Chapitre V

Bruna


"Danser, c'est comme parler en silence. C'est dire plein de choses sans dire un mot"

Yuri BUENAVENTURA

Une fois de retour chez moi, je me douche en moins de temps qu'il le faut pour le dire. Je m'enfile un jean slim en simili cuir noir, une petite tunique légère ainsi qu'une paire de converses. Je suis une adepte de ces tenues décontractées, elles te permettent d'être féminine tout en restant à l'aise et libre de tes mouvements.

Je n'ai jamais réussi à être ultra-sexy, les robes moulantes, les tenues provocantes, ce n'est pas ma came. Et même si j'envie les filles qui portent ce genre de fringues, moi, j'ai toujours eu l'impression d'être ridicule et vraiment pas légitime. Et si des efforts ont été faits depuis mes jeunes années, je suis à mon maximum.

Je me maquille tout aussi rapidement, un trait de Khôl tiré à l'ancienne et un peu de mascara fera très bien l'affaire.

La simplicité, il n'y a rien de tel. De plus, il a parlé de soirée dansante et il est hors de question que je reste assise toute la soirée, il a intérêt à me faire danser.

Comme il me reste un peu de temps, j'appelle vite fait Kaya, j'ai besoin de lui raconter en détail mon après-midi, j'ai besoin de ses conseils avisés, ou plutôt qu'elle me pousse à me désaper.

— Salut Biche.

— Ça va ma biche ?

Oui, je sais ces surnoms sont pourris, mais c'est bien pour ça qu'on les a choisis, le club des prénoms les plus pourris, il ne faut pas l'oublier. Plus c'est nul, plus ça nous fait rire.

— Impec, je t'appelle vite fait, il faut absolument que je te raconte la dinguerie qu'il m'est arrivée aujourd'hui.

— Ça y est. Tu t'es enfin décidée à reperdre ta virginité sœur Thérèse.com ?

— T'es con. Non, j'ai passé l'après-midi avec mon fantasme number one, il m'a invité à manger au restaurant ce soir et je te garantis que la seule chose que j'ai envie de bouffer, c'est lui.

— Jure. Ton fameux yakuza sexy ?

— Lui-même.

— Il est comment ? Toujours aussi beau ?

— Il est canon, encore mieux que quand on avait dix-huit ans.

— C'est génial, fais-toi bombasse alors.

— Je suis déjà habillée et je dois descendre sonner chez lui dans dix minutes.

— Attends, je t'appelle en Face Time. Comment ça, descendre sonner ?

— Ah oui, hasard de fou, bibiche, on habite le même immeuble.

— Tu déconnes ? Chérie, ce n'est pas le hasard ça, c'est le destin qui vient de mettre un énorme coup de pied dans ta porte oui. Laisse-toi porter et pour l'amour du ciel, ce soir, ne sois pas sage. Attends vas-y, vas devant ton miroir.

— Deux secondes, voilà.

— Tu n'es pas sérieuse, là ? T'as pas moins sexy ? Tu mets quoi comme chaussures ?

— Mes converses noires.

— T'es désespérante, si tu crois que tu vas emballer comme ça. À quoi servent les "Loulous" que je t'ai offert à Noël ?

— Écoute, je suis à prendre comme ça ou rien et je ne veux pas qu'il s'imagine que c'est gagné d'avance.

— Ok, mais tu ne fais pas beaucoup d'efforts quand même. Appelle-moi direct quand tu te lèves demain matin.

— Si j'arrive encore à marcher. Je t'aime à demain.

— Moi aussi, à demain.

Je raccroche, récupère mon sac à main et m'apprête à partir quand un doute me taraude. Je repose mes affaires, retire mes baskets, mes chaussettes et enfile la magnifique paire d'escarpins rangée soigneusement au fond de mon armoire.

Elle avait raison.

Armée de mes nouveaux super-pouvoirs, je prends l'ascenseur pour relier les trois étages qui nous séparent. Je n'ai pas le temps d'arriver devant sa porte qu'il l'a déjà ouverte, je le trouve époustouflant. Comment peut-il être toujours aussi beau ?

