Chapitre 20




  -Bon je ne sais plus quoi faire.

  Gabriell releva la tête, Simon devant lui. Il suivait les traces de pas qu'il laissait dans la neige. Lorsqu'ils s'étaient réveillés quelques heures plus tôt avec Ivanh, ils avaient été peu surpris de constater que l'université avait annulé la totalité des cours à cause des grèves incessantes. Le plus jeune avait émis l'idée d'inviter leurs quatre amis pour la journée. Après la validation de la présence de tout le monde, il était rentré chez lui pour se changer et enfiler quelque chose de plus chaud.

  Comme la plupart des routes étaient barrées, le retour en direction de l'appartement d'Ivanh se fit à pied. A mi-chemin il avait croisé Simon et s'était donc tout naturellement qu'ils finissaient le chemin ensemble.

  Contrairement à son habitude, Simon n'avait cessé de parler durant tout le trajet. Chose si rare que Gabriell lui laissa le monopole de la conversation, mais se perdit petit à petit dans le monologue que son ami conversait. Durant la majorité du chemin il ne fit donc que marmonner de vagues « oui » et d'hocher la tête quand cela était nécessaire.

  Les températures étaient encore plus basses que la veille et Gabriell fut heureux d'avoir changé de vêtements pour des couches plus nombreuses et isolantes. De cette façon il passa la majorité du trajet la tête emmitouflée dans son écharpe et se laissait guider par les pieds de Simon. Il aurait pu continuer comme ça jusqu'à être arrivé chez Ivanh mais Simon s'était arrêté et tourné vers lui pour lâcher ces mots.

  -Comment ça ?

  -Je crois que Manon sort avec quelqu'un d'autre.

Gabriell avala sa salive difficilement, ne s'attendant pas à ça de la part de son amie.

  -Je ne pense pas. Pas aussi tôt.

  -Pourtant j'en suis persuadé.

  -Et pourquoi ça ?

  -Je l'ai vu trainé avec un gars y'a pas longtemps.

  -Ca ne veut rien dire...dit-il en soupirant.

  -Je sais, je le sais très bien. Mais j'arrive pas à m'enlever cette idée de la tête.

  Le plus jeune sourit tristement. Il détestait voir son ami dans cet état, surtout pour rien. Sa rupture avec Manon l'avait profondément atteint et jusqu'à maintenant ils n'en avaient pas vraiment parlé et Gabriell savait que cela pesait à son ami. Ce dernier n'avait jamais réussi à garder ces sentiments pour lui, mais persévérait à y parvenir.

  Récemment Gabriell s'était rendu compte que même en connaissant Manon depuis moins longtemps que Simon il la comprenait bien mieux. Avec Simon il restait une certaine gêne, peut-être parce qu'il était rare qu'il perde pied. Depuis toujours il avait ce rôle de pilier et bien avant qu'il n'apprenne à le connaitre Gabriell avait toujours eu cette impression.

  -Qu'est-ce qu'il se passe vraiment alors ?

  Ils s'arrêtèrent devant ce qui s'apparentai à un collège, il était déjà tard dans la matinée et ils se retrouvèrent vite entourés d'adolescents excités par l'appel du midi et la promesse d'un repas.

  -C'est avec elle que j'ai vécu ma plus belle histoire amoureuse. Je me voyais finir ma vie avec elle. Je ne sais pas si je serais capable d'aimer un jour autant que je l'aimais elle.

  -Attends Héléna ! Paul veut te parler.

  Une jeune fille passa tout près d'eux en criant à pleins poumons. Gabriell grinça des dents et espéra n'avoir jamais ressemblé à ça à leur âge. Déjà qu'il se considérait comme un chahuteur, au même titre que Mailla et qu'Elian, mais les adolescents dépassaient tous un certain niveau. Assez vite les deux amis quittèrent le champ de bataille pour plus de tranquillité.

  Gabriell ne savait quoi répondre à Simon. Ce qu'il attendait de lui. Et plus le silence s'éternisait plus un malaise se créait. Il n'avait jamais vécu de chagrin d'amour. Puis il était sûr que Simon trouverait un jour quelqu'un à aimer aussi fort, voire plus. Si lui et Manon s'étaient séparés c'était qu'ils n'étaient pas faits pour rester ensemble jusqu'au bout. Et ça personne ne pouvait y changer quoi que ce soit.

  Mais il ne pouvait pas se mettre à sa place et si un malheureux jour Ivanh et lui venait à se séparer il ressentirait sans doute la même chose que lui. D'une certaine manière il compatissait et comprenait le dilemme auquel il faisait face et à la souffrance qui se battaient dans ses yeux. Tout ce qu'il pouvait faire c'était de lui souhaiter de trouver quelqu'un d'aussi bien que Manon. Au plus vite.

