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J'observe le plafond depuis une bonne vingtaine de minutes, en me demandant si j'ai effectué le bon choix. Ayden n'a pas l'air méchant, simplement énigmatique. Je crois que ça m'effraie. À quoi dois-je m'attendre ? Ou plutôt, à qui ? Il faudrait que j'arrête de me poser autant de questions et que je voie ce que mon destin m'a prévu...

Rapidement vêtue de mes habits de la veille, j'ouvre doucement la porte, ne voulant pas le réveiller.

Mon hôte est allongé sur le canapé, les pieds dépassant largement. Une simple couverture le recouvre. Son torse monte et descend lentement, au rythme de sa respiration. Et dire que j'ai profité du lit alors qu'il a dû se briser le dos...

À pas de loup, je m'avance dans sa direction. Accroupie à ses côtés, je le regarde dormir, cherchant des réponses à mes interrogations. Je comprends parfaitement pour quelles raisons j'ai craqué hier soir. Il est beau, à sa manière. Ses cheveux emmêlés parcourent son front. Ses traits paraissent plus détendus. Un début de barbe a élu domicile sur ses jours.

— On pourrait te prendre pour une psychopathe.

Prise sur le fait, je sursaute, lâchant un cri. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit réveillé et encore moins à ce qu'il parle. Un sourire amusé aux lèvres, son regard arctique se pose sur moi.

— Euh, désolée, bredouillé-je.

Il s'assied et passe ses mains sur son visage à de nombreuses reprises. Quant à moi, je me relève rapidement et lisse mon jean.

— Je suis désolée, mais je dois rentrer avant d'aller travailler.

— Bien sûr. Je passerai cette après-midi.

— Si tu veux, murmuré-je, ne sachant comment agir.

La veille, il m'a tellement prise de court que j'en perds totalement mes moyens.

— Ne deviens pas timide, tu n'as rien à craindre. Toutes mes petites cuillères sont rangées, assure-t-il, désignant sa cuisine.

— Arrête de te moquer de moi ! m'esclaffé-je.

— C'était tellement tentant, rit-il.

À contrecœur, je lui annonce devoir le quitter. Il dépose un doux baiser matinal sur mes lèvres puis me laisse aller.

— À tout à l'heure.

* * *

En ce milieu de journée, la terrasse s'avère pleine. Malgré les températures, le soleil attire du monde. Je n'arrête pas une minute seulement, je garde Ayden à l'esprit, ne quittant pas l'entrée du regard. Comment va-t-il se comporter en entrant ? Devons-nous nous conduire comme un couple ?

Tandis que je prépare un plateau, la petite cloche sonne et le voilà. Vêtu d'un pull rayé et d'un jean brut, les mains dans les poches, il s'avance d'une démarche assurée vers le comptoir.

Mon rythme cardiaque s'accélère. Dans le fond, il a aussi eu le temps de réfléchir. Peut-être regrette-t-il maintenant ? Ayant encore plusieurs cafés à préparer, je le salue dans un murmure.

— Je ne vais pas pouvoir t'accaparer toute l'après-midi, râle-t-il, jouant avec un paquet de sucre posé là.

Je lui offre un sourire contrit. Au moment où je passe à côté de lui, ses doigts frôlent ma taille. Le soulagement s'empare de moi : il n'a pas changé d'avis. Pendant que je m'occupe de mon service, un sourire étire progressivement mes traits. Un de celui qui vient des tripes. En sautillant presque, je rejoins Ayden. Dans ce cas précis, j'affectionne sa pudeur et sa discrétion. Ce genre de nouvelle fait vite le tour d'un village. Je n'en ai pas spécialement envie, il s'agit de ma vie privée.

— Un chocolat chaud ? D'habitude, tu prends toujours un expresso. Avec ou sans sucre ? m'enquiers-je.

Sans un mot, il ouvre le sachet devant lui, le versant dans sa tasse.

— Tu comptes mettre toute la ville au courant ? s'informe-t-il, visiblement inquiet.

Remuant son breuvage, ses prunelles me sondent intensément.

— Je comptais justement te poser la question, j'aimerais autant éviter d'ébruiter tout ça, chuchoté-je sur le ton de la confidence.

— Tant que je ne fais pas partie des nouveaux ragots, ça me convient, confie-t-il en me regardant droit dans les yeux.

J'acquiesce vivement, approuvant totalement. De cette manière, nous convenons qu'il continuera à venir au Passe-Temps, mais que nous cacherons ce début de relation autant que possible.

