Chapitre 31
Les examens passèrent sans que Gabriell ne s'en rende compte. Sa routine s'était mise en place et les jours avaient laissé place aux semaines. Se ressemblant tous. Des révisions à la bibliothèque entre deux épreuves aux sorties au café pour fêter ça avec ses amis. Tout était pareil, sans fausses notes qui viendraient gâcher ce tableau blanc. Chaque épreuve qui s'achevait lui enlevait un poids des épaules pour lui en remettre un nouveau par-dessus. C'était le cas de tout le monde mais il ne voyait personne d'autre s'en inquiéter. Tous semblaient croire qu'ils réussiraient et passeraient en deuxième année. Il se retrouvait seul à douter de lui puisqu'Ivanh était persuadé, lui aussi, que Gabriell y arriverait.
Le stress fut d'autant plus insoutenable qu'ils étaient obligés de patienter un mois avant de connaitre leurs résultats. Le seul bon côté que Gabriell essayait d'y voir et que leur université affichait les résultats avec les mentions « admis » et « non admis » une semaine avant les résultats précis en ligne. Pourtant malgré ce lapse de temps plus court pour connaitre verdict, le temps semblait passer au ralenti plus la date butoir approchait.
Ils étaient à une semaine des affichages et là où ses amis célébraient toujours la fin de la période d'examens, lui broyait du noir. Même pour ses partiels de milieu d'année il n'avait pas été autant à cran. Il essayait de faire comme si de rien n'était mais les autres voyaient bien qu'il n'était pas aussi naturel qu'à l'accoutumée.
Il était lundi et pour bien démarrer la semaine le petit groupe avait décidé de s'organiser un repas au restaurant tous ensemble. Gabriell avait un peu rechigné, prétextant qu'il y aurait du monde à cette heure-ci, et forcé de constater que c'était le cas. Mais il n'était plus possible de faire marche arrière désormais, et à contre-cœur il prit la main d'Ivanh qui le tira à l'intérieur.
A peine les portes passées que le brouhaha caractéristique des restaurants remplit l'atmosphère. Ses tympans crièrent à l'aide alors qu'ils devenaient plus sensibles au son.
Il n'avait fait que deux pas dans la pièce.
Plus il avançait moins il comprenait pourquoi il avait accepté. Il était dans ce que Caroline appelait un « mauvais jour ». Que lui appelait les « jours sans ». Ces jours où il préférait rester rouler en boule sur le canapé ou dans son lit sans bouger pendant plusieurs heures. Avec Ivanh de préférence. Mais non, il ne s'était pas écouté et avait accepté pour faire plaisir à ses amis. Maintenant il regrettait car il ne serait pas de bonnes compagnies pour eux et serait plus un poids qu'autre chose. Ivanh était aussi content qu'il ait accepté alors Gabriell tenta, tant bien que mal, de pousser ses idées noires au fond de lui et d'arborer le sourire le plus sincère qu'il était capable de produire à l'instant T.
Il l'arbora jusqu'à ce qu'il aperçoive ses amis attablés un peu plus loin et qu'il s'accorde une brève pause pendant un instant qu'il croyait qu'Ivanh ne verrait pas. Son masque remit en place il salua ses amis avant de s'asseoir. Les bruits parasites s'atténuèrent grâce aux rires de Mailla et son sourire se fit moins factice.
Seulement ça ne réglait pas tout. Son appétit était toujours au point mort et à ça, à part se faire vomir après, il n'y avait pas de solutions envisageables. Gabriell ne voulait pas gâcher leur joie d'être réunis et ils savaient tous que lorsqu'il ne mangeait pas, quelque chose n'allait pas. Alors il se força une fois de plus et commanda un hamburger avec des frites pour donner le change tout en faisant une prière pour que son appétit revienne entre temps.
