Chapitre 28
Le lendemain Elian était redevenu lui-même et on aurait dit que la veille n'avait jamais existé. Pourtant, aux yeux de Gabriell, il dégageait toujours une aura de vulnérabilité, preuve que cet évènement l'avait plus marqué qu'il le prétendait. Il quitta très vite l'appartement d'Ivanh sous le regard inquiet de son ami qui l'avait laissé partir contre son gré.
Dernièrement il avait l'impression de moins le connaitre, il commençait à changer et Gabriell ne le comprenait plus aussi bien qu'avant. Il y a quelques mois il n'aurait même pas pris la peine de rester écouter Clément. Et il avait beau faire comme si rien ne l'atteignait la plupart du temps, son ami ressentait chaque fêlure de son cœur comme s'il les subissait.
Pendant plusieurs jours il s'en voulu de ne pas avoir été plus présent pour ses amis ; et Ivanh avait passé tout son temps à le rassurer. Puis ils avaient repris les cours sans que Gabriell ne trouve de moyen pour parler sérieusement avec Elian. Ce dernier n'avait jamais été quelqu'un qui fuyait face aux conséquences de ses actes, et il n'évitait pas son ami. Pourtant Gabriell voyait une faiblesse dans son regard qu'il ne savait interpréter et qui l'encourageait à ne rien tenter. D'autant que vu le comportement de leurs autres amis, aucun d'entre eux ne remarquait un quelconque changement. Alors il gardait le silence, protégeant la fragile confiance qu'Elian lui avait donnée.
Ce fut dans cet environnement qu'approcha l'anniversaire d'Ivanh. Ce dernier savait son petit-ami peu à l'aise avec ce genre de fête, et lui avait proposé de ne le passer qu'avec lui, mais Gabriell avait refusé. Lors de l'anniversaire de Mailla il avait bien vu son engouement pour ce genre de soirée et l'avait rassuré en lui disant d'organiser ce qu'il voulait. Qu'importe ce qu'il préparerait, il serait là.
Evidemment Mailla avait sauté sur l'occasion pour proposer ses services. Après avoir été obligé de se restreindre pour Gabriell, elle était impatiente d'exprimer sa créativité pour la soirée d'Ivanh. Elle l'avait dont gentiment retiré du projet pour lui garder la surprise et avec gardé Gabriell à porter de main. Ce dernier ne l'avouerait jamais, mais la présence de son amie à ses côtés le rassurait plus qu'il ne pouvait le prétendre.
Avec elle il pouvait avoir confiance en ses choix. Son amie allait tout préparer et lui devait juste trouver les bonnes personnes à inviter, celles avec qui Ivanh voulait passer son anniversaire. Mais à part les gens qui partageaient leurs cours de lettres, comme Alex ou Clément, il ne connaissait pas vraiment les autres personnes proches d'Ivanh. Il y avait bien ce groupe de personnes avec qui il parlait parfois, mais Gabriell ne saurait dire s'ils comptaient vraiment ou pas, ni s'il aurait le courage d'aller les accoster pour les inviter.
D'un autre côté il ne voulait pas demander ça à Ivanh, puis Caroline moi avait expressément demandé de dépasser ses angoisses par de petites actions du quotidien. En attendant d'y parvenir il ne pouvait pas faire grand-chose et il se retrouvait à une semaine de son anniversaire sans avoir réussi à les approcher. Pour se rassurer il se répétait qu'il ne les avait pas croisés jusqu'ici.
Il repensait à tout ça assis sur le lit, son ordinateur sur les genoux et Ivanh qui révisait à côté de lui. Hadès était allongé entre eux, la tête appuyée sur ses genoux. Les grèves de transports avaient fait que leurs cours s'étaient terminés plus tôt que prévu et ils en avaient profité pour rester tous les deux ensembles pour la fin d'après-midi. Depuis plusieurs dizaines de minutes ils s'étaient concentrés sur leurs tâches respectives jusqu'à ce qu'Ivanh roule sur le ventre pour pouvoir mieux le voir.
-Qu'est-ce que tu écris ?
-Mon roman.
-Le fameux.
Gabriell esquissa une moue dubitative.
-Tu savais que j'écrivais ?
-Oui, tu me l'avais dit il y a quelques mois.
-T'es trop mignon, dit-il en souriant et en se penchant pour l'embrasser.
-Ça parle de quoi ?
-C'est une SF tout ce qu'il y a de plus banal.
-Je sais que c'est incroyable.
