Chapitre 12
-Alors tu vas lui demander de sortir avec toi ?
Elian était allongé sur le lit de Gabriell et regardait son téléphone tout en parlant et posant des questions. Gabriell faillit s'étouffer avec son verre d'eau, qu'il venait tout juste de rapporter de la cuisine.
Les deux amis avaient passé l'après-midi en compagnie de Simon, qui s'y était pris, une fois de plus, au dernier moment pour acheter les cadeaux de Noël qu'il comptait offrir aux membres de sa famille. Il partait deux jours plus tard en direction de la Normandie où habitaient ses grands-parents et où toute sa famille se réunissait chaque année durant la période des fêtes.
Les trois jeunes avaient donc erré cinq heures dans le froid et sous le vent pour aider le plus âgé à trouver des cadeaux pour des personnes qu'il n'appréciait même pas. Depuis toujours Simon avait une relation conflictuelle avec sa famille et seuls son frère et sa sœur comptaient réellement pour lui.
-Arrête de raconter n'importe quoi. Tu sais bien que ça n'arrivera pas.
-J'ai envie de te dire que pour une fois que tu tombes amoureux-
-Je ne suis pas amoureux.
-Cause toujours. Je disais donc que pour une fois que tu n'as pas de vu sur un hétéro faudrait ouvrir le champagne et que tu tentes ta chance avec.
Gabriell souffla. Son ami était un mur en béton armé et tenter de le raisonner ne servirait à rien. De ce côté-là il pouvait sans problèmes rivaliser avec Mailla. Ces deux-là étaient butés et dès qu'ils avaient une idée derrière la tête rien ni personne ne pouvait les arrêter.
-Donc ça se passe bien vos révisions ?
-On va dire ça.
Depuis que Gabriell avait demandé à Ivanh de l'aider dans ses révisions ils s'étaient vus deux fois chez lui et une fois à la bibliothèque. Le second devenait étrangement concentré dans ces moments-là et cela influençait l'attitude du premier qui travaillait enfin dans le calme.
Son ami prenait tellement la chose au sérieux que dès le début il avait décidé de lui confisquer son téléphone pour l'empêcher de l'utiliser à mauvais escient. Le plus jeune avait tenté de négocier, en vain.
Elian sortit du lit pour aller regarder dans le meuble où Gabriell entreposait les DVD de la famille pour espérer y trouver quelque chose qui pourrait les intéresser. En même temps l'autre sortit son ordinateur pour qu'il puisse visionner le film qu'aurait choisi Elian.
Ils ne comptaient pas travailler, par manque de motivation et il leur arrivait souvent de se prendre une journée entre amis pour décompresser. Simon avait été obligé de repartir chez lui pour préparer ses valises mais il avait tout de même eut le temps de déjeuner avec eux dans le restaurant situé à quelques mètres de son appartement.
Faire les magasins avait été aussi bénéfique pour les deux autres puisqu'ils avaient ainsi pu acheter les cadeaux de Mailla et être ainsi libérés de cette tâche.
-Tadaaaaa !
Elian leva les bras et Gabriell soupira de dépit.
-Encore...
-Titanic est un chef-d'œuvre.
-On l'a regardé genre cinq cent fois.
-Je suis l'invité et c'est moi qui décide.
A contre-cœur Gabriell passa le DVD dans le disque dur de son ordinateur, incapable de se battre contre l'amour qu'Elian portait pour ce film. Avec une grimace il vit apparaître la durée du film. Pourtant dès que les premières notes du thème se firent entendre il rentra dans l'ambiance si spécial de ce chef-d'œuvre, comme l'appelait son ami.
Comme à son habitude Elian ne put s'empêcher de commenter les instants qu'il préférait, qu'il trouvait drôle, déblatérant des références à des vidéos humoristique en rapport avec des scènes qu'ils regardaient et qu'il avait vu sur Youtube.
Gabriell se souvint qu'au début de leur véritable amitié, au collège, ce trait de sa personnalité l'avait plus qu'agacé mais il avait appris à vivre avec et à supporter la voix haut perchée de son ami, ses cris et son rire spécial.
