nuque, il approfondit tendrement le baiser dans cette nuit d'été. Ma paume trouve sa place sur sa cuisse et nous nous embrassons sous un ciel étoilé.

— Et si nous retournions avec les autres avant qu'ils ne se posent des questions ?

— J'aime mieux rester avec toi, m'avoue-t-il. Mais tu as raison...

Ensemble, nous retournons sur la terrasse. Ambre a pris la place d'Ayden et discute avec Louise. Je croise le regard de Katy qui me sourit. Mes deux frères jouent avec la salière, ajoutant du sel dans les verres des personnes qui ne regardent pas.

Je crois que je vais bien m'entendre avec eux.

Ma famille.

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