Chapitre 22




Le jour tant redouté arriva.

Pas enfin.

Au moins Gabriell avait des cadeaux, c'était la seule chose qu'il avait pour se rassurer. Aujourd'hui il n'avait cours que durant la matinée et il les partageait avec Ivanh. Plus les jours étaient passés plus le stress était monté. Un stress qui lui faisait un coup remettre en question ses choix de cadeaux, un autre le fait même qu'ils lui plaisent.

Il aurait sans doute dû faire plus d'efforts pour trouver quelque chose de vraiment intéressant.

Et avec ses questionnements était venue la curiosité. Ils n'avaient plus reparlé de ce qu'ils comptaient faire aujourd'hui depuis la dernière fois. Aucune nouvelle. Aucun indice. Rien que des sourires énigmatiques lorsqu'il essayait de lui soutirer des informations classées confidentielles. Il était tellement dans l'inconnu qu'il en venait à regretter d'avoir souhaité ces cachotteries. Il retournerait bien dans le passé pour se frapper et s'empêcher de commettre cette grossière erreur.

Quelqu'un lui tapota le bras et en se retournant il vit Ivanh qui lui demandait de lui passer les fiches de cours et les polycopiés que Gabriell lui avait imprimé chez lui la veille, son imprimante ayant rendue l'âme. Tellement il réfléchissait qu'il n'avait rien suivit du début du cours. Il était totalement ailleurs, malgré le fait qu'il suivait un cours d'une matière qu'il appréciait vraiment et que son professeur d'écriture lui avait conseillé de suivre.

-Je t'en supplie, dis-moi que ce qu'on fait tout à l'heure ce n'est rien d'extravagant. Je n'arrive même pas à suivre le cours.

Ivanh se contenta de sourire avant de répondre.

-Motus et bouche cousue.

Si Gabriell ne l'aimait pas un tant soit peu il l'étriperait devant témoins. Rien que le fait de le laisser dans l'ignorance aussi longtemps méritait un châtiment divin.

Athé ou pas.

Ivanh sourit de plus belle en remarquant son agacement, à croire qu'il y prenait du plaisir. Sociopathe. Pour le calmer il lui prit la main comme il le ferait à un enfant et Gabriell regretta de ne pas avoir les ongles de Mailla et lui faire passer l'envie de lui prendre la main de la sorte.

Toute cette fausse colère n'était qu'un moyen de le faire penser à autre chose et Ivanh, le sachant, ne s'inquiétait pas le moins du monde des flammes qui brûlaient dans ses yeux.

Tous deux savaient bien qu'il n'était pas sérieux dans ses menaces, intérieures soient-elles. Une fois de plus il avait raté ce que la professeure se tuait à leur expliquer et il abandonna l'idée de réussir à suivre un traitre mot de ce qu'il pourrait se dire. C'était une très mauvaise idée mais il ne les avait pas claires. Il rattraperait du mieux qu'il le pourrait plus tard, en attendant il laissait paraitre une façade concentrée alors qu'à l'intérieur tout n'était que fouillis.

A côté de lui, Ivanh était déjà retourné à sa concentration innée d'ancien étudiant en médecine. Dans ces moments-là, à ses yeux, il devenait un étranger. Son expression changeait du tout au tout et toute son attention se focalisait sur les paroles du professeur, buvant chacune d'entre elles. Chose étrange, il aimait plus que tout le regarder dans cette attitude, les sourcils un peu froncés, les lèvres pincées et les yeux rivés sur son ordinateur.

De temps à autre il lui arrivait de s'humecter les lèvres. Bordel qu'il avait envie de l'embrasser. Devant témoins. Dans un dernier soupir de souffrance il calla sa tête entre ses bras. Il ne remarqua pas qu'Ivanh se rendait compte de ses attitudes à lui aussi et au moment où leur professeure passa un mini-film, il attrapa son petit doigt avec le sien.

-Fatigué ?

Gabriell secoua la tête et Ivanh détourna le regard pour retourner à son activité : regarder le documentaire affiché sur l'écran.

Sans pour autant desserrer leurs doigts.