-Bof, j'ai le syndrome de la page blanche depuis quelques temps, ça m'énerve.
Gabriell soupira un grand coup et se laissa tomber en arrière sur les hanches de son petit-ami. Ses cours d'écriture du soir ne l'aidaient plus autant qu'avant et il était vraiment en panne d'inspiration totale. Il avait l'impression d'avancer au ralenti, voire à reculons. Ivanh se redressa pour prendre Gabriell, dos à lui, dans ses bras.
-Eh, ça arrive.
-Je sais mais...ça fait des semaines que c'est comme ça, je commence à me dire que je ne le finirais jamais.
-Prends une vraie pause, sans toucher à ton clavier, et reviens-y ensuite. Et si tu ne veux pas faire ça, trouve un autre moyen d'écrire. Vu que ton ordi est compliqué à transporter peut-être essaye d'écrire sur manuscrit pour pouvoir l'emporter partout et dès que tu as une idée qui te vient tu peux la noter.
-Merci.
-C'est normal.
-Enfait... j'ai autre chose qui me prend la tête.
-Quoi donc ?
Gabriell gigota entre ses bras, mal à l'aise.
-En fait je voulais te faire une surprise pour ton anniversaire en invitant les amis avec qui tu es parfois. Sauf que je me suis pris la tête, tu commences à connaitre la chanson, et je n'ai pas réussi à aller les voir.
-Ce n'est pas grave. Tu veux que je leur demande ?
-Non ! C'est à moi de le faire. Je veux juste savoir si tu veux qu'ils soient là.
-Oui, invite-les.
-Okay.
Ivanh le serra un peu plus fort contre lui.
-Merci de faire ça pour moi.
-Je fais ça pour nous deux.
-Je sais, mais merci quand même.
C'est donc tout naturellement que le lendemain il aurait dû aller les accoster. Mais il resta assis sur sa chaise, entouré de ses amis. Il aurait vraiment aimé avoir le courage mais face aux scénarios plus catastrophiques les uns que les autres que son cerveau mettait en place il était bien trop effrayé. Si Ivanh avait été à côté de lui, il l'aurait rassuré et encouragé à y aller.
Mais il n'était pas là.
Chris avait eu besoin de lui pour un devoir d'anglais et il avait été obligé de partir en catastrophe par manque de temps.
A côté de lui, Mailla lui parlait de choses qui ne l'intéressait pas. Remarquant le manque d'engouement dont son ami faisait preuve, elle changea de cible et Elian fut tout existé de participer à la discussion. Gabriell était totalement déconcentré mais il n'avait plus l'énergie de s'en inquiéter. A chaque moment de pause il espérait recroiser au moins un de ces amis. Seulement leurs visages se brouillaient dans sa tête et il aurait bien été incapable d'en reconnaitre ne serait-ce qu'un.
Ça aurait pu lui servir d'excuse pour demander à Ivanh de faire cette corvée à sa place, mais il en avait assez de se trouver des excuses. Ce n'était même pas une question d'égo, ça aurait été plus simple si tel avait été le cas. Il ne pouvait juste plus supporter de se faire dicter sa vie par ses angoisses.
Et aujourd'hui était un de ceux-là... Il lui était inconcevable d'embarquer Ivanh là-dedans. Mais la voix dans sa tête, la même que la sienne, lui soufflait de le faire. Or, faire subir à son compagnon ses troubles lui était d'autant plus intolérable que de souffrir seul dans son coin. Il s'en voudrait trop pour ça. Alors il ne lui restait plus qu'à guérir, petit à petit, même s'il savait que ses angoisses ne disparaitraient jamais. Mais il voulait atténuer toutes ces pulsions anxieuses pour qu'elles ne pèsent pas trop sur eux.
Pour autant, Gabriell savait qu'Ivanh ne lui en voulait pas de se laisser engloutir par le vide et l'obscurité qui le rongeaient. Depuis un mois il avait bien entendu subit des crises. Un peu plus fréquemment qu'avant de lui dire, comme si ne plus être obligé de le cacher avait fait tout ressortir plus violemment. Et au lieu de se cacher dans sa chambre en attendant que la douleur passe, on avait été là pour lui.
Pour la première fois peut-être, il n'avait pas été seul ; et jusqu'au bout il ne sut s'il était plus effrayé par le fait d'être seul, ou si justement être en présence de quelqu'un n'augmentait pas ses tensions. Mais quand son cœur s'était calmé, que ses ongles avaient arrêté de malmener sa peau, et que sa respiration s'était affaiblit ; il avait senti les bras d'Ivanh autour de lui. Il avait commencé à percevoir ce qu'il lui chuchotait, et entendait son propre cœur battre contre son oreille. Ses battements s'étaient callés aux siens, sa respiration à la sienne et à travers le brouillard de douleur il l'avait écouté.
