-18-

Le bruit d'un bateau me sort du pays des songes. Ayden bouge à peine, mais reste endormi.

Cette nuit, il a pris soin de moi comme personne ne l'avait encore fait. Il a témoigné d'une grande patience, il a su prendre le temps qu'il fallait.

Avec Armand, c'était tout autre chose.

Ayden m'a regardée comme si j'étais la plus belle fille au monde. Comme si n'importe quelle autre femme ne méritait pas qu'il s'y attarde. Je n'étais pas restée dans un lit avec un homme depuis un moment. Disons qu'avec Armand, notre vie sexuelle ne se trouvait pas au beau fixe. Je n'avais jamais vécu cela avec quelqu'un d'autre et je ne savais pas comment m'y prendre. Mais Ayden semblait dans le même cas que moi, donc cela n'a posé de problème à personne.

Je passe ma main dans ses cheveux emmêlés par notre nuit mouvementée. Son souffle chatouille ma peau, je ne voudrais pas qu'il n'en soit autrement pour rien au monde. Seule la couette nous recouvre jusqu'à la taille. Je me penche légèrement pour la remonter et qu'il n'attrape pas froid.

Un petit sourire étire ses lèvres et ses jambes se détendent dans son sommeil.

Il est arrivé dans ma vie sans crier gare et il détruit toutes mes barrières au fur et à mesure. Je crains qu'il ne m'en reste plus beaucoup. Quand je suis avec lui, je me sens bien. Il m'a prouvé sa confiance en me parlant de son adoption, sujet très sensible pour lui.

J'ai conscience qu'il garde encore des choses secrètes, mais j'ai espoir que cela ne brise pas ce qui s'installe entre nous. Parce que, je crois que je suis en train de tomber amoureuse de lui.

L'intéressé commence à s'éveiller. Ses paupières papillonnent jusqu'à me permettre de voir ses iris bleus.

— Bonjour.

— Salut, me répond sa voix matinale.

Il se frotte les yeux, cherchant à se réveiller. Par la suite, il roule sur moi et s'appuie sur ses avant-bras pour ne pas m'écraser. Mes pouces cajolent ses joues tandis que nous partageons un tendre baiser.

— Je vais prendre une douche, me prévient-il, les yeux encore ensommeillés.

Rapidement, il disparaît. Quant à moi, je me déplace dans le lit pour m'allonger de son côté. Je serre son oreiller contre mon torse, humant son odeur, un sourire béat ineffaçable sur les lèvres.

Écartant légèrement le rideau, j'admire la mer qui s'étend à perte de vue. Le port se situant de l'autre côté, il n'y a aucun vis-à-vis par ici. Mes pensées divaguent jusqu'à ce que je sente un poids affaisser le matelas.

— Tu es encore là ? murmure Ayden en m'entourant de ses bras.

Ses cheveux sont humides et je sens la senteur de son shampoing, un effluve boisé. Il dégage mon visage de mes cheveux et m'embrasse sur la joue. Le drap sert de barrière entre nos corps encore chauds. J'aimerais bien pouvoir m'habiller sauf que je n'ai pas d'affaires, à part celles d'hier.

— Je peux emprunter ta douche ?

— Bien sûr.

— Et un T-shirt à toi aussi ? questionné-je.

Derrière moi, je devine un sourire sur ses lèvres.

— Je suis une fille difficile, ajouté-je.

— Sers-toi dans l'armoire, susurre-t-il.

Après un dernier regard à l'étendue saline, je me lève et récupère un de ses hauts ainsi que mes sous-vêtements de la veille. Une fois propre, j'enfile ces vêtements fortune. Son polo atteint le milieu de mes cuisses.

Quand je le rejoins dans la pièce de vie, ses yeux balayent mes jambes nues et je me sens rougir. D'un geste vif, il tire les rideaux des fenêtres donnant sur le port.

— Jaloux ?

— Oui, affirme-t-il, très sérieux.

Je rigole avant de croquer dans une pomme.

— Je m'occupe du service de cet après-midi, annoncé-je à contre-courant.

Au fond, j'aurais adoré rester là. Toute ma vie s'il le faut.

— Oh, mais je pensais passer l'après-midi avec toi, avant de partir, affirme-t-il, déçu.

— Tu peux m'accompagner.

— Je voulais dire, seulement avec toi, précise-t-il, frustré.

— Moi aussi...

Il se place derrière moi pour entourer ma taille et poser son menton sur mon épaule.

— Je partirai vers 19 heures, me chuchote-t-il.

— D'accord.

Posant ma main sur sa nuque, j'embrasse sa joue. Il est déjà midi et je dois me trouver au Passe-Temps à une heure. Ces disparités d'emploi du temps entre nous ne sont pas des plus pratiques. J'espère que nous trouverons un arrangement.

— Il faut que je rentre chez moi, murmuré-je.

— Déjà ?

