Chapitre 27




  -Mes parents voudraient te rencontrer.

  De la cuisine, Gabriell entendit Ivanh s'étrangler avec son verre d'eau. Ils étaient en vacances pour une semaine et ses parents le harcelaient pour pouvoir rencontrer Ivanh en bonne et du forme. Même à plusieurs mètres, il put voir le regard paniqué que compagnon lui lança et cela le fit ricaner. Connaissant ses parents, hormis les questions gênantes et leur personnalité bien à eux, Ivanh n'avait rien à craindre.

  -Si tu veux, dit ce dernier en déglutissant.

Gabriell gloussa et marcha jusqu'au salon.

  -Disons ce soir.

  -Ce soir !?

  -Mes parents sont libres et nous aussi. Tu trouves ça trop rapide ?

  -Hein ? Non, non... juste je me trouve un peu pris au dépourvu.

  Gabriell sourit face à l'anxiété de son petit-ami. Venant de lui ça serait déplacer de dire qu'il prenait les choses trop au sérieux. Seulement ça restait une formalité, d'autant plus qu'il avait déjà croisé sa mère une ou deux fois depuis qu'ils s'étaient mis ensemble. Mais il comprenait pourquoi il cogitait autant, dorénavant c'était différent et ses parents ne le voyaient plus de la même manière.

  Même s'il ne laissait rien paraitre, lui aussi ressentait un léger stress au vu du diner qui allait suivre. C'était la première fois qu'il allait présenter quelqu'un. Ivanh et lui allaient devoir faire face aux questions indiscrètes et à l'humour particulier de ses parents. Pourtant il ressentait moins d'angoisses là que lorsqu'il avait dû leur annoncer la semaine dernière qu'il sortait avec Ivanh. Cette fois il ne serait pas seul, et l'unique chose à laquelle il devait se préparer était de ne pas mourir de honte à cause de ses parents.

  Pour rassurer son petit-ami, Gabriell le prit dans ses bras comme il le faisait pour lui. Depuis qu'ils s'étaient enfin parlé, ils se sentaient plus libres. Un important poids s'était retiré de ses épaules et la culpabilité de taire certains aspects importants qui faisaient partit de lui s'était évanouie elle aussi. Du côté d'Ivanh il espérait que c'était aussi le cas mais Gabriell savait que ces choses prenaient du temps. Néanmoins ils avaient fait un grand pas en avant en se confiant et en acceptant les fêlures de l'autre. Il se sentait plus épanoui et cela se faisait se ressentir sur son anxiété.

  Alors la soirée qui s'annonçait ne le ferait pas descendre de son nuage, ou en tout cas pas trop. Pas le diner avec ses parents, pas la pluie qui s'annonçait et encore moins ses stupides angoisses. Cette fois il comptait bien contrôler sa vie.

  Alors qu'il allumait la télévision, il entendit Ivanh marmonner à côté de lui des paroles incompréhensibles, qui ressemblait à s'y méprendre à une liste de chose à faire et à apporter pour faire bonne impression. Son compagnon s'inquiétait pour rien, il avait déjà prévu certaines choses et s'il connaissait ses parents aussi bien qu'il le prétendait, ces derniers devaient déjà préparer le diner et le jeune couple n'aurait à apporter qu'une bouteille que Gabriell avait déjà acheté au préalable.

  -Ne t'en fais pas, à part me voir mourir de honte, tu ne verras rien de spécial à ce diner.

  Sa tentative pour décontracter Ivanh eu l'air de fonctionner puisqu'il l'entendit ricaner. Gabriell retourna à la cuisine pour aller chercher les deux croque-monsieur qu'ils venaient de finir de préparer. Il avait fait de son mieux pour aider son petit-ami mais s'était vite rendu compte qu'il était plus un poids pour lui. Ivanh avait été obligé de passer derrière lui constamment pour corriger ses bêtises. Il en était au stade où il était prêt à aller demander de l'aide auprès de Mailla pour qu'elle lui apprenne à cuisiner, au moins les bases.

