-30-
— Rosalie, je t'en prie.
Sa voix tremble, il a l'air à bout. Sans que je ne le veuille vraiment, j'appuie sur le bouton qui ouvre la porte. Juste cinq minutes. Après, je le renvoie de chez moi, qu'il le veuille ou non. Je ne peux pas vraiment compter sur mon voisin de palier, c'est un jeune à peine majeur. Il ne fera jamais le poids face à Ayden.
J'entends toquer. En traînant des pieds, je vais ouvrir. Ambre ne m'avait pas menti. Il a clairement maigri, il a des cernes énormes sous les yeux et sa peau est d'une pâleur étrange. Ses yeux sont toujours de la même couleur hématome par contre. Seulement, l'éclat qui les éclairait a disparu.
J'ai beau lui en vouloir pour ses mensonges, je me sens mal en le voyant ainsi.
— Je peux rentrer ? demande-t-il, hésitant.
— Non.
— D'accord, je comprends.
Il croise les bras et baisse les yeux. Je ne pensais pas le voir si faible un jour. Partagée entre l'envie de le serrer dans mes bras et celle de l'insulter, je tente de garder mon sang froid.
— Que voulais-tu me dire ?
Il relève vivement la tête, perdant tous ses moyens.
— Tu as tous les droits du monde de m'en vouloir. Je ne peux pas t'en tenir rigueur. Mais je... Je n'y arrive pas sans toi. J'ai agi comme le pire des enfoirés et je m'en veux tellement. C'était la pire erreur de toute ma vie, bredouille-t-il.
— Il fallait y penser avant de me cacher la vérité.
Ma voix tremble sans que je le veuille. Mon corps paraît prendre le dessus sur la raison, préférant témoigner mon amour pour lui plutôt que ma colère.
— Je le sais. Pardonne-moi, je t'en prie.
— C'est trop tard, Ayden, rétorqué-je.
Le doute s'empare de moi. Dois-je continuer de me protéger coûte que coûte ? Malgré tout, je le déteste encore pour son silence.
— Me haïr, tu peux le faire. Sur ton schéma, me ranger dans la catégorie gros imbécile, tu ne peux pas. Je ne suis pas parti, je suis encore là. Je ne t'ai pas abandonnée. Je t'ai menti, c'est différent, insiste-t-il, convaincu.
Je suis encore là.
Ses mots se répercutent violemment dans mon esprit. Sur ce point-là, il n'a pas tort. Ayden se tient devant moi, avec la force qu'il lui reste.
— Ne prétends pas oublier tout ce que l'on a vécu sous prétexte que tu vois ton entourage sous deux catégories, ajoute-t-il, fébrile.
Ses yeux deviennent larmoyants et j'ai peur qu'il se mette à pleurer. S'il craque, je ne tiendrai pas longtemps.
— Je ne te mentirai plus jamais, je te le promets, déclare-t-il avec assurance.
Son regard me transperce et n'aspire qu'à une chose : mon pardon. Je pose mes iris ailleurs, troublée.
— Insulte-moi si tu veux, mais reviens. S'il te plaît.
— Ayden, tu...
Je ne parviens pas à finir ma phrase. Il se penche vers moi, attendant la fin de ma phrase. La bouche entrouverte, ses prunelles me fixent. Son odeur marine m'avait tant manquée...
— Je t'en veux tellement, murmuré-je, déchirée en deux.
— Je sais et tu as raison.
— J'ai peur, bafouillé-je, croisant mes bras sur ma poitrine.
Voir Ayden dans cet état me secoue plus que de raison. Je lui en veux toujours il ne faut pas croire, mais la donne a légèrement changé.
Mon regard, figé par terre, remarque des gouttes d'eau sur le sol. Cela ne provient pas de moi, mais de lui lui. Il pleure. Merde. Un frisson d'effroi me parcourt l'échine. Je n'ose pas relever la tête.
— Je ne laisserai jamais rien t'arriver, m'assure-t-il, la voix étranglée.
Il pose sa main sur ma joue et je me sens redevenir vivante. Des papillons naissent timidement dans mon ventre, ma peau devient brûlante sur son passage. Néanmoins, je ne tarde pas à le repousser.
