Chapitre 13




  Jamais de sa vie Gabriell n'avait été aussi en avance. Il était quatorze heures et il n'était censé se trouver à l'appartement de Mailla que dans cinq d'entre elles seulement. Pourtant il était bel et bien assis sur la table de la salle à manger, à gonfler des ballons et à piquer dans des paquets de chips qui se trouvaient à proximité de lui. Il pensa rapidement que manger autant de matières grasses lui seraient fatales dans quelques années mais étant une proie facile il replongea sa main dans le papier aluminium.

  Après tout Elian et lui venait d'être kidnappés en ce début d'après-midi pour aider leur amie à la préparation de sa fête d'anniversaire. Selon elle ses parents l'avaient abandonné pour partir dès le matin à leur hôtel et seule elle n'arriverait jamais à tout terminé à temps.

  Gabriell manquait clairement de sommeil après les festivités de Noël deux jours auparavant et gonfler des ballons de baudruche et préparer des petits fours aux saucisses n'étaient pas ce qu'il pouvait qualifier de reposant.

  Derrière lui Elian surveillait la cuisson des gâteaux et des petits amuse-gueules que Mailla avait préparé. Cette dernière avait lancé une playlist sur les enceintes et avait monté le volume à fond ce qui donnait un avant-goût de ce que serait la soirée.

  Pour l'instant aucun voisins n'étaient venus se plaindre et deux options s'offraient alors à lui. Soit les voisins étaient tous partis en vacances, soit ils savaient très bien d'où le son provenait et savaient d'avance qu'ils ne pourraient rien y faire. Malheureusement pour lui la seconde primait sur la première.

  Dans le salon la seule jeune femme de la pièce fabriquait de magnifiques guirlandes en gobelets prêtes à l'emploi comme elle le disait. Elle en était si fière qu'elle les enchainait sans s'arrêter et Gabriell craignit qu'il n'en eu trop. Il était habituel que, prise de passion, Mailla ne sache plus s'arrêter. Or, comme il ne restait plus de plats à préparer elle s'était trouvée une autre occupation pour ne pas en préparer d'avantage, rien que par envie.

  Sautant de la table où il était assis depuis une heure le jeune homme s'approcha de son amie et lui tendit les quelques ballons qu'il avait déjà fait.

  -T'as fait que ça en une heure ? Honte à toi.

  -Déjà je te permets pas ensuite tu sais bien que mon air est précieux.

  -Précieux mon cul ! Allez, retourne travailler.

  D'un pas trainant il retourna à son ancienne tâche sans manquer d'insulter la jeune femme de tous les noms qu'il connaissait et au-delà. Elle n'en manqua aucun, mais se contenta simplement de sourire, peu fâchée de l'énervement de son ami. Bien consciente que même en l'insultant il se mettrait au travail. Or, actuellement, c'était tout ce qui comptait. L'air amusé d'Elian lui déplut fortement et Gabriell lui envoya un chiffon qui trainait sur le comptoir.

  -Tu sais bien qu'elle s'en fiche, t'es un toutou limite.

  Gabriell grommela dans sa barbe sous les rires de ses amis. Du coin de l'œil il vit qu'il restait une bonne dizaine de ballons de baudruche et il soupira de dépit. Rien ne l'avait préparé à cette épreuve même s'il aurait dû s'en douter connaissant Mailla. Pourtant il s'était laissé entrainer par celle-ci et il le regrettait amèrement désormais.

  -Pourquoi Manon n'est pas là d'ailleurs ?

  -J'allais pas lui infliger ça la pauvre !

  -Par contre à nous oui ?! s'indigna Elian.

  -Vous c'est pas pareil, vous connaissant vous n'auriez rien foutu d'autre aujourd'hui, alors que Manon révise. Elle.

  -Gab, je crois qu'on est exploités.

  -C'est maintenant que tu t'en rends compte ? Et pour l'amour de Dieu arrête de m'appeler comme ça.

  -T'es pas athée ?

  -Oh toi la ferme, esclavagiste va !

ᾡᾡᾡ

  Il était dix-neuf heures tout pile lorsque les premiers invités arrivèrent. Sans surprise Manon fut la première à entrer, avec une bouteille de champagne. Etant les deux seules femmes du groupe les deux amies avaient noués une relation fusionnelle dès leur rencontre, et cette complicité ne les avait jamais quittés.

  La plus âgée se jeta dans les bras de la seconde en lui souhaitant un bon anniversaire. S'en suivirent les arrivées de personnes que Gabriell n'avait jamais vu, ou de loin et qui racontèrent tous qu'ils faisaient partis des camarades de Mailla dans son cursus de Sciences.