  Gabriell s'assit à l'extrémité du canapé et commença à manger. Ivanh dévora son plat avant de s'allonger sur le canapé et poser sa tête sur les jambes de son petit-ami. C'était souvent lui qui faisait ça, ce qui ne dérangeait pas l'autre, qui aimait le sentir contre lui. Surtout que cette fois-ci, Gabriell le sentait tourmenté par ses émotions.

  Au fil du temps il avait appris à cerner les moments où Ivanh était sous tensions. Comme lui, il ne montrait pas quand il n'allait pas bien et avait la fâcheuse tendance à faire comme si de rien n'était.

  Gabriell commença à culpabiliser, ses convictions se faisant déjà la male. Il avait pensé que ce serait une bonne idée de le faire ce soir mais au final il avait plus l'impression de l'avoir mis au pied du mur. Il ressentit le besoin urgent de lui faire part de ses pensées. Complètement captivé par ce qu'il regardait, le plus jeune fut obligé de le retourner sur le dos pour pouvoir l'embrasser et obtenir toute son attention.

  -En quel honneur ?

  -Je te trouvais un peu occupé par la télévision.

  -Jaloux ?

  -Préoccupé.

Ivanh fronça les sourcils, soucieux.

  -Si tu ne veux pas rencontrer mes parents tout de suite, je comprendrais.

Il se releva pour se mettre à la même hauteur que Gabriell et prit son visage en coupe pour faire disparaitre les plis soucieux qui apparaissaient ici et là.

  -Eh... c'était à moi de m'inquiéter, pas à toi. Je suis très heureux de rencontrer, vraiment, tes parents.

  -Oui... mais j'ai l'impression de t'avoir pris au dépourvu, dans le mauvais sens du terme, le pire sens du terme en fait, et maintenant que j'y réfléchis et de t'imposer ça. Dis-le-moi si tu veux qu'on reporte, ça ne presse pas tu sais. Ne te sens pas obligé pour moi.

  -Ecoute, oui je stresse un peu, mais c'est normal. Evidemment que je suis préoccupé, j'ai envie de plaire à tes parents mais c'est normal aussi. Et tu n'as pas à stresser pour moi, encore moins plus que moi. Je sais, et je comprends, que tu te prennes la tête, mais ne le fais jamais à ma place. Quand c'est à moi de stresser, ne pense pas que c'est de ta faute ou que tu doives endurer mes propres préoccupations à ma place. Ça va, alors respire, ça va aller

  Pour la première fois peut-être, Gabriell mesurait la chance d'avoir réussi à attirer le regard d'Ivanh. S'il n'avait pas oublié sa trousse six mois plus tôt, que leur serait-il arrivé ? Les derniers mois étaient passés si vite qu'ils semblaient irréels. Mais il était bien là, sur ce canapé, dans cet appartement où il passait tout son temps. Avec un regard qui le transperçait et qui transmettait une tendresse qu'Ivanh lui réservait. Bénis soient les chemins qui l'avaient conduit à cet instant exact, là où il n'aurait jamais voulu être ailleurs. Et plus que tout, il avait envie de lui. Il voulait qu'il soit à lui, comme la toute première fois que leurs lèvres s'étaient frôlées, puis subjuguées.

  Désormais il ne rougissait plus à ces pensées. C'était un besoin qui faisait bouillir son sang dans ses veines. Ivanh dû lire dans son regard les pensées qui le traversaient. Patient animal, il attendit que Gabriell fasse le premier pas. Au premier mouvement que ce dernier entreprit, le corps de son compagnon se tendit par anticipation. Lorsque leurs lèvres rentrèrent en contact il se laissa faire. Il ne contrôlait rien, et ça lui plaisait.

  Il y avait de ces moments où son compagnon s'échauffait et où ses pensées se taisaient, laissant place au libre arbitre de ses pulsions. Rares moments qu'Ivanh s'extasiait à assister. Cet instant était de ceux-là. Gabriell contrôlait la situation et était maitre de tout ce dont il était prisonnier. Aucune pensée nocive ne réussirait à prendre le dessus sur lui.