Son seul réconfort était que pour l'instant ses efforts portaient leurs fruits. Personne ne semblait se doter de quoi que ce soit. A part Ivanh qui ne cessait de lui tenir la main en dessous de la table. Gabriell faisait de son mieux pour éviter son regard. Un jour il faudrait qu'il lui demande comment il faisait pour se rendre compte de son mal-être systématiquement. Mais tant que seul Ivanh le remarquait alors il ne se faisait pas d'inquiétudes. Son compagnon savait se taire par rapport à ça, et s'il était le seul à voir ses efforts, il serait les derniers à les gâcher. D'eux deux il restait le plus discret. La deuxième qui pourrait se rendre compte de son état d'esprit était Manon. Mais elle aussi restait la seule de ses amis à être discrète. Après elle tous les autres s'inquiéteraient et toute atmosphère chaleureuse disparaitrait.
Une assiette apparue devant lui. Gabriell n'avait pas vu les minutes passées et il espérait que son mutisme n'avait alerté personne. Aucun de ses amis ne semblaient avoir remarquer son absence. Ou bien, par délicatesse, ils faisaient comme si de rien n'était.
Il ramassa son couteau et sa fourchette pour entamer le hamburger qui lui semblait bien plus gras que tous ceux qu'il avait mangé jusqu'à présent. La première bouchée qu'il mit dans sa bouche eut le goût de plomb. Chaque mastication lui donnait envie de vomir. Sa gorge se nouait et les aliments dans son assiette triplaient de volume à mesure qu'il les regardait. Il continua comme ça durant plusieurs minutes. A chaque bouchée il prenait à côté plusieurs gorgées d'eau, jusqu'à devoir remplir trois fois son verre. Il avait désespérément besoin d'une échappatoire qui passerait inaperçue.
-J'ai oublié de me laver les mains. Je vais aux toilettes je reviens.
Sans attendre plus longtemps Gabriell se leva et quitta la table sans un regard en arrière. Tout son corps était pris de frissons et ses jambes contrastaient avec du coton. Des sueurs froides coulaient le long de sa nuque et son envie de vomir grandissait un peu plus à chaque pas qu'il faisait.
Arrivé aux toilettes il entra dans la première toilette il s'accroupit et attendit. Il tremblait sans pouvoir le contrôler. C'était l'une des pires crises auxquelles il avait été confronté. Gabriell s'essuya la bouche avec du papier toilette. Il avait besoin de se débarbouiller mais pour l'instant il n'avait même pas la force de se mettre debout.
-Gabriell ?
Gabriell sursauta en entendant Ivanh toquer contre la porte en l'appelant.
-Ouais ?
-Tout va bien ?
-Attends, je sors.
Gabriell retira le loquet de la fermeture et ouvrit la porte. Il préférait ne pas imaginer la tête qu'il faisait et aima davantage Ivanh dont l'expression resta inchangée. Avoir vomit lui avait fait du bien, il n'avait toujours pas d'appétit mais sa crise d'angoisse avait cessé. Et le fait que son compagnon ait pris l'initiative de venir lui avait assez changé les idées pour qu'il ne pense plus à ce sentiment de fatigue.
-Je me débarbouille et je suis à toi.
Gabriell s'approcha du robinet et fit couler de l'eau. Pendant quelques secondes il fut comme hypnotisé par le filet qui s'en dégageait puis passa sa bouche dessous et se rinça la bouche plusieurs fois de suite. S'asperger aussi le visage détendit les pores de son visage, ses muscles crispés se détendirent. Pendant ce temps Ivanh s'appuya sur le rebord de la ligne de robinets, à côté de lui, attend avec patience que son petit-ami finisse.
Lorsque Gabriell se releva il croisa son regard. Ivanh ouvrit les bras pour l'accueillir et il ne tergiversa pas avant d'accepter son offre. C'était sa bouffée de bonheur de la journée. Il expira fort pour évacuer les dernières tensions. Il avait juste besoin de ses bras pour se sentir mieux. Il avait juste besoin de lui. Pas obligé de s'expliquer. Pas forcé de faire semblant. Pas contraint à quoi que ce soit.
-Je suis désolé, dit Ivanh.
-Tu n'as pas besoin de l'être.