Gabriell se sentit vidé de toute énergie, mais pas comme d'habitude. C'était une lassitude confortable et réconfortante. Comme une impression de paix totale. Ses pensées s'étaient calmées et il ne pensa plus qu'à cette sérénité. Son pouce commença à caresser la paume de son compagnon sans qu'il n'ait besoin d'y penser. Il ne se sentait plus coupable non plus de ne pas suivre le cours. Il essayait du moins. Il n'en avait pas la force aujourd'hui, et puis il voulait rester dans cet environnement de plénitude. Et rien que le fait de penser aux cours lui rappelait tout le stress qui en découlait.

Là, dans cette bulle, le contact qu'il entretenait avec Ivanh était le seul aspect qui le maintenait dans la réalité. Il somnolait entre rêve et éveil, et il ne remarqua même pas la fin du cours avant qu'Ivanh ne lui tapote l'épaule.

Arrivé au cours suivant il fit le pour et le contre dans sa tête et se voir rattraper plusieurs cours le fatiguait d'avance. Il ressentait déjà la culpabilité s'insinuer partout dans son corps, le vide bienveillant était parti. Pour de bon.

-J'espère que quoi que tu ais prévu pour le reste de la journée ça sera un truc calme.

Il se contenta de sourire, une fois de plus. Dans tous les cas il lui faisait confiance pour lui préparer quelque chose qui leur plairait. Depuis des années, quand cette fête avait commencé à réellement signifier quelque chose pour lui, il n'attendait rien de cette journée. Rien d'intéressant ou de divertissant. Alors rien que de savoir que pour la première fois elle allait compter, et qu'il allait la passer, le plus longtemps possible, avec quelqu'un qu'il aimait, le rendait heureux.

Plusieurs minutes passèrent avant que les roses n'arrivent dans les amphithéâtres. Apparemment c'était une tradition, comme dans de nombreuses autres écoles, d'offrir des roses à la personne qui nous intéressait. Comme d'habitude l'amphithéâtre se divisa en deux écoles. Celle de ceux qui s'insurgeaient s'ils osaient repartir sans roses, et ceux qui, à l'inverse, se porteraient mieux sans recevoir une de ces offrandes. Gabriell se classa dans la seconde, priant pour qu'Ivanh n'ai pas eu l'idée de lui en offrir une.

-Respire, je te connais assez pour savoir que tu n'aimes pas ça.

Gabriell rougit, gêné d'avoir été ainsi mis à nu, un véritable livre ouvert. Pour que personne d'autre ne remarque sa confusion, il laissa son visage tomber sur le bras d'Ivanh qui pouffa doucement. A côté d'eux l'euphorie commençait à monter dans la grande salle. Au final, même ceux qui n'étaient pas trop emballés par la perspective de cet évènement s'étaient laissés aller aux cris et aux applaudissement à chaque rose offerte.

Le bruit était infernal mais cela ne dérangeait personne. Tous avaient cette même énergie tonifiante. Même Gabriell se laissa prendre au jeu. Il avait l'impression qu'avec les autres étudiants ils découvraient enfin la véritable ambiance des universités et qu'est-ce que cela lui plaisait. L'euphorie s'intensifia lorsque les étudiants en charge des roses en tendirent une à leur professeur. Certains se levèrent carrément sur leur chaise en tapant des mains alors qu'elle riait nerveusement et tentait de cacher les rougeurs qui apparaissaient sur son visage.

D'autres encore se contentaient de sourire équivoques. Tout le monde ici était conscient des rumeurs qui couraient entre elle et un autre professeur qui enseignait la philosophie. Elle tenta de calmer tout le monde, en vain. Les uns et les autres ne faisaient plus que discuter des roses qu'ils avaient ou non reçues. La livraison de fleurs avait entamé trente minutes de cours, ce qui n'était pas pour déplaire à Gabriell et comme, il le devinait aisément, à l'intégralité de ses camarades.

Plus vite qu'il ne l'aurait cru la salle redevint calme et le cours pu reprendre. Il avait gouté à la vraie cohésion d'un groupe. Ils étaient près de mille dans cet amphithéâtre, tout le monde ne se connaissait pas, mais durant quelques minutes ils avaient été comme une petite unité d'âmes et de cœurs. Une symbiose des sentiments. Rien que de la bienveillance, des rires et de la joie.

