-37-
Ce week-end s'avère relativement chargé : ce soir, nous dînons chez les parents d'Ayden. Demain midi, je vais rencontrer Andrew, Paul et Katy. Je crois que je n'ai jamais été aussi stressée de toute ma vie.
— Détends-toi, murmure-t-il, passant la main dans mon dos.
Mais, cela n'a pas l'effet escompté.
— Tu veux essayer de conduire ?
— Je n'ai pas le permis...
— Et alors ? Je suis juste derrière. Tu vas vivre ici, il faut bien que tu saches un minimum le manier, non ? Viens là.
Je sais qu'il cherche à me changer les idées. Depuis ce fameux soir où il a appelé Daniel, j'ai la tête ailleurs. Je ne pense qu'à cette fameuse rencontre.
Il recule son siège pour me laisser la place devant lui. Je me retrouve entre le volant et son torse, ses bras m'entourant. Il pose mes mains sur le volant puis les siennes par-dessus. Il finit par poser ses paumes sur ma taille, m'aiguillant lorsque besoin est. Concentrée, je fixe la mer, cherchant à bien faire.
Machinalement, mes pensées divaguent sur ma belle-famille. Si nous ne nous entendions pas du tout ? S'ils me reprochaient d'avoir fait éclater leur famille ? S'ils me rejetaient et refusaient de me voir, finalement ? Et si Daniel faisait irruption au dernier moment ?
Tellement de questions sans réponse. Pourtant, dans un sens, je me sens soulagée. Je vais enfin voir face à moi des personnes de ma famille. Ma famille. Voilà pourquoi j'appréhende autant. Ils représentent les seuls liens qui existent à ma connaissance.
Au fond de moi, je cherche cela depuis des années. J'ai peur de tout foutre en l'air en disant quelque chose qu'il ne faut pas. Je lâche un soupir fébrile. Au moins, Ayden sera avec moi. Je ne me serai pas sentie capable de sauter le pas sans lui.
Quand j'en ai parlé avec Ambre, elle a voulu m'accompagner. J'ai refusé. Elle m'a encore appelée tout à l'heure pour savoir si je me portais bien. Elle m'a dit, je cite : «S'ils te parlent de travers, ils vont rapidement faire ma connaissance. »
Après tout, je me casse sûrement la tête pour rien et tout va très bien se passer. Ayden semble confiant alors, je devrais me fier à lui. Il sait de quoi il parle.
Je veux juste avoir une vie normale. Est-ce trop demander ?
— Nous sommes bientôt arrivés, me prévient-il soudainement.
En effet, je distingue des infrastructures terrestres. Il envoie un message à Louise pour la prévenir de notre arrivée puis reprend possession des mouvements du bateau. Je me décale pour lui permettre de reprendre le contrôle, mais je ne parviens pas à sortir de la cabine et donc à rester seule.
Au bout d'une vingtaine de minutes, nous sommes dans la voiture des parents de mon petit ami. Henry est venu nous chercher. Son fils reste avec moi à l'arrière. Le trajet se déroule en silence et je reste cramponnée à la main de mon compagnon. Finalement, le véhicule s'arrête devant une maison charmante. Certaines parties du mur sont en pierres apparentes, du lièvre grimpe dessus. Des roses sont plantées dans l'entrée.
Le petit couloir de l'entrée donne sur un grand séjour lumineux. Lorsque Louise m'aperçoit, elle accourt vers moi et me prend dans ses bras. Surprise, je lâche la main d'Ayden et lui rends maladroitement son étreinte.
— Je suis tellement contente que tu sois là. Je suis désolée pour l'autre soir, ce n'était pas le bon moment pour que nous nous rencontrions. Sache que je te suis éternellement reconnaissante d'avoir convaincu mon frère de revenir, me lâche-t-elle, enthousiaste.
— Hum... c'est normal.
— Bonjour Rosalie, me salue Helen avec un petit sourire.
— Bonjour.
Ayden salue tout le monde puis nous nous dirigeons sur la terrasse où la table est déjà mise. Ayden pose nos mains liées sur la table, comme s'ils voulaient montrer à tout le monde quelle place j'occupe dans sa vie. Avec une fierté et un certain air de défi envers sa sœur. Amusée, je l'observe agir.
Helen nous sert à boire et Henry s'informe sur le Passe-Temps.
— La réouverture s'est passée à merveille. Il y a plus de clients qu'avant et la nouvelle serveuse que j'ai engagée travaille bien.
— Tu es vraiment très jeune pour être propriétaire, s'étonne Louise.
— Il s'agit un héritage, dis-je d'une voix faible.
— Elle sait très bien gérer cet endroit, intervient mon petit ami, sentant ma gêne.
Ils ne cherchent pas à en savoir plus et j'en suis plus que soulagée. Ayden cherche toujours à me protéger d'une manière ou d'une autre, même lorsque ce n'est pas forcément nécessaire. C'est dans sa nature...
— Quel âge as-tu ? s'enquiert Helen.
— Vingt-deux ans.
— Tu as trouvé quelqu'un de plus jeune que moi, s'amuse gentiment la sœur.
