-23-

Ambre reste dormir ici, ne souhaitant pas rester seule. Je n'ai pas pu le lui refuser et Ayden ne s'y est pas opposé non plus. Elle s'est installée dans le salon, sur le canapé que nous avons transformé en lit. Mon petit ami et moi sommes dans la chambre.

— Tu ne veux pas aller avec elle ? me questionne-t-il, attentif.

D'un côté, j'en ai très envie. Mais de l'autre, j'ai peur qu'elle me demande à nouveau de parler de tout cela. Au fond, j'en ai besoin seulement, je ne suis pas encore prête. Néanmoins, je me dois de me trouver à ses côtés pour cette dure épreuve.

— Si.

— Alors, vas-y.

Il me donne un sourire rassurant, ce qui me conforte dans l'idée que je devrais vraiment la rejoindre.

— Si tu as besoin de moi, je suis juste à côté. De toute façon, pour partir, il faudrait que je saute par la fenêtre, affirme-t-il, cherchant à détendre l'atmosphère après cette journée morose.

— Oh non. Après tu vas être trempé et tu vas tomber malade...

— Pourtant, un Glacier ça flotte non ?

Sans pouvoir le contrôler, je me mets à rire pour la première fois depuis des jours. Ce son me surprend moi-même, mais je ne peux pas m'arrêter. Ayden semble tout aussi étonné que moi, pourtant un grand sourire orne son visage. Rire fait du bien, vraiment. Des larmes coulent. Malgré tout, je ne pleure pas la mort de Jacques. Plutôt parce que cette sensation m'avait tellement manquée. Ambre passe la tête par la porte entrouverte, se demandant ce qui se trame ici.

Je peine à respirer cependant, j'ai tellement besoin de ce sentiment de bien-être que je ne m'arrête pas.

J'ai mal aux côtes, pas au cœur.

— Qu'est-ce qu'elle a ? s'enquiert-elle auprès d'Ayden.

— Elle craque, voilà tout.

Essuyant les larmes perlant aux coins de mes yeux, je me calme progressivement, sous leur regard interloqué.

— Ça va, dis-je pour les rassurer, le cœur affolé.

— Que lui as-tu dit pour la mettre dans un tel état ? s'informe Ambre, curieuse.

— Soit elle me trouve vraiment très drôle. Soit elle l'a fait exprès pour me flatter. Soit elle en avait besoin et elle a sauté sur ce prétexte.

— J'opterai pour la dernière option, conclut-elle. Sans vouloir t'offenser, Ayden.

Vexé, il enfonce ses poings dans ses poches avant de se concentrer sur moi. En silence, chacun pense à la situation, cherchant une explication rationnelle. Mon compagnon m'observe, une tendresse infinie dans le regard.

— Bien, et si tout le monde allait se coucher ? suggère-t-il, sans me quitter des yeux.

Ma meilleure amie acquiesce puis quitte notre chambre sans demander son reste.

— Merci, murmuré-je à Ayden.

À cet instant, j'ai conscience que je ne lui dis pas simplement merci, comme ça, dans le vide. Je le remercie pour sa présence, son soutien, son amour, son aide. Pour tout. Il semble le deviner, un éclair de reconnaissance passant dans ses prunelles.

— Il n'y a pas de quoi.

Je m'approche de lui et lie mes mains derrière sa taille.

— Bonne nuit.

— À toi aussi.

Il pose rapidement ses lèvres sur les miennes, mais je l'embrasse à nouveau, plus longuement, profitant de sa présence.

Le saluant une dernière fois, je rejoins le salon. Ambre pianote sur son téléphone et relève la tête lorsqu'elle m'entend arriver. Surprise de ma présence dans cette pièce, elle m'interroge du regard.

— J'avais envie de tester le canapé.

— Bien sûr, parce que tu as déjà essayé le lit, me taquine-t-elle.

Réprimant un soupir, je passe outre son sous-entendu et nous plonge dans le noir. Ni elle ni moi ne parlons, si bien que je pense qu'elle s'est endormie. Seulement, elle ne tarde pas à me prouver le contraire.