Il n'avait jamais vraiment réussi à comprendre ce besoin de parler. Il n'avait jamais cherché de réponse à ses questions. Probablement car il estimait que cela ne le concernait pas, que si son ami souhaitait lui en parler, il le ferait.
Ce n'était que quelques mois auparavant que la situation avait évolué, une dispute avait suffi pour qu'Elian craque et qu'il se retrouve pour la première fois depuis des années sans pouvoir répliquer. Ses yeux paniqués avaient suffi à Gabriell pour qu'il se calme et vienne réconforter son ami.
Une longue discussion s'en était suivit où plusieurs non-dits avaient pu être régler. Pourtant il sentait encore que son ami lui cachait des choses, sans qu'il ne trouve la force de l'aider, sans qu'il en ait le courage. Être auprès de lui était la seule chose qu'il pouvait faire.
Elian ne sembla pas remarquer le débat intérieur de son ami, il continuait de fixer l'écran avec passion, répétant encore et toujours les répliques culte du célèbre film. Son sourire et son rire firent du bien à Gabriell qui posa sa tête contre son épaule.
-Ambiance hétérocurieuse.
Gabriell laissa sa tête tomber entre ses bras dans une mimique faussement abattue.
-Ta gueule ! J'suis pas hétéro imbécile.
-Moi si, et je suis vachement curieux. Qu'ai-je dit de mal ?
-Tu me fatigues sérieux...
-Chut je regarde le film.
Estomaqué Gabriell ne put dire mot et laissa Elian gagner la bataille sans le vouloir. L'insolence de son ami l'avait laissé sans voix et il ne put trouver de mots capables d'exprimer son ahurissement. Finalement il donna un coup de coude dans les côtes de son voisin qui grimaça sans oser protester.
Un mal pour un bien Elian arrêta de parler pour se contenter de regarder le film, sans nul doute vexé. Sa susceptibilité n'était pas inconnue à Gabriell. Il savait aussi que s'il pouvait s'énerver très vite, son animosité s'estompait tout aussi rapidement.
C'est donc sans surprise qu'une dizaine de minutes plus tard l'autre recommença à parler sans cesse, comme d'habitude.
A peine la porte d'entrée se fut refermée que Gabriell soupira de fatigue, après plus de trois heures trente de film entrecoupées par la voix haut perchée d'Elian, il pouvait enfin se reposer. Cet après-midi n'avait pas été des plus reposants. Et même si tout le monde avait tendance à le décrire comme aussi énergique que les deux amis qui partageaient sa vie depuis plusieurs années déjà, il n'en était rien.
Il avait toujours été en marge de ces deux jeunes adultes qui riaient forts et criaient à tout bout de champs. D'un côté il l'était aussi, par moment. Néanmoins il n'avait plus cette facilité à crier de joie dans la rue après une journée passée avec ses amis. A profiter tout simplement.
Au lycée il suivait la cadence avec la même énergie, sans se poser aucune question, et il appréciait de chanter à tue-tête dans les magasins leurs chansons préférés, de ne même pas remarquer les regards curieux des personnes alentours, de juste penser à l'instant présent sans se soucier de rien.
Désormais il était un entre-deux, il ne saurait savoir quand cela avait démarré, il avait tout simplement changé. Certainement l'influence calme et raisonnée et Manon et Simon l'avait fait mûrir d'une façon ou d'une autre, ou au contraire l'avait rendu plus prudent, plus alerte qu'il ne l'était avant.
Les deux plus âgés avaient toujours été les plus raisonnables du groupe. Ils ne se faisaient presque jamais entrainer dans les délires des trois autres et étaient ceux qui les rappelaient le plus souvent à l'ordre.
Depuis qu'il les connaissait ils avaient toujours été une sorte de modèle pour Gabriell. Ils étaient l'incarnation de ce qu'il espérait devenir en grandissant, en mûrissant. Il était fier d'être leur ami, il l'était depuis le début et le serait encore pour de longues années.
Leur séparation avait fissuré quelque chose en lui, quelque chose qui lui avait fait croire que jusqu'au bout ils seraient indestructibles. Et voir ce regard de vulnérabilité qu'avait exprimé Simon ce jour-là avait marqué plus qu'il ne l'aurait dû Gabriell.