Tout ça pour un simple objet qu'il avait perdu et qu'Ivanh cherchait. « C'est pas grave ». Voilà la seule chose qu'il lui avait répétée inlassablement. Lui, avait continué de parler, s'excusant, lui promettant de le retrouver ou de trouver des alternatives.
Tout ça dans sa tête.
Aucun son n'avait franchi le bout de ses lèvres. Ivanh n'avait consolé qu'une carcasse en décomposition dont les seuls tremblements permettaient encore de prouver qu'elle vivait. Dans sa tête à lui les choses étaient nettement plus violentes. Lui dans une mare de sang. Pour compenser. Lui pendu. Pour oublier. Lui un flingue sur la tempe. Pour ne jamais se rappeler des conneries qu'il faisait.
Il allait mieux, c'était ce qu'il lui avait dit. Et la maladie l'avait de nouveau fait mentir. Et il n'allait pas mieux. Et il ne contrôlait toujours rien. Et il détestait ça. Presqu'autant qu'il se détestait lui-même.
-Ça va ?!
Gabriell sursauta en entendant la voix d'Ivanh aussi proche de lui. Son bras était emprisonné dans la poigne de son compagnon, et ce n'est qu'à ce moment-là qu'il remarqua qu'il avait dû le secouer. Plongé dans ses souvenirs, il n'avait même pas remarqué sa présence. En levant les yeux il remarqua dans les siens une lueur inquiète.
-Je réfléchissais.
-T'es sûr ? Ton regard était bizarre. J'ai cru... enfin j'ai pensé que tu étais en train de faire une crise...
Il mâchait ses mots, par précaution. Pourtant autour de lui le monde disparut. On aurait dit des millions d'éclats de verres d'un miroir dont le poing aurait fait voler en éclat le reflet. Il était ce miroir et la phrase d'Ivanh venait de le briser.
Il sentit le sang couler du haut de son corps vers le bas, comme si on lui ouvrait les veines. Les battements de son cœur repartirent en trombe aussi fort et aussi vite qu'ils le pouvaient. Toujours un peu plus vite. Il essaya en vain de discerner quelque chose autour de lui en vain de discerner quelque chose autour de lui mais tout était flou et ses jambes chancelaient de plus en plus. Toujours un peu plus fort.
Il aurait pu se laisser tomber, là, ici et maintenant, au sol et choisir de ne plus jamais se relever. Mais il n'était pas encore mort. Tout ce qu'il pouvait discerner dans ce magma de formes étranges et froides était les yeux d'Ivanh qui parlaient comme ils ne l'avaient jamais fait.
Il aurait pu chuter, ici et maintenant, et choisir de ne jamais ouvrir le parachute. Mais il n'était pas encore mort. Pas tant que cette main tiendrait la sienne et que ses yeux parleraient mieux que sa bouche et lui crieraient : « Je suis là. ».
Qu'importe l'heure qu'il était et les minutes qui restaient avant le début du cours, Gabriell tira la manche d'Ivanh vers les toilettes les plus proches ; et à peine ils y pénétrèrent, il se blottit dans ses bras. Pas de phrases, pas mêmes de mots. Juste deux respirations jumelles qui s'entremêlaient dans le silence d'une douleur que l'un gardait fardeau et l'autre voulait dépôt.
Emprisonnés dans leur monde ils étaient devenus l'univers de l'autre.
Le souffle saccadé de Gabriell ricochait contre le torse d'Ivanh qui le pressait un peu plus contre lui à chaque respiration, pour les étouffer, les atténuer. Dans sa tête, les pensées étaient obscurcies par des réflexes inépuisables qui s'entrechoquaient entre elles et s'écrasaient en lui comme un marteau sur son enclume. Toutes ses certitudes volaient en éclat.
Il pensait être discret quand ses crises survenaient, c'était son seul réconfort. Comment pourrait-il faire si même ça, on le lui enlevait ? Jamais plus il ne pourrait se cacher du regard des autres. Ils le verraient tous comme il était, sans transparence. Un mec bizarre, sans atouts, qui pouvait s'effondrer à chaque instant. Avec tous ces regards qui le fixeraient avec curiosité, appréhension, dégout ?
