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Mes écouteurs vissés sur les oreilles et confortablement installée sur mon lit, je ne pense à rien. Pour une fois. Mes doigts tapotent mon bras au rythme de la musique tandis que je chantonne le refrain, les yeux à demi clos.

Mon après-midi de repos n'aura pas été très productive, je l'admets. Seulement, j'avais besoin d'être seule à ne rien faire. J'ai hâte qu'il fasse un peu plus chaud pour que je puisse me balader les pieds dans l'eau sur la plage, encore vide de touristes.

La chanson s'arrête l'espace d'une seconde, m'annonçant la réception d'un message. Ayden m'a répondu. Plus tôt dans la journée, je lui avais simplement envoyé un message pour m'excuser de m'être montrée distante, mais que je le remerciais pour sa proposition.

Ayden : Demain, aurais-tu cinq minutes à m'accorder ? J'ai quelque chose d'important à te dire.

Intriguée, j'accepte immédiatement. Évidemment, il refuse de me révéler quoi que ce soit par texto. Ma tranquillité s'est envolée, remplacée par un sentiment moins agréable : un mauvais pressentiment.

Agacée, je m'assieds en tailleur et arrête la musique, lâchant un soupir. De toute façon, je ne saurais rien avant demain après-midi alors, ça ne sert à rien de tourner le problème dans tous les sens...

* * *

Trois heures et demie. Compte-t-il me faire poireauter comme une idiote encore longtemps ? Je n'attends que son arrivée depuis ce matin et aucun signe de lui.

La salle se révèle déserte. Il s'agit du moment que j'aime le moins dans la journée. Cependant, Ayden me tenait compagnie les dernières semaines. Aujourd'hui, il n'est pas là. Je pourrais lui envoyer un message, mais, à quoi bon ? Rien ne l'oblige à venir ici. Quelque part, je me sens déçue.

Absorbée par ma tâche, je place méticuleusement la cuillère sur la partie courbée de la fourchette, cherchant l'équilibre.

— Tu y es presque, remarque une voix masculine.

Je sursaute, mes couverts tombant au sol. D'un air amusé, Ayden m'observe intensément. Désemparée, je joue avec mes doigts sans rien dire, n'osant même pas récupérer mes ustensiles. Finalement, il s'en charge à ma place. Un merci soufflé accompagne mon mouvement vers l'évier.

— Je pensais que nous avions passé l'étape du j'évite-de-te-parler-parce-que-je-ne-te-connais-pas.

Il s'appuie sur le comptoir pour rencontrer mon regard fuyant.

— Que voulais-tu me dire ? demandé-je à brûle-pourpoint, n'en pouvant plus.

Depuis que j'ai lu ce message, je n'aspire qu'à une chose : savoir. Surpris par ma franchise, mon ami se renferme brusquement. Mutique durant de longues minutes, il semble mener un véritable débat intérieur.

— Tu vas me détester, murmure-t-il finalement.

— Comment ça ?

— Tu veux bien me servir un café avant ?

J'acquiesce tandis qu'il s'installe sur une chaise, face au comptoir. L'air tiraillé, sa main emmêle ses cheveux bruns. La machine allumée, des effluves caféinés emplissent le petit bistrot. Mon cœur tambourine dans ma poitrine tandis que j'essaye de me rassurer : nous nous connaissons peu, il aurait du mal à réellement me blesser.

— Que se passe-t-il ? m'enquiers-je en lui donnant sa tasse.

Je ne l'ai jamais vu si peu sûr de lui. Ses prunelles bleues polaires semblent recouvertes d'un voile de doute.

— Tu m'en veux si je me suis rendu dans ton refuge ? s'informe-t-il finalement.

— Quoi ?

— Je suis allé à la falaise, m'explique-t-il.

Il ne s'agit pas du sujet qu'il souhaitait aborder. Cela se voit très clairement dans ses faits, ses gestes et sa manière de parler.

— Elle ne m'appartient pas. De quoi voulais-tu réellement discuter, Ayden ?

Son regard papillonne un peu partout, à la recherche d'une issue. Brusquement, mon téléphone sonne. Sauvé par le gong. Il lâche un petit soupir de soulagement. La discussion s'avère brève : Ambre souhaite organiser l'anniversaire surprise de Jacques.

— Où en étions-nous ? reprends-je, rangeant mon smartphone dans mon tablier.

— Nulle part, souffle-t-il.

Durant mon échange téléphonique, j'ai l'impression qu'il vient de prendre une grande décision, à ma décharge. Un léger sourire étire ses lèvres tandis qu'il boit une gorgée de café. Son comportement me le confirme : il n'ira pas au bout de cette conversation. Frustrée, je prends mon mal en patience, ne souhaitant pas le braquer inutilement.

— Tu es seule ? me questionne-t-il, passant du coq-à-l'âne.