— Laisse-moi une chance, m'implore-t-il. Concernant ton père...
— Ne me parle pas de lui, dis-je en haussant le ton. Et ce n'est pas mon père. C'est Jacques.
— Très bien.
Malgré moi, j'ai levé les yeux vers lui. Quelques larmes dévalent encore sur ses joues et je sens mon cœur se resserrer, me faisant atrocement mal. Il remarque que je le regarde et s'empresse d'essuyer ses sanglots, mal à l'aise.
— Jamais, répété-je, vacillante.
Résigné, il acquiesce. Il m'a manqué, je l'avoue. Dois-je le laisser entrer dans ma vie à nouveau ?
— J'ai besoin de toi, confie-t-il douloureusement. Si tu décidais de partir, je ne pourrais pas t'en vouloir. Tout est de ma faute. J'ai essayé de te le dire, mais je n'y suis jamais parvenu. Je ne trouvais pas le bon moment et je savais que tu t'enfuirais. J'ai choisi la lâcheté en te le cachant.
— Tais-toi, murmuré-je, me massant les tempes.
— Tu as souffert à cause de moi.
— Arrête.
— Tu ne mérites pas ça.
— Mais tu vas te taire, oui ou non ? m'exclamé-je, le faisant sursauter.
Clignant des yeux, il me jauge du regard. Ce spectacle s'avère atroce : ses prunelles traduisent une tristesse immense.
— Ne me dis pas que tu as trouvé quelqu'un d'autre, se lamente-t-il.
— Comment aurai-je pu ? Je suis toujours amoureuse de toi.
Un léger sourire prend place sur les lèvres d'Ayden tandis que je m'empourpre. Je recule dans mon appartement, comme pour me protéger.
— C'est vrai ? demande-t-il timidement.
Il reste dehors tandis que je ne réponds pas. Pourtant, mon corps doit lui donner sa réponse.
— Tu ne m'as toujours pas demandé de partir, objecte-t-il.
— Tu veux que je le fasse.
— Non, surtout pas...
— Tu as autre chose à me dire ou je peux aller me coucher ?
Il avance d'un pas à l'intérieur, mais je le repousse. De cette manière, il en profite pour prendre ma main dans la sienne. Je mets quelques secondes avant de me défaire de son étreinte. Cependant, lui ne semble pas de cet avis et s'empare encore de ma paume.
— Lâche-moi, marmonné-je en me débattant mollement.
— Pardonne-moi, insiste-t-il d'une petite voix.
Pourquoi a-t-il fallu que j'ouvre cette maudite porte ? Je sais déjà comment va se terminer cette discussion. Affolée par la tournure que prend cette situation, je tire sur ma main, m'écarte de lui et ferme l'appartement, le cœur battant. Sa chaussure bloque la porte au dernier moment.
— Que faut-il que je fasse ? m'interroge-t-il, ne lâchant pas le morceau.
— Enlever ton pied de là. Nous allons réveiller tout l'immeuble, tu as vu l'heure ?
— Je m'en fiche.
— Ce n'est pas toi qui auras des problèmes avec le voisinage après.
Il pousse la paroi en bois et je suis tellement fatiguée par cette journée que je ne trouve pas la force de le repousser. Il avance d'un pas et je recule de deux. Cette proximité entre nous m'effraie.
— Sur une échelle de 1 à 10, tu m'en veux à combien ?
Encore ce rapport spécial aux chiffres... J'ai toujours détesté les mathématiques. Toutes ces formules inutiles dont on ne se servira jamais.
Son interrogation me pose un problème : que lui répondre ? La réponse ne se situe pas à zéro, mais elle n'est pas à dix non plus. En me plongeant dans son regard suppliant, je ne parviens pas à trancher. J'opte pour la facilité en énonçant :
— 4.
Ses yeux s'écarquillent légèrement, comme s'il ne s'attendait pas à cela.
— Seulement ? Euh, je veux dire, je pensais que tu allais me répondre 10 ou encore 100.