La discussion s'enchaîne sans trop d'accrocs. Je sens bien qu'Ayden leur en veut encore, mais qu'il fournit des efforts. Louise s'intéresse sérieusement à moi et je comprends que son premier abord cassant ne me visait pas personnellement. Peu à peu, ils m'incluent dans leur famille compliquée, visiblement reconnaissants de mon rôle auprès de leur fils et frère. En ce qui me concerne, je me surprends à me montrer à l'aise.
Pendant ces quelques heures, je parviens à oublier la rencontre cruciale qui se profile.
* * *
— Je ne suis plus sûre de vouloir y aller, chuchoté-je, tétanisée.
— Rosie, nous sommes garés devant chez eux, ils savent que tu es là, me fait-il remarquer doucement.
— Mais nous pouvons toujours partir, geins-je.
Sans un mot, il vient m'ouvrir la portière. Chancelante, je sors à mon tour. De mes deux mains, je m'accroche à son bras tandis qu'il toque. Je ne me sens pas bien du tout. J'ai la tête qui tourne. Au moment où je veux à nouveau demander à Ayden de partir, la porte s'ouvre sur une femme.
Katy.
— Bonjour Ayden, sourit-elle. Rosalie, c'est bien ça ?
J'acquiesce, mal à l'aise. À cause de moi, son mari est parti.
— Entrez.
La maison s'avère plus petite que celle d'Helen et Henry, mais elle n'en reste pas moins très jolie. Je distingue deux personnes sur le canapé. Je m'arrête net et Ayden, surpris, se stoppe à son tour.
Effrayée, je fixe les jeunes hommes s'avançant dans ma direction. Malgré moi, je recule, mais mon petit ami m'attrape et me force à avancer.
— Salut grande sœur, m'accueille Paul, je crois.
Il fait une tête de plus que moi, légèrement plus petit qu'Ayden. Je ne parviens pas à prononcer un seul mot. Une boule m'obstrue douloureusement la gorge.
— Bonjour, me salue Andrew.
Ils sont tous là, à me regarder en souriant. Comme s'ils étaient vraiment contents de me voir. Pourtant, un mari et un père leur a menti sur moi. Ma respiration se coupe brutalement.
— Ayden, pourquoi pleure-t-elle ? s'inquiète Paul.
— Parce que vous êtes la première famille qu'elle rencontre depuis plusieurs années, explique-t-il en me serrant contre sa taille.
— Mais il ne faut pas pleurer, s'alarme Katy.
L'aîné se rapproche de moi et, sans que je m'y attende, me prend dans ses bras. Automatiquement, mes bras se referment sur lui et je prends conscience que je pleure à chaudes larmes depuis tout à l'heure.
Mon frère me serre contre lui.
— Bienvenue dans la famille Rosalie.
Trop d'émotions pour moi, je ne parviens pas les gérer... Mes épaules sont secouées de sanglots et mon cœur semble prêt à sortir de ma poitrine. Il m'accepte chez eux, sans se poser de questions : il me fait confiance. Bouleversée, j'essaye de recouvrer mon sang-froid.
Au bout d'un long moment, je réussis à dire :
— Merci.
Andrew reste en retrait. Je ne sais pas si je dois m'avancer vers lui.
— Il ne mange pas, m'assure Katy avec un petit rire. Il est juste bien tout seul.
Timidement, je vais dans sa direction. Il lève des yeux curieux vers moi, comme s'il se demandait de quelle planète je venais. Je ne tente même pas un sourire parce que je sais qu'il ne ressemblerait à rien.
— Il y a quelques semaines, je ne savais même pas que j'avais des demi-frères. Je suis désolée si j'ai tout bousculé dans ta vie. Je n'ai rien demandé à personne, lui expliqué-je doucement.
— Je sais, me répond-il simplement.
Son ton n'était pas méchant, juste neutre.
— Rosalie, quel est ton nom de famille ? s'informe Katy.
— Moreau. Je m'appelle Rosalie Moreau.
— Eh bien, Rosalie Moreau, je suis ravie de faire ta connaissance.
— Moi aussi, avoué-je.
Elle ne semble pas m'en vouloir non plus. Ayden me sourit, comme pour me dire je te l'avais bien dit. Dans ma vie, à part ma mère et Ambre, je n'ai pas eu beaucoup de présence féminine.
Paul, tout sourire, nous emmène jusqu'au salon où il se trouvait avec son frère quelques minutes plus tôt.
— Ayden ? demande-t-il.
— Oui ?
— Tu sors avec ma sœur, fais attention à elle, tu veux ?
— Tu la connais depuis dix minutes, fait remarquer Andrew, haussant un sourcil.
— Et alors ? Je m'entraîne dans mon rôle de frère pour ma sœur.
Je me mords la lèvre pour m'éviter de rire face à la situation. Il est si touchant, se montrant déjà protecteur envers moi.
— Ce n'est pas entièrement ta sœur, rétorque le plus jeune.
— On s'en fiche, non ?
Andrew coule un regard vers moi avant de répondre laconiquement :
— Je ne sais pas.
