-17-
Lorsque je me réveille, Ayden ne se trouve plus contre moi. Une fois que mes yeux s'habituent à la clarté, je l'aperçois assis au bord du lit, voûté. Silencieusement, je m'approche de lui, jusqu'à poser ma main sur son dos, le faisant sursauter.
— Désolée...
— Je n'ai pas beaucoup dormi, avoue-t-il, frottant son visage endormi.
— Pourquoi ne pas m'avoir réveillée ?
— Parce que tu es belle lorsque tu dors, affirme-t-il, les yeux brillants.
— Et pas lorsque je suis réveillée ? le taquiné-je.
— Bien sûr que si, soupire-t-il, désorienté.
Il n'a pas l'air d'avoir la tête à rigoler... Caressant doucement son dos, je pose mon menton sur son épaule. Sa légère barbe frotte ma joue.
— Veux-tu déjeuner ? proposé-je.
Il acquiesce. Mes pieds m'amènent jusqu'à la cuisine, sans vérifier qu'il me suive. Décidant de le laisser émerger de son sommeil léger, je plonge les tasses d'hier dans mon évier.
En sentant des mains se poser sur ma taille, je lâche un hoquet de surprise.
— Il faut croire que nous nous effrayons l'un l'autre, murmure-t-il dans mon oreille.
Son souffle chaud sur moi me rend toute chose. Dos à lui, il ne me voit pas sourire.
— Tu restes avec moi aujourd'hui ? s'informe-t-il d'une voix rauque, celle du matin.
Mon grand rictus lui sert de réponse. Pour la première fois depuis qu'il a passé le pas de ma porte, il me sourit à son tour. Un petit rictus, mais je m'en contente.
— Pour une fois, nous pourrions rester sur la terre ferme. Je te montrerai les endroits que je t'ai décrits.
— Cela me semble être une bonne idée.
* * *
— Où m'emmènes-tu Rosie ? s'interroge Ayden tandis que je le guide parmi les ruelles.
— Nulle part, nous n'avons plus le droit de nous promener ?
— Évidemment...
— Alors, profite du paysage !
Ma main calée dans la sienne, nous nous baladons sans but précis depuis près d'une heure.
Un groupe de lycéens est installé autour d'un banc. Ils discutent et rient, se charriant les uns les autres. Certaines filles semblent très amies, d'autres étudiants paraissent clairement en couple. Ils ont l'air si insouciants. S'ils savaient ce qui peut leur tomber dessus à tout moment...
J'étais comme eux, avant, je ne me souciais pas vraiment du lendemain. Puis ma mère est tombée malade. J'avais espoir qu'elle guérisse. Puis tout s'est effondré. Ma jeunesse. Ma liberté. Ma tranquillité. Ma joie. Ma vie.
J'ai envie d'aller vers eux et de les prévenir qu'il faut profiter de chaque instant parce que l'existence ne tient qu'à un fil. Qui nous dit qu'en traversant la rue un chauffard ne va pas tuer l'un d'eux ? Ou bien qu'un accident uniquement dû au hasard, tel qu'un déménagement ne va pas les séparer ? Ou même qu'un membre du groupe a trahi la confiance des autres ?
Tellement d'incertitudes...
— À quoi penses-tu ? Tes poings sont serrés, remarque mon petit ami.
— Oh, désolée, dis-je en desserrant mon emprise sur sa paume.
Les sourcils froncés, il arrête sa marche, se concentrant sur moi.
— Qu'y a-t-il ?
— Simplement, en voyant ce groupe de jeunes, je me suis revue à leur âge. Ils ne sont pas conscients de ce qui peut leur tomber dessus sans prévenir.
— Si tu vas par là, nous non plus nous ne savons pas ce qu'il va se passer demain. Tu te rends compte, ce serait vraiment rébarbatif. Aucune surprise, bonne ou mauvaise.
— Tu as raison, souris-je. Je n'aurais pas pu deviner que tu allais entrer dans mon quotidien.