Pour lui leur couple était un ciment de leur groupe. Il les avait soudés les uns entre les autres. Grâce à eux ils devenaient une sorte de famille un peu bancale. Pourtant les choses changeaient, inexorablement. Gabriell pouvait le supporter mais au fond de lui il préférait que tout reste comme ces deux dernières années.
Il avait réussi à trouver une certaine stabilité dans ce quotidien auprès de ses amis, mais désormais entre l'arrivée d'Ivanh, la séparation de ses amis, et son mental qui s'enfonçait petit à petit dans les méandres de l'enfer il se sentait dépassé. Abandonné. Fatigué.
« On plonge toujours plus avant de remonter la pente », lui avait dit .
« Tu parles, que des conneries ».
ᾡᾡᾡ
En se réveillant le lendemain Gabriell fut surpris de constater que plusieurs appels et quelques messages de Manon lui étaient parvenus durant son sommeil. Il était plus de onze heures passées et le nombre de SMS reçus inquiétèrent immédiatement le jeune homme.
Néanmoins dès les premiers lus la tension retomba dans tout son corps. Les premiers appels remontaient à deux heures à peine et la messagerie qu'elle avait également laissée lui indiquèrent qu'elle l'attendait dans trente minutes en bas de chez lui. Sans faute.
Sans plus attendre il s'empressa de se faire griller des tartines de pain pendant qu'il enfilait des habits propres. Il avait eu à peine le temps de se brosser les dents et de se coiffer un minimum que la sonnette retentit, indiquant l'arrivée, pile à l'heure, de son amie. Gabriell dévala les escaliers à vive allure pour se retrouver face à face avec le visage souriant de son aînée.
Elle était radieuse, en tout point. Elle s'était légèrement maquillée comme elle le faisait peu souvent, mais avait su choisir une tenue qui la mettrait inévitablement en valeur. Manon était le genre de femme qui savait comment plaire et le montrait bien. S'il ne la connaissait pas Gabriell aurait pu craquer sur elle dès le premier regard.
-Alors comme ça on a besoin d'aide pour trouver un cadeau ?
Manon grommela dans sa barbe ce qui fit disparaitre en une seconde le charme qu'elle avait jusqu'alors.
-Simon est occupé, Mailla c'est impossible, je ne vais certainement pas demander à Elian ou je me retrouverais à me faire trainer dans chaque magasin qu'on croisera donc tu es le seul potable.
-Si tu croyais me faire plaisir en disant ça t'as foiré.
-Bon bouge-toi un peu le cul on doit trouver un cadeau.
-A vos ordres cheffe !
Même s'il ne l'avouerait pas, sortir en compagnie de Manon lui faisait plaisir. Ce genre d'occasion se présentait peu et il appréciait la présence de la jeune femme à ses côtés. Elle dégageait une aura rassurante partout où elle allait.
Gabriell savait plus que quiconque que d'un point de vue extérieur on pouvait penser qu'ils n'avaient pas développer une si forte relation que ça, et même qu'une certaine distance s'était créée entre eux. Il était donc heureux de démentir un peu plus à chaque fois qu'il la voyait ce préjugé infondé.
Ils commencèrent par quelques boutiques de secondes zones, juste au cas où quelque chose sorte du lot, sans résultat. Le passage dans une sex-shop glaça le sang de Gabriell. Même s'il avait déjà acheté certains objets sur le net, il devait avouer que d'autres le mettaient plus que mal-à-l'aise et qu'il ne se sentait pas véritablement à sa place dans ce genre de boutique.
Pourtant il ressentait une désagréable sensation en se rendant compte qu'il était sûr que Mailla aurait adoré qu'ils lui rapportent un petit quelque chose ; mais Manon décida de quitter la boutique après avoir fait le tour et il exprima une excuse silencieuse à l'encontre de son amie. Malgré le fait qu'il ne ressentait aucun regret à ressortir les mains vides.
Ils tombèrent bien vite sur l'enseigne d'une nouvelle papeterie qui avait ouvert boutique quelques jours auparavant. Manon fut tout de suite charmée par la devanture très fantaisiste et aux produits qui y étaient exposés.