— Papa n'est plus là à cause de sa bêtise, Rosalie n'y est pour rien. Alors, sache-le, je ne t'en veux pas, m'affirme-t-il fièrement.
Il me sourit, encore. Touchée en plein cœur, je me rends compte que je me posais trop de questions. Il est normal qu'Andrew reste sur la réserve. Seulement, je n'aurais jamais pu imaginer que l'aîné se montre aussi heureux de me rencontrer.
— Parle-nous de toi, s'enquiert Katy, curieuse.
Je regarde Ayden qui m'encourage implicitement. Alors, je leur raconte les grandes lignes de mon histoire, citant Denise, Jacques, le Passe-Temps. Tout ce qui représente ma vie aujourd'hui.
Bienveillant, mon homme me serre brièvement dans ses bras. Plus le temps passe, mieux je parviens à parler de tout cela.
— On pourra venir te voir dans ton café ? me demande Paul, sourire aux lèvres.
— Pour quoi faire ? s'informe Andrew.
— Pour avoir des bières gratuites.
— Paul ! s'offusque leur mère.
Je pouffe de rire face à ce caractère exaltant. Je devrais bien m'entendre avec lui, comme me l'avait promis Ayden. Son caractère ressemble à celui d'Ambre.
— Je serai ravie de vous y accueillir, souris-je.
— Je reste le premier sur la liste des favoris, intervient mon copain.
— Les garçons, ça suffit !
Seul Andrew reste sur ses gardes, mais je ne peux pas lui en vouloir. Son frère s'avère très attachant et Katy semble être quelqu'un de bien. Mon esprit s'est vraiment torturé pour rien...
— Je peux te poser une question ? me questionne soudainement le cadet.
— Bien sûr.
— Pour quelle raison refuses-tu de rencontrer Daniel ?
Mécaniquement, mon corps se tend et Ayden se redresse. Il pose sa grande main dans mon dos, pour me montrer qu'il est là. Cependant, je ne souhaite pas qu'il intervienne, préférant me débrouiller seule.
— Parce qu'il n'a jamais voulu de moi.
— Pourquoi dis-tu ça ?
Il s'agit également de son père, je ne voudrais pas le blesser avec ma rancœur personnelle. Pourtant, mon demi-frère a l'air de chercher de l'honnêteté de ma part. Ainsi, je décide de me montrer sincère.
— Il est parti avant ma naissance. Avant de mourir, ma mère lui a demandé de me venir en aide, il a refusé. Et pour finir, il n'est même pas venu me voir, il a envoyé Ayden, relaté-je, tentant de rester neutre.
— Pourquoi avoir accepté de nous rencontrer dans ce cas ? continue-t-il, inquisiteur.
— Vous ne m'avez rien fait et vous êtes les premières personnes avec qui je partage des liens familiaux. J'avais envie de faire votre connaissance.
Andrew paraît toujours autant sur ses gardes. Il s'enfonce dans le canapé et ne prononce plus un mot. Il ne laisse rien transparaître. J'ai conscience que nos liens sont complexes. Malgré tout, j'ai réellement envie que tout se passe bien.
La présence d'Ayden à mes côtés me rassure. Mon regard se verrouille au sien, d'un intense bleu. Comment ai-je pu lui en vouloir ? Lui qui se trouve encore là, avec moi, aussi insupportable que je sois. Fort comme un roc, il m'épaule depuis le début. Il a simplement voulu éviter que je m'échappe. Sûrement que je me suis montrée égoïste à son égard. À aucun moment, il n'a cherché à me nuire. Il faudra que je lui dise que je suis à 0...
— Qu'y a-t-il ? s'inquiète-t-il.
Je me rends compte que je l'observe depuis quelques minutes. Secouant la tête, je lui offre un petit sourire.
— Rien.
Soudainement, Paul devient livide. Ses yeux regardent derrière nous. Ayden tourne vivement la tête puis me plaque contre lui, m'empêchant de tourner la tête.
— Que se passe-t-il ? m'alarmé-je.
Sans aucune explication, il me soulève dans ses bras et m'emmène dans une autre pièce. Je gigote dans tous les sens pour qu'il me laisse marcher seule, en vain. Je ne comprends rien...
— Mais lâche-moi !
Il finit par me poser par terre, verrouillant la porte derrière nous. Nous nous situons dans une sorte de buanderie où sèche du linge. Mon compagnon pose son index sur ma bouche, me signifiant implicitement qu'il faut que je me taise.
— Daniel est à côté, m'apprend-il dans un souffle.
— Quoi ? m'écrié-je, complètement paniquée.
Mon cœur s'affole, je perds mes moyens. Des tremblements m'assaillent tandis que je m'accroche à lui.
— Calme-toi. Il est passé à l'improviste, je t'assure. Je suis désolé, chuchote-t-il.
Vivement, il cherche une issue et son regard tombe sur la fenêtre. Avant même qu'il ne propose cette idée farfelue, j'affirme :
— Non, c'est stupide. Je ne suis plus une enfant et je ne veux pas passer ma vie à fuir. Donc, je vais aller le voir.
Sur ces mots, je déverrouille la porte et sors de la pièce, l'adrénaline courant dans mes veines.
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