  Il monte sur les genoux d'Ivanh, qui continuait de patienter, anxieux d'assister aux prochaines choses que lui proposerait son compagnon. Conscient qu'il les accepterait toutes. Lui, qui pensait voir s'afficher cette facette de sa personnalité que bien plus tard, était plus qu'agréablement surpris de ce qui se déroulait. Gabriell, quant à lui, profitait juste de l'instant, sans même réfléchir à ce qui allait suivre. Il savait déjà ce qu'il voulait, mais pour l'instant il était juste là, à goûter à l'odeur d'Ivanh.

  Au final ce fut Ivanh qui s'impatienta en premier. Ce qu'il fit bien comprendre quand il l'attrapa sous les cuisses pour le porter jusqu'à la chambre. Là-bas il les fit tomber sur le lit, en prenant bien soin de garder Gabriell au-dessus de lui. Ce dernier s'en rendit compte et sourit contre sa bouche, ce qui eut pour effet de faire s'entrechoquer leurs dents.

  Le fait de ne jamais l'avoir fait ne lui faisait pas peur. Pas plus que le fait que sa première fois se soit produite quelques jours auparavant. Rien n'avait d'importance hormis qu'Ivanh attendait ça autant que lui, voire plus. Lui qui ne se sentait jamais confiance, l'était. Lui qui n'avait aucune expérience, en gagnerait.

  Leurs souffles se mélangèrent alors que les vêtements tombaient. Toujours plus proche l'un de l'autre jusqu'à ce qu'ils ne puissent pas l'être davantage.

  Et pour un mois de février, ils avaient drôlement chaud.

ᾡᾡᾡ

  Les paupières de Gabriell clignèrent plusieurs fois avant qu'il ne s'habitue à la lumière. Le réveil continuait de sonner, peu enclin à le laisser en paix. Il l'avait programmé après être revenu des toilettes quand Ivanh et lui avaient finis. C'était une chose avec laquelle il ne plaisantait pas.

  Il fut obligé de passer au-dessus de son compagnon et de tendre le bras pour atteindre le téléphone et faire taire la maudite sonnerie. Encore en équilibre, il sentit deux bras se refermer autour de lui pour le ramener vers le bas. Un simple cri de protestation pu s'échapper de ses lèvres alors qu'Ivanh le serrait contre lui. Il se laissa aller contre son torse qui dégageait une chaleur que la pièce ne lui apportait pas et se laissa bercer par les battements de son cœur.

  -Je veux me réveiller tout le temps comme ça.

  -Avec une alarme qui te perce les tympans ?

  -Non. Plutôt avec la vision d'un beau torse au-dessus de moi.

  -Beau, je sais pas, rit Gabriell pour le taquiner.

  Ivanh ne répliqua pas à sa pique et se contenta de lever les yeux au ciel tout en le serrant un peu plus fort contre lui. Histoire d'étouffer toute présence de blagues de mauvais goût. Ils avaient encore quelques minutes devant eux avant d'être obligé de se lever pour se préparer à aller dîner chez les parents de Gabriell. Le réveil les avait sauvés d'un probable retard. Un réveil qu'avait failli oublier de mettre Gabriell qui tombait de fatigue.

  Lui qui jamais n'aurait pu imaginer que prendre l'autre serait si fatiguant avait bien été détrompé. Ça n'avait pas été quelque chose d'extraordinaire, il s'y attendait, mais il n'avait pas entendu Ivanh s'en plaindre, alors, pour l'instant, cela lui convenait. Bien au chaud entre les bras de son compagnon, il n'y pensa plus.

