Chapitre 8
Le métro s'arrêta dans un brinquebalement propre à lui-même. Les secousses réveillèrent quelque peu Elian mais celui-ci replongea presque aussitôt dans un demi-sommeil sous les soupirs de Gabriell et Mailla. Ils savaient qu'il ne pourrait pas rentrer chez lui dans cet état et il était hors de question de laisser Mailla rentrer seule à cette heure-ci. Il invita ses deux amis à passer la nuit chez lui. Il était celui qui habitait le plus près du métro et ses parents n'étaient pas présents ce soir-là, ils ne verraient donc pas d'inconvénients à ça.
A deux ils réussirent à porter bras-dessus bras-dessous leur ami jusqu'à l'appartement de Gabriell. Quelques fois, Elian sortit des vapes et grogna de mécontentement en sentant ses amis tituber, ce qui lui provoquait un sérieux mal de mer.
Si cela n'avait tenu qu'à lui, Gabriell l'aurait laissé sur le bord du trottoir et ceci pour plusieurs raisons : la première étant qu'il était peut-être encore un peu remonté contre lui et la deuxième que quelqu'un aurait, peut-être, pitié de lui, l'adopterait et qu'il n'aurait plus l'obligation d'écouter ses banalités.
Après être entré à l'intérieur il laissa ses deux amis à la cuisine et partit installer le matelas sur son lit dépliable pour créer une couchette pour trois et ne pas forcer l'un d'entre eux à dormir par terre. Par un quelconque présentiment, il sentait étrangement que ça aurait été pour sa pomme. Ils placèrent ensuite leur ami sur le côté du mur, pour être certain qu'il ne tombe pas par terre, puis éteignirent la lumière et le laissèrent seul.
Mailla commença à se préparer un café et sous la demande de Gabriell en fit un autre pour lui. Il était minuit passé et la journée avait été plus qu'éprouvante pour eux. Ils avaient plus que jamais besoin d'une bonne dose de caféine pour se remettre d'aplomb.
Normalement il était contre le fait de consommer des stimulants avant d'aller dormir, mais dans tous les cas il avait le présentiment que de toute façon il ne trouverait pas le sommeil, et cela semblait être aussi le cas de Mailla.
Ils se posèrent autour de la table de la cuisine et sirotèrent leur boisson dans le silence, leur discussion dans le métro leur avait suffi et aucun ne se sentait assez bien pour aborder des sujets ordinaires ni assez d'attaque pour reprendre leur conversation sérieuse.
Leur fin de journée avait été rude, et pas seulement pour eux mais pour l'ensemble du groupe. Le moins affecté devait être Ivanh. Un instant Gabriell se prit à envier sa vie. Tout lui semblait facile.
Dans un accord commun ils rangèrent leur vaisselle sale dans le lave-vaisselle et allèrent se coucher. Allongés sur le lit, et malgré le matelas on ne peut plus moelleux, aucun des deux n'arriva à trouver le sommeil, le café n'aidant sûrement pas.
A côté d'eux les ronflements d'Elian sonnaient comme une berceuse à leurs oreilles et les empêchaient d'autant plus de fermer l'œil. Ils tournèrent la tête l'un en direction de l'autre et rirent, complices. Sans raison mais d'une certaine manière c'était ce dont ils avaient besoin.
Mailla se tourna vers son ami et calla sa tête contre son épaule, un soupir s'échappa de ses lèvres, las, et Gabriell sentit de l'humidité tomber sur son épaule. Pour la première fois depuis des années elle pleurait, contre son épaule, dans le noir, et silencieuse. Même dans les moments où ils étaient tous les deux démunis, il était souvent le seul à verser des larmes. Pas cette fois. Cette fois c'était à lui de la laisser pleurer de tout son saoul.
Fixant le plafond, il sentit la respiration de son amie devenir régulière, signe qu'elle s'était endormie. Quant à lui ses yeux restaient irrémédiablement ouverts, s'obstinant dans la contemplation des murs de sa chambre, comme si tout cela était intéressant. De plus quand il ne trouvait pas le sommeil son cerveau se mettait en marche et se ressassait les mauvais moments de la journée.
Il avait espéré ne pas en trouver mais les derniers évènements de la soirée revenaient sans cesse dans sa tête. Ça avait été le pire diner de sa vie, encore plus lorsqu'Elian avait presque crié dans la rue qu'il était gay, il avait cru mourir de honte avec son ivrogne d'ami dans les bras.