— Demain, ma famille et moi-même allons prendre connaissance de son testament, m'apprend-elle subitement.

— D'accord.

Je me fiche totalement de cet héritage. Elle le sait pertinemment, pourquoi m'en parle-t-elle ?

— Tu devrais venir.

— Je n'ai rien à faire là-bas, soupiré-je.

— Parce que tu crois qu'il ne t'a rien légué ? me demande-t-elle, sincèrement déroutée.

— Je n'en sais rien et puis quand bien même, ce n'est pas le plus important actuellement, répliqué-je, gênée de discuter de cela.

— Comme tu voudras.

Le silence s'abat sur nous. La situation s'avère complexe : nos positions envers Jacques se révèlent différentes. Il ne faudrait pas que je la froisse sans le vouloir... Ne souhaitant pas qu'elle interprète mal mon discours, j'ajoute :

— Jacques était important pour moi...

— J'en suis consciente, Rosie.

— Mais, je perds tout le monde, tout le temps. Je n'en peux plus. Aussi bien toi qu'Ayden, je ne sais pas si vous serez encore là demain, soupiré-je avec lassitude.

Est-ce un mauvais sort que je dois conjurer ? J'essaye de vaincre cette peur autant que possible. Seulement, la vie me laisse peu de répit. Je sens poser la main de mon amie sur mon épaule, preuve de son soutien indéfectible.

— Je ne sais plus où j'en suis, murmuré-je, croisant mes bras pour me protéger.

— Il suffit de voir Ayden pour savoir qu'il ne va pas te laisser. Et puis, donne-moi une seule bonne raison pour que moi je parte ?

— Tu crois que je pouvais deviner pour ma mère ? Pour Armand ? Pour Jacques ? Pour tous mes soi-disant amis ?

Cette colère se transforme en accablement. Évidemment, je crois en la sincérité d'Ayden et Ambre. Cependant, j'ai moins d'assurance concernant ce que l'existence me réserve encore. C'est différent.

— Ce sont les aléas de la vie. Ils s'acharnent contre toi, d'accord. Mais tu es encore là et nous aussi. Tu ne vas pas finir toute seule.

Finir toute seule.

Sans le savoir, elle vient d'énoncer ma plus grande peur. Mon cœur se comprime, tentant d'évacuer cette douleur poignante. Silencieusement, je ravale mes sanglots et cache ma tête dans mon oreiller, honteuse. Je n'ai plus aucune présence parentale, je n'en veux pas d'autres. C'est terminé. Vais-je m'en sortir ainsi ?

— Rosalie, je suis ton amie. Tu as toujours été là lors de mes peines de cœur. Alors, je te soutiens dans les moments difficiles aussi.

Dans le noir, j'acquiesce, si heureuse de l'avoir à mes côtés. J'ai conscience de la chance que j'ai. Elle s'approche de moi et me murmure :

— Tu crois qu'Ayden nous écoute ?

— Oui.

J'en suis certaine. Il n'irait pas jusqu'à écouter à la porte, mais cela ne m'étonnerait pas qu'il reste volontairement éveillé pour entendre notre discussion. Je crois que cela m'aide à parler à Ambre, je me sens plus tranquille.

— Il est parti de son travail sans l'ombre d'une hésitation parce qu'il savait que tu avais besoin de lui, continue-t-elle, baissant la voix. Il te fait confiance, je me trompe ?

— Non, soufflé-je, bouleversée.

— Jacques est parti, tu vas avoir du mal à t'en remettre. Pourtant, tu n'es plus seule.

J'ai de plus en plus de mal à étouffer mes sanglots. Auparavant, elle m'a déjà tenu ce genre de discours. Pour la première fois, j'ai envie de la croire.

— Tu es la sœur que je n'ai jamais eue, m'assure-t-elle, la voix tremblante d'honnêteté.

Les mots restent coincés dans ma gorge et ils s'échappent sous forme de larmes tant je me sens émue par ses dires. Dans le noir, elle me serre dans ses bras.