  Finalement, bien décidé à ne pas arriver en retard, Gabriell secoua Ivanh pour qu'il se lève et après moultes débats accepta qu'il l'accompagne sous la douche. Comme une prédiction, les choses dérapèrent inévitablement et le plus jeune stoppa les ébats puisqu'ils finirent par être en retard par rapport à l'horaire qu'ils s'étaient fixé. Surtout que connaissant sa mère, s'ils arrivaient en retard, elle rejetterait la faute sur son incapacité à arriver à l'heure. Faculté qu'il tenait d'elle. Doublée de celle d'Ivanh, au rythme où ils allaient, jamais ils n'arriveraient chez ses parents.

  Par un quelconque miracle, ils sortirent de l'immeuble à temps, Gabriell un parapluie à la main puisque de la pluie était prévue. Les gouttes commencèrent à tomber un peu avant qu'ils n'atteignent la station de métro et Ivanh en profita pour se coller à lui. Petit à petit le plus jeune commençait à découvrir de nouvelles facettes de son compagnon. A son tour il devenait un peu plus tactile, un peu comme lui, et cela le rassurait de constater qu'ils se ressemblaient plus de ce côté-là qu'il ne le laissait percevoir au premier abord.

  Chacun découvrait l'autre à son rythme. Ils apprenaient les habitudes et les manies, tout ce qui consistait la vie d'un couple et jamais Gabriell n'aurait cru autant s'y épanouir. Il aimait voir les comportements d'Ivanh changer en fonction des personnes qui les entourait et de percevoir ces regards qu'il n'adressait qu'à lui. Tous les deux, ils avaient besoin du contact de l'autre, le plus jeune davantage que l'autre, et généralement, ils se retrouvaient collés l'un à l'autre. Cette proximité qu'il avait espéré alors qu'ils n'étaient encore que de simples amis, était devenue une habitude plaisante.

  Après quelques minutes de marches quand ils sortirent du métro, ils arrivèrent devant l'immeuble de ses parents. Par automatisme, Gabriell leva les yeux pour regarder la lumière à travers les rideaux du quatrième étage. Il tapa le code d'entrée et monta avec Ivanh jusqu'à l'appartement. Jusqu'au moment où ils se retrouvèrent devant la porte et il ne sut s'il devait sonner ou utiliser ses clés. D'un côté il n'était pas qu'un invité et de l'autre ce n'était pas que comme s'il ramenait bêtement son petit-ami à la maison. Le trousseau dans une main, il fixa la sonnette pendant dix bonnes secondes.

  -Prends tes clés, ou sinon fais comme si tu l'avais oublié et sonne. Je pense que ce pieux mensonge ne fera de mal à personne.

  Entendre la voix d'Ivanh à côté de lui le détendit, encore plus le fait qu'il ait compris son dilemme. Il utilisa donc ses clés comme il le lui avait suggéré, pouvant se fier à un avis extérieur. A peine les clés actionnèrent le mécanisme de la serrure qu'ils entendirent de petits cris surexcités de l'autre côté de la cloison. Le pire étant que Gabriell ne saurait identifier si les cris provenaient de son père ou de sa mère. Le cauchemar serait que les deux en soient à l'origine.

  Ils eurent à peine le temps de fermer la porte derrière eux que les deux adultes apparurent, le sourire aux lèvres. Ses parents étaient aux anges de voir Ivanh, cela se voyait, bien qu'ils l'aient déjà vu plusieurs fois auparavant. Mais cette fois-ci c'était la première fois qu'il venait en tant que petit-ami de leur fils. Et à leurs yeux ça changeait tout.

  Par chance le jeune couple put atteindre la table avant que les questions ne débutent. Gabriell faisait de son mieux pour les dévier au mieux d'Ivanh, pour qu'il ne soit pas trop harcelé. Au bout d'un moment, il commença à s'impatienter, malgré le fait qu'Ivanh ne semblait pas prêter attention à ça et trouvait la situation tout à faire confortablement ; et après maints coups d'yeux insistant en direction de ses parents, ils comprirent le message et passèrent au repas.

