-29-
J'ai peur de sortir de chez moi, c'est idiot. Pourtant, il faut que j'aille au Passe-Temps.
Même si plus d'une semaine a passé, je ne parviens pas à passer au-dessus de toute cette histoire. La colère ne faiblit pas.
Je lâche un soupir fébrile puis pousse la porte de mon immeuble. Malheureusement, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Je n'ai plus envie de fournir le moindre effort pour les autres, c'est terminé. J'ai l'impression de redevenir la fille que j'étais avant Jacques et Ayden. Je me trouve tellement ridicule...
J'atteins le bistrot sans encombre et lorsque j'y rentre, je lâche un long soupir de soulagement. Par précaution, je verrouille derrière moi et m'affaire à la vaisselle du repas de la discorde qui patientait depuis le temps.
De l'eau éclabousse mes chaussures. Malencontreusement, je glisse légèrement et une assiette tombe par terre, se brisant. Tout va de travers en ce moment, je n'en peux plus. Pendant que je nettoie les dégâts, un bout de porcelaine me taille la main.
— Bon sang, râlé-je.
Pansant ma plaie, j'observe la salle. Les cloisons ont été peintes dans une couleur plus claire. Un mur en pierre apparente a été laissé tel quel. Le mobilier a été changé, lui aussi. Tout cela, je l'ai réalisé avec Ayden. Tout revient toujours à lui.
Je ne comprends pas. Il a été présent pour moi pendant toutes ces semaines, même avant. Alors, pourquoi agir ainsi dans mon dos ? S'il me l'avait dit dès le premier jour, les choses auraient été entièrement différentes. Je lui aurai probablement donné une chance. C'est trop tard maintenant.
Dire qu'il y a peu, tout allait pour le mieux. Certes, Ayden se disputait avec ses parents. Toutefois, j'aurais été l'épaule qu'il m'a toujours offerte. Puis Henry a parlé alors qu'il n'aurait pas dû et tout a changé, radicalement.
J'entends quelqu'un toquer sauf que je ne vais pas ouvrir.
— J'ai le mot de passe si tu veux ! s'exclame une voix féminine. Ayden est un abruti. J'ai bon ?
Derrière la porte, je découvre Ambre avec surprise.
— Je te préviens, c'est toi l'abrutie, pas Ayden.
— Que fais-tu là ? bredouillé-je.
Je m'efface pour la laisser entrer, ne comprenant pas la raison de sa présence ici.
— Je t'ai appelée et tu ne répondais pas alors, j'ai joint Ayden. Complètement paniqué, il m'a tout expliqué. Lorsque je l'ai appris, je suis venue ici. Tu vas bien ? raconte-t-elle, anxieuse.
En guise de réponse, je hausse les épaules. Elle secoue la tête, une expression désapprobatrice sur le visage. À cet instant, je découvre mon téléphone sur le comptoir. Il a encore le double des clefs pour les travaux, il a dû le déposer ici... Quant à mon amie, je n'ai pas voulu la déranger. Elle est en pleine période d'examens à l'université. Du coup, je lui en ai vaguement réellement parlé via les réseaux sociaux. Ne souhaitant pas l'alarmer, j'ai préféré tenter de gérer cela seule.
— Qu'y a-t-il ? m'enquiers-je, verrouillant le bistrot derrière elle.
— Tu n'aurais pas dû fuir, me reproche-t-elle
— Je veux qu'il s'en aille, marmonné-je, retournant derrière mon bar.
— Au risque de te décevoir, son bateau est toujours sur le port.
— Super...
— Tu pourrais au moins accepter de parler avec lui, suggère-t-elle, s'adoucissant.
— Non.
— Tu n'as même pas envie de savoir qui est ton géniteur ?
Difficilement, je lui donne les informations obtenues il y a quelques jours par Ayden. À savoir que mon père n'est pas venu après la demande de Maman.
Un silence lourd de sous-entendus s'installe entre nous. Par son mutisme, elle désapprouve mon comportement, j'en ai conscience. Toutefois, elle ne se trouve pas à ma place.