Un éclat de reproche naquit dans son cœur, il n'en voulait pas vraiment à son ami mais il ne pouvait pas s'empêcher de vouloir lui mettre un coup de poings sur sa face d'intello, à en décrocher ses lunettes. En fin de compte peut-être lui en voulait-il un peu. Mais pour l'instant, tout ce qu'il arrivait à penser c'était qu'Ivanh était gay. Et tout ce qu'il refoulait était cette sensation au fond de la poitrine qui l'effrayait plus qu'il ne le souhaitait.
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-Je suis super désolé Gab ! Genre vraiment beaucoup.
-T'inquiètes c'est bon.
-Non j'insiste j'aurais pas dû autant boire, j'aurais pas dû dire tout ça et tout. Si tu veux j'irais dire à Iv que je disais n'importe quoi et que tout ça c'est faux et-
-Non ! Tu ne dis plus rien à Ivanh, et arrête avec tes surnoms là.
Depuis vingt minutes qu'il était réveillé Elian ne faisait que de s'excuser auprès de son ami qui supportait de moins en moins ses remords.
-J'ai zéro excuses...
-Tu m'étonnes, dit Mailla.
-Toi la ferme. Vraiment je suis allé trop loin et je ne me le pardonnerais pas.
-Bon Elian, c'est pas grave, t'es tout pardonné.
-Vraiment ?
-Oui.
-Mais si ça arrive encore ?
-T'inquiètes la prochaine fois Mailla et moi on t'en collera deux trois pour te remettre les idées en place. Tu désaouleras vitesse éclair.
Elian fixa son ami derrière la glace de ses lunettes, cherchant une quelconque preuve de ressentiment dans ses yeux. Il n'en trouva aucune. Gabriell termina sa tasse de café avant de se lever, il était déjà 11h30 et il venait à peine de terminer son petit-déjeuner et l'université était à une heure en transport de chez lui.
Elian et Mailla l'accompagnaient pour leurs propres cours, eux avaient été plus intelligent que lui et s'y étaient pris bien plus tôt pour agencer leur emploi du temps ce qui faisait qu'il était bien mieux réparti que le sien. Seulement deux de ses cours s'étalaient sur le lundi et le mardi et sur les trois derniers jours de la semaine il enchainait jusqu'à dix heures de cours.
Il rangea dans son sac son manuscrit pour son atelier d'écriture où il se rendrait directement après son cours de théâtre avec Mailla à dix-huit heures. Il l'avait achevé l'avant-veille, tard dans la nuit et n'en était pas peu fier, tout ce qu'il espérait c'était que cela plaise à son professeur.
Leur sac sur le dos le petit groupe prit le chemin du métro peu bondé en cette fin de matinée, contrairement au petit matin et au soir. Ils se trouvèrent donc facilement une place sur une banquette comme la veille et se mirent à discuter de leur semaine à venir et de leurs rendez-vous quotidiens, aux tables où ils mangeaient le midi avec leurs amis.
Arrivés à l'arrêt où Ivanh arrivait Gabriell s'attendit à le voir débarquer avant de se souvenir qu'il était resté dormir chez Christine. Un brin déçu il s'affala sur son siège en soupirant, aucun de ses deux amis ne sembla s'en rendre compte.
Lui, se questionna sur ce qu'il venait de ressentir, se demandant depuis quand était-il déçu de ne pas voir Ivanh le matin dans le métro. Très vite pourtant il sortit ses pensées de sa tête, ce n'était probablement rien pensait-il, rien qui vaille de se prendre la tête avec en tout cas.
C'est une trentaine de minutes plus tard que le petit groupe arriva à leur arrêt. L'université se trouvait à une quinzaine de minutes à pied et ils ne virent aucun bus à l'horizon capable de raccourcir leur trajet. Comme à chaque fois que cela se produisait, ils se résignèrent à marcher jusqu'à leur bahut dans le froid de novembre.
Le vent claquait contre leurs anoraks. Les feuilles qui se suicidaient face à la dureté de l'automne créaient une tornade ocre et la poussière grise de la rue giflaient leurs visages, et faisait pleurer leurs pupilles fragiles.
Personne ne parlait et Gabriell en profita pour planter ses écouteurs dans ses oreilles et lancer sa playlist « SAEZ ». Presque tout de suite les notes de « Putain vous m'aurez plus » résonnèrent sur ses tympans. Ni Elian ni Mailla ne s'offusquèrent de le voir ainsi rentrer dans son monde, Gabriell doutait même qu'ils ne l'aient remarqué.
Bien vite le portail qu'ils commençaient à connaitre apparut dans leur champ de vision et c'est avec soulagement qu'ils soufflèrent en dépassant le grillage noir. Ils avaient vu large et ils leurs restaient encore une bonne trentaine de minutes avant que leurs cours ne débutent.