J'acquiesce, pas plus enthousiaste que lui. Il soupire avant de me laisser aller. Je me rends dans la chambre et un léger sourire étire mes lèvres devant les draps défaits, souvenir d'une nuit mémorable. Tandis que je me change, je ne peux pas résister à la tentation de prendre un de ses sweat-shirts. Il ne m'en voudra pas.

* * *

Lorsque nous passons la porte du café, Marjorie semble soulagée de me voir entrer. Ayden s'installe derrière le bar tandis que je passe de l'autre côté. J'enfile mon tablier et récupère mon carnet de commandes. Ma collègue m'indique les tables servies et celles qui attendent. Je me mets au travail le plus rapidement possible, sous l'œil de mon petit ami. Au bout d'une heure, notre rythme effréné se calme, ma camarade a terminé son service. Elle me salue puis quitte l'établissement. Le soulagement s'empare de moi : je n'apprécie vraiment pas travailler avec elle... Et elle me le rend bien d'ailleurs.

Je me dirige vers Ayden qui m'a attendue sans broncher.

— Je t'avais dit de venir vers quinze heures, tu as attendu tout seul, m'excusé-je.

— Ce n'est pas grave, j'aime bien te regarder travailler. Tu as l'air passionnée.

S'il savait... Ce métier représente toute ma vie, et pas seulement parce qu'il m'a sauvée. J'adore le contact avec les clients.

Jacques choisit ce moment pour apparaître dans le bistrot. Il nous salue tous les deux puis se plante face à Ayden et déclare sérieusement :

— Mon garçon, il serait peut-être temps d'avoir cette discussion.

— Bien sûr.

Je tente de m'interposer, parce que je connais le tempérament de mon patron : il va vouloir tout savoir sur tout. Seulement, mon petit ami m'affirme qu'il ne s'agit que d'une discussion. Par conséquent, je les laisse. Néanmoins, je ne peux pas m'empêcher de garder un œil sur eux. D'où je suis, tout a l'air de bien se passer. Ils semblent discuter simplement.

La salle se vide peu à peu. Les clients venus manger sont remplacés par ceux qui prennent juste un café. Les deux hommes discutent depuis près d'une heure. Que peuvent-ils bien se dire ? Jacques effectue de grands gestes, comme s'il semblait démuni et Ayden a l'air contrit, son visage pâlit. Ils ont tous les deux une expression très sérieuse.

Finalement, je n'y tiens plus : je m'avance vers eux. Au moment où mon patron m'aperçoit, il fait signe à mon compagnon de se taire.

— Tout va bien ? me demande-t-il, tendu.

— Hum, oui. Et vous ?

— Ça va, répond-il simplement.

Les deux hommes refusent de commander quoi que ce soit. Frustrée, je me résigne.

Quand je repars, la main d'Ayden frôle discrètement la mienne. Il l'a fait exprès, comme pour me dire tout roule. Un petit soupir s'échappe de mes lèvres tandis que je rejoins le comptoir, plus légère.

Prudemment, je regarde ce qu'il y a dans le pot à pourboire. Je ne me plains pas de ma situation, mais bien souvent, ils me permettent de terminer le mois. Je l'avoue lorsqu'ils proviennent de clients tels que Chris, je les garde pour moi et ne les mets pas dans cette tirelire. Marjorie agit de la même manière.

Je sursaute en me rendant compte qu'Ayden est revenu. Il me sourit légèrement, l'air plus détendu.

— Comment ça s'est passé ? m'enquiers-je immédiatement.

— Plutôt bien. C'est un vieil homme attachant.

— Oui, souris-je, touchée qu'il le pense.

— Je ne pensais pas avoir un beau-père de cet âge un jour, s'amuse-t-il.

— Je ne pensais pas avoir un père de son âge.

Il hoche la tête, visiblement soulagé d'un poids qui m'est inconnu.

— J'ai négocié avec lui pour que tu puisses me rejoindre vers 19 heures.

— Tu ne pars pas sans me dire au revoir, le préviens-je, le menaçant de mon index.

Ses yeux me répondent par la positive. Après avoir déposé un baiser sur mes lèvres, il quitte le bistrot.

* * *

— Je n'en ai pas pour longtemps, m'exclamé-je en sortant du café.

Jacques prend ma place pendant que je me précipite au port. Ce dernier m'a affirmé qu'il apprécie Ayden. Après leur conversation, il l'a trouvé sérieux, ce qui a le don de me rassurer, même si je n'en doutais pas.

Je cours pour arriver à temps, même si je sais qu'il m'attendra. Au loin, j'aperçois son bateau.

J'ouvre le petit portillon et monte précautionneusement sur l'embarcation. Seulement, je ne le trouve ni dans la partie habitation ni dans la cabine.

— Ayden ? appelé-je.

Aucune réponse. Je réitère mon appel et cette fois-ci, je reçois une réponse. Sa tête dépasse d'une trappe que je n'avais jamais remarquée. Son visage et son T-shirt s'avèrent tachés.