  Et puis merde.

  Même si ça devait prendre plusieurs années.

  Tant que c'était la bonne.

  Au moins quelqu'un capable d'effacer cette tristesse au fond de ses yeux.

  Ivanh lui avait donné les clés avant qu'il ne parte, au cas où il soit sous la douche, et les deux amis purent rentrer directement dans l'immeuble sans avoir à attendre qu'on leur ouvre la porte. Surtout que Gabriell avait oublié le code qu'Ivanh lui avait donné pour accéder à l'interphone, en espérant que ses amis s'en souviennent.

  Comme prévu son compagnon était sous la douche. Gabriell se fit un chocolat chaud pour patienter et un café à Simon. Le temps qu'il sorte de sous la douche les autres invités arrivèrent tour à tour à l'interphone, chose qui commença à agacer Gabriell à force de faire plusieurs allers-retours. Il avait vraiment fallu qu'ils n'arrivent pas ensemble.

  Tous se prirent une tasse de café, vidant au fur et à mesure la réserve de caféine d'Ivanh. Lorsqu'il revint, frais d'une douche bien méritée, il salua chaque invité un à un avant de se tourner vers Gabriell et déposer ses lèvres sur son front. Sur la table basse trônaient quatre tasses de café et une de chocolat, certaines remplies pour la seconde fois et il les contempla une à une.

-Vous payerez mon prochain achat de caféine, vous m'avez vraiment pris pour un bistro.

  Ils passèrent plusieurs minutes à discuter et rires des dernières nouvelles du jour. C'était à se demander s'ils n'avaient pas oublié pour quelles raisons ils étaient venus. Dehors quelques flocons continuaient de tomber mais la neige s'était si bien accrochée qu'au final ils avaient tout le temps de sortir.

  Le début d'après-midi approchait et avec lui le retour des élèves d'écoles primaires et donc de dizaines d'enfant repus. Et si Gabriell pouvait éviter de se retrouver pour la seconde fois de la journée entouré d'enfants criant et bousculant il le ferait volontiers. Il devait déjà s'occuper d'Elian et ses interminables tirades, puis de Mailla et ses extravagances sordides.

  Pas qu'il détestait les enfants. Juste ceux des autres. Il avait même attendu avec impatience l'enfant de Simon et de Manon avant de comprendre qu'il n'existerait jamais.

  Assez tôt il avait compris que ce ne serait jamais pour lui cette vie. Cette dévotion presque animale envers un être si petit, si fragile, qui nous causera autant de joie que de peine. Cela ressemblait bien trop à une relation amoureuse, et dans son cas il avait bien assez de mal avec une seule pour se lancer dans une autre en parallèle. Il laissait ça volontiers à ses amis s'ils souhaitaient se lancer dans cette aventure aussi folle soit-elle.

  En revanche il serait le plus heureux des parrains et ne rechignerait jamais à garder ses filleuls à l'avenir. Un avenir lointain espérait-il mais un avenir tout de même.

  Il ne craignait pas les enfants de Simon, ou même de ceux de Manon, qui seraient, il fallait se l'avouer, loin d'être compliqués. Non, il s'inquiétait plutôt à propos de la progéniture des deux autres. Étrangement, pour eux, ils seraient toujours occupés.

  Ses pensées lui firent passer le temps, mais cela lui fit perdre le fil de la conversation. Elle avait duré plus longtemps qu'il ne le croyait puisque tous se levèrent pour prendre leurs affaires. Gabriell en fit de même, ni vu ni connu, et dans les minutes qui suivirent ils furent tous dehors. Dans le froid et la neige qu'ils avaient tous attendus.

  Gabriell inspira et expira par la bouche pour créer une buée devant lui. Sentir le froid jusque dans ses poumons lui donnait l'impression de se sentir plus vivant que jamais. C'était vivifiant sans être perturbant. Il sentit son nez devenir rouge à cause du froid et profita des premières mottes de neige pour poser ses mains dans la neige. La fraicheur glaciale lui engourdit les muscles un à un.

  Pour lui, le froid était presque agréable à sentir entre ses doigts. Dans quelques instants ses mains lui feront atrocement mal à force de tenir la neige entre ses paumes, mais pour l'instant il accueillait avec délectation cette sensation attendue depuis les neiges de l'année dernière.

  Il ne vit pas arriver la boule de neige derrière lui qui se brisa contre sa nuque et les restes de neige plongèrent dans son T-shirt puis coulèrent le long de son dos. Il émit un glapissement coincé entre la surprise et la douleur.