S'il m'avait posé la question il y a une semaine, c'est ce que j'aurai dit. Seulement, j'ai eu le temps de réfléchir à tout cela et mes sentiments pour lui s'avèrent bien plus puissants que ce que j'imaginais.
— Écoute Ayden, ma journée a été excessivement longue. Il est une heure du matin et j'aimerais aller me coucher.
— Bien sûr, souffle-t-il.
Je vois qu'il retient un sourire et cette seule vue m'irrite. Je lui désigne la sortie, lui faisant implicitement comprendre que j'aimerais qu'il s'en aille.
— Je peux repasser demain ? s'enquiert-il.
— Pour quoi faire ? rétorqué-je.
Il fronce les sourcils, mais ne répond rien.
— À demain, dit-il simplement avant de sortir.
Je me dépêche de fermer la porte derrière lui. Qu'est-ce que je viens de faire ? Le mettre dehors. Pourquoi ai-je l'impression de commettre une erreur ?
Les derniers mots de Jacques me reviennent en pleine face. Il ne m'aurait jamais conseillé cela s'il n'était pas sûr de lui. Je me souviens qu'il avait longuement discuté avec Ayden ce jour-là, il a eu tout le loisir de l'interroger sur tous les sujets. Et si je me fiais à son avis ?
Sans réfléchir, j'ouvre la porte et cours dans les escaliers. Je trouve Ayden sur le palier d'en dessous, descendant lentement.
— Attends, m'exclamé-je.
Il se tourne vers moi, vibrant d'espoir. Je lui saute dans les bras, accrochant mes jambes autour de sa taille. Et je l'embrasse.
Surpris, il me rattrape au dernier moment. Une main sous mes fesses pour me tenir et l'autre derrière ma nuque, il répond à mon baiser avec fougue, durement. Il me rapproche de lui, le plus possible. Mon cœur semble reprendre du service, battant de plus belle. Il paraît me remercier, me procurant mille sensations.
Je finis par m'écarter, reprenant mon souffle. Ayden m'interroge du regard puis me repose prudemment par terre, prêtant attention à ne pas trop s'éloigner de ma personne. Un soulagement immense s'empare de moi.
— Viens, murmuré-je.
Je le tire par la main jusqu'à mon appartement. Mal à l'aise et un peu perdu, il reste dans un coin, les mains dans les poches.
— Je suis désolée, je n'aurais pas dû me comporter ainsi l'autre soir, chuchoté-je en baissant les yeux.
— C'est plutôt à moi de m'excuser, non ?
Je secoue négativement la tête, comprenant à quel point j'avais mal agi. En réalité, j'ai eu extrêmement peur de ce que cela impliquait.
— Non. Tu aurais dû me le dire dès le départ. Mais, en même temps, j'aurais dû te laisser parler au lieu de m'enfuir.
— Rosalie, je savais que tu le prendrais mal. Je n'ai pas su comment m'y prendre.
Je m'approche de lui et pose mes mains sur son torse. Son cœur bat la chamade sous mes doigts.
— J'étais en colère contre toi, et choquée aussi. Je ne voulais plus te voir, que tu disparaisses. Excuse-moi.
Honteuse, je baisse le regard et m'accroche à son T-shirt. Mes yeux me piquent. Je me sens tellement ridicule. Il relève mon visage, visiblement soulagé.
— Rosie, je ne peux t'en vouloir, c'est au-dessus de mes forces.
— Pourtant, tu... tu as vu dans l'état dans lequel tu es à cause de moi ? Je ne te mérite pas.
Douloureusement, je m'éloigne de lui. Seulement, il enroule son bras autour de ma taille.
— Hey. Je ne suis pas d'accord avec toi, murmure-t-il.
— Mais...
— Jacques le savait. Il a paniqué parce qu'il savait que tu allais réagir comme ça et je ne devine pas pourquoi, mais il a pris ma défense.
— Parce qu'il savait que tu es l'homme de ma vie.
Ses joues rosissent tandis qu'il sourit timidement. Avec douceur, il m'embrasse.
— Tu veux bien de moi avec toi alors ? me demande-t-il craintivement.