* * *

Fidèle au poste, je fais couler les premiers cafés dès sept heures. Ayden et moi entretenons une relation depuis quelques jours. Cette seule idée me met de bonne humeur. Tout se passe bien, pour l'instant. Un petit sourire aux lèvres, je termine de ranger la vaisselle propre.

— Tu ne me cacherais pas quelque chose ? me questionne Chris.

— Non...

Je sens mes joues rosir, mais je donne le change. Déjà que je ne suis sûre de rien, je ne vais pas en plus lui parler du lien qui m'unit au Glacier. Surtout qu'en connaissant Chris, tout le village sera au courant dans la journée. Définitivement une mauvaise idée.

— Tu mens, affirme-t-il.

— J'ai encore le droit d'avoir mes petits secrets ?

— Tu oserais me mentir à moi ? s'offusque-t-il.

— Je ne ressens aucun remords en plus, m'esclaffé-je.

Il feint d'être vexé, comme à chaque fois qu'il veut obtenir une information. J'ai beau être contente de ce début de liaison, tous ces doutes noircissent un peu le tableau, m'empêchant d'être complètement épanouie.

— Si tu boudes, je vais devoir aller discuter avec d'autres clients, le menacé-je.

— Non !

Parfois, je me surprends à envier sa femme. Non pas que je veuille être avec lui, loin de là. Il est trop vieux. Mais, pour son caractère enfantin, joyeux, pétillant. Il est plein de vie. Plus que tout, il paraît amoureux de sa femme et de ses enfants. Une preuve ?

— Alors, comment se porte ta famille ?

Ses yeux s'éclairent et il sort son téléphone afin de me montrer ses derniers clichés en compagnie de sa moitié et de ses deux fils. Mon ami rit doucement en m'expliquant une bêtise de son aîné. Il respire le bonheur et l'épanouissement. Il est prêt à tout pour eux et je l'admire pour cela.

Avoir un mari aimant tel que lui, des enfants, une famille entière et soudée, voilà ce à quoi j'aspire.

— D'ailleurs, si je veux pouvoir passer une bonne soirée, il vaut mieux que j'y aille. Autrement, je serai en retard au travail puis je me ferai passer un savon par ma femme. Si jamais, je dirai que tu es fautive.

— Hey, mais je n'ai rien fait ! m'insurgé-je.

— Si, tu refuses de m'avouer la raison de ton sourire. Ça me perturbe.

— Je n'ai aucun compte à te rendre, me défends-je.

— Je te taquine juste, tu as le droit d'avoir ton jardin secret.

Il m'offre un clin d'œil et quitte le café. La majorité des personnes suivent son chemin.

Le seul client que j'ai hâte de voir aujourd'hui viendra vers quinze heures, comme tous les jours.

Si Chris a remarqué un changement de comportement chez moi, qu'en sera-t-il de Jacques ? Que pensera-t-il de cette situation ?

Et si tout Collioure est au courant, qu'imagineront-ils ? Armand et moi nous sommes séparés il y a peu. Néanmoins, les habitants sont-ils réellement concernés par tout cela ?

* * *

Le téléphone coincé entre mon oreille et mon épaule, je note ce que me dicte Ambre. Elle tient à ce que le repas d'anniversaire de son grand-père se déroule au mieux. Elle a réservé un traiteur, nous nous chargerons du service. Pour ma part, je m'occupe de la décoration. J'ai déjà une idée en tête et elle semble conquise.

— Je commande un peu plus chez le traiteur, notre famille ne lésine pas sur la bonne nourriture.

— Je te rappelle que je travaille avec ton grand-père, je suis au courant.

— Tu es vraiment quelqu'un de très drôle Rosie, remarque-t-elle.

— Merci, ris-je.

— Blague à part, il faut que tout soit prêt pour le week-end prochain.

— Ne t'inquiète pas, je vais aller acheter ce qu'il me faut juste après le travail.

Je la rassure une dernière fois puis nous raccrochons. Je griffonne quelques mots supplémentaires sur mon bout de papier, de manière à être certaine de ne rien oublier.

— Que fais-tu ?

Je tressaille et relève rapidement la tête.

— Tu m'as fait peur, Ayden.

— Désolé, ce n'était pas voulu.

Tranquillement, il s'appuie sur le comptoir. Avec douceur, son pouce caresse mes phalanges, le temps de quelques secondes. À l'instant où il s'éloigne, je m'empare de sa main, la serrant brièvement. De simples signes de tendresse, à l'abri des regards.