Peut-être pour la première fois depuis son entrée à l'université, jamais Gabriell n'avait été aussi fier, aussi heureux d'y être entré à un âge où il pouvait cerner toutes ces émotions, comme une éponge qui absorbe toute l'eau pour mieux la recracher, la hurler et en asperger et en purifier chaque atome autour d'elle.

On lui avait jeter ces sentiments, il les avait retenus, et lors de ce trop plein qu'il venait de ressentir il en avait fait profiter les autres. Lui aussi avait un peu crier et applaudi avec eux. Sans jugements, sans regards, sans moqueries, provocatrices. Il avait été accompagné, par Ivanh, et par eux dont il ne connaissait ni le nom ni le visage, ni ceux dont la vie pouvait ressembler à la sienne. Mais ils avaient tous été là, unis, pour rire et couper à ce quotidien semblable, mais si différent à la fois.

Gabriell essuya la larme sur la joue.

Finit le lycée. Bienvenue la vie à son apogée.

ᾡᾡᾡ

-Alors, qu'est-ce qu'ils ont prévu nos deux tourtereaux.

Ni « Bonjour », ni salutations de la part de Mailla, qui exigeait réponses à ses questions.

-Je me pose la même question figure-toi.

Gabriell venait de finir son cours et à peine sortit il avait tapé le numéro de Mailla. A côté de lui Ivanh sourit, conscient qu'ils parlaient de lui. La seule information à laquelle il avait eu droit était qu'ils ne mangeraient pas avec leurs amis, signe qu'ils allaient sans doute au restaurant.

-Nul ton copain, rien à se mettre sous les dents. EN-NU-YANT.

-Bref, et ton rencard ?

-C'est ce soir. Je te rappelle que MOI je finis à 18 heures.

Il toussota, gêné. Il avait presque oublié que Mailla n'avait plus le même emploi du temps que le trimestre dernier. Du coin de l'œil il vit Ivanh lui faire de petits signes pour qu'il le suive et il raccrocha. Son partenaire était plusieurs mètres devant lui et Gabriell trottina pour le rattraper et prendre la main qui pendait le long de son corps. Pour ne pas le perdre. Jamais.

Ses prédictions s'avérèrent fausses puisqu'ils prirent le métro jusqu'à l'appartement d'Ivanh. Au final peut-être n'avait-il rien manigancé, ou en tout cas rien de fou et d'original. Chose qu'il préféra. Entre passer des heures au restaurant entouré de dizaines de couples ou une journée en tête à tête avec lui, la réponse était évidente.

Arrivé dans son appartement, il était tellement habitué à y séjourner tous les week-ends que ses mimétismes firent le reste. Il retira ses chaussures, son manteau, les rangea dans l'armoire puis se dirigea vers le lavabo et s'y lava les mains. En se retournant il vit Ivanh qui se tenait encore dans l'entrée, manteau enfiler, chaussures aux pieds.

Et s'il c'était trop précipité ? Peut-être s'était-t-il trop projeté ? Avait-il fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? Et soudain il eut chaud, si chaud qu'il en oublia le reste. Et les températures froides à l'extérieur, et le jour des amoureux. Il oublia tout, sauf de le regarder.

Et il le vit.

Ce sourire.

Ce si beau sourire.

Alors, malgré le martellement de son cœur dans sa cage thoracique, ses oreilles rouges de honte et son corps couvert de transpiration, il sourit à son tour. Car ça allait. Car c'était Ivanh.

-Quoi ? dit-il sans réussir à masquer l'appréhension dans sa voix.

-Tu es hyper à l'aise. Tu fais comme chez toi. Comme si c'était naturel. Je sais pas, ça me plait. Ça me plait de te voir comme ça. C'est mon petit privilège.

Tout en disant ça il s'était avancé, pas à pas, vers Gabriell. Et à chaque pas il aurait pu jurer que son sourire redoublait, à s'en décrocher la mâchoire. Une chose était sûre, tant que l'un sourirait, l'autre ferait de même.