Il porte un jean tout simple, qui lui colle parfaitement à la peau et un polo à manche courte qui laisse apparaitre les magnifiques tatouages qui lui recouvrent les bras. Il est toujours aussi musclé et ses 1,90 m, me donnent l'impression d'être une toute petite chose. Il a un charisme fou. Si ça ne tenait qu'à moi, je le laisserais me sauter à même son palier. Comment peut-on être seul, quand la majorité des nanas doit se retourner sur son passage ?

— Tu arrives à être magnifique en moins d'une heure. Chapeau.

Il baisse les yeux sur mes Loulous avant de les braquer de nouveau sur les miens. J'ai l'impression qu'il va me manger toute crue.

— Et... Ces chaussures, elles sont... Waouh.

— Tu es vraiment doué pour les compliments, ça fait plaisir.

Ce qu'il y a de bien, c'est que l'on a que la route à traverser pour arriver au "Restaurant de la Place". C'est un établissement relativement grand avec une salle séparée en deux à l'intérieur, une belle piste de danse au milieu et une terrasse aux couleurs de chez nous, rouge et noir. Il est 19 h et il y a déjà pas mal de monde, mais il a dû réserver, car on nous dirige directement vers la table 23. Galant jusqu'au bout des doigts, il tire ma chaise afin que je m'installe confortablement et, en me retirant mon gilet, ses doigts effleurent mes épaules envoyant une décharge jusqu'au fond de ma petite culotte.

— Qu'est-ce-que tu veux boire ? me demande-t-il à peine assis.

— Un coca rondelle s'il te plaît surtout la rondelle.

Putain, t'es déchaînée B, avoue que c'est la tienne que tu aimerais qu'il pète ce soir oui.

— T'es sûre que tu veux un soft ? On est en face, on n'a pas à prendre la voiture.

— Non merci, je ne bois pas d'alcool.

— Pas de problème. Ça ne te dérange pas si je bois une petite bière ?

— Ah, mais pas du tout, fais-toi plaisir.

Quand le serveur arrive pour nous donner les cartes, il en profite pour passer la commande de nos boissons.

— Tu vas voir, ils ont des salades d'enfer, la salade César, c'est la meilleure.

T'es trop grosse B, tu le sais qu'il aime les tailles mannequins.

Une salade ? Il est sérieux lui ? Il m'a pris pour un lapin ou quoi ?

— Alors, merci, mais non merci. Je m'épuise à faire du sport pour pouvoir manger tout ce que je veux, donc la verdure, je la laisse à celles qui font attention si tu veux bien. Je suis une très grande amatrice de burgers et s'il y a des frites maison, c'est encore mieux. En conséquence, monsieur l'habitué des salades, que valent les burgers ici ?

— C'est une tuerie, me répond-il mort de rire.

— Qu'est-ce que j'ai dit de drôle ?

— Rien, je te promets, mais si tu avais vu dans quel état tu t'es mise pour une salade, je ne pensais pas que tu étais du style à préférer manger Junk-Food, tu es tellement minuscule.

— Oh, mais la taille ne fait pas tout, attends que je commande aussi le dessert.

Le repas se déroule comme tout le reste de la journée, on rit, on se taquine. J'ai mille fois l'impression que je lui plais et je me résonne autant de fois. Je crois que mon cœur de midinette doit cesser de s'emballer. Les conversations sont joyeuses et fluides, c'est comme si l'on ne s'était jamais perdus de vue, comme si l'on était sur la même longueur d'ondes.

La mamie de la table d'à côté a complètement craqué sur lui, ce qui nous surprend et nous amuse à la fois. Toutes les deux minutes, elle lui jette des coups d'œil, elle finit par nous dire que nous sommes un couple magnifique et bizarrement ni lui, ni moi ne la contredisons.

— Et sinon tes enfants ? Cet après-midi, on a vaguement abordé le sujet, mais je suis curieux de savoir ce qu'ils font si loin de leurs parents.