Déposant un baiser sur mon front, il me souffle être content de m'avoir rencontrée. Le clan se met à siffler et, malgré moi, je ressens un brin de fierté. L'attrapant par la nuque, je l'embrasse, devinant un sourire contre mes lèvres. Les sifflements redoublent et lorsque nous nous écartons, je décèle un éclat de malice dans les pupilles de mon copain.
Oui, je peux encore me sentir libre. Et ça fait du bien.
Bras dessus, bras dessous, j'entraîne mon compagnon un peu plus loin, dans une ruelle que j'apprécie particulièrement. En pente, les façades des maisons sont colorées : vertes, jaunes, oranges, rouges... L'été, les balcons regorgent de fleurs. Tout au bout, on distingue un bout de bleu : la mer. Quelques boutiques et restaurants habitent la rue.
— Alors ?
— Plutôt joli.
— Juste joli ? m'indigné-je.
— Je te rappelle que ma cuisine est « mangeable », rétorque-t-il.
J'éclate de rire, lui arrachant un sourire. Je l'avais vexé ce jour-là, si bien qu'il m'avait invitée à dîner.
— Tu vas m'en vouloir encore longtemps ?
— Pas du tout, assure-t-il avec fierté.
Une moue dubitative étire mes lèvres. Sans réfléchir, je me détache de lui et me mets à dévaler les pavés. Au loin, je l'entends m'appeler, mais je ne m'arrête pas. Je cours à en perdre haleine, sans regarder derrière moi. Je crois que j'avais seulement besoin de m'extérioriser.
Finalement, je m'arrête au bout de la rue et m'adosse sur le mur, histoire de reprendre mon souffle. Au bout de quelques minutes, Ayden me rejoint.
— Je peux savoir ce qu'il t'a pris ? s'exclame-t-il, essoufflé.
— Je voulais voir si un homme plus vieux que moi avait la même endurance, dis-je en haussant les épaules, l'air de rien.
— Un homme plus vieux que toi ? répète-t-il, outré.
Je lie mes mains derrière sa nuque et les siennes derrière mon dos. Son visage traduit encore l'étonnement.
— Et j'en suis arrivée à la conclusion qu'il risque d'y avoir du travail.
— Rattrape-moi si tu peux, me défie-t-il soudainement.
Sans prévenir, il fonce, m'abandonnant sur place. Je ne me laisse pas de période de réflexion et le suis. Je sais que je n'aurais jamais le temps de le dépasser. Lorsque j'arrive à son niveau, il me lance :
— Alors ? Ai-je besoin d'un déambulateur ?
— Non, tu devrais t'en sortir, ris-je, simplement heureuse.
Je crois avoir réussi ma mission : lui changer les idées. Effectivement, il paraît plus détendu qu'au réveil. Le voile recouvrant ses iris a disparu. Ses fossettes aux coins de ses yeux montrent sa bonne humeur.
Plus calmement, nous finissons par rentrer chez lui. Je m'effondre sur le canapé, où il me rejoint rapidement.
— Quand dois-tu repartir ? m'informé-je.
— Lundi soir, je reviens le week-end prochain.
Je fais la moue, mais je comprends qu'il n'a pas le choix. Dehors, la nuit tombe, laissant les étoiles éclairer le monde.
Dans un geste qui se veut tendre, il passe sa main dans mes cheveux, son regard se faisant insistant. Je penche ma tête, pour approfondir le contact. Mes doigts se baladent nonchalamment sur son bras.
— Je ne t'ai même pas demandé comment s'était passée ta semaine, remarqué-je, brisant le silence.
— Dans l'ensemble, les chantiers ont bien avancé. Je pense avoir terminé la semaine prochaine. Du coup, je pourrai rester ici jusqu'à ce que je termine les nouveaux plans. Je dois rencontrer les prochains clients dans les jours qui viennent.
— Pour quels projets ?