  Il fut surpris de voir arriver Alex et Clément quelques minutes plus tard. Eux le saluèrent comme si de rien n'était.

  -Qu'est-ce que vous faites là ?! Je ne savais pas que vous connaissiez Mailla.

  -Elle et moi on s'est croisé quelques fois et elle a insisté pour que je vienne car je te connaissais aussi, lui expliqua Alexandre.

  -Et lui ?

  -Tu veux un mensonge ou la vérité ?

  -Les deux, j'avoue.

  -Officiellement je l'ai invité, officieusement il m'a suivi depuis chez moi pour venir.

  Gabriell ne fut même pas surprit de cette déclaration. Il commençait à cerner le personnage qu'était Clément. Il ne laissa d'ailleurs pas passer le fait que les deux semblaient vivre ensemble ou alors au même endroit ce qui confirma un peu plus la théorie d'Ivanh.

  Penser à ce dernier le déconcentra et c'est alors qu'il commença à le chercher dans la foule qui s'était créé sans qu'il n'y fasse attention. Il ne lui semblait pas l'avoir vu entrer mais il avait été distrait, alors peut-être...

  -Tu cherches qui ?

Gabriell sursauta en entendant la voix d'Elian juste à côté de lui.

  -Putain tu m'as fait peur.

  -Ivanh c'est ça ? Il n'est pas encore arrivé. Allez viens on va boire j'ai soif pas toi ?

  -Ca dépend la boisson.

  -Champagne. Allez soyons fous !

  Ils se rendirent au comptoir de la cuisine de Mailla où plusieurs bouteilles d'alcool était disposées comme une invitation. Gabriell ne se fit pas prier et se remplit un verre de champagne à la moitié et en fit autant pour son ami.

  Les deux jeunes n'étaient pas du genre à se bourrer la gueule mais l'évènement auquel ils étaient présents était trop important pour qu'ils restent sages. Même s'il n'était pas un grand fan de champagne car cela lui rappelait les boissons gazeuses industrielles trop amères pour lui, Gabriell savait apprécier un bon alcool quand il en buvait un, et il devait avouer que Manon avait un talent pour trouver les plus agréables. Il nota dans un coin de sa tête de la remercier pour ses choix toujours judicieux. Aussi horripilante soit-elle.

  De coin de l'œil il vit Mailla déambuler d'invités en invités. Elle était maîtresse de la maison et reine de la soirée. Sa présence le subjugua un instant, dans son ensemble jean moulant et t-shirt mauve mis en valeur par des bijoux simple mais sublimes elle attirait tous les regards.

  C'était tout elle. Depuis qu'il la connaissait il avait compris que même si elle était déjà au centre de l'attention elle voulait avant tout être au centre des regards. Cela même si des regards un peu trop baladeurs de personnes aux mains elles aussi trop baladeuses rentraient dans le contrat. C'était dans ces moments-là que le rôle de Gabriell et d'Elian entrait en jeu.

  Ils étaient certes là pour profiter de la fête avec leurs amis mais aussi pour surveiller que rien ne se passe, ne se trame. Ils jetaient aussi des coups d'œil fréquents en direction de Manon.

  Sa tenue du jour était un brin trop décontractée pour une fête d'anniversaire. Gabriell la reconnaissait bien dans cette attitude. Là où d'autres auraient choisis de porter une tenue tout aussi sexy que la reine de la soirée, la jeune femme avait décidé de s'éclipser un peu des regards pour laisser Mailla briller comme il se le devait.

  Elle restait splendide, Gabriell était le premier à s'en rendre compte, mais passait plus inaperçue que toutes les autres femmes de la soirée et cela eu le don d'à la fois le rassurer et l'inquiéter. Ils n'avaient pas vraiment eu l'occasion de parler de ce qu'avait entrainé pour elle sa rupture avec Simon. A l'inverse de son ex qui avait passé des après-midis à se désespérer sur le lit d'untel un jour et de l'autre le suivant, Manon était restée assez fermée sur le sujet, et ça ne serait pas Gabriell qui le lui reprocherait.

   Son attention fut ainsi détournée plusieurs dizaines de minutes de son but initial : trouver Ivanh.

  -Regarde qui voilà !

Gabriell tourna la tête dans la direction qu'Elian indiquait de son doigt.

  -Ne serait-ce pas ton copain ?

  -La ferme Elian.

  -Allez va petit jouvenceau, va ! retrouve ton amour.

  D'une main de fer il le poussa en direction du jeune homme qui venait tout juste de passer le pas de la porte. Gabriell fit un détour après avoir pensé que cela ferait bizarre s'il lui tombait dessus à peine quelques secondes après son arrivée.