  Sa mère lui avait demandé au préalable quels étaient les goûts d'Ivanh avant d'être soulagé d'apprendre qu'il n'était pas difficile en termes de nourriture, à l'inverse de son fils avait-elle souligné. Gabriell l'avait d'autant plus rassuré en lui disant qu'un repas simple conviendrait très bien. Après tout ils ne venaient pas pour dîner mais pour que son petit-ami rencontre ses parents.

  -J'espère que tu aimes l'indien. J'ai fait du curry avec des poivrons et du riz. Mon mari a fait les names.

  -C'est parfait, merci.

  Alors qu'Ivanh discutait avec son père, Gabriell vit sa mère lui donner un clin d'œil et lever un pouce en l'air. Rien que pour le plaisir de la contredire il leva les yeux au ciel. Seulement à l'intérieur, il sentit son cœur se gonfler de fierté à l'égard de son petit-ami. Jamais il n'avait douté sur le fait qu'il plairait ou non à ses parents, mais il en était désormais convaincu.

  Le diner passa bien plus vite qu'il ne l'espérait. Ses parents continuèrent à s'intéresser à Ivanh, visiblement concernés par ses goûts et ses passions. C'était aussi une première pour ses parents de rencontrer la personne que leur enfant aimait, et Gabriell voyait nettement les tensions qu'ils masquaient. Ils voulaient faire au mieux, il le voyait bien, mais ils étaient maladroits et pour les aider Gabriell envoyait des signaux qu'il ne captait pas toujours.

  Au final, le dîner se déroula sans accidents notables et au moment de se dire au revoir, Gabriell prévint ses parents qu'il rentrait avec Ivanh. Après quelques regards équivoques ils purent enfin s'en aller. Et enfin arrivés à la station de métro, ils purent se poser et parler de la soirée.

  -Tu vois, c'était pas si terrible, dit Gabriell.

  -Dixit celui qui stressait à ma place.

  -Je ne vois pas de quoi tu parles.

  -Tes parents sont cools.

  -Et ils t'aiment bien.

Ivanh sourit et posa sa tête sur son épaule.

  -Tant mieux.

  La fatigue commençait à se faire ressentir, et cela malgré leur sieste de l'après-midi. Gabriell avait hâte d'être de retour à l'appartement de son compagnon et pouvoir se glisser sous les draps et profiter des bras de son compagnon.

  Même à l'intérieur de la station, ils entendaient nettement la pluie tomber. L'orage qui était annoncé n'avait pas eu lieu, et il eut une pensée pour Mailla, qui depuis petite avait une peur incohérente pour le tonnerre. Le trajet fut bref et à peine ils traversèrent le pas de la porte que le lit appelait déjà Gabriell.

  Ils enlevèrent leurs manteaux et chaussures et Ivanh alla dans la cuisine leur préparer deux chocolats chauds. S'il avait envie de dormir, Gabriell ne dirait pas non à une boisson chocolatée. Il tira une chaise de sous la table en attendant que son petit-ami est finit. Ses paupières devenaient lourdes au fur et à mesure que les minutes passaient.

  Au moment où Ivanh lui tendit sa tasse il sursauta en entendant la sonnette retentir. Sans même y réfléchir il alla à la porte pour l'ouvrir et fut surpris de se retrouver nez à nez avec Elian.

  Les yeux rouges à force d'avoir pleuré, il grelottait dans son ridicule sweat violet. Ses cheveux gouttaient sur ses épaules. Gabriell se dit que jamais il ne l'avait vu dans cet état, aussi vulnérable. Pendant plusieurs secondes il resta figé face à cette piteuse image qu'Elian donnait de lui et que jamais son ami n'aurait cru voir de sa part. Il gardait les yeux inexorablement baissés, même quand il prit la parole.

  -J'ai fait une connerie.

Gabriell le tira en avant pour le faire rentrer, sans même une pensée pour les gouttes qui tombaient sur le parquet d'Ivanh.

  -Et à part toi, personne ne comprendrait.

  -Qu'est-ce qu'il s'est passé

  -J'ai croisé Clément...