  Derrière lui un rire se fit entendre, émis par une voix différente de celle qu'il aurait cru entendre. Si Gabriell s'attendait à ce que ce soit Mailla ou Elian qui débute le combat, il fut surpris d'apprendre que Simon se tordait de rire quelques mètres plus loin. Fier de lui. A côté de lui les deux présumés coupables à tort le regardaient, surpris d'avoir été devancé de la sorte.

  Gabriell se tourna vers les seuls derniers espoirs du groupe, en quête de soutien, mais il ne fit face qu'à deux visages faussement graves qui se retenaient, tant bien que mal, de ne pas rire. C'était donc ainsi. Il n'obtiendrait donc jamais de soutien de la part de ceux qu'il considérait comme ses amis.

  Si c'était comme ça, et un peu par esprit de vengeance aussi, il prit délicatement entre ses mains le plus de neige possible. Puis il s'approcha à pas de loup de Simon, qui se trouvait toujours plié en deux, posa sa main sur son épaule et ne lui laissa même pas le temps d'afficher une expression intriguée, qu'il écrasa le tas de neige sur son visage.

  -Que la bataille annuelle commence ! cria un des quatre autres.

  La mêlée débuta, des alliances se créèrent à la va vite, se brisèrent par la suite. Leurs muscles se frigorifièrent à mesure qu'ils se battaient, mais aucun n'y prêtait attention. Chacun défendait ses positions face à l'assaillant. Certains s'occupaient de fabriquer des murailles pour contrer les attaquant.

  Du coin de l'œil, Gabriell vit Elian s'éloigner en direction des sacs qu'ils avaient laissé, par prudence, un peu plus loin. Il fouilla pendant quelques secondes dans le sien et quand Gabriell reconnut ce qui en sortait un fin sourire se dessina sur son visage.

  Dans les mains de son ami se tenait un appareil photo qu'il n'avait pas vu depuis longtemps. Elian était passionné de photographie depuis des années. Seulement, avec leur entrée à l'université, il n'avait plus eu l'occasion de ressortir l'objectif autant qu'il le voulait. Alors qu'auparavant il ne se passait pas un seul jour sans qu'il ne sorte dehors, appareil à la main.

  A cette époque, Gabriell l'accompagnait la plupart du temps dans ses excursions. C'était même arrivé qu'il soit le sujet de ses œuvres par inadvertance. Il se souvenait s'être posé des questions par rapport aux choix de licence qu'Elian avait fait. Avec des spécialités qui s'éloignaient de sa passion et une licence en sciences humaines il n'avait pas compris où il voulait en venir.

  Jamais il n'avait exprimé ses incompréhensions à haute voix, il faisait confiance à son ami pour suivre la voie qu'il souhaitait. Néanmoins il devait avouer que de le revoir derrière l'objectif réchauffa son cœur.

  D'un commun accord silencieux, les tirs s'éloignèrent de l'endroit où Elian se tenait. Si jamais une boule de neige venait s'écraser sur son appareil photo, aucun d'eux ne savait ce qu'il pourrait leur arriver.

  Gabriell jetait de temps à autre des coups d'œil en direction de son ami. Il avait confiance en son talent. Tout ce qu'il prenait en photo se transformait en souvenirs inoubliables recouverts d'une touche d'éternité.

  Comme si le ciel était complice de cet instant, les nuages se dispersèrent silencieusement avec toute la discrétion dont la nature pouvait faire preuve, pour laisser la place à un soleil qui vint éclairer l'esplanade et les six amis en pleine bataille. A voir le sourire qu'Elian affichait derrière son appareil, le résultat devait être au-delà de ses attentes.

  Les sourires sur les autres visages étaient eux aussi bien réels. Rien à part eux ne pourrait venir briser cet instant figé dans le temps. Ça, Gabriell en était certain, il s'en souviendrait toute sa vie. Et avec une certitude non feinte, il pouvait croire que s'en était de même pour ses amis.

  Tout à coup il se sentit tombé au sol, projeté contre sa volonté il tomba sur une masse qui se secouait de rire. Gabriell le reconnut immédiatement et ne put s'empêcher de rire, comme depuis des semaines.

  Autour d'eux les quatre individus encore debout se tordaient aussi de rire. Gabriell apprendrait plus tard qu'en voulant l'attaquer par derrière, Ivanh avait glissé sur une motte de neige à moitié fondu. Dans une ultime réflexion de désespoir, il avait agrippé son partenaire pour essayer de retrouver son équilibre. Mais pour l'instant il ne savait rien de tout ça, pour autant les rires de ses amis furent communicatifs et il se mit à en faire de même.

