Chapitre IX

Bruna


"Je rêve son visage, je décline son corps 
Et puis, je l'imagine habitant mon décor
J'aurais tant à lui dire si j'avais su parler
Comment lui faire lire au fond de mes pensées ? "

Céline DION

Après deux heures de sport, je rentre pendre une douche et me changer. Je dois rejoindre Kaya chez elle pour appeler nos enfants. Mon fils passe le week-end avec sa sœur pour la soutenir, elle a un gros match test cet après-midi. Si tout se passait bien pour elle, elle pourrait s'entraîner et, à terme, jouer avec l'équipe première de Montpellier qui évolue actuellement en D1 du championnat féminin de football, ce qui lui permettrait d'avoir plus de visibilité.

Je n'ai pas passé la porte que ma meilleure amie me saute dessus complètement surexcitée.

— Allez, ça fait une heure que je t'attends, l'iPad est allumé, je lance le Face Time.

— Bonjour Biche. Écoute je vais bien et toi ? Comment s'est passée ta soirée ? Moi, la mienne fût excellente. Moi aussi ça me fait plaisir de passer la journée avec toi.

— Oui, si tu veux, après, mais là tout de suite, on n'a pas le temps, Anila va partir pour sa mise au vert et on va la louper, alors tu es gentille, mais tu bouges.

— Ok, calme-toi.

Les jumeaux décrochent à la troisième sonnerie.

— Et coucou mes amours, lance Kaya avant même que je n'entraperçoive leurs visages.

— Salut Marraine, lancent-ils en chœur.

— Votre génitrice est là aussi.

— Coucou mes bébés.

— Coucou maman.

— Mamannnnnnn, tu me manques tellement.

— Arrête de faire ton suceur Minus, la seule chose qui te manque, c'est que quelqu'un te fasse à bouffer et tes lessives.

— Ferme-là Cortex. C'est normal toi, ici, on te fait tout pendant que tu te branles.

— Moi, je me branle ? Je m'entraîne toute la journée et je vais en cours, toi, tu te branles dans ta fac de feignasses.

— Bon ça suffit vous deux. Pourquoi vous restez vivre à vingt minutes l'un de l'autre si c'est pour vous prendre la tête sans arrêt ?

— Parce qu'on est jumeaux, maman. Tu as oublié ? Où elle va, je vais, où je vais, elle va.

— Vous êtes fatigants. Bon ma championne, comment tu te sens avant ce match ?

— On verra M'man, si ça marche tant mieux, sinon tant pis, je n'en mourrai pas.

— Elle va tout déchirer M'man, c'est une machine. Elle est tellement remontée à bloc qu'elle a eu les couilles de dire à Papa de ne pas venir.

— Tu as fait ça ?

— Ben oui, il est trop stressé et il me fout la pression quand il est là, en plus il fait comme quand j'étais petite, il m'appelle alors que je suis concentrée sur le terrain, il fout la honte.

— Je sais mon bébé, mais c'est ton père, il t'aime et il croit bien faire. Il l'a pris comment ? Tu veux que je l'appelle ?

— Non pas la peine, il a dit qu'il comprenait, mais je suis sûre qu'il va venir quand même, le seul point positif, c'est qu'il restera silencieux de peur que je le voie. Au pire Élyo lui scotchera la bouche. Il peut bien faire ça pour sa grande sœur.

— Grande sœur de quoi ? Tu saoules pour onze minutes.

— Bon sinon, nous coupe Kaya, comme Anila a un week-end de libre la semaine prochaine, je nous ai réservé, pour tous les trois, un appartement privé au Domaine de Verchant, j'arrive vendredi et je repars dimanche, je vous emmène faire les magasins.

— T'es la meilleure marraine.

— Et comme votre mère ne vient pas, je vais pouvoir vous gâter sans limites.

— Comme si tu ne faisais pas comme tu veux depuis qu'ils sont nés.

— Peu importe, tu ne viens pas, j'ai besoin d'être un peu seule avec eux. Et sinon, votre mère a rencontré quelqu'un.

— Tu ne sais pas te taire, c'est incroyable. Ils n'ont pas besoin de savoir ça.

— C'est bon man, papa, il est bien avec Laurie et nous, on est loin. Tu n'es pas obligée de rester seule toute ta vie.

— C'est clair maman, on est content nous si tu es heureuse en sortant avec quelqu'un.

— Non, mais je ne sors avec personne, je l'ai rencontré jeudi, on ne va pas en faire une montagne.

— Oui, mais elle le connait depuis le lycée.