La pluie leurs interdisaient de s'asseoir sur leurs bancs habituels à moins de ne risquer d'attraper froid et les trois jeunes se rabattirent sur les préaux comme la quasi-totalité des étudiants présents. L'intérieur était bondé et l'odeur de chien mouillé emplissait la pièce d'une odeur de rance nauséabonde qui piquait le nez de Gabriell.
La pluie, ou même son odeur, ne le dérangeait pas et il serait bien rester dehors s'il n'y avait pas eu ce vent imbattable qui l'aurait sans aucun doute envoyé voltiger trois mètres plus loin et lui aurait valu des moqueries à la chaine. Par sûreté il avait suivi ses amis.
Dans cet amas de carcasses il reconnut des visages, certains le saluèrent, d'autres mimèrent ne pas l'avoir vu. Sans se préoccuper d'avantage d'eux Gabriell et ses deux comparses se frayèrent un chemin entre les corps étrangers jusqu'à réussirent à trouver un endroit au calme au coin de l'interstice du bâtiment où encore personne n'avait eu l'idée de se réfugier.
Chacun à leur tour ils s'affalèrent sur le précédent et Gabriell se retrouva à porter le poids de ses deux amis. Allongés comme ils étaient, ils pouvaient admirer le spectacle que représentaient ses gens qu'ils côtoyaient depuis trois mois déjà et qui croyaient les connaitre.
De rires et d'amusements ils pointèrent du doigts certains en racontant les derniers potins, les disputes, les amitiés, les amourettes de jeunesses, tout ce dont ils avaient entendu parler. Comme trois vipères au venin inoffensif ils ricanèrent devant l'imitation grotesque de Mailla d'une ancienne connaissance à eux du lycée qui était l'exemple type de la garce malicieuse et populaire qu'ils éludaient avec grâce.
La pluie tambourinait avec violence contre les auvents au-dessus de leurs têtes mais n'arrivait pas à se faire entendre dans ce brouhaha incessant. Avec tristesse elle se retira et les nuages daignèrent faire apparaître un rayon de soleil.
D'une même voix tous sortirent comme un troupeau de bœufs exotiques pour essayer de capter quelques rayons UV, juste de quoi réchauffer leurs nerfs frileux. Seul le petit groupe resta amassé au sol, quelques peu hébété par la furie qui avait pris leurs congénères. Gabriell regarda l'heure et se leva, l'amphithéâtre où se déroulait leur cours de théâtre à lui et Mailla était à l'autre bout du campus et il se résignèrent à laisser leur ami seul.
Leurs camarades de répétition étaient attroupés dans l'amphithéâtre et, s'ils en croyaient leurs affaires étalées un peu partout au sol, ils y avaient campé depuis quelques heures déjà dans l'attente de la fin du déluge funeste. Même leur professeur était avachi sur le siège qu'il qualifiait de trône de fortune et jamais personne n'osait le contredire tant ils restaient debout lors de leurs heures de pratiques.
D'une pensée commune ils rêvaient de poser leurs fesses sur la planche rigide en plastique gris impersonnel qui leur paraissait pourtant si confortable. Lunettes accrochées sur le bout du nez M.Berkman lisait avec attention les textes qu'il comptait faire exprimer à ses élèves.
Après avoir posé ses affaires, Gabriell trottina jusqu'à la scène suivit de Mailla qui s'arrêta pour saluer tout le monde comme s'ils se connaissaient depuis toujours. « Quelle faux-cul » rit Gabriell, dans deux heures elle reviendrait vers lui avec de nouveaux ragots et des anecdotes gênantes sur chacun d'eux.
Il n'appréciait pas forcément ce trait de caractère chez elle, et qui le répugnait chez les autres. Mais la connaissant il avait appris à comprendre que ce n'était jamais dans son attention de se moquer réellement des protagonistes de ses histoires mais de rire de la situation en elle-même.
Bien vite elle le rejoignit sur le plateau et lui mima qu'elle lui dirait tout plus tard, il leva les yeux au ciel et entreprit de s'étirer. Il plaça ses écouteurs dans ses oreilles et lança sa playlist « good mood » comme il l'appelait.
Etant dans sa bulle Mailla le laissa tranquille. À son tour elle prit ses écouteurs et ferma les yeux. Lui, les garda ouverts. Sur le dos il observait les projecteurs au-dessus de sa tête en tirant sur ses ischions et ses adducteurs. Tel un hypnotisé il ne quitta pas des yeux ce flot de lumière, allant jusqu'à se brûler la rétine.
Seul le professeur réussit à le sortir de sa rêverie.