— Eh bien, ma fille a intégré il y a deux ans le centre de formation de la section féminine du MHSC, cette année est charnière, elle peut prétendre à s'entrainer et à jouer avec le groupe professionnel. Elle s'entraîne dur, elle a beaucoup sacrifié depuis qu'elle est petite. Beaucoup d'heures d'entraînement, peu de sortie. Elle a toujours fait beaucoup de sport, fait attention à sa santé. Elle réalise son rêve quoi et puis le club gère ses études en immobilier.

— C'est génial. Et ton fils ? Comment ça se fait qu'il soit lui aussi à Montpellier ? Ils sont footballeurs tous les deux ?

— Mon Dieu non, lui, il préfère les motos. Ils ont du mal à vivre loin l'un de l'autre, ces deux années ont été très difficiles pour eux, donc il a préféré poursuivre ses études auprès d'elle, puisque des deux, c'est le seul qui pouvait choisir l'endroit. Il est à l'INFN, c'est une école pour devenir notaire, il est à vingt minutes de sa sœur.

— C'est fou à quel point ils sont unis, surtout pour des faux jumeaux.

— Je sais, mais si tu savais comme ils sont casses couilles, ils n'arrêtent pas de s'emboucaner, tu te demandes pourquoi ils veulent rester si près l'un de l'autre.

— L'amour.

Je suis en train de passer une excellente soirée et mon burger au foie gras, en plus de diffuser une odeur fantastique, est une pure merveille. Je vis un véritable orgasme culinaire et je pense que les gémissements de satisfaction qui sortent de ma bouche le confirment.

D'ailleurs ce doit être peu discret, car Marc me regarde bizarrement, il me fixe avec beaucoup d'insistance.

— Je crois que je pourrais épouser ce burger.

— Je vois ça, tu as l'air... de... Vraiment aimer ça.

Mais tu es gêné mon coco ? Je pense que je vais à mon tour le mettre un peu mal à l'aise. Il n'a pas arrêté toute la journée de me faire des allusions, me semble-t-il, assez rentre-dedans.

— Oh, tu n'as pas idée, lui dis-je lubriquement alors que je termine en me léchant les doigts.

Il déglutit, puis se lève en me tendant une main et en baissant le regard, je constate qu'il n'y a pas que sa main qui soit tendue.

— Allez-viens, on va danser, ça t'évitera la salle de sport demain.

— Je connais des activités qui te font brûler beaucoup plus de calories que la danse.

— Ah oui. Lesquelles ?

— Je pense que tu sais exactement de quoi je parle.

Toi, elle, un slow horizontal.

On se dirige vers la piste de danse et je me mets à bouger au tempo de la musique, j'adore le rythme que Pitbull met dans ces sons, ça inspire la joie et la bonne humeur. Je m'imprègne de ces sentiments quand je reporte mon regard sur Marc et là, c'est le choc, on vient de mettre le doigt sur la seule chose qui ne le met pas en valeur.

Je ne peux retenir mon éclat de rire.

— Mais dis-moi, tu ne m'avais pas dit que tu avais le rythme dans la peau.

— Je sais, je danse comme un pied, mais j'adore ça, alors je m'en fous.

— Tu as raison, il faut toujours faire ce que l'on aime, peu importe ce que les gens en pensent, de toute façon, on vit pour soi pas pour eux et quoi que tu fasses, tu seras critiqué.

C'est à ces mots qu'il se rapproche de moi, il m'attrape par la main et me tire à lui, il me loge contre son torse et entame un slow.

On détonne carrément. Qui danse un slow sur du Reggaeton ?

Mais je pense qu'il s'en fiche, le regard des autres ne lui pose aucun problème et comme moi, à ce moment précis, je ne me préoccupe que du sien, je me laisse embarquer de bon cœur.

Je tiens entièrement au creux de ses bras, comme si nos deux corps avaient été moulés ensemble, je me sens à ma place, en sécurité et étonnamment comblée.

— Et là, c'est mieux ?

— C'est vrai que tu es beaucoup plus gracieux dans ce style de danse.

On finit le reste de la chanson, ainsi que les deux suivantes, à cette cadence. Mon cœur bat la chamade et mon cerveau est en surchauffe. Je ne sais pas comment réagir à son corps contre le mien. Il ne semble pas décider à me lâcher, au contraire plus la musique défile, plus il ressert son étreinte. Il caresse doucement mon dos, sa tête délicatement posée contre la mienne, on se balance, seuls au monde.