-On peut partir si tu veux.
Gabriell sourit à la mention du « on ». Même après des mois ça sonnait toujours si bien à ses oreilles.
-Non, ils passent un bon moment. Ça ne sert à rien de gâcher leur plaisir.
-Tout va bien ?
-Non. En ce moment ça va pas fort. Trop de stress avec les exams puis les résultats qui mettent du temps à arriver. J'ai juste tellement peur de ne pas réussir et de me retrouver tout seul l'année prochaine. Puis là je viens de faire une crise d'angoisse donc... C'est horrible à dire mais je ne veux pas être là. Moi je veux juste être à la maison.
-Je suis tellement désolé...
Les bras d'Ivanh le serrèrent un peu plus fort contre lui.
-Tu sais, ça allait vraiment mieux. Et puis d'un coup ça m'est retombé dessus, comme pour me rappeler à l'ordre qui ne fallait pas trop que je m'emballe. Et en même temps j'aimerais pouvoir te dire à chaque fois que ça va pas. Car je sais que tu voudrais que je le fasse, que tu serais là pour moi. Et ça me fait du bien quand je t'en parle.
Mais j'ai été seul avec ça tellement longtemps que j'y arrive pas. Et j'ai peur, tellement peur d'en demander trop, d'abuser de ton amour, ta patience, ton temps. De toi tout simplement. J'ai plus l'habitude de montrer que je vais mal. J'ai vécu huit ans en me forçant et t'es le seul à vraiment m'avoir dit que c'était pas grave. Que ça arrive. Que j'en avais le droit. Surtout que j'en avais le droit.
Désolé ça va prendre du temps, pardon en avance car je serais pas facile à vivre. Excuse-moi de t'avoir forcé à rester dans cette galère. Mais merci d'avoir été là ces derniers mois, et je te demanderais pas de me promettre d'être toujours là. Mais, voilà, merci de jamais m'avoir lâché, d'avoir séché des cours avec moi, de continuer d me tenir la main pour me maintenant à flot. De m'avoir écouté quand j'en avait besoin ou, au contraire, de t'être tut quand tout ce dont j'avais besoin c'était de tes bras. Merci d'avoir accepté de m'aimer. Je te promets de faire de mon mieux pour en être à la hauteur.
Ivanh ne répondit pas. Il avait parlé clairement, distinctement, assez pour qu'il l'entende et le comprenne. Son absence de réponse commença à le faire douter. En avait-il trop fait ? Trop dit ? Pas assez pensé ? Gabriell garda son regard baissé, trop gêné de croiser celui de son compagnon. C'est alors qu'il s'apprêtait à s'excuser qu'il sentit quelque chose d'humide tomber sur sa joue.
Soudain en alerte, la honte et la gêne n'avaient plus lieu d'être. La première chose qu'il vit fut les yeux embués d'Ivanh, puis les traces humides qui masquaient sa peau. Il pleurait. Il l'avait fait pleurer. Il pleurait. A cause de lui. Qu'avait-il pu dire pour le blesser à ce point ? Il ne l'avait vu pleurer qu'une fois, il y a des mois. Aussi à cause de lui. Était-il condamné à le rendre triste ?
Gabriell prit son visage en coupe et tenta d'essuyer les larmes qui continuaient de tomber, sans qu'il ne puisse rien y faire, implacablement les larmes salées tombaient. Encore et encore.
-Ne pleure pas ! Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser.
Ivanh secoua la tête et il se sentit respirer.
-Comment peux-tu me rendre triste et effroyablement heureux en même temps ?
-Désolé.
Ivanh prit ses mains dans les siennes et les embrassa, ce qui fit rougir Gabriell, qui ne s'attendait pas à cette réaction. Il se laissa faire quand son compagnon encercla sa taille de ses deux bras. Il se laissa faire quand il se baissa pour poser son front contre le sien. Les larmes continuaient de tomber, moins puisqu'il avait fermé les yeux. Néanmoins il semblait plus apaisé.
-Merci, merci pour tout.