— Il fallait que je répare une panne, m'explique-t-il.

— Eh bien, tu es propre, ris-je.

Il fronce le nez et se frotte le visage pour le nettoyer tant bien que mal. De retour à l'intérieur, il se nettoie rapidement avant de revenir vers moi.

— Voilà, c'est mieux ?

J'acquiesce en souriant. Mon petit ami m'embrasse juste derrière l'oreille, de quoi me faire fondre sur place.

— Il faut que je m'en aille si je veux avoir le temps de dormir avant demain.

— D'accord, murmuré-je.

Il m'emmène sur le port, me rejoignant sur la terre ferme.

— On se voit samedi, Rosie.

Je parviens à lui sourire, je ne sais comment. Il dégage quelque chose de particulièrement rassurant. Nous partageons un doux baiser d'au revoir que je savoure jusqu'à la dernière seconde.

— Prends soin de toi, je t'appelle, lui affirmé-je.

Je le laisse aller et le suis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la cabine. Le moteur se met en marche. Soudainement, je suis prise d'un besoin pressant. Cela ne peut définitivement pas attendre samedi.

— Ayden, attends ! crié-je.

Je m'accroche au bateau et continue de l'appeler jusqu'à ce qu'il sorte, paniqué. Il court jusqu'à moi, les yeux écarquillés.

— Qu'y a-t-il ? s'inquiète-t-il.

Il encadre mon visage, à la recherche de réponses. En ce qui me concerne, je ne parviens pas à arrêter de sourire.

— Il faut que je te confie quelque chose avant que tu partes...

— Quoi ? Bordel Rosalie, explique-moi !

Je me mords la lèvre inférieure et me dresse sur la pointe des pieds. J'enroule mes paumes derrière sa nuque, amusée par sa réaction. S'il savait ce que je m'apprête à lui annoncer. Mais, j'ai bien envie de jouer un peu avec lui.

— Mais, si je te le dis maintenant, tu vas prendre du retard...

— Rosalie, tu ne peux pas décider de ne rien me dire au dernier moment, s'agace-t-il.

— Pourtant, ce n'est pas ce que tu fais toujours ?

Il retire mes mains et s'éloigne. Zut...

— Attends, désolée, je ne voulais pas te braquer. Regarde-moi, s'il te plaît.

Il pose ses billes bleues sur moi, les bras croisés. Mon cœur bat la chamade, comme s'il revivait depuis toutes ces années. Il s'en donne à cœur joie. Cette sensation que je pensais avoir perdue à tout jamais. Elle existe toujours visiblement.

— Je suis amoureuse de toi, Ayden.

Il reste immobile quelques instants puis ses traits se détendent et ses bras retournent mollement le long de son corps. Des papillons s'envolent dans mon ventre tant je suis heureuse de réussir à formuler ce que je ressens.

— Tu peux répéter ?

J'avance de quelques pas pour me retrouver exactement face à lui. Je n'ai jamais autant pensé des mots. J'éprouve des sentiments dont je n'aurais jamais pu imaginer l'existence. J'avais besoin de l'extérioriser en lui avouant. Des picotements partent de mes doigts jusqu'à mes orteils.

— Je t'aime.

Il lâche un long soupir, manifestement soulagé. Puis, sans prévenir, il me soulève dans ses bras, mêlant son rire au mien. J'enroule mes jambes autour de sa taille, en confiance en sa présence. Mes lèvres se posent sur les siennes pour un baiser fougueux qu'il ne se gêne pas de partager. Je passe inlassablement ma main dans ses cheveux châtains.

Ayden finit par me reposer à terre. Ses yeux ancrés dans les miens, il murmure :

— Et je t'aime, Rosalie.

Je crois qu'un sourire aussi grand n'a jamais trouvé sa place sur mon visage. Mon myocarde ne sait plus où donner de la tête alors il abandonne, me laissant dans une douce torpeur. Depuis le début, ses iris n'ont jamais retranscrit autant d'émotions en même temps. Je m'en imprègne au maximum, prenant ma dose pour la semaine qui se profile.

Nous restons un temps indéfinis comme ça, dans les bras l'un de l'autre, sur le port. Pour seul bruit, il y a la mer. Encore elle.

— Je ne voudrais pas avoir ton sommeil sur la conscience, vas-y, finis-je par chuchoter.

— Tu n'as rien d'autre à me dire ? demande-t-il en calant une mèche derrière mon oreille.

— Si : reviens vite.

— Je vais faire de mon mieux.

Nous échangeons un dernier baiser. Puis encore un dernier et il finit par partir. Je me retrouve seule sur le port, mais heureuse comme je ne l'ai pas été depuis longtemps.

Son odeur encore sur moi me chamboule. Que se serait-il passé si, ce jour-là, il avait poussé la porte d'un autre bistrot ?

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