Sa fragile carapace venait de se briser. Le dévoilant lui et son étrange maladie. Celle qu'on ne prenait jamais au sérieux. Que personne ne considérait vraiment. « C'est juste du stress en fait ? ». « Personne n'aime être dévisagé ». « Tout le monde a déjà eu honte de quelque chose ». « Ressaisi-toi je te parle ».
Tout se mélangeait dans sa tête et il avait mal. Mal à la tête. Mail au ventre. Mal au cœur. Personne ne le prendrait jamais au sérieux. Personne n'essayerait de le comprendre.
Sauf Ivanh.
Ivanh qui avait compris, qui l'avait écouté, parlé, pardonné. Ivanh qui était là, à le tenir dans ses bras alors qu'il aurait bien pu retourner en cours. Ivanh qui le protégeait de ce qui l'entourait. Ivanh qui avait ses propres démons mais qui les laissait de côté. Pour lui. Ivanh qui faisait toujours attention à lui. Ivanh qui lui montrait un peu plus chaque jour son amour.
Et plus le temps passait moins Gabriell avait l'impression de le mériter.
Mais plus il le connaissait moins il pouvait le lâcher.
Jamais.
Ils se l'étaient promis.
-J'ai mal au cœur.
-Tu as envie de vomir ?
Face à l'innocence de son compagnon, Gabriell sourit doucement.
-Non, j'ai mal à la poitrine. Désolé de t'avoir trainé ici comme ça.
-Ne t'excuse pas.
Penser à Ivanh avait calmé son esprit. Il avait trouvé un point d'ancrage à ses angoisses. Enfin. Il distingua le silence autour d'eux. De l'autre côté de la fine cloison, le bruit de pas des étudiants allant et venant était perceptible. Leur cours avait normalement débuté et même s'ils pouvaient y aller malgré leur retard, ni l'un ni l'autre n'avait l'air enclin à le faire. Gabriell voulait juste rester ici et ne plus bouger. Toute l'énergie de son corps s'était dissoute et il ne savait pas s'il serait même capable de rentrer chez lui. Ses crises lui prenaient tout. Toutes ses émotions se volatilisaient et il n'arrivait à ressentir quelque chose. Ivanh ressentit cette attitude et éloigna un peu Gabriell de lui pour mieux le dévisager.
-Tu veux rentrer ?
Gabriell hocha la tête.
-Okay, on y va.
Ivanh lui prit la main et ils sortirent des toilettes pour aller récupérer les sacs qu'ils avaient laissés négligemment contre le mur. Gabriell se laissa promener dans les couloirs puis dans le campus. Ses jambes fonctionnaient encore par un quelconque miracle, qu'il ne prendrait pas la peine d'expliquer. Sans doute trop occupé à faire sembler de ne pas capter les coups d'œil inquiets que lui jetait Ivanh de temps à autre. Il se sentait d'une humeur exécrable et si c'était quelqu'un d'autre il lui aurait déjà craché à la figure tout le bien qu'il pensait de ces regards. Mais c'était Ivanh, donc ça allait.
Poser un pas devant l'autre était difficile, mais il ne sentait plus la fatigue. A vrai dire il ne ressentait plus grand-chose. On aurait dit que tous ses sens s'étaient fait la malle. Désormais tout ce qu'il souhaitait c'était de s'allonger à même le sol et de ne plus bouger. Juste dormir en paix.
Cette impression ne lui était pas étrangère mais malgré sa présence régulière, il n'arrivait pas à s'y faire. C'était le seul aspect de sa maladie qu'il n'arrivait pas à camoufler au point que ça en devenait désagréable. Dans ces jours-là, quand il en avait la possibilité, il restait dans son lit et ne bougeait plus, attendant que ça passe. Il ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre. Tout seul.
Inconsciemment Ivanh l'amena jusque chez lui, comme si, au bout d'un moment, c'était devenu leur chez eux. Gabriell ne dit mot, n'acceptant pas le fait d'être obligé de le contredire. S'il le pouvait il ne partirait jamais d'ici.
Arrivés dans l'appartement, ses muscles se mirent en marche comme un automate. Il enleva ses chaussures, son manteau, se lava les mains et sans autre forme de politesse, se rendit dans la chambre d'Ivanh pour s'y allonger. Il s'en voudrait plus tard de son impolitesse. Il pensera à mal plus tard.