— Ne pleure pas trop fort autrement Ayden va m'en vouloir, me chuchote-t-elle.

— Je ne le laisserai pas te toucher, lui réponds-je sur le même ton.

Pourquoi ai-je hésité avant de parler à mon amie ? Elle sait toujours de quelle manière me réconforter.

— Merci, affirmé-je, encore chamboulée.

— Pas de quoi petite sœur.

Je la frappe légèrement, lui rappelant que je suis la plus grande. Elle frotte mes cheveux, se moquant de moi. Et j'ai espoir de former une famille unie avec l'entourage qu'il me reste.

* * *

Ambre a quitté le bateau ce matin, retournant chez ses parents. Du coup, je me retrouve seule avec Ayden pour le petit-déjeuner. Enroulant un bras autour de ma taille, il dépose un baiser sur le haut de mon crâne. De meilleure humeur que d'habitude, j'attrape un bout de brioche dans lequel je mords à pleine dent.

— Tu as tout écouté hier, pas vrai ?

— Possible, me murmure-t-il, l'air ailleurs.

S'installant face à moi, il croise les bras. Confuse, je cherche à comprendre la raison de son changement de comportement. Il ne tarde pas à m'en donner la réponse :

— Je pensais que tu n'avais plus peur que je m'en aille, remarque-t-il de but en blanc.

Merde. Il a vraiment tout entendu. Voyant que son commentaire reste sans réponse, il soupire longuement. Paniquée, je feins l'ignorance et déjeune en fuyant son regard.

— Rosalie.

— Que veux-tu que je te dise ? balbutié-je, prise en faute.

— Normalement, la confiance fonctionne dans les deux sens. Comment veux-tu que ça marche entre nous ?

Sa dernière phrase me fait immédiatement réagir. Je lève la tête vers lui, prête à en découdre. Pourtant, il me devance :

— Et ne me répète pas que ce n'est pas moi le problème.

Pantoise face à son ton sans appel, je ne parviens pas à formuler mon ressenti. Il refuse de comprendre que ce dont j'ai peur, c'est que la vie m'arrache à lui. Et non pas qu'il parte. Depuis qu'il est entré dans ce café, ma vision a changé. Néanmoins, j'ai toujours eu du mal pour exprimer mes idées, particulièrement dans ce cas.

Face à mon mutisme, il part brusquement dans sa chambre, sans un mot.

S'il me tourne le dos maintenant, je ne vais pas y arriver... J'ai terriblement besoin de lui. Je me triture les doigts en cherchant une solution. Comment pourrais-je lui expliquer ? Le lui dire ne suffit pas, nous avons visiblement du mal à nous comprendre. Il y a forcément une façon de lui exposer qu'il saisirait... Il passe son temps à dessiner des plans. Je ne suis pas très douée, mais je vais essayer quelque chose.

Sur sa table d'architecte, j'attrape un papier vierge et trace huit ronds. Ils contiennent chacun un nom : le mien, Armand, Jacques, Denise, mon géniteur, Ayden, Ambre et le dernier est résumé par : amis. Ils sont tous reliés au mien sauf que leurs flèches ne se tournent pas vers le même côté. Celles d'Ayden et d'Ambre sont tournées vers moi tandis que les autres montrent l'éloignement en étant dans l'autre sens.

Il a l'air d'être à l'aise avec les schémas, les plans. Peut-être saisira-t-il mieux ainsi ?

Je laisse la feuille sur la table et, après m'être changée, je quitte l'embarcation. Après cette semaine endeuillée, je décide de lui laisser du temps de répit. Il s'est montré suffisamment patient ainsi. Au fond, je me mets à sa place et j'en aurais également eu assez. Sûrement a-t-il besoin d'espace ? Après tout, il s'avère plutôt solitaire et je suis constamment sur son dos depuis des jours.

J'espère vraiment qu'il déchiffrera mon état d'esprit.

Je ne veux pas qu'il s'en aille.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top