— Oui, mais laisse-moi un peu de temps pour encaisser tout ça.
— Bien sûr.
Il dépose un baiser derrière mon oreille et me souffle un merci. Je pense avoir effectué le bon choix. Néanmoins, même si mes sentiments demeurent intacts, il a perdu une grande partie de ma confiance.
— Je veux que tu me promettes quelque chose, le prévins-je.
Concerné, il m'observe, attendant que je m'explique.
— Sauf demande de ma part, ne fais jamais allusion à lui.
Instantanément, Ayden comprend que j'évoque mon géniteur.
— Rosie, tu devrais peut-être le rencontrer, me propose-t-il avec précaution.
— Non, affirmé-je, sûre de moi. Je ne veux pas de lui dans ma vie.
— Si c'est ce que je dois faire pour te garder avec moi, alors d'accord, me confie-t-il.
Il me regarde intensément, droit dans les yeux. Et ce bleu si puissant me prend à la gorge.
— Je t'aime, tu le sais, pas vrai ? s'informe-t-il, ému.
J'acquiesce, lentement. Il pose ses lèvres à la commissure des miennes avant de me sourire. Bouleversée, je l'emmène avec moi sur le canapé.
— Puis-je rester ici cette nuit ? Je peux dormir sur le sofa si tu préfères ? propose-t-il.
— Oui, soufflé-je, soudainement éreintée.
Il me berce doucement et je me sens si bien dans ses bras que je voudrais pouvoir tout oublier pour y passer ma vie. J'aimerais que ma confiance en lui soit intacte. Mes yeux se ferment progressivement. Ainsi blottie contre lui, je me sens enfin entière et comblée. Mes doigts pianotent sur sa peau, je m'abreuve de sa présence.
Devinant le sommeil arrivé, je me lève à contrecœur pour aller me coucher. Instantanément, le froid s'empare de moi. Seulement, je tiens bon et lui apporte une couverture ainsi qu'un oreiller. Malgré ses protestations, je m'occupe de lui préparer un lit aussi douillet que possible.
— Bonne nuit Ayden.
Visiblement, il ne réalise pas encore ce qu'il vient de produire : il me répond à demi-mots, m'observant comme s'il rêvait.
Lorsque je pars m'enfermer dans ma chambre, mon index frôle sa main. Il tressaille avant de me saluer à son tour.
Une fois sous mes draps, les interrogations s'enchaînent dans ma tête. Si je le voulais, je pourrais rencontrer mon géniteur. Avant, je savais qu'il se trouvait quelque part, sans savoir où. Et maintenant, je sais qu'il a refait sa vie. Il a une autre femme, deux enfants...
D'un coup, je me redresse. J'ai des demi-frères et sœurs. Une belle-mère. Sont-ils seulement au courant de mon existence ? J'ai un lien familial avec d'autres personnes ! Jusqu'à présent, je n'avais jamais réfléchi jusque là...
Tremblante, je me lève du lit, manque de trébucher et parviens à atteindre le salon. Ayden ne dort pas. Un bras replié sous sa tête, il regarde le plafond, l'air pensif. Ai-je vraiment envie d'entendre les réponses qu'il a à me fournir ? Je n'en suis pas certaine. Pas maintenant. Je pourrais faire demi-tour, il ne m'a ni vue ni entendue.
Je recule à pas de loup et, à cet instant, il tourne la tête dans ma direction. Les sourcils froncés, il s'avance vers moi. Manifestement, il a peur que je revienne sur ma décision le concernant. Ce n'est pas dans mes plans.
— Tout va bien ? Tu es toute pale, s'inquiète-t-il.
Définitivement, je ne lui demanderai rien sur eux. Je ne veux pas savoir.
— Hum, oui.
Sa main se pose sur ma joue et caresse ma pommette. Il paraît soulagé de voir que je ne le rejette pas.
— Tu en es sûre ?
— Oui, je vais retourner me coucher.
Il me jauge du regard puis me laisse aller. Je ferme la porte pour ne plus le voir et me cache sous mes draps.
Encore une journée forte en émotions. À nouveau, elle apporte son lot de questions...
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