— Il s'agit d'une liste pour la fête d'anniversaire de Jacques.

— Tu as besoin d'aide ?

— C'est gentil, mais j'ai terminé.

Il tourne la tête vers la salle où trois tables sont prises. J'ai veillé à ce que la sienne reste libre, sauf que je ne lui dirai pas.

— Tu m'en veux si je te dis que j'ai déjà mangé ? me demande-t-il, confus.

— As-tu pensé au chiffre du café ? Sans le repas que tu prends tous les jours et que je te fais payer trois fois rien, nous sommes ruinés, ironisé-je.

— Je prendrai seulement un cappuccino, je l'aurai sur la conscience.

Il hausse les épaules et se dirige tranquillement jusqu'à sa place. Je finis par le rejoindre avec sa commande. D'habitude, il s'installe au comptoir et il rejoint la salle plus tard...

— Tu ne t'assieds pas avec moi ? s'étonne-t-il lorsque je m'apprête à repartir.

— Je pensais que tu voulais être seul, bafouillé-je.

— Rosie, je ne vois pas trop pourquoi je viendrais ici pour boire un café alors que j'ai une cafetière chez moi, remarque-t-il, haussant un sourcil.

Je jette un coup d'œil aux personnes qui nous entourent : uniquement des touristes, aucun risque. Finalement, je me décide à m'installer face à lui.

— Pourquoi te rendre ici tous les jours alors ? le questionné-je, curieuse.

Encore une fois, il se renferme et évite ma question en regardant la falaise. Le mystère peut être intrigant dans un livre ou un film. Le suspens à son comble et la chute inattendue peuvent donner tout son charme à une histoire. Seulement, dans ma situation présente, le fait qu'Ayden me cache des choses me perturbe et me met mal à l'aise plus que de raison.

J'ai conscience qu'aujourd'hui il se rend ici pour me voir. Mais, avant ?

— Pour quelle raison refuses-tu de me répondre ? insisté-je.

Il reste murer dans son silence, m'arrachant un soupir.

— Tu souhaites que je te donne ma confiance, que je te laisse une chance. J'accepte. Néanmoins, tu évites toutes mes questions...

Il pose son regard bleu et si habituellement froid sur moi. S'adoucira-t-il un jour ?

— Je t'expliquerai, plus tard, conclut-il.

— Qu'appelles-tu « plus tard » ?

— Pas maintenant.

Ne peut-il pas se montrer plus clair ? Cela signifie trois jours, deux mois, dix ans ?

— Tu veux bien que je t'accompagne pour tes achats ? me propose-t-il en changeant radicalement de conversation, comme de coutume.

— Pourquoi pas, réponds-je d'un air frustré.

Il prend ma main dans la sienne et la serre comme pour m'empêcher de le rejeter. Il s'approche de moi, si bien que je sens son souffle sur mon visage. Renfrognée, je grimace.

— Tu as l'impression que je te cache des choses et tu as raison. Sois patiente et tu comprendras, je te le promets, assure-t-il, son pouce frôlant ma joue.

— D'accord, murmuré-je. Mais ne m'en demande pas trop.

— Je peux te parler de moi, que veux-tu savoir ?

Surprise par sa proposition, mes yeux s'écarquillent. Attendant cela depuis longtemps, je ne peux que sauter sur l'occasion. Je réfléchis quelques instants avant d'opter pour cela :

— Parle-moi de ta famille.

— Il n'y a pas grand-chose à dire. J'ai une petite sœur, Louise. Nous nous entendons plus ou moins bien.

— Ils vivent à Perpignan ?

Ayden acquiesce, sans rien ajouter. Très bien, il accepte de se dévoiler, mais il ne faut pas aller trop loin non plus. C'est déjà ça, voilà ce que je me dis.

— Pourquoi venir à Collioure alors ? continué-je, à l'affût de la moindre information.

— Cela appartient aux choses que tu apprendras plus tard, annonce-t-il prudemment.

Je lâche un petit soupir. Cependant, c'est la première fois qu'il accepte de se confier un minimum et je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin.

— D'accord. Alors, comment te débrouilles-tu pour exercer ton métier d'architecte d'ici ?

— Je travaille sur deux projets en même temps. Durant ces dernières semaines, je suis fréquemment retourné à Perpignan pour les présenter à mes clients. Je dois modifier certains éléments. Par la suite, je devrai être présent sur le chantier. Plus clairement, pour réaliser un plan, je n'ai pas besoin de me trouver sur place. Lors de la construction, je me dois d'y être.