  A coup sûr ça aurait paru trop suspect à ses yeux et il ne voulait pas que l'autre pense qu'il surveillait l'entrée à sa recherche. Tout à coup il détesta Elian pour l'avoir averti à la seconde de la présence de son ami et de l'avoir poussé à aller à sa rencontre. S'il ne lui avait rien dit il aurait mit plusieurs minutes à s'en rendre compte et ne passerait donc pas pour le parfait harceleur qu'il était.

  Seulement voilà, il errait entre les corps en mouvement qui se dandinaient aux rythmes de la musique, essayant dans une dernière tentative de ne pas se faire repérer trop vite. De loin il vit Mailla venir accueillir le nouvel arrivant avec plaisir, un verre à la main. Verre qui ne devait sans doute pas être le premier puisqu'elle couvrit le jeune homme de multiples bises sur les joues et de longues accolades. S'il ne savait pas qu'il était gay Gabriell aurait presque pu être jaloux de voir apparaitre sur ses joues des rougeurs de gêne.

  Dans sa quête de discrétion il croisa certaines connaissances qu'il n'avait pas encore eu le temps de saluer et en profita pour gagner du temps. Seulement, il sentait aussi le regard ardent d'Elian dans son dos qui le menaçait sans aucune subtilité que s'il ne se rendait pas au-devant d'Ivanh il passerait un mauvais moment en sa compagnie.

  De petites gouttes de sueurs coulaient le long de son cou et il tenta en vain de mettre cela sur le compte de la chaleur que dégageait la pièce à cause des corps qui s'y trouvait.

  Après avoir fait le tour de la salle il estima que le temps écoulé était assez long pour qu'il puisse aller à la rencontre de son ami sans paraitre trop insistant ou impatient. Celui-ci était près du buffet où il était occupé à remplir son assiette des quiches et pizza que Mailla avait soigneusement préparé quelques heures auparavant.

  -Salut !

  -Oh, salut ! T'es là depuis longtemps ?

  -Si par longtemps t'entends 14h alors oui.

  -14h ! Tu t'es fait kidnapper toi si je n'm'abuse.

  -Mailla a employé le mot « réquisitionner ».

  Ivanh ricana, lui aussi avait appris à connaitre la jeune femme ces quatre derniers mois et cette anecdote collait assez bien au caractère du personnage.

  -Alors comme ça elle est vraiment née un 26 décembre ?

  -Pas de chance oui.

  - Ça va c'est pas la mort non plus.

  -Toi t'as pas vécu presque la moitié de ta vie à l'entendre se plaindre car à chaque vacances y'avait personne de libre pour fêter son anniv. Je pense secrètement qu'elle est amie avec moi seulement car je ne pars jamais en vacances.

  - ne m'étonnerait même pas.

  Les deux se jetèrent un regard complice avant de rediriger leur attention vers le sujet de leur discussion. Elle discutait avec un homme que Gabriell avait brièvement aperçu, si Elian ne s'était toujours pas interposé tout devait bien se passer et il redirigea son regard au hasard sur la salle bondée.

  Ses yeux croisèrent ceux d'un jeune homme d'à peu près son âge qui, semblait-il, le fixait depuis quelques temps déjà puisqu'il l'avait déjà remarqué son regard sur lui plusieurs fois au cours de la soirée. Sans qu'il ne s'y attende il lui décocha un clin d'œil avant de sourire, Gabriell rougit jusqu'aux oreilles.

  Ce genre de situation ne lui arrivait presque jamais et pouvait se compter sur les doigts d'une main. Il se retourna vers le buffet pour que personne ne remarque sa gêne, même s'il entendit résonner jusqu'à son âme le rire de celui qui se trouvait de l'autre bout de la pièce.

  Sans aucun doute il avait inventé ce rire, ou bien il avait effectivement ri, mais certainement pas de façon moqueuse. Il le savait mieux que quiconque. Alors pourquoi ressentait-il ce pincement, pourquoi transpirait-il autant tout d'un coup, pourquoi son cœur battait vite au point de lui faire mal.

  Si vite. Si mal.

  Ses mains tremblaient si fort que la louche qui contenait le punch qu'il tentait de verser dans son gobelet se renversait sur la belle nappe que Mailla avait passé tant de temps à choisir. Le rire résonnait encore, venant marteler l'intérieur de son crâne.

  Cette massue de forgeron qui s'abattait sur lui, plus vite, toujours plus vite, lui donnait mal au crâne. Lui donnait mal au cœur. Aujourd'hui il n'était pas préparé pour ça, à subir ça. C'était d'une violence inouïe, implacable et imprévisible. Comme le coup de hache du dernier condamné du Moyen Age qui mettait fin à la flamme de la vie. Cette fois encore ça lui était tombé dessus comme ça. Juste un rire et tout était finit. Foutu.