— Oui. Et, ne me demande pas de te cuisiner quoi que ce soit.

— Tant pis, je m'en occupe, réplique-t-il en haussant les épaules.

Avec une nonchalance insolente, il soulève la planche qui le sépare de moi puis se dirige tranquillement vers la cuisine. À présent, j'en ai la preuve : il a changé d'avis, je ne saurais pas.

— Mais que fais-tu ? m'effaré-je en le suivant.

— J'ai faim, me répond-il simplement.

— Tu ne peux pas entrer ici !

Avec mes bras aussi fins que des allumettes, je tente de le repousser.

— Dans ce cas, je vais devoir aller manger chez moi.

— Non !

Sentant le rouge me monter aux joues, je recule d'un pas. Ce mot est sorti seul, sans que j'y réfléchisse réellement. Ayden s'avance dans ma direction. Seulement, je demeure murée dans mon silence. Je mords ma lèvre inférieure, appréhendant ce qu'il va me dire.

— Veux-tu que je reste ? s'informe-t-il doucement. Je n'ai rien de prévu aujourd'hui, je peux te tenir compagnie si tu veux, ajoute-t-il.

— D'accord, murmuré-je, admirant le bout de mes chaussures.

Au demeurant, même s'il tait cette information qui avait l'air essentielle, j'apprécie sa présence. Puis, il ne me doit rien dans le fond. Je peux bien faire cette concession.

— Donc, tu acceptes que je me prépare quelque chose à manger ?

Après un instant d'hésitation, je lui donne le feu vert.

Sans m'en rendre compte, j'ai fini par laisser Armand derrière moi. Je m'en suis remise beaucoup plus rapidement que prévu. Je l'avoue, il m'arrive tout de même de penser à lui. Parfois. Seulement, je me sens mieux sans lui dans ma vie. C'est probablement égoïste pourtant, sa trahison me blesse plus que son absence.

D'un autre côté, s'il avait cherché à reprendre contact avec moi, j'aurais eu beaucoup de mal à l'accepter. Quelque part, je lui suis redevable de sa lâcheté. S'il tenait vraiment à notre relation, il m'aurait prévenue avant. À la réflexion, je ne sais pas si notre relation avait un sens. Je ne dis pas que je regrette. Simplement, il ne s'agissait pas la meilleure décision qui soit. Qu'importe, je considère maintenant que tout cela appartient au passé. À nouveau, je suis obligée d'oublier quelqu'un parce qu'il est parti.

J'aimerais bien rejoindre Ayden dans la cuisine, mais je ne peux pas laisser la salle sans surveillance. Quelques clients passent une tête, souhaitant jouir de la vue en se désaltérant.

Au bout de plusieurs dizaines de minutes, mon ami finit par ressortir, une assiette fumante dans les mains. Manifestement fier de lui, il s'installe sur le comptoir, face à moi.

— Tu en veux ? me propose-t-il.

— Non merci. J'ai déjà mangé, je n'ai pas pour habitude de déjeuner à seize heures passées.

— Tant pis pour toi, tu ne sais pas ce que tu rates, me nargue-t-il, plantant sa fourchette parmi les légumes colorés.

— Je l'aurais sur la conscience, par ta faute.

— Oh non, c'est toi qui refuses de goûter mon plat hautement gastronomique, rétorque-t-il.

— Tu m'as avoué ne pas mijoter de meilleurs repas que moi, je te rappelle.

Il me tend sa fourchette, me défiant du regard. Un sourcil haussé, il me provoque. Piquée au vif, j'accepte de goûter.

— Mangeable, conclus-je.

En réalité, c'est succulent. Ça, je le garde pour moi, j'ai ma fierté. Ayden semble légèrement vexé même s'il ne laisse rien transparaître. Comment parvient-il à transformer ces aliments ?

— Dans ce cas, je t'invite à venir manger chez moi demain soir, pour que tu puisses déguster des « choses mangeables ».

— T'aurais-je blessé dans ton orgueil ? me moqué-je, ricanant pendant qu'il marmonne dans sa légère barbe.

— Pas le moins du monde. Je t'attends vers 19h30.

— Ai-je mon mot à dire ?

— Non, murmure-t-il.

Son ton semble sans appel, si bien que je me refroidis immédiatement. Il a l'air de le remarquer puisqu'il me sourit légèrement.

— Tu n'en as pas envie ?

Adouci, ses traits se détendent. Et toujours ces yeux enivrants... Ils m'ensorcellent, effaçant ma raison. Ça me fout la trouille, mais j'adore ça. Mon dernier challenge ? Passer du temps avec lui sans faillir à ma promesse. Cela me semble dangereux, presque grisant. Paradoxalement, il a le don de m'apaiser sans un mot.

— Je viendrai.

Satisfait, il me sourit. Dans quel pétrin suis-je en train de me mettre ?

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