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Je me charge de débarrasser la table, Helen et Henry étant partis. Ayden semble complètement perturbé et il n'est pas le seul. Depuis que nos invités ont énoncé cette information qu'il me cacherait, mon esprit fulmine.

Fébrile, je termine de ramener la vaisselle dans la cuisine. Je la laverai demain.

— On peut y aller ? s'enquiert Ayden.

J'acquiesce et nous nous rendons chez lui, autant troublés l'un que l'autre. Ses mains enfoncées dans ses poches, sa tête est baissée, comme s'il avait honte. Je tente d'engager une discussion. Après tout, il vient d'apprendre que sa sœur lui avait également menti. Même s'il se trame quelque chose, je me dois de le soutenir.

— Ta mère t'a abandonné parce qu'elle n'avait pas le choix, murmuré-je prudemment.

— Je sais.

Sa voix était cinglante, froide et complètement dénuée d'émotion. J'ouvre la bouche pour répliquer, mais rien n'en sort. Je m'enferme donc dans un mutisme oppressant. Sûrement qu'il n'est pas prêt à discuter de cette situation.

En ce qui me concerne, je ne parviens pas à penser à autre chose que ce foutu secret qui, manifestement, risque de faire des ravages. Sans raison, je donne un coup de pied dans un caillou. Lorsque nous atteignons son bateau, il n'a toujours pas parlé. Frustrée au plus haut point, je m'assieds sur le canapé. Il prend place à côté de moi et enfonce son visage dans ses mains.

Je ne sais pas si je dois me montrer distante à cause de ce secret ou bien présente pour lui. Tiraillée, je décide d'attendre qu'il prenne la parole.

— Je t'ai menti, souffle-t-il, difficilement.

— À quel sujet ?

— Tu vas m'en vouloir, soupire-t-il en tirant sur ses cheveux. J'aurais dû te le dire dès le début. Ensuite, si je t'en parlais, tu allais t'enfuir et, je ne voulais pas. Puis, avec le décès de Jacques, ça n'aurait pas été le bon moment et finalement, je me suis tu.

— Tu comptes m'expliquer un jour ou bien tu préfères faire durer le suspens ? rétorqué-je nerveusement.

Il lève des yeux inquiets vers moi. Il semble être en train de chercher ses mots tandis que moi, je suis pendue à ses lèvres, à l'affût du moindre son. À quel propos m'a-t-il caché des informations ?

— Promets-moi de ne pas oublier que je t'aime, quémande-t-il, les mains tremblantes.

— Ayden bordel, ça suffit maintenant ! m'exclamé-je, à bout.

— Très bien, cède-t-il, effrayé.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine, si fort qu'il pourrait l'entendre. Sans oser me regarder, il commence son discours :

— Henry a un ami avec qui je m'entends plutôt bien. Nous discutons souvent ensemble. Un soir, pendant un apéro arrosé, il m'a un peu trop parlé. Du coup, il m'a avoué avoir une fille qu'il n'a pas assumée étant plus jeune. Jusqu'à présent, il est toujours parvenu à vivre avec ça sur la conscience. Il a refait sa vie avec une autre femme et il a deux enfants. Du moins, trois en réalité.

Ayden pose ses yeux sur moi l'espace d'une seconde. Malheureusement, j'ai peur de comprendre. Droite comme un I, j'attends le moment où il réfutera mes suppositions.

— La mère de cet enfant oublié l'a contacté il y a quelques années pour lui annoncer qu'elle était malade et qu'elle allait mourir. Elle lui a demandé de prendre soin de leur fille en son absence future. Seulement, il n'a jamais agi. Lors de cette soirée, il m'a avoué beaucoup s'en vouloir et il m'a envoyé à sa recherche, pour que je l'amène vers lui. Et...

— Tu es venu parce que mon géniteur te l'a demandé, conclus-je sèchement.

Vivement, il se redresse. Son calme ordinaire a disparu, remplacé par une agitation apparente. L'aigreur monte en moi en devinant la raison de sa présence en ces lieux. Il ne cherche pas à démentir mes propos : j'ai donc raison.

— Rosalie, je t'assure que tout a changé. Je ne suis plus ici pour cela. Je suis désolé, tellement désolé, s'empresse-t-il de dire, s'approchant de moi.

Cherchant à me protéger, je m'éloigne brusquement. Désemparée, je ne parviens pas à réfléchir comme je le souhaiterais. Il connaissait la haine que je portais à mon géniteur. Et depuis tout ce temps, il me mentait. La fois où il a passé le pas du café, il avait pour objectif de me ramener à lui.