  -Eh ! Ca va ?

  Foutu. Foutu. Foutu. Toute sa concentration allait dans le versement du cocktail dans son gobelet. Ses yeux étaient secs, les pleurs ne voulaient pas venir, l'envie de pleurer non plus. Ses tremblements redoublèrent. Il ne pouvait rien faire d'autre que trembler.

  Ces moments-là l'effrayaient, tout simplement. Quand il en parlait d'anxiété les gens avaient tendance à penser que cela avait un air de trop pleins de sentiments, peut-être était-ce le cas en fin de compte. Peut-être était-ce lui qui fonctionnait bizarrement. « Comme toujours ».

  Chez lui les sentiments n'avaient jamais été le problème, c'était le manque d'eux qui berçaient sa vie, chaque jour depuis des années déjà. Cette peur que ce vide le consume, l'absorbe tout entier. Non ce n'était pas trop ressentir qui lui faisait peur.

  C'était Lui.

  Sa peur.

  Toute sa terreur convergeait vers ce vide au creux de la poitrine.

  C'était Lui qui le faisait se sentir apathique, qui le faisait se sentir étranger à tout. Ce manque, ce vide, cette boule de rien.

  -Gabriell !

  Ivanh l'attrapa par le bras pour le faire pivoter dans sa direction. Gabriell le regarda avec des yeux ronds, qu'est-ce qu'il lui prenait ?

  - Ça fait cinq minutes je t'appelle.

  -Ah. Pardon.

  -Ça va ?

  -Ouais, pourquoi ?

  -T'as l'air crevé.

« Vide ».

  -Non ça va.

  -Si tu veux tu peux aller t'éclipser dans les chambres. Je suis sûr que Mailla comprendra.

  D'habitude Gabriell aurait sauté sur l'occasion pour se retrouver seul et rester allonger sur un lit à fixer le plafond durant un temps indéfini à penser à tout et à rien en même temps. Mais cette fois se retrouver seul lui fit peur. Lui qui avait peur de partager ça avec quelqu'un voulait ce quelqu'un avec lui.

  -Pas envie. Je préfère rester ici.

  -Je fatigue un peu je t'accompagne avec plaisir si tu veux.

  Gabriell ne répondit pas et hocha simplement de la tête. Le son des enceintes lui perça les tympans une dernière fois avant qu'il ne se dirige vers le couloir au fond de l'appartement juste à côté de la cuisine.

  Aucune pièce n'était utilisée et Gabriell ouvrit la porte de la chambre de Mailla et y entra tout en sachant qu'elle n'y verrait aucune objection. Il s'allongea sur le lit, le dos contre le matelas moelleux et commença à compter les étoiles phosphorescentes au plafond. Mailla les avait toujours gardées, soi-disant par manque de temps, mais aussi car cela lui serait un crève-cœur.

  Ivanh s'assit à côté de ses pieds et s'appuya sur le mur vert presse. Les sons de batterie résonnaient encore jusqu'ici mais se faisaient plus supportables. Ni l'un ni l'autre n'avait envie d'engager la conversation. Le silence avait quelque chose de réconfortant.

  Gabriell savait pertinemment qu'ils ne seraient pas longtemps seuls puisque Mailla les avait certainement vus quitter la pièce et en serait aller avertir Manon qui s'empresserait d'aller voir si tout allait bien.

  Le bruit de leurs respirations calma un peu les violents coups qui resonnaient dans son crâne et qui refusaient de s'en aller. Son rythme cardiaque était encore douloureux mais plus supportable que dans le salon.

  L'envie de tenir la main d'Ivanh le prit par les tripes. Il avait besoin d'un peu de contact sans oser le demander. Il n'avait jamais été réputé pour un quelconque acte de courage. Ses membres continuaient de trembler sans continuité et faisaient légèrement trembler les couettes. Il se sentait petit à petit se perdre dans les méandres des noirceurs sans rien pour se raccrocher à la réalité.

  Rien. Rien. Rien.

  Sans un bruit Ivanh lui attrapa les jambes pour les placer au-dessus des siennes pour les mettre tous les deux dans des postions plus confortables et commença tout naturellement, comme si ce geste était naturel entre eux,  caresser doucement ses genoux dans un espoir de réconfort qu'il espérait utile. Gabriell ne dit mot de cette intervention tant elle lui fit du bien. Ce n'était certes pas la main qu'il avait attrapée mais il se sentait déjà mieux d'être entré en contact avec lui.

  Sans s'en rendre compte il s'endormit bercer par le son des basses et les pressions réconfortantes de celui qu'il aimait.

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