Lorsqu'ils furent face à face, presque collés, Ivanh le souleva et le prit dans ses bras. Gabriell hoqueta de surprise avant de ricaner. Tout ce qu'il avait vu et critiqué dans ces films de romance, toujours ces satanés films, se produisait un par un avec eux.

Sans même y penser.

Par instinct.

Par habitude.

Par amour aussi évidemment.

Il l'embrassa.

Avec toute la douceur qu'il pourrait un jour lui donner. Avec tout l'amour qu'il n'arrivait pas à exprimer. Avec toute la tendresse dont il pouvait faire preuve. Un contact léger, naturel. Comme ils l'avaient déjà fait cent fois, et comme ils le feraient les cent prochaines.

Ils ne faisaient que s'embrasser. Avec toute la ferveur de la jeunesse qu'un jour ils n'auraient plus. Par manque de force Ivanh le posa sur la table, cela les fit rire à peine une seconde avant qu'ils ne reprennent possession des lèvres de l'autre.

Priants pour ne jamais s'arrêter.

Des mains passaient sous les T-shirt, dans les cheveux de l'autre. Toujours plus près, pour partager le même oxygène. Ce n'était ni torride ni brûlant. Juste naturel et d'une impitoyable pureté. Juste réchauffant, apaisant. Jamais Gabriell ne s'en lasserait. Et s'il additionnait tous les choses dont il ne pouvait plus se lasser, le résultat était évident et un peu effrayant. Mais véridique et d'une réelle franchise. Jamais plus il ne pourrait se lasser d'Ivanh. Ni demain, ni dans un siècle.

Il aurait toujours besoin de ses mains sur sa peau, de ses lèvres sur les siennes, de son corps coller au sien, de ses yeux qui le regardaient et reflèteraient son image pour toujours. Et si l'enfer avait un nom, c'était Séparation.

Ils se décollèrent l'un de l'autre. Tout juste assez pour se frôler, assez pour ne plus s'embrasser. Ivanh colla son front contre celui de Gabriell. C'était quelque chose qu'il faisait constamment, un tic qu'il apprenait aussi à aimer. Et à chaque fois il fermait les yeux et Gabriell pouvait contempler le visage reposé de son compagnon. Les quelques cicatrices d'une acné juvénile. Un visage parsemé de taches de rousseur qui n'apparaissaient que sous le soleil. Il pouvait presque caresser ses cils noirs et le tracé de sa mâchoire. Mon Dieu qu'il est beau. Puis sans qu'il ne s'y attende, de la même façon qu'il avait déposé son front sur le sien, ses lèvres atteignirent les siennes.

-Allez ! Go faire à manger.

-On va cuisiner ? Vraiment ?

-Oui, pourquoi ? C'est trop simple pour toi ? Je pensais que ça te plairait.

-Oui, oui, je préfère ça qu'un restaurant, c'est plus intime.

-Mais ?

-Je suis comme qui dirait une quiche en cuisine.

Ivanh ricana face à la remarque de son compagnon.

-Allez, descends de là. Je vais t'apprendre.

-Si c'est immangeable tu en seras l'unique responsable.

-Même si c'est toi qui foires tout ?

-T'as tout compris.

Gabriell se laissa tomber de la table et attendit que son petit-ami se débarrasse de ses affaires. Il se relava les mains avant d'aller voir dans le réfrigérateur quels ingrédients Ivanh avait l'intention d'utiliser. Pendant qu'il y réfléchissait, ce dernier se plaça derrière lui et prit un à un les bons produits. C'était visible qu'il avait la main, après tout il vivait seul et il était évident qu'il avait été obligé d'apprendre à cuisiner, à moins que ses parents le lui aient appris.

-Qui t'as appris à cuisiner ?

Pendant une seconde il crut voir ses épaules se crisper avant qu'il ne lui réponde.

-Mon père. Il adorait ça. Pour lui un homme accomplit devait savoir s'occuper de sa famille, de toutes les manières possibles. « On ne sait jamais » qu'il me répétait sans cesse.