— Il m'a dit qu'il m'aimait, murmuré-je plus pour moi que pour elle, abattue.
Et moi aussi. Oh ça oui.
— Il le pense, déclare-t-elle, s'asseyant sur un tabouret en hauteur.
— Mais, à quels moments a-t-il été sincère ?
— Bordel Rosalie ! Il a toujours été honnête à ce propos. Il t'aime, ça crève les yeux, s'énerve-t-elle.
Mes barrières attaquées, je me renferme. Au fond, j'aimerais la croire. D'habitude, j'apprécie sa franchise à toute épreuve. Aujourd'hui, j'aurais préféré qu'elle prenne des pincettes. Ce sujet reste le plus difficile à mes yeux. Me lancer des piques ainsi a pour seul effet de me braquer encore plus.
— Je ne veux pas le voir, répliqué-je, n'aimant pas le ton qu'elle emploie.
— Et si moi j'y allais ?
— Non, j'aimerais l'oublier et passer à autre chose, affirmé-je, contrariée.
— Excuse-moi du peu, mais ça me semble beaucoup trop utopique.
— Pourquoi ?
— Parce que tu auras beau le détester autant que tu veux, tu es amoureuse de lui.
Mon cœur s'accélère en pensant à Ayden. Chou... Pour l'instant, je me sens trop blessée pour penser ainsi.
— Si tu es venue pour le défendre et me faire la morale, tu peux repartir ! m'agacé-je troublée.
— Calme-toi, je me suis dit que tu aurais besoin de moi. Mais je reste sur mes positions : tu as eu tort.
Je fronce les sourcils. Pourquoi tente-t-elle de me convaincre que j'ai commis une erreur ? Il m'a menti et j'ai uniquement cherché à me protéger. Je n'ai pas mal agi.
Exercer mon métier me manque : parler avec les clients, servir, répondre aux besoins de chacun. Il me tarde tellement de pouvoir ouvrir à nouveau, d'avoir mes journées planifiées comme avant. Mais je sais que, maintenant, en rentrant le soir, je serai seule. Cette seule idée suffit à noircir mes idées.
— Que dirais-tu de positionner tous les meubles pour voir ce que cela donne ? suggère-t-elle, devinant mon état d'esprit.
Je traîne des pieds et l'aide sans entrain, mais, finalement, je me prends au jeu. Nous bougeons les tables pour trouver le meilleur arrangement possible. Ambre teste toutes les chaises pour savoir si la vue est bonne, donnant une note sur dix à chaque fois. Quant à moi, je déambule entre les tables pour voir si le service est pratique.
Au bout d'une bonne heure, nous tombons d'accord. Affalées sur deux sièges voisins, nous contemplons la falaise.
— Penses-tu vraiment que l'ignorer est la meilleure solution ? s'informe-t-elle.
— Il m'a trahie, jamais ça ne m'avait fait aussi mal.
— Parle-lui. Il ne demande que ça, me conseille-t-elle.
Je baisse les yeux, tiraillée. J'ai besoin de temps, je ne peux pas sauter dans ses bras aussi rapidement.
— Rosalie, si tu veux l'oublier, soit. Sauf que tu n'y parviendras pas aussi rapidement qu'avec Armand.
— Pourquoi tiens-tu tellement à parler d'Ayden ? la questionné-je, agacée qu'elle ne me laisse pas en paix.
— Parce que tu souffres à cause de lui. Et à cause de toi.
Je colle mes genoux contre mon torse et les entoure de mes mains. Lui pardonner me paraît insurmontable aujourd'hui. Il ne me reste qu'elle...
— S'il te plaît, ne me tourne pas le dos, murmuré-je faiblement.
— Rosalie, merde ! Tu es lourde à la fin, je te l'ai déjà dit cent fois. Arrête de douter de moi, c'est vexant à la fin, s'énerve-t-elle.
— Pardon, soufflé-je, sentant les larmes monter.