  Les quelques flocons qui tombaient des derniers nuages rebelles fondaient sur ses joues déjà froides. Entre deux soubresauts incontrôlés il se retrouva face à Ivanh qui, comme lui, ne parvenait pas à contrôler ses rires. Allongés comme ça les seules pensées qui parsemaient son esprit étaient celle qui voulait qu'il continue de s'esclaffer et l'autre qui voulait juste qu'il embrasse son compagnon, ici et maintenant. Qu'importe que leurs amis soient à quelques mètres. Une fois de plus il eut l'impression que sa vie se transformait petit à petit en film à l'eau de rose de Noël.

  -Pourquoi depuis hier j'ai l'impression qu'on vit dans un roman mal écrit bourré de clichés ?

  -Pauvre de nous. Tu sais, si c'est le cas, autant y aller jusqu'au bout.

  La seconde pensée de Gabriell prit donc le dessus et il pressa ses lèvres contre celles d'Ivanh. Lui qui manquait presque de vomir devant les scènes de ces téléfilms que sa mère l'obligeait à regarder avec elle, il faisait exactement la même chose, et le pire c'était que cela lui plaisait. Alors que leurs lèvres se décollaient, il entendit un léger bruit d'appareil photo, signe qu'Elian n'avait rien manqué de la scène.

  -Eh ! Le droit à l'image toi là-bas !

  -Bah ! Tu me connais, je ne suis qu'un vil paparazzie.

  Gabriell se releva et aida Ivanh à faire de même. Celui-ci avait son manteau recouvert de neige et il entreprit à s'en débarrasser. Mais à peine sa tâche accomplit qu'une énorme boule de neige vint s'abattre dans le dos de son compagnon. Tout son travail mit en miette il se retourna vers le ou la fautive.

  Or, aujourd'hui les surprises ne faisaient que de s'accumuler. Manon préparait déjà un second tas de neige dans ses mains pour se défendre. Gabriell et Ivanh tournèrent la tête l'un vers l'autre comme un seul homme. Faussement outrés, ils hochèrent la tête ensemble.

  -On va se la faire.

  -Ca tu peux le dire.

  La guerre reprit alors là où elle s'était arrêtée quelques instants auparavant. Par esprit de vengeance, le couple s'allia face aux trois autres qu'ils considéraient tels des traitres. Elian ricanant derrière son appareil photo.

  Plusieurs fois des passants les dévisagèrent avec des regards intrigués. Pour tout le monde il faillait mieux rentrer chez soi, au chaud, devant sa télévision ou un bon livre. Sauf pour eux. Ils étaient encore jeunes, ils se sentaient d'avoir le droit de profiter des petits bonheurs de la vie avant qu'ils ne puissent plus se le permettre.

  D'autres regards les firent ricaner, comme ceux des lycéens et collégiens des établissements alentours qui les fixaient avec des regards mélangeant curiosité et envie. Il semblait évident que ces adolescents devaient retourner en cours mais qu'ils auraient bien préférés rester aussi dehors à jouer avec la neige entre amis.

  Comme eux.

  Entouré des siens, Gabriell ressentait moins la pression de toute cette attention focalisée sur eux. Il ne se trouvait pas seul au centre de ces regards persistants.

  Ils continuèrent dans cette lancée jusqu'à ne plus sentir leurs doigts, même à travers leurs gants. Gabriell se sentait encore déterminer à continuer mais ses muscles commençaient à le lâcher. Ils remontèrent donc tous à l'appartement d'Ivanh pour restaurer leurs énergies.

  Là-haut, ils firent ce que toute personne censée faisait en hiver : plaid, chocolat chaud, télévision. Sans surprise, des conflits naquirent quant au choix de la série à regarder. Manon et Gabriell s'imposèrent avec leur sitcom « How I Met Your Mother ». Gabriell avait d'ailleurs été choqué d'apprendre que son petit-ami n'avait jamais entendu parler de cette série mythique pour lui. Il devint donc évident que c'était ce qu'ils devaient regarder.

  Assis sur le canapé, il se tenait entre Mailla et Ivanh qui venait de revenir après avoir préparé toutes les boissons. Emmitouflés sous leur petit plaid, les trois amis commencèrent à regarder avec les autres les premiers épisodes. Comme il n'avait plus la force de tenir sa tête, il posa sa tête sur l'épaule de Mailla mais attrapa le petit doigt de son compagnon. Malgré la fatigue il se promit de ne pas s'endormir.

  Inévitablement cela arriva.

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