Mue par un besoin de solitude, je me lève et avance jusqu'à la porte, dans l'optique de quitter ce bateau. Seulement, il me suit aussi rapidement. Sa main s'empare de mon poignet, tentant de me ramener à lui.

— S'il te plaît, m'implore-t-il. Laisse-moi t'expliquer.

— Ne me touche pas, le prévins-je froidement.

Sous le choc de mes paroles, il desserre son emprise et j'en profite pour courir loin de cette infamie. Dans mon dos, je l'entends crier mon nom. Ses pas me suivent, cherchant à me rattraper. Néanmoins, la colère me donne des ailes.

Au bout de la rue, j'ouvre mon immeuble et la referme immédiatement. Je monte les marches quatre à quatre. Au loin, il y a le bruit d'un homme tapant sur une porte ; lui. Avec l'espoir vain qu'il lâche l'affaire, je m'enferme à double tour dans mon appartement.

Effectuant les cent pas dans mon salon, je me rends compte de la situation. Si Ayden s'est rendu ici, ce n'était pas par hasard comme il me l'a affirmé. Plutôt sur la demande de mon géniteur. Cet homme que je hais plus que personne. Celui qui m'a abandonnée. Selon les dires d'Ayden, ma mère lui aurait demandé de m'aider et il n'a même pas daigné bouger le petit doigt. Ma haine à son égard s'accroît de jour en jour. Croyait-il sincèrement que j'accepterais d'entrer dans sa vie après vingt-deux ans d'absence ?

Ayden. J'avais confiance en lui. Le soir où j'ai hésité avant de devenir sa petite amie, il m'a convaincue, m'assurant qu'il fallait que je vive ma vie. Toutes les fois où je lui ai parlé de mon animosité envers mon géniteur et de ma reconnaissance à l'égard Jacques, il n'a rien montré. Même si j'ai toujours apprécié son calme, je n'imaginais pas qu'il me dissimulait une telle ignominie.

Je me sens mal, complètement stupide. J'aurais dû voir qu'il me cachait une chose d'aussi énorme. Si Henry n'y avait pas fait allusion, me l'aurait-il dit un jour ?

Sentant mon équilibre défaillir, je m'assieds à même le sol. Soudain, je repense à ce schéma qui m'avait permis de me réconcilier avec lui. Commençant à douter de ces derniers mois de bonheur à ses côtés, je me mets à pleurer sans pouvoir me contrôler.

Mon interphone sonne. À peine ai-je appuyé sur le bouton que sa voix résonne dans l'appartement.

— Rosalie, je suis désolé. Pardonne-moi, je t'en supplie, balbutie-t-il, le ton brisé.

— Ayden ?

— Oui ?

— Fous-moi la paix, dis-je durement, ravalant mes sanglots.

Je raccroche après ce seul mot. Tellement en colère, je veux qu'il s'en aille pour toujours. Il sonne encore, mais je débranche l'interphone. Fermant mes volets pour ne plus avoir aucun contact avec l'extérieur, je m'assieds lourdement sur mon canapé, les larmes glissant sur mes joues.

Il n'avait pas le droit, il me l'avait promis. Je ramène mes genoux contre moi en même temps que mon cœur se resserre douloureusement.

Il a tout fait pour me mettre en confiance et je l'ai écouté, je l'ai cru. Maintenant, je me rends compte que je me suis trompée. Bon sang, il savait que je haïssais mon géniteur alors, pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ?

Des cris se font entendre dans la rue, puis plus rien. Un voisin a dû sortir et expliquer gentiment à Ayden qu'il ferait mieux de partir. Il peut toujours tenter de m'appeler : mon téléphone est resté chez lui.

Même le départ d'Armand m'a fait moins mal. Probablement parce que je suis vraiment amoureuse d'Ayden. Comment ai-je pu tomber si facilement dans le panneau ? Et s'il s'était rapproché de moi dans le seul but de me convaincre plus facilement de rejoindre mon géniteur ? M'a-t-il uniquement menti sur la raison de sa venue ici ou bien n'a-t-il jamais été sincère ?

Avant son monologue, il m'a demandé de ne pas oublier qu'il m'aimait, mais puis-je vraiment lui faire confiance à ce sujet là ? Perdue, je ne sais plus quoi penser.