— Et quand dois-tu partir ? m'inquiété-je subitement.

Sans m'en rendre compte, mon emprise sur sa paume s'est resserrée. Il passe son pouce sur ma peau dans l'espoir de me calmer. Il ne m'avait jamais parlé de ces absences...

— Dans une semaine, déclare-t-il, les sourcils froncés.

Un client nous interrompt, souhaitant payer. Je m'excuse auprès d'Ayden et m'occupe de lui.

Qu'il s'en aille m'angoisse beaucoup. Pour la simple et unique raison que j'ai peur qu'il ne revienne pas. Ma main tremble légèrement et, malencontreusement, la monnaie que me tend l'homme tombe au sol. Je m'empresse de la ramasser afin de pouvoir lui rendre ce que je lui dois.

Je ne veux pas découvrir que j'ai encore donné confiance à quelqu'un, à tort. Je manque cruellement d'assurance envers les autres. Et, en moi. Il s'agit d'un gros défaut, mais je ne parviens pas à m'en défaire. C'est plus fort que moi.

En quelques grands pas, Ayden se retrouve à mes côtés.

— Qu'est-ce qui t'inquiète ? s'alarme-t-il.

— Rien, réponds-je en secouant la tête.

— Je ne te crois pas.

Il s'appuie sur le comptoir de manière à passer au-dessus et à me rejoindre. Malgré moi, je recule d'un pas. La panique monte en moi, violemment. Si bien que mes yeux me piquent.

— Il faut que je m'occupe de mes clients, prétexté-je.

— Je vais attendre ici dans ce cas.

Il se laisse glisser par terre et attend. Je n'ai pas envie de le faire fuir. À cet instant, je réalise que j'étais déjà attachée à lui avant notre mise en couple. Sa venue quotidienne rythmait mes journées.

Je reste debout jusqu'à ce que ma collègue vienne prendre la relève. Ayden est resté là, sans broncher, à ne rien faire si ce n'est patienter. De mon côté, je commence à en avoir sérieusement marre de ces interrogations en chaîne. Elles m'empêchent de vivre comme je l'entends.

Finalement, lorsque je sors du café, il me suit, non sans avoir déposé ce qu'il doit au café sur le comptoir. Il marche à côté de moi. Timidement, je prends sa main dans la mienne. Sa grande paume emprisonne la mienne sans hésitation. Comment fait-il pour me supporter encore ?

Sans m'en rendre compte, je nous emmène à la falaise.

— Vas-tu répondre à ma question ? s'enquiert-il calmement..

Je m'assieds à même le sol, face à la mer. Ramenant mes genoux contre mon torse, je pose mon menton dessus. Silencieusement, il prend place à mes côtés.

— J'ai peur que tu ne reviennes pas, chuchoté-je douloureusement.

— Rosalie...

— Rosie, le coupé-je.

Seule ma mère utilisait mon prénom complet, celui de sa mamie. Ma grand-mère n'a jamais accepté ma naissance, Maman et elle ont coupé les ponts. J'aurais aimé connaître Rosalie. Elle a été présente aux côtés de Denise. Seulement, elle est décédée lors de mes deux ans. Je ne me souviens pas d'elle, malheureusement.

— Rosie, se reprend Ayden. Je dois juste gérer les chantiers. Je ne te promets pas de pouvoir rentrer tous les soirs, mais j'essayerai de temps en temps. Je serai là le week-end, c'est certain, me rassure-t-il.

Je ne réponds rien. Il semble démuni face à mon silence. Son bras entoure mes épaules et il me pousse doucement contre lui, cherchant à me réconforter autrement.

— Que puis-je faire pour te convaincre ? me questionne-t-il, manifestement à court d'idées.

— Promets-moi que tu seras là pour l'anniversaire de Jacques.

— Je te le jure, susurre-t-il contre mes cheveux.

— D'accord, murmuré-je en tripotant l'ourlet de mon T-shirt.

Il dépose un baiser sur ma tempe. Sincèrement, j'ai envie d'y croire dur comme fer. Cette aventure se révèle plus périlleuse que prévu. De quelle façon vais-je gérer son absence ? Sa présence quotidienne m'aidait. J'étais certaine qu'il ne pouvait pas disparaître durant ces moments-là. Aurais-je pris ces risques en connaissance de cause ? Probablement... Ayden m'attire irrémédiablement. Jusqu'à quel point pourrais-je le supporter ?

Seule la légère brise interrompt le silence.

Est-ce un souffle d'espoir ?

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