Mon corps et mon cœur s'embrasent et l'envie de lui grandit à chaque seconde. Il m'inspirait déjà ce genre de sentiments lorsque l'on était jeune et il m'arrivait de m'imaginer des tas de scénarios de lui et moi, le soir, seule, dans mon lit, mais rien d'aussi transcendant que ce soir. Peut-être parce que j'ai l'impression que, contrairement à avant, maintenant, j'ai une chance.

Ça y est, mon esprit divague. Pourrait-il se passer quelque chose entre nous ? Ou est-ce que je me fais des idées ? J'ai vraiment la sensation qu'il y a un possible, possible pour nous deux, ou alors, je suis tellement en manque que j'en viens à m'imaginer tout et n'importe quoi.

Il faut absolument que je me trouve un mec, mes jouets ne suffisent plus apparemment.

Arrête de te faire des films B, regarde-le et regarde-toi, t'as aucune chance.

Je finis par me détacher de lui, je n'ai pas envie de me faire de fausses idées. Je n'ai plus dix-huit ans, merde, je suis une femme intelligente et indépendante, avoir de telles pensées est ridicule, je suis ridicule.

Pour garder bonne figure, je lui prétexte que nos desserts ont été servis. De nouveau à notre table, il tente de conserver la bonne humeur qui nous habitait, mais la magie a disparu, je préfère mettre un terme à ces divagations de suite, plutôt que de replonger dans de vieux travers.

L'heure tourne, une fois l'addition réglée, on se lève pour rejoindre nos appartements respectifs.

— Je dois me lever tôt demain, mais ce serait cool qu'on remette ça bientôt, pas d'attendre dix ans encore.

— Quand tu veux, j'ai passé une excellente soirée, lui dis-je en montant dans l'ascenseur.

On sélectionne nos étages en silence. Arrivés au deuxième, il m'embrasse sur la joue et me souhaite une bonne nuit.

Alors, qui c'est qui a raison ? Écoute-moi quand je te crie dessus B.

Les portes se referment sur lui et avec elles s'envolent le peu de rêves que je m'étais autorisée à faire.

Je m'adosse à la paroi de la cabine, lève la tête vers le haut, ferme les yeux pour retenir les larmes qui tentent contre ma volonté de couler et expire de douleur. J'ai une énorme boule qui me compresse le thorax, comme une sensation d'étouffer mélangé à de la tristesse, les larmes toujours au bord des yeux, putain de sensibilité, je savais qu'on ne jouait pas dans la même catégorie.

Une fois le cinquième atteint, je sors en fouillant mon sac à la recherche de mes clefs, au moment où j'ouvre ma porte, j'entends celle de la cage d'escalier s'ouvrir brutalement et claquer contre le mur du couloir. Je me retourne vers le bruit, apeurée et je vois Marc débarquer, complètement essoufflé.

— Mais t'es malade. Pourquoi t'as fait ça ? Tu m'as fait peur putain.

Il s'arrête net, ne dit pas un mot et me fixe comme s'il était perdu, ne sachant ni que dire, ni que faire.

— OH ! Tu réponds ? C'est quoi ton souci ? J'ai oublié quelque chose ?

Je commence à être sérieusement effrayée par son attitude figée. On dirait réellement qu'il n'est pas lui-même. S'il faut, c'est un tueur en série, le copycat de Daniel Camargo Barbosa et c'est pour ça qu'il vit seul. Mais non arrête avec ça. Il faut que je ralentisse avec tous ces reportages, je dois être tarée pour me détendre en regardant des documentaires sur le mental de ces monstres.

— Bon, vas-y Marc, tu me fais vraiment peur, parle, avance, pars, fais quelque chose MERDE.

Toujours ce silence.

— Oh, mais t'attends quoi là ?

J'ai dû dire ce qu'il fallait, comme un robot, il se remet en marche, me regarde étrangement et se dirige droit sur moi.

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MAIS IL ATTEND QUOI ??????

Fonce mec, tu vois pas qu'elle n'en peut plus.

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