Il se recouvrit de la couette jusqu'au manteau pour se donner l'image d'un cocon rassurant. Mais malgré la chaleur que lui procurait la couette, il continuait d'avoir froid. Un vent glacé lui foudroyait le cœur et il ne savait comment s'en débarrasser. Dos à la porte, il ne sentit la présence d'Ivanh qu'au moment où il leva la couette à son tour pour s'allonger à côté de Gabriell.
Ce dernier se retourna et Ivanh sentit son cœur se serrer face au regard qu'il lui lança. A travers le voile de tristesse qui recouvrait ses yeux, il ne discernait rien, aucune compensation à ce triste sentiment. Aussi futile soit-elle. Jamais il ne l'avait vu exprimer une telle détresse et si cela avait été le cas, il se maudissait de n'avoir rien vu.
Gabriell fixa longuement son compagnon avant de comprendre que s'il était là, c'était pour lui. Etant toujours seul à affronter ces moments, il pensait qu'Ivanh aurait fait la même chose. Beaucoup s'imaginait que dans ces moments-là Gabriell n'avait pas besoin de s'encombrer de la présence d'autres personnes. C'était sans doute mal le connaitre. Et ce n'était que maintenant, alors qu'on lui proposait enfin une aide sur laquelle s'appuyer, qu'il se rendit compte d'à quel point il en avait besoin. Qu'il avait besoin de lui. Il se blottit au creux de ses bras. Contre son torse il n'avait plus froid. Il se sentait bien et en sécurité, comme si Ivanh était capable de parer chaque maux de cette Terre. Mais pour une fois, Gabriell voulut y croire.
-Ça va ? Enfin, je veux dire, qu'est-ce qu'il y a ?
-C'est un jour sans. Ce matin je me suis levé avec l'envie de rien. Avec le stress par rapport à tes amis. Je veux juste rester au lit, donc ne t'en fais pas pour moi.
Il le sentit secouer la tête.
-Non. Je te l'ai dit, je veux t'aider à aller mieux. Alors si tu n'as pas besoin de moi, je te laisse tranquille, mais si au contraire tu en as besoin, alors je resterai.
-Non c'est bon, je t'ai assez dérangé pour aujourd'hui.
-Gabriell, est-ce que tu veux que je reste avec toi ?
Gabriell mit du temps à accepter la réponse qu'il allait donner.
-Oui, oui, reste avec moi. Ne me laisse pas tout seul.
-Tu sais, je ne t'aimerais pas moins même si tu te montres parfois égoïste. Pense un peu à toi.
Gabriell hocha la tête. Appuyée contre le torse d'Ivanh, ses yeux fixaient le T-shirt devant lui sans le voir. Il inspirait et expirait à rythme régulier pour pouvoir se focaliser sur autre chose que la sourde douleur dans sa poitrine. Le silence autour d'eux ne le dérangeait plus, il sentait les doigts d'Ivanh traçant des cercles dans son dos et cela, ça compensait tout le reste.
Pour une fois il aurait aimé que sa crise cesse pour une tout autre raison que d'habitude. Son compagnon avait accepté de rester avec lui, mais il allait se lasser de devoir attendre des heures que Gabriell montre un signe de vie. Pour lui, le temps se déréglait et là où des minutes paraissait des heures, les heures paraissaient des minutes.
Dans ces moments-là, ses journées se confondaient et tout se mélangeait dans sa tête. Il se levait à 14 heure, mangeait à 16 heure et se couchait à 17. Pour lui dormir était synonyme de repos. Pas d'un repos réparateur, mais du seul moyen pour palier à sa douleur. Et il espérait qu'aujourd'hui et demain ne seraient pas des jours comme ça. Il n'aurait pas la force d'aller à l'université et il ne voulait pas avoir à manquer trop de cours. Il en allait de la validation de son semestre.
Dans deux mois commenceraient les examens de fin d'année et en juin ses amis et lui sauraient s'ils étaient acceptés en seconde année. Il n'avait plus le temps de s'inquiéter de sa santé mentale. Il avait besoin de cette admission pour ne pas prendre de retard. Ivanh serait pris, c'était une certitude.
Cette année s'était bien passée pour lui, car il avait pu la partager avec ses amis. Mais s'ils partaient en deuxième année sans lui, il ne saurait comment faire sans personne avec lui. Condamné à suivre des cours entourés de personnes à qui il n'aurait jamais le courage d'adresser la parole. Alors bon gré mal gré, il était obligé de passer outre ses angoisses et de rester en cours même si cela voulait dire subir au quotidien cette douleur au fond de la poitrine. Et de n'avoir ni le droit de la ressentir ni de la montrer. De toute façon il ne devait pas être le seul à faire ça. Il n'avait pas le droit de se donner des excuses de la sorte.