Gabriell buvait ses paroles. Il parlait si rarement de ses parents qu'il en était même venu à la conclusion qu'ils devaient être en mauvais terme. Mais au vu de ce qu'il venait de dire toutes ses suppositions se trouvaient infondées. Petit à petit il en découvrait un peu plus sur lui et sur ce qu'il avait vécu avant leur rencontre. Si le voir prendre ses marques chez lui était un privilège pour Ivanh, être le seul à découvrir ces côtés de lui était le sien.

Sa tâche revint à découper les légumes. Il pelait tour à tour des pommes de terre et des avocats. Ivanh s'occupait de tout ce qui était plus technique : la cuisson et l'assemblage. Au fur et à mesure que la préparation prenait forme, il commença à comprendre quels plats ils préparaient.

Ils ne se parlaient pas, trop absorbés par leurs tâches respectives. Mais Gabriell n'en pu plus de ce silence et lança une playlist de musique. D'habitude il n'aimait pas faire écouter aux autres les musiques qu'il aimait. Mais Ivanh était l'exception qui confirmait la règle. Son risque porta ses fruits, à peine les premières notes lancées il commença à agiter la tête. Ce fut un réel soulagement pour lui. D'une part qu'il apprécie sa musique et d'autre part que celle-ci soit de son chanteur préféré.

-Je ne savais pas que tu écoutais Saez.

-Et toi que tu aimais.

-T'aurais pas dû faire ça, ça me donne juste envie de m'ambiancer.

Il n'en fallut pas plus à Gabriell pour qu'une nouvelle idée ne s'installe dans sa tête.

-Je ne te le ferais pas dire deux fois.

Sans lui laisser le temps de protester, il l'éloigna du plan de travail pour éviter de renverser quelque chose par inadvertance. Contrairement à ce qu'il pensait Ivanh ne se débattit même pas. La musique ne se prêtait pas à une valse alors ils optèrent pour des pas sans queue ni tête. Ils avaient l'air bêtes, ils le savaient tous les deux. Mais rien que tous les deux ils se le permettaient. Lorsque l'un riait, l'autre y répondait.

Au début Gabriell se contentait de fredonner l'air mais petit à petit il commença à chanter et se libéra du poids sur sa poitrine. Quelques fois leurs lèvres se rejoignaient pour mieux se séparer. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas dansé de la sorte. Habituellement c'était en compagnie de Mailla et d'Elian qu'il lançait une quelconque playlist pour briser leur routine de révisions. Il ne saurait dire combien de contrôles ils avaient raté par la faute de soirée comme ça.

Plusieurs chansons passèrent avant qu'ils ne s'arrêtent, griser par cette ambiance bonne enfant. Gabriell était rouge, dans son sweat-shirt il transpirait à grosse goutte. Il était loin d'être bon danseur, comme Ivanh d'ailleurs, mais ils s'étaient donnés à fond. Après une petite pause ils reprirent leurs activités sous le rythme des batteries.

Ils prirent encore une heure pour achever leurs préparations. Le plat principal au four Gabriell regarda Ivanh préparer le guacamole pendant qu'il se retenait d'entamer le paquet de chips mexicaines. Une excellente odeur d'avocats et d'épices se dégageait du bol. Son compagnon n'aurait jamais pu lui préparer un meilleur apéritif. Cela faisait longtemps qu'il n'en avait pas mangé et il en avait presque oublié le goût.

Ivanh lui jetait des coups d'œil malicieux, bien conscient des regards gourmands qui fixaient sa préparation. Enfin achevé, Gabriell se fit violence pour ne pas l'entamer dans la seconde.

-Calme, calme. On dirait mes jeunes cousins devant un gâteau au chocolat.

-S'ils préfèrent un vulgaire gâteau à du guacamole à l'apéro, il est urgent de les éduquer.

L'autre secoua la tête, dépité par la ferveur dont il faisait preuve. S'il avait su avec quelle sensibilité il prenait la chose, il aurait peut-être modifié un peu sa carte. Mais, pourtant, tant que ce qu'il lui faisait lui plaisait c'était tout ce qui importait. Il embrassa son crâne avant d'aller déposer le bol sur la table devant la télévision.