Aucun de ses amis n'ignoraient l'amour que Mailla portait aux carnets et accessoires en tout genre. Sans plus attendre ils rentrèrent dans la boutique et se séparèrent pour plus d'efficacité. Gabriell trouva que pour une nouvelle boutique et à une heure de début de matinée l'endroit était plutôt animé et il espéra que les choses restent ainsi pour qu'il puisse y retourner lorsqu'il serait lui-même en manque de papier ou de cahiers de notes pour ses manuscrits. Un manque de clients aurait signifié une fermeture proche.
Le jeune homme trouva plusieurs , ainsi que des packs de carnets et stylos avec des post-it personnalisés. Manon quant à elle avait trouvé à peu près la même chose. Ils firent donc le tri avant que la jeune femme passe sa commande. Il était midi pile lorsqu'ils sortirent enfin de la boutique, Gabriell portant inévitablement les sacs qui contenaient les cadeaux de Manon.
La rue était bondée malgré qu'ils étaient lundi et ni son amie ni lui n'avaient encore la force de traverser cette marée humaine. D'une décision commune ils se rendirent au restaurant le plus proche pour échapper au brouhaha des gens environnants.
Comme elle venait d'acheter l'entièreté de la papeterie Gabriell invita son amie et lui promit de payer sa part. Cette promesse lui coûta puisque son amie profita de l'occasion pour se commander le plat le plus cher du menu et une bouteille de vin de quinze ans d'âge.
Lui, il n'avait jamais compris ce système d'année d'âge, il n'avait jamais été un homme à vin et préférait la bière, les choses simples et qui ne lui prenait pas la tête.
D'un sourire malicieux elle apporta son verre à ses lèvres sous le regarde haineux de Gabriell qui comptait bien le lui faire payer le plus tôt possible. A l'inverse Manon se régalait du spectacle qu'il donnait. Le taquiner était vite devenu l'un de ses passe-temps préférés et depuis qu'il s'était rencontré deux ans auparavant c'était devenu comme un rituel entre eux.
L'une mettait les nerfs à cran de l'autre et l'autre se vengeait de l'une quelques jours plus tard. Parfois les rôles s'inversaient pour très vite revenir au casting d'origine.
Une certaine complicité existait entre eux qu'ils n'expliqueraient jamais. Elle n'était pas apparue du jours au lendemain, et en même temps elle avait toujours été là. Au début elle n'avait été que la copine de Simon. Sans prénom. Sans identité. Pour devenir au fil des jours, semaines et mois passés à ses côtés « Manon ».
Elle avait marqué son être entier dans l'esprit des trois jeunes adultes et s'était installée dans leur quotidien pour ne plus partir. D'un coup Gabriell se rendit compte de la bêtise d'avoir cru que la séparation entre elle et Simon risquait de détruire leur groupe, leur famille. Ça avait été d'une bêtise inimaginable, d'une stupidité maladive.
-Tu m'aurais manqué.
-De quoi tu parles ?
-C'est con mais quand vous vous êtes quitté avec Simon j'ai eu peur pendant quelques temps que ça fasse casser notre groupe.
Manon sourit comme elle savait si bien le faire, celui d'une mère compréhensive, comme si elle savait depuis le début.
-Ca n'arrivera jamais, et tu le sais j'en suis sûre.
Gabriell acquiesça sans répondre et recommença à manger son repas. Ils reprirent une discussion plus banale sans penser à revenir sur ce sujet, comme si la plaie avait fini de cicatriser rien qu'avec ces paroles apaisantes.
Le déjeuner achevé Gabriell raccompagna Manon chez elle à pied à une vingtaine de minutes de là. Les rues étaient un peu plus vidées que précédemment et une belle ambiance calme se propagea autour d'eux. Gabriell menait la conversation comme habituellement lorsqu'il discutait avec Manon jusqu'à arrivés devant l'entrée de son immeuble.
-A dans cinq jours !
-Oui, bisous.
Un dernier salut de la main. Elle tourna le dos et lui partit aussi vers sa propre direction.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top