Il n'y avait rien de plus à dire, Gabriell le savait. C'était tout ce dont il avait besoin. Il n'avait pas besoin d'en entendre plus. Ils restèrent comme ça à peine quelques instants avant qu'Ivanh ne se redresse. Leurs amis les attendaient et ils ne pouvaient pas rester longtemps encore ici. Gabriell essuya ses joues et ses yeux, et l'embrassa brièvement.
-T'as trouvé quoi comme excuse pour venir ici ?
-Ils vont bien se foutre de toi.
-Dis toujours...
-J'ai dit que t'étais allé aux toilettes mais que j'avais plus de papier toilette donc comme il y avait du monde tu m'as envoyé un message pour que je vienne t'aider.
-Okay... Je crois que je pourrais vivre avec.
Ivanh souffla contre son visage avec amusement. Il rouvrit les yeux et se détacha de lui pour embrasser son front. Ivanh lui prit la main et ils sortirent ensemble pour aller retrouver leurs amis. L'animation à la table était quasi inchangée, en partie à cause de Mailla et Elian dont Gabriell remarquait les grands gestes, même de loin.
Quand il les vit arriver son sourire se fut plus grand et Gabriell sut immédiatement que dans quelques secondes à peine Elian allait s'esclaffer et se moquer de lui. Le couple s'assit à la table et son ami le fixa les yeux dans les yeux, ses traits tressautaient à mesure que les secondes passaient. Puis Mailla pouffa et là ils perdirent la raison tous les deux. Le premier secoua le bras de la seconde en prenant de grandes respirations saccadées. Gabriell garda un regard neutre lorsque ses deux amis vivaient le plus grand fou rire de leur vie.
-Tu t'en crois toujours capable ? chuchota Ivanh à son oreille.
-La ferme.
Ivanh pouffa doucement avant de tourner son attention vers les deux seules autres personnes calmes de cette table et laisser son petit copain gérer cette situation. Les deux énergumènes continuèrent de se donner en spectacle jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que, face à eux, leur ami continuait de les regarder sans émotions dans les yeux.
-Eh Mailla, tu crois qu'il est énervé ?
-Je sais pas. Dans ses yeux je ne vois aucune âme. Et toi ?
-Non aucune. Tu crois que c'est le bon moment pour lui dire qu'on a piqué dans ses frites ?
A mesure qu'ils échangeaient, les yeux de Gabriell s'étaient rétrécis pour créer que de minces fentes.
-Je crois bien oui.
-Bon attends, je tente un truc. Gabriell, pourquoi ne pas aller dans les urinoirs ? En tout bien tout honneur.
Les yeux se rétrécirent encore.
-Mauvaise tactique. Change ! Change !
-Tes frites sont très bonnes.
-Heureux de le savoir. Sachant que je ne les ai pas encore goûtées.
-Ivanh en a pris aussi.
Le concerné se tourna vers eux avec une moue innocente. Avec des yeux de chiens battus il croisa le regard de Gabriell. Conservant son air contrarié, ce dernier prit la main de son compagnon sous la table et en caressa le revers. Pour garder une certaine contenance devant ses amis, Gabriell le fusilla du regard alors que sous la nappe, sa poigne se faisait plus ferme puis, sans plus de cérémonie piqua dans son assiette et avala quelques frites.
Il n'avait toujours pas faim mais l'envie de vomir avait disparu donc il pouvait se permettre d'avaler quelques trucs sans risquer de tout recracher dans la minute. Ça avait même du goût. Il lâcha la main d'Ivanh pour prendre le sel et en rajouter une bonne quantité dans son assiette. Son petit-ami le regarda faire avec une mine dégoutée.
-Quoi ?
-Okay le sel, mais là c'est plus des frites salées c'est du sel aux frites.
-On dirait Elian, il déteste le sel.
Du coin de l'œil il vit ce dernier taper dans la main d'Ivanh.