-Tu veux regarder quoi ?

-Ah ! Attends avant j'ai quelque chose pour toi.

-Hmm ?

Gabriell fouilla dans son sac pour y retrouver les deux paquets qu'il avait fait. Il était loin d'être un dieu de l'emballage alors il espérait que le mieux qu'il puisse faire suffirait. Il lui tendit d'abord le paquet de chocolat qui, s'il devait le dire franchement, venait plus de Mailla que de lui.

-Eh bah ! Je te savais pas si mielleux, dit-il en acceptant les chocolats avec un soupir ravi.

-Rho ! Tais-toi un peu ! c'est Mailla qui m'a forcé à en prendre. Mais j'ai autre chose pour toi alors arrête de te plaindre.

Joignant le geste à la parole il lui donna le second paquet. Celui qui lui causai le plus d'appréhension. Il essaya de cacher ses tremblements alors qu'Ivanh déballait le précieux cadeau. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il comprit de quoi il s'agissait.

-Attends ce sont les...

-Des collections édition limitée d'anciens films culte. Scènes inédites, BTS aussi et des documentaires fait par le staff. J'ai eu de la chance, parait qu'ils sont partis vite.

-Partis vite ?! En une journée il n'y en avait plus aucun. Je pensais être obligé de me tourner vers Ebay et payé le triple. Quel comble.

Ivanh avait le regard d'une enfant qui venait de recevoir à Noël le cadeau exact dont il rêvait. Encore sous le choc, il mit du temps à vraiment réagir, mais Gabriell attendit, bien conscient des émotions qui se jouaient en lui. Ce n'est qu'après une longue minute de contemplation qu'il releva les yeux, embués. Il n'avait pas pensé que cela le bouleverserait autant. Sans bruit il passa les DVD sur la table à côté, plaça ses mains de part et d'autre de son visage et avança le visage en murmurant :

-Je t'aime.

Gabriell sourit lorsque ses lèvres touchèrent les siennes, lorsqu'elles restèrent collées et jusqu'à ce qu'elles se séparent à contre-cœur.

-Moi aussi.

Pas d'effusion, pas de larmes. Tout l'inverse de ce qu'il avait l'habitude de voir. Une impression de décalage par rapport aux autres. Mais ils n'avaient pas besoin de graver cette date au fer rouge. Au final ils se l'étaient déjà dit à de maintes reprises, et bien avant qu'ils ne se mettent ensemble.

Gabriell mentirait s'il disait qu'il ne ressentait rien à l'entendre de vive voix, mais il n'avait pas attendu avec ferveur cet instant que tout le monde qualifiait de « magique ». Juste du naturel, et c'était peut-être ça le plus magique au final. Et s'il doutait. S'il pensait que ça allait trop vite, il n'avait qu'à se dire qu'il se compliquait déjà assez la vie comme ça que pour se poser des questions à propos de trois petits mots.

Ivanh devait penser la même chose. Ils étaient plutôt banals en fin de compte, peut-être un poil ennuyant comparé à d'autres, mais l'alchimie, ils l'avaient déjà. Pour lui, celle que d'autres décrivaient comme de grands moments de passions, des similarités dans le caractère, cette connexion que seules les « âme-sœurs » ressentait, était différente. Ce n'était pas qu'un simple artifice, beau, bruyant, éclatant mais fugace, temporaire, condamné. C'était d'aimer chaque proposition, de sentir ses lèvres épouser parfaitement les formes de sa jumelle, qui jamais ne se lassent l'une de l'autre. C'était deux êtres qui riaient de leurs débats, qui se comprenaient. Pour ce bonheur il ferait n'importe quoi. Même cacher quelques temps un lourd poids qui pesait sur sa conscience.

Ce cours instant achevé, ils commencèrent à regarder un des films qu'il venait de lui offrir. Allongés sur le canapé, Gabriell, par pure stratégie, s'était placé au-dessus son compagnon pour pouvoir piocher dans le bol de chips. Même sans être un connaisseur, il voyait la différence entre les originaux et ceux-là. La qualité avait été retravaillé et certaines coquilles avaient été corrigées. Il était fier d'avoir trouvé ces coffrets, bien conscient que pour un fan de la trempe d'Ivanh cela devait être un trésor d'avoir en sa possession un tel objet.