Ma vision devient floue à cause de toutes ces larmes. Je n'ai pas pleuré depuis plusieurs semaines et je me sentais fière de me montrer si forte. Finalement, je ne vaux rien. Je pleure à chaque fois que quelque chose va de travers et je ne fais rien pour changer les choses. Je reste totalement passive. Cependant, je me sens si démunie face à tout cela...

Avec un cri de rage, je balance mon coussin dans la pièce. Ma carafe se brise en mille morceaux par terre, comme moi. Il y a du verre partout. L'oreiller a disparu derrière la table. J'en attrape un autre pour le serrer contre moi sauf qu'il ne tarde pas à rejoindre l'autre.

Nonobstant la nuit tombée, je quitte mon appartement. Je n'aspire qu'à une chose : ne pas croiser Ayden. Enfonçant ma capuche sur ma tête, je presse le pas et rejoins le cimetière. À tâtons et à la faible lumière émise par les lampadaires, je gagne la tombe de Jacques.

Agenouillée devant, je reste silencieuse. Qu'aurait-il pensé de ce problème ? Il aurait su me conseiller, comme à son habitude. Dans ce genre de moment, j'ai cruellement besoin d'une présence parentale. Ma mère m'aurait dit comment agir.

Tout d'un coup, je sursaute, me souvenant d'un élément important. Parmi les derniers mots que mon père a prononcés, à mon égard, il y avait ceux-ci :

Fais en sorte de le garder, quoiqu'il arrive.

— Tu le savais ? murmure ma voix tremblante.

La fois où il a longuement discuté avec Ayden au café, il semblait préoccupé et il n'a jamais voulu m'en expliquer la raison. Chaque mot qu'il prononçait avait une signification particulière. Il ne parlait jamais pour ne rien dire. Donc oui, il était au courant.

— Tu aurais dû me le dire ! m'exclamé-je, tremblante d'émotions.

C'est stupide, je m'énerve contre une pierre. Pourquoi me l'a-t-il caché, lui aussi ? Ce n'était pas à lui de me l'avouer. Néanmoins, il a défendu Ayden implicitement. Pour quelle raison ?

Nerveusement, mes doigts jouent avec l'herbe. Peut-être avait-il peur que je l'oublie et que je passe tout mon temps avec mon géniteur ?

— De toute manière, personne ne te remplacera jamais, Jacques. Tu es le seul à avoir agi comme un père pour moi.

Je dépose un baiser sur mes doigts que je pose ensuite sur la pierre froide. Le ciel est sans nuages ce soir, seules les étoiles l'éclairent. Un astre représente ma mère ; une autre, Jacques. J'aime penser que chaque point lumineux incarne quelqu'un. Ainsi, je me sens surveillée et protégée par ceux que j'aime.

Cherchant à mettre du sens sur le comportement de chacun, je souhaite une bonne nuit à Jacques puis je prends le chemin du retour. Je soupire en voyant qu'Ayden fait le pied de grue devant mon immeuble.

Lasse et fatiguée, j'espère qu'il ne me laissera pas passer. Rapidement, j'essuie les dernières larmes sur mes joues, ayant conscience que mes yeux sont rougis.

— Rosie, pouvons-nous parler ? s'enquiert-il dès qu'il m'aperçoit.

— Tu n'as plus le droit de m'appeler Rosie. Et pour répondre à ta question, non, nous ne pouvons pas. Je suis fatiguée, objecté-je fuyant son regard intense.

— S'il te plaît, insiste-t-il.

— Laisse-moi rentrer chez moi, dis-je d'une voix plus ferme.

Je le pousse de toutes mes forces, en vain. Mes poings se serrent malgré moi tandis que lui refuse de bouger d'un iota.

— Est-ce terminé entre nous ? me questionne-t-il, effrayé.

Ce coup-ci, je le regarde droit dans les yeux. Pourrais-je le pardonner un jour ? Lui donner à nouveau ma confiance ? J'en doute sérieusement. Alors, même si ça me brise le cœur, je réponds positivement à sa question.

La seule vision de son visage défait me brise le cœur. Seulement, je n'ai plus la force de me battre aujourd'hui. Profitant de son moment à vide, je m'enfuis à l'intérieur de mon immeuble. Au moment où je passe à côté de lui, il appelle mon prénom, espérant me faire changer d'avis.

J'ai brisé ma promesse pour lui, j'ai accepté de baisser les armes et de laisser ma vie entre ses mains. Il a tout gâché.

C'est fini.

Ayden, tu as détruit ce qu'il restait de mon cœur.

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