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L'air était doux dehors, et empreint d'une odeur d'après-pluie agréable. Rien à voir avec l'odeur de chien mouillé du préau. Les deux heures étaient passées à une vitesse que Gabriell n'avait même pas remarqué.
Le cours d'Elian se finissait dans une trentaine de minutes et Simon devait sûrement déjà les attendre, leurs horaires avaient bien changé depuis septembre et ils avaient désormais à peu près tous les mêmes horaires le mardi, pour le plus grand dam d'Elian qui ne disposait plus de sa sieste de l'après-midi.
Comme attendu Simon était installé sur une table de pique-nique en pierre, devant lui siégeait un gobelet fermé par un couvercle, qui contenait certainement un bon chocolat chaud du Starbucks en face de l'université.
Gabriell avait toujours dit que leur ainé avait des gouts de luxe sans que personne jamais ne le croie. Il pianotait distraitement sur son téléphone mais remarqua tout de même l'arrivée de ses amis et les salua avec un grand sourire. Il semblait aller mieux que la veille, ce qui eut le don de soulager l'esprit du jeune garçon qui n'avait eu cesse de ressasser toute la nuit les expressions confuses et accablées de son ami durant leur diner.
Gabriell nota que Manon n'était pas encore là et se retint de justesse de demander à Simon s'il savait où elle était. Ce réflexe qu'il avait depuis deux ans maintenant n'avait plus lieu d'être, il fallait réapprendre à vivre.
Il savait qu'il était trop investi dans la séparation de ses deux amis pour que cela sonne vraiment comme une simple sollicitude. Il se sentait comme l'enfant au centre de la tempête du divorce, une forme violente et brute qui saccageait quiconque tentait de l'arrêter.
Il fallait réapprendre à vivre, à vivre sans le regard parental du seul couple solide qu'il connaissait. Qu'ils connaissaient. Il eut plus que jamais l'envie de se retrouver entre les bras frêles de Manon et reposer sa tête contre sa poitrine. Une envie d'enfant.
Le rire de Simon dissipa ses inquiétudes. Il s'obligea à se souvenir que plus rien ne serait comme avant. « Positive ! » lui aurait dit sa mère. Mais comment faire lorsqu'à chaque instant le vide au creux de sa poitrine lui rappelait à quel point le bonheur lui était inaccessible ? Car bien qu'il le souhaite, s'arracher le cœur n'était pas la solution à ses problèmes.
Gabriell rentra plus tôt chez lui, il avait commencé à avoir des palpitations, annonciateur d'une bonne fin de soirée songea-t-il. Le métro était une fois de plus bondé sans que cela ne le gêne, il avait d'autres choses à penser que tous ces corps collés par une quelconque attraction superflue.
Il n'était pas vraiment là après tout, son esprit s'évadait souvent loin, si loin que même lui ne savait pas où il se rendait. Dans les méandres d'un rêve illusoire où les cicatrices disparaissaient ? Si cela pouvait faire du bien alors il laisserait son esprit s'y rendre autant de fois qu'il le désirerait.
La lumière n'était pas allumée dans l'appartement, il ne les alluma pas pour autant. Dans tous les cas il serait parti dans une dizaine de minute pour se rendre à son atelier d'écriture alors à quoi bon. Au final il aurait pu s'épargner de se trimballer avec son manuscrit tout l'après-midi.
Il déposa ses affaires de cours et repartit comme s'il n'était jamais venu. Les lampadaires étaient déjà allumés dans la rue et les ombres des lumières projetaient des formes spectrales sur les murs des bâtiments. A l'inverse du métro les rues étaient vides de présences humaines, seuls les pigeons et les moineaux lui tenaient compagnie, même les voitures semblaient avoir disparues. Tant mieux, moins il y avait de bruit mieux il se sentait.
Il arriva à 18 heure, pile à l'heure pour le début de cours. Il ouvrit son ordinateur et ses cahiers de notes et les posa sur la table en bois qu'on lui avait attribué au début d'année. Il se sentait à l'aise dans cet espace, certes exigu, mais où tout le monde partageait la même passion que lui, voir les mêmes projets.
Leur professeur leur fit une brève introduction avant de commencer à ramasser leurs devoirs d'invention tout en leur donnant le sujet de la séance. Avec joie, Gabriell apprit qu'ils allaient travailler sur le prologue. Immédiatement M.Kripke enchaina sur son cours, parlant tour à tour d'incipit, d'intrigues et autres éléments nécessaires à la création d'une bonne histoire.
Gabriell était totalement absorbé par le discours captivant de son professeur. Il ne savait comment mais il réussissait toujours à trouver les bons mots pour expliquer clairement à ses élèves la marche à suivre, à les encourager, à les pousser et à leur faire comprendre comment atteindre l'excellence.