Durant toute l'après-midi, ils ne firent que se nourrir et regarder des films. Là où d'autres couples dinaient à la chandelle, faisaient l'amour sur un lit recouvert de pétales de roses, eux se contentaient de quelques heures de leur banalité, mais rien n'aurait pu le combler davantage.

Gabriell pensa à la soirée que Mailla allait passer. Au total opposé de la sienne. Depuis toujours ils avaient des goûts opposés. Elle préférait diner dans un beau restaurant, à la chandelle, avec comme cadeau de bienvenu une bouteille de champagne et un beau bouquet de roses. Elle était totalement le genre de personne à rêver de coucher dans un lit de rose. Il en était certain. A cette pensée il ricana, piquant la curiosité d'Ivanh.

-Non, rien. Je pensais juste à la soirée qu'allait penser Mailla. Totalement à l'opposé de la nôtre.

-Et comment elle la passerait ?

-Cliché de A à Z. Resto avec chandelles, costard, belle robe, champagne, bouquet de rose et puis, évidemment, une nuit torride sur un lit de pétale de roses.

-Tu as totalement raison, c'est elle tout craché, dit-il.

Allongé sur lui, il avait le menton qui appuyait sur son torse. Le film continuait de jouer mais ni l'un ni l'autre ne s'y intéressait désormais. Gabriell se pencha pour l'embrasser, rien qu'un baiser sans arrière-pensée. Mais lorsqu'il chercha à se séparer, Ivanh vint s'appuyer contre lui.

D'abord surprit, il se laissa tout de même faire, curieux de savoir ce qu'il voulait vraiment. Il ne le tint pas, ne le toucha pas, se contenta juste de s'aider de ses coudes pour se relever un peu, toujours plus proche. Lorsque Gabriell se releva, sans couper le contact entre leurs deux bouches, il se mit à califourchon de part et d'autre de la taille d'Ivanh. Il savait parfaitement ce qu'il faisait maintenant.

Leurs précédents baisers n'avaient rien à voir avec ceux-là. Plus passionnés, plus envieux, au-delà de la voracité. Ils se cherchaient, se collaient, s'aimaient. Gabriell ne sut dire qui enleva le premier vêtement de l'autre, ni qui amena l'autre dans la chambre, encore moins celui qui éteignit la lumière. Ils étaient juste là, torses nus, peau contre peau, à s'embrasser, se toucher. Découvrir la peau de l'autre, apprendre chaque frémissement, chaque gémissement.

Gabriell revint à la réalité lorsqu'il entendit Ivanh tendre le bras pour fouiller dans un tiroir et en ressortir un petit sachet. Ils allaient vraiment le faire ? Le stress commença à monter, pas le même que d'habitude, ce qui fut un soulagement, mais celui que tout le monde connaissait. Cette douce appréhension des premières fois, de la seconde, de la troisième puis de toutes celles qui suivraient jusqu'à ce que ça devienne naturel. Il ne l'avait jamais fait, ni avec une fille ni avec un garçon, mais d'un autre côté il en avait envie. Il mourrait s'il ne le faisait pas. C'était l'impression qu'il avait.

-Ça va ?

Les mains de Gabriell commencèrent à trembler. D'excitation ? De peur ?

-Je... Enfin je l'ai jamais fait.

-Oh... Tu veux que je le fasse ? Ou qu'on ne fasse pas tout, tout de suite ? Ou même rien c'est toi qui vois tu sais ?

Pas de réponses. Il réfléchissait au ralenti.

-Gabriell, si tu ne veux pas, c'est pas grave.

-Non, non. Vas-y, fais-le. Ca sera plus simple. Tant que ça rentre comme dans du beurre.

-Mon Dieu mais t'es un tue-l'amour !

-C'est ma façon de gérer le stress !

-Bah trouves-en une autre.

-Tais-toi et embrasse-moi.

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