Elle reste silencieuse et observe simplement la falaise. Ambre a raison. Ça allait beaucoup mieux, je ne doutais plus de mon entourage, je me sentais en confiance. Seulement, la trahison d'Ayden remet tout en question.
Mon amie me tend mon téléphone.
— Regarde-le. Je pensais qu'il te harcèlerait plus.
Je le déverrouille, dans l'optique d'effacer les messages. Malheureusement, je n'y arrive pas. À la place, je les lis :
Ayden : Rosalie, je vais rentrer à Perpignan, pour te laisser de l'espace. Appelle-moi à n'importe quelle heure, je te répondrai. Je reviendrai tous les week-ends, avec l'espoir que tu me pardonnes. Je sais que je te demande beaucoup. Je suis vraiment désolé, tout est de ma faute. Je t'aime.
Le dernier a été envoyé il y a vingt minutes. Étrangement, je me sens mal. Il a l'air de réellement s'en vouloir. Le problème est que moi aussi, je lui en veux.
— Il est parti, affirmé-je d'une voix blanche.
— Vraiment ?
— Oui.
Je tente d'avoir l'air soulagée sauf que c'est tout le contraire. Mon cœur s'accélère à l'idée de le perdre à jamais.
— Te rends-tu compte de ta stupidité ? Depuis que je te connais, tu cherches de la stabilité, quelqu'un sur qui tu puisses compter. Un homme comme Ayden, tu n'en trouveras pas d'autres. Ouvre les yeux, tu veux ? Ne viens pas te plaindre de ta solitude après, parce que je te préviens que je t'enverrai paître, c'est clair ? Il te traite avec respect, patience et amour. Que souhaites-tu de plus ? Il ne te lâche pas parce qu'il tient à toi. Et je sais que toi aussi.
Elle s'emporte et hausse la voix, hors d'elle.
— Je t'apprécie beaucoup, mais là, tu dépasses les bornes. Il a commis une erreur, d'accord. Et alors, tu n'en as jamais fait toi ? Il ne demande qu'une chose : une deuxième chance. Après tout ce qu'il a fait pour toi, tu ne peux même lui donner ?
— Laisse-moi tranquille, marmonné-je, perdant pied.
— Très bien. Ne viens pas te plaindre auprès de moi, parce que je ne t'écouterai pas.
Sur ces mots, elle quitte le café en claquant la porte. Au fond de moi, je sais qu'Ambre a raison.
* * *
Une semaine s'est écoulée après ma dispute avec mon amie. Je ne suis plus capable de faire quoi que ce soit, je ne fais que tourner le problème dans tous les sens, en vain. Déchirée, j'hésite. En réalité, si j'accepte de lui pardonner, je me fragilise encore, lui donnant les armes de me détruire. D'un autre côté, ces jours sans lui se sont avérés atroces.
Je dors peu, je mange mal. Et je réfléchis inlassablement.
Subitement, mon téléphone sonne : Ambre. Nous n'avons pas eu l'occasion de discuter depuis notre conversation au Passe-Temps. Fébrile, je décroche.
— Tu vas me détester, affirme-t-elle tout de go.
— Pourquoi ? m'empressé-je de demander, inquiète.
— J'ai croisé Ayden à Perpignan.
— Et alors ?
— Si tu l'avais vu. Il est pâle, il a des cernes sous les yeux et je me demande même s'il n'a pas maigri...
Mes paupières chutent à cette seule pensée. Chou, je t'en prie, tiens bon.
— Où veux-tu en venir exactement ? m'impatienté-je.
— Il me semblait si mal que je l'ai écouté. Rosalie, je sais que tu lui en veux beaucoup, mais la seule chose qu'il demande, c'est discuter.
— Que veux-tu me dire à la fin ?
— J'ai fait ça pour toi, se justifie-t-elle, anxieuse elle aussi.
— Mais quoi bon sang ? m'exclamé-je, déjà à fleur de peau.
— Lui dire de venir te voir.
Au même moment, j'entends mon interphone sonner. Tremblante, j'appuie sur le bouton et sa voix résonne dans tout l'appartement.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top