Tant bien que mal Gabriell finit son assiette sans paraitre au bord de l'évanouissement. Au vu des regards toujours enjoués de ses amis, ces derniers n'avaient rien remarquer. En sortant du restaurant ils ne rentrèrent pas directement. Le temps était bon en ce milieu de juin et le petit groupe comptait bien en profiter.
Dehors des enfants et leurs parents jouaient ensemble dans le parc d'à côté et Elian décida d'y aller pour prendre des photos. Par un fâcheux hasard il avait emmené son appareil avec lui et il tenait à prendre en photo la grande mare qui se trouvait au milieu de l'aire de jeu. Cet hasard, Gabriell en doutait beaucoup.
Personne dans leur groupe n'ignorait que ce parc était un des spots préférés d'Elian. Depuis que ses parents lui avaient offert son premier appareil photo, dix ans auparavant, il n'avait cessé d'y aller. S'il s'en souvenait bien, ce jour-là, son ami avait débarqué chez lui et avait brandit sa trouvaille devant lui, avec un sourire qu'il affichait peu à l'époque.
Après avoir demandé la permission à ses parents, Gabriell s'était précipité à l'extérieur avec Elian et ils étaient partis à leur parc d'enfance, en quête de quelque chose à photographier. Puis ils étaient passés à côté de cette mare et les reflets du soleil sur l'eau qui ondulaient avaient capturé le regard d'Elian.
Toute sa vie il se souviendrait de ses premiers clichés. Maladroits, trop clairs, pas cadrés. Tout ce dont un enfant était capable. Pourtant, les deux enfants s'étaient émerveillés face à ce qui ressortait de derrière l'objectif. Cette capacité d'emprisonner un moment, un instant fugace avec tant de simplicité ne pouvait qu'être un don de magie. Et dix ans plus tard, après avoir grandi et mûrit, ses yeux brillaient toujours autant, le reflet parfait de ceux d'Elian, quand celui-ci lui montrait ses clichés fraichement capturés. Et dans dix ans ses yeux et son âme d'enfant continueraient à s'émerveiller des beautés que son ami arrivait à emprisonner.
ᾡᾡᾡ
C'était le moment, celui de vérité. Les résultats étaient affichés. Gabriell voyait les grands panneaux qui formaient un cercle parfait quelques mètres devant lui. Des centaines d'étudiants s'agglutinaient pour apercevoir leur nom affiché et leurs mentions. De là où il était, il entendait très distinctement les cris de joies de certains et les pleurs des autres.
Ses organes se tordaient dans son ventre et sa main glissa de celle d'Ivanh, moite. Son corps était divisé entre la volonté d'enfin connaitre son verdict et l'autre de faire demi-tour et laisser planer le doute encore un peu. Pas de réponses, pas de mauvaises réponses. Mais la présence d'Ivanh à ses côtés le poussa à avancer pas après pas. Seul il n'aurait pas pu le faire. Il n'aurait pas eu le courage d'affronter ce potentiel échec. Et bon Dieu qu'il y croyait en cet échec.
-Ca va bien se passer.
A ces mots Gabriell aurait pu prendre un air plus assuré et prendre confiance en lui. Mais il grimaça, peu certain de ce qu'avançait Ivanh. Il essayait de le rassurer mais actuellement c'était peine perdue. Le plus jeune ne se permettait pas d'y croire. C'était une habitude qu'il avait depuis des années. Il avait l'impression que dès qu'il se permettait d'imaginer quelque chose, au final il se retrouvait déçu. Alors la faute suprême qu'il pouvait commettre c'était de s'imaginer réussir.
Arrivés face aux panneaux Ivanh dû le laisser seul. Les résultats étaient affichés par ordre alphabétique et avec les dizaines de centaines d'étudiants, même les lettres B et G étaient éloignées l'une de l'autre. Gabriell ne se faisait aucuns soucis pour son compagnon, persuadé qu'il avait survolé les épreuves comme il savait le faire.
Maintenant qu'il se retrouvait livré à lui-même, il appréhendait pour la première fois le troupeau qui s'était formé devant lui. La distance qui le séparait du tableau d'affichage lui semblait infranchissable. Quand un étudiant laissa sa place, des bousculades éclataient pour départager ceux qui auraient le privilège d'aller voir son nom inscrit sur le panneau.