Après une brève introduction de trente minutes il laissa ses élèves exprimer leur créativité dans un prologue au choix. Ils étaient libres de décider de prendre un thème fantastique soit horrifique.
Ayant déjà travailler sur le premier Gabriell se tourna tout naturellement sur le second et commença la rédaction de son prologue. Il aimait cette sensation de commencer une œuvre, si brève soit-elle, d'imaginer l'histoire, l'univers en entier et, surtout, ses personnages.
Depuis tout petit il avait cet art en lui. Dès qu'il avait appris à écrire et à lire il n'avait de cesse surprit ses parents en leur comptant des petites histoires qu'il inventait pendant ses heures hors de l'école. Il était l'une de ces rares personnes à pouvoir se vanter d'avoir toujours su ce qu'elle voulait faire.
Sans jamais flancher il avait écrit et encore écrit, débutant par des nouvelles, puis par des romans bancals, c'était en quelque sorte sa raison de vivre. Il s'était donné à fond dans ses projets et le travail payait. Désormais il était rentré dans une université où il pouvait enfin se permettre de rêvasser sur des projets d'écriture sans que cela ne mette en péril ses études et il se focalisait totalement sur ça. Enfin il se sentait libre.
M.Kripke se déplaçait entre les tables, effleurant les copies, prodiguant des conseils, lisant avec attention. Petit à petit il se rapprochait dangereusement de sa table. Il était assis seul. Comme d'habitude. Travailler près d'autres personnes n'avait jamais été son fort.
Le sourire mièvre de son professeur le crispa quelque peu mais il n'eut pas le temps de réagir avant qu'il ne choppe entre ses mains robustes la mince feuille double où il avait commencé à annoter ses idées. Il les lu brièvement, de long en large et en travers sans laisser un signe d'approbation franchir la barrière de ses yeux.
-Je suis toujours surprit des détails que tu t'entêtes à mettre dans tes écrits.
Aux oreilles de quelqu'un d'autre ce commentaire aurait sonné comme une critique banalisée mais pas Gabriell. C'était même le plus beau compliment qu'on pouvait lui faire.
-Merci Monsieur.
-J'ai eu beaucoup d'élève qui s'intéressait plus au thème abordé et à l'histoire qu'au fait de créer de véritables personnages. Ou alors ils les réutilisent dans chacun de leurs écrits. Néanmoins jeune homme il serait peut-être préférable de ne pas trop se prendre la tête avec des détails, pas pour ce que je vous demande aujourd'hui en tout cas. Prenez votre temps pour ça, pour plus tard.
-Je prends note.
Le professeur s'éloigna après ce bref échange en quête d'une autre copie qui, il l'espérait, serait tout autant intéressante. Il avait prodigué ses conseils, et Gabriell savait qu'il ne reviendrait pas vers lui pour vérifier qu'il les suive, il laissait la liberté à ses élèves de l'écouter ou non. La majorité du temps ils le faisaient, mais Gabriell était doté d'un entêtement digne de celui de sa mère et il n'allait pas abandonner ses projets pour « aller plus vite ». Bâcler ses œuvres n'était pas son genre.
Deux heures plus tard il se retrouva de nouveau chez lui avec pour mission de terminer son travail pour la semaine prochaine. De nouveau les lumières étaient éteintes, ses parents ne rentreraient pas ce soir-là, il en avait désormais la confirmation.
D'une démarche monotone il se rapprocha du réfrigérateur pour lui soutirer quelques plats refroidis à réchauffer au micro-onde. Il n'avait pas véritablement faim, mais il fallait bien qu'il mange alors il fit réchauffer un plat de pâte de la veille et s'installa sur son canapé pour le manger devant une série quelconque qui réussirait à le convaincre de la regarder.
Lorsqu'il se retrouvait seul avec lui-même il lui arrivait fréquemment de ressentir ce vide en lui, plus que d'habitude en tout cas. C'était un horrible sentiment. Dans ces moments-là il avait l'impression de n'être rien. C'est pourquoi il faisait tout pour ne pas que sa solitude ne lui pèse trop, en révisant, jouant ou en regardant une série, seul écrire lui procurait vraiment du plaisir et était la seule activité qu'il ne s'obligeait pas à faire, mais pour l'instant il ne se sentait pas de poursuivre son manuscrit. Ce n'était jamais bon d'écrire lorsqu'on était au plus mal, ravagé par une boule au creux de la poitrine qui ne laissait aucun répit.
Caroline avait tort. Il n'allait pas mieux.
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