— Je n'en sais encore rien.
J'adore en apprendre toujours davantage sur lui. Sa voix me calme et son quotidien me passionne. Alors, tant que je peux, je cherche à en connaître plus :
— Quels sont les plans que tu préfères ?
— La meilleure question serait : quel croquis rêverais-tu de réaliser ? Je te répondrai celui de ma maison.
— Tu ne comptes pas vivre définitivement sur un bateau ? le questionné-je, étonnée.
— Si la personne qui partage ma vie l'accepte, évidemment. De toute manière, celui-ci s'avère trop petit pour deux. Je n'y ai jamais réfléchi sérieusement. Une chose est certaine : je compte le rénover entièrement à mon goût, quitte à racheter une épave. J'adore me plonger dans ce genre de projet.
Et moi, j'adore voir tes prunelles briller ainsi.
— Tu l'as fait pour celui-ci ? Je veux dire, tout revoir.
— Oui, il y a quelques années. Depuis, mes goûts ont évolué et la décoration ne me convient plus vraiment...
— Tu es architecte ou décorateur d'intérieur ? souris-je.
— Un peu des deux, avoue-t-il. Ma... mère m'a aidé à choisir les couleurs et les meubles.
Il a hésité avant d'énoncer ce mot. Je l'ai senti se tendre cependant, il semble s'être rapidement repris. Par conséquent, je fais mine de rien et l'écoute me raconter toutes les visites de bateaux qu'il a pu effectuer avant de se décider pour celui-ci. Il l'a trouvé en mauvais état et il a dû concevoir tout l'intérieur.
Je dépose un baiser sur son nez en souriant. Mon regard se perd sur la fenêtre, remarquant qu'il n'y a personne le long du port. De l'autre côté, l'immensité noire semble ne jamais se terminer.
— Tu veux sortir ? s'informe-t-il.
— Non.
Je pose mes yeux marron sur lui. Lentement, il embrasse chacune de mes phalanges avant de poser ma main sur sa joue.
— Tu restes ici ce soir ? s'enquiert-il, vibrant d'envie.
En réalité, je ne me voyais pas rentrer chez moi cette nuit. Je veux profiter de ses bras avant qu'il n'ait à repartir. Sept jours peuvent s'avérer terriblement longs. Ayden m'a manqué. J'ai besoin de le sentir contre moi.
Mon doigt trace les contours de sa mâchoire, de son nez, de sa bouche. Son regard s'intensifie tandis que ma soif de l'embrasser augmente. Jusqu'à ce que je n'y tienne plus. Prenant possession de ses lèvres, il n'attend pas avant de me rendre mon baiser. Sa langue entre en contact avec la mienne et mon corps subit un électrochoc. Je ne ressens plus rien si ce ne sont ses mains sur mon corps. Elles se sont frayé un chemin sous mon T-shirt et laissent un chemin ardent sur ma peau brûlante.
Sans briser notre précieux contact, il nous emmène dans sa chambre, m'allongeant sur son lit.
— Es-tu sûre de vouloir faire ça ce soir ? me demande-t-il soudainement, haletant.
Je m'empresse d'acquiescer et, manifestement, mon approbation est tout ce qui lui manquait. Nous reprenons notre baiser de manière plus douce. Son pull se retrouve au sol et mes paumes peuvent parcourir ce corps si parfait à mes yeux. Je sens ses muscles rouler sous mes doigts, et son cœur qui bat aussi fort que le mien.
Ses lèvres s'écartent des miennes, il ouvre brusquement les yeux. Leur couleur se rapproche de celle d'une mer en pleine tempête. Ils sont remplis de désir, d'inquiétude et d'impatience. Prenant son visage dans mes mains, je lui offre un sourire. Il se cache dans ma paume, y déposant un baiser.
Mon corps est en ébullition et je ne veux qu'une chose, lui.
Quand il part à la conquête de ma peau, toutes mes barrières s'effondrent, pour lui.
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