Mais aujourd'hui il se permettait de vivre cette journée en paix, égoïstement, sans avoir à se préoccuper de quoi que ce soit. Ivanh lui avait dit qu'il pouvait. C'était tout ce qui comptait. Avec lui il pouvait faire n'importe quoi. Avec lui il était capable de n'importe quoi.
ᾡᾡᾡ
Gabriell marchait droit devant lui. S'il s'arrêtait ou faisait un pas plus petit que les autres, il rebrousserait chemin. Chaque mètre qu'il parcourait le rapprochait de cette grande table en bois, qu'à force de fixer il connaissait par cœur. Des rires fusaient et les silhouettes qu'il n'avait jamais vu de près se dessinaient plus nettement que jamais. Mais il ne les regardait pas, il fixait avec attention un point au loin pour ne pas avoir de pensées parasites qui le rongeraient de l'intérieur.
Seulement ces rires commencèrent à lui percer le crâne, le rendant sourd de tout autre chose. Les mètres s'amenuisaient entre lui et cette table, et avec eux les opportunités de faire marche arrière. La première à le remarquer fut la jeune femme assise à l'extrémité de la table. Avec ses cheveux roses elle attirait l'attention. Dès que ses yeux bleus croisèrent les siens, ils s'écarquillèrent. Et sans cesser de capter son regard, elle secoua l'épaule de son voisin en le pointant du doigt.
Jamais Gabriell n'avait autant eu envie de fuir une situation que celle-là. Mais dorénavant c'était impossible. Deux personnes qui lui étaient inconnus le fixaient sans sourciller, l'une avec un rictus sur les lèvres, l'autre très, trop, sérieux.
-Hm-hm, excusez-moi.
S'il y avait pire que deux personnes inconnues qui vous fixaient, c'était bien un groupe entier. Certains d'entre eux écarquillèrent les yeux en le voyant, signe qu'ils le connaissaient.
-Désolé de vous déranger ma-
-T'es le copain d'Ivanh !
La fille aux cheveux roses le coupa dans sa phrase, le mettant d'autant plus mal à l'aise.
-Mélissa ! laisse-le parler. Excuse-là, continue.
-Donc... Je m'appelle Gabr-
-C'est Gabriell c'est ça ?!
-Etienne ! Vous vous êtes donné le mot ?
-Pour tout te dire on ne pensait jamais te voir.
-Vraiment, vu comment tu nous fixes depuis des jours.
-Et ce qu'à dis Ivanh.
-Les gars ! Même moi vous me mettez mal à l'aise.
-Qu'est-ce qu'il vous a dit ?!
Tous se tournèrent vers lui de nouveau, mais cette fois il n'en tint pas compte ; trop préoccupé par ce que « Mélissa » avait dit.
-Trois fois rien. Parait que tu es très timide.
-Et c'est pour ça qu'il nous avait demandé d'être gentils. Expressément vous deux !
-Tu crois qu'il va être fâché ? demanda Mélissa à Etienne.
-Mais écoutez-moi bon sang ! la jeune femme se tourna vers Gabriell et instinctivement elle lui rappela Manon, en plus agressive. Excuse-nous, on a été impoli. Je me présente : Cathie. Etienne et Mélissa et ensuite Victor et Victoria, et Mathéo.
-Enchanté...
-Tu voulais nous dire quoi ?
-En fait, la semaine prochaine Ivanh aura vingt-cinq ans et avec mes amis on avait prévu quelque chose. Comme je vous vois souvent ensemble, je me suis dit que vous seriez intéressé.
-Oui ! bien sûr.
Arrête de crier !
-Parle pour toi !
-Arrêtez, vous deux ! Oui, on serait ravi de venir. Donne-moi ton numéro pour les infos.
Gabriell lui tendit son téléphone sans broncher, Cathie faisait définitivement bien plus peur que Manon, ne serait-ce que dans l'attitude. Hormis ça, ils semblaient tous être de bonnes personnes. Il pivota en direction de la table qui avait quitté quelques minutes plus tôt et où tous ses amis le fixaient en lui lançant des encouragements.
Son regard accrocha celui d'Ivanh qui leva les pouces en l'air. Il leva les yeux au ciel et se retourna vers le petit groupe mais avec un sourire aux lèvres. Ses amis étaient fiers de lui, et pour l'instant ça lui suffisait. Ivanh aussi. Et il se promit de le rendre un peu plus fier chaque jour du restant de sa vie.
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