  Au lieu de se durcir, comme Simon l'aurait fait, prendre une expression ennuyée, comme Manon, ou afficher un sourire malicieux, comme Mailla qui n'aurait fait que répondre « Bien fait pour lui » ; à ce qu'il s'apprêtait à lui raconter, les traits de Gabriell restèrent d'humeur égales.

  Son expression s'adoucit et ses lèvres se pincèrent par préoccupation pour son meilleur ami. Associer Clément au nom d'Elian n'était plus une bonne idée depuis longtemps, alors savoir qu'ils s'étaient croisés et que son ami avait ressenti le besoin de venir le voir ne faisait que l'inquiéter davantage.

  D'apparence, à part ses yeux gonflés, rien ne présageait une bagarre, mais Gabriell était le mieux placer pour savoir que bien souvent, le combat se disputait de l'intérieur. Il se tourna vers Ivanh, qui s'était effacé pour laisser de l'espace aux deux amis, et lui prit la tasse qui lui était réservé pour la tendre à Elian avec un bref sourire. Ce dernier l'accepta sans réagir autrement et se contenta de regarder les quelques derniers morceaux de chocolats fondre dans le liquide fumant.

  Il ne pleurait plus, ne bougeait plus, et, surtout, ne parlait plus. A cette constatation, Gabriell sentit son sang se glacer. Lui qui ne supportait pas les discours incessants de son ami, se retrouvait paniqué à la constatation de ce mutisme. Et il sut que c'était bien plus grave que ce qu'il ne lui expliquerait jamais.

  -Je passais juste par-là, je venais de rentrer d'un ciné avec des potes de ma licence, et il s'est planté devant moi. Comme ça. Comme si de rien n'était. Comme si on était pote. Je te jure, il m'a regardé droit dans les yeux avec un grand sourire sur les lèvres, et je ne sais pas pourquoi, il m'a eu l'air narquois. Et j'ai vraiment eu envie de lui foutre un pain. Il a commencé à me parler, me demander comment vous alliez avec Mailla, et il a commencé à pleuvoir, donc il s'est excusé et à voulu partir. Et je sais pas, j'ai vrillé. J'ai commencé à lui crier dessus, à balancer tout ce que j'avais sur le cœur. La façon dont il faisait comme si de rien n'était. Comment je le détestais. Et...et il a répondu. Il a levé le ton et... et ma voix s'est bloqué. Je ne pouvais plus parler, lui avait arrêté, et je n'entendais que la pluie, mais je ne pouvais rien dire. C'était silencieux, et j'ai commencé à paniquer. Lui il s'est barré, et je me suis retrouvé là, comme un con, à chialer au milieu de la rue. Je crois que j'ai jamais eu aussi peur de ma vie. Puis je n'ai pas eu la force de prendre les transports, croiser des gens. J'ai fait le chemin à pied et... et je voulais juste en parler à quelqu'un. Mais y'avait personne. Simon me casserait la gueule, il le pourrait vu ce que j'ai dit à son petit frère. Manon ferait sa psy et Mailla ne comprendrait pas. Il n'y a que toi qui aurait vraiment compris.

  A peine essoufflé de cette tirade, Elian alla s'appuyer contre Gabriell, dans des larmes silencieuses. Il ressentait toutes les peines de son ami dans ses sanglots et à part sa présence, il ne savait quoi lui apporter comme réconfort. Depuis toujours il avait été le plus émotionnel des deux, il ressentait tout plus que les autres mais faisait comme si de rien n'était. Il avait été celui qui avait le plus mal vécu la trahison de Clément, même si maintenant, avec la maturité, Gabriell comprenait pourquoi un gamin de dix-huit ans avait fait ces choix-là.

  Alors, il ne savait pas quoi lui répondre car jamais il ne pourrait se contenter d'un « ça va aller » ou autre forme de politesses usuelles. Et bien qu'il soit le plus émotif, c'était aussi le plus fort d'entre eux. Il s'en remettrait, et s'il devait mettre un pari sur l'un d'entre eux, il miserait toujours sur le même cheval.

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