Gabrielle espérait qu'Ivanh se débrouillait mieux que lui, même si avec son mètre quatre-vingt-cinq il devait facilement réussir à s'imposer. Mais lui faisait presque quinze centimètres de moins et à côté des hommes de son âge il faisait pâle figure.
Tout ce qu'il pouvait faire désormais c'était de jouer des coudes pour passer entre deux étudiants. Sa tâche fut laborieuse et il n'y cru pas quand il atteignit enfin les dizaines de feuilles. Ses yeux traversèrent de long en large le tableau avant d'accrocher son nom. Pendant quelques secondes il resta bloqué, effrayé de décaler son regard un peu plus à droite. Puis il pensa aux dizaines de personnes qui attendaient derrière lui et il le fit.
Le temps s'arrêta. Ses oreilles commencèrent à bourdonner. Ses yeux se remplir de larmes. Dans un état second il recula et quelqu'un le bouscula. Ou alors s'était lui qui le bousculait. Autour de lui il ne remarquait plus la cohue générale. Tout n'était que silence hormis cette insupportable acouphène. Il continua de marcher à reculons malgré les injures des étudiants. Mais il ne pouvait s'empêcher de fixer encore les résultats. Même s'il avait perdu son nom. L'image restait collée à sa rétine.
Il avait réussi.
Il était accepté en licence 2.
Il l'avait fait.
Enfin il se retourna et tomba sur Ivanh qui l'attendait quelques mètres plus loin. Lui aussi souriait, pour une réussite aussi. Gabriell trottina jusqu'à lui, des étoiles dans les yeux. Il n'arrivait pas à se souvenir d'avoir un jour ressentit une excitation semblable. Tous ses doutes s'étaient envolés, enfin.
Arrivé à la hauteur de son petit-ami, il attrapa ses avant-bras et sautilla sur place. On aurait dit que Mailla avait pris possession de lui. Ivanh rigola de sa réaction, les yeux débordants de bonheur.
D'amour.
-J'ai réussi... J'ai réussi !
Ivanh sourit, prit son visage en coupe et l'embrassa sans rien ajouter de plus avant de se détacher d'à peine quelques centimètres.
-Félicitation...
-Et toi ?!
-Je passe aussi.
Gabriell leva les talons pour l'embrasser à son tour.
-Attends, j'ai quelque chose pour toi.
Ivanh fouilla dans ses poches et en ressortit quelque chose d'assez petit pour qu'il puisse le cacher dans sa main.
-Qu'est-ce que c'est ?
Il prit sa main et déposa la boite dans sa paume. Ça avait la forme d'un écrin mais Gabriell savait qu'à l'intérieur ne s'y trouvait pas une bague.
-Comme cadeau de félicitation.
-Et si j'avais raté ?
-Ça ne m'est même pas venu à l'idée.
Gabriell leva les yeux vers Ivanh. Dans son regard se mêlait excitation, joie, mais aussi appréhension. Quoi que puisse contenir cet écrin, cela exigeait une acceptation ou non de sa part. N'arrivant à faire durer le suspense plus longtemps, il ouvrit la boite d'un coup sec. Tout ce qu'il avait pu imaginer ne correspondait pas. A l'intérieur, positionner droite vers le ciel, tenait une simple clé. Un simple objet qui signifiait un peu plus que ça à ses yeux. Ce n'était pas pareil que la clé de secours. Son regard retourna vers celui d'Ivanh, des larmes dans les yeux.
-Vraiment ?
-Vraiment ?
-Même si j'embarque Hadès dans mes bagages ?
-Oui.
-Et que je dors en diagonale.
-ça je le sais déjà.
Gabriell lui sourit. Ivanh en fit de même. Gabriell entoura son cou de ses mains. Ivanh prit son visage entre les siennes. Et avant que leurs lèvres ne se touchent, le plus jeune murmura : « Oui ».
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