— Bon ça suffit, dites au revoir à marraine, je vous appelle demain. Je vous aime.

— Et moi je vous aime encore plus qu'elle.

— Nous aussi on vous aime.

On raccroche et j'ai une boule au ventre, certainement l'appréhension du match. Elle a tellement sacrifié, son enfance, son adolescence, son premier amour pour en arriver là qu'il ne faudrait pas tout foirer maintenant.

— Je sais à quoi tu penses, tu réfléchis trop fort. Elle va cartonner, elle a trop bossé pour ça tu le sais. C'est une guerrière et elle a avec elle le meilleur des supporters et puis, de toi à moi, tu sais très bien que Greg est déjà sur la route. Jamais il ne laisserait sa princesse affronter ça toute seule.

— Je sais, mais c'est mon bébé, je ne peux pas m'en empêcher.

— Je me doutais que tu serais dans cet état, on a tout un après-midi à l'"Intempor'L" de réservé, on va se faire dorloter.

— Arrête de dépenser tout ton argent pour nous, on n'en a pas besoin.

— Vous non, mais moi oui, vous êtes ma famille, je n'ai que vous et Medhi alors laisse-moi faire s'il te plaît.

— Je sais, tu es la meilleure.

On s'installe pour manger la salade qu'elle nous a préparée. Elle a beau vivre seule, elle reste la meilleure cuisinière qu'il m'ait été donné de rencontrer, même une simple salade est une véritable œuvre d'art.

— Alors hier ?

— Ben écoute, au top, je n'ai pas eu le temps d'enclencher le risotto, qu'il m'a attrapée et sautée dans la cuisine, c'était tellement chaud. Je ne sais pas si c'est parce que je n'ai eu aucun rapport pendant trois ans, ou si c'est lui, mais c'est hyper intense. Je ressens des choses que je n'avais jamais ressenties et, pourtant, tu sais qu'avec Greg, on en a fait des folies, j'ai des orgasmes explosifs. Et... Je ne sais pas, on dirait qu'il sait ce qui me plaît, ce qu'il me faut, comme s'il me connaissait.

— Tu craques ou quoi ? Meuf ça fait deux jours.

— Je sais, c'est fou. On a fait une prise de sang ce matin pour dégager les capotes, c'était son idée en plus. Il veut aller vite, comme s'il avait du temps à rattraper, des étapes à sauter, il me fait penser aux gens à qui il ne reste pas beaucoup de temps à vivre.

— Peut-être qu'il a eu un méga coup de foudre, qu'il brûle d'amour pour toi. Avant que tu l'ouvres, réfléchis bien à ce que tu vas dire, je te connais.

— J'allais juste te dire qu'un coup de foudre me paraissait impossible, on se connait depuis plus de vingt ans.

— Je ne sais pas, j'hypothèse. Je couche avec des tas de mecs régulièrement et aucun ne m'a fait un dixième de ce que lui t'a fait en si peu de temps.

— Ce soir, il me cache les clefs de son appart sous le paillasson pour que je le rejoigne quand je rentre. Et il a dit un truc que je n'ai pas compris, il a dit que cette fois, il n'attendrait pas vingt ans.

— Je ne sais pas, c'est bizarre. Et sinon, physiquement ?

— Il est trop sexy. Après notre partie de jambes en l'air dans la cuisine, on est allé sous la douche, il s'est remis à bander quasiment illico, comme on n'avait pas de préservatif, je suis sortie, d'où les tests ce matin. Tu imagines, on venait de baiser et il était déjà au taquet. Enfin bref, quand je suis revenue dans la salle de bain pour lui déposer ses fringues, il était dos à la porte, appuyé sur le mur avec un bras et en train de se branler avec l'autre. Putain, si tu avais vu ça, tous les muscles de son dos, de ses fesses, contractés c'était... C'était trop chaud, j'ai cette image dans la tête depuis hier soir. Quand il est revenu pour manger, il m'a dit que c'était à moi qu'il pensait sous la douche, que c'était à moi qu'il pensait tout le temps. Je te jure que je suis excitée en non-stop depuis quarante-huit heures.

— Je suis formelle, il est fou de toi, c'est rapide, mais pas impossible.

— Écoute on verra bien, pour le moment, on se concentre sur nous ça m'évitera de gamberger pour rien, on y va.

On arrive au salon pour les 14 h, on commence par le ravalement de façade de luxe, autrement dit le soin du visage, un massage japonais qui a la capacité de me faire croire que je rajeunis de dix ans à chaque fois. Je suis sur un nuage, je raffole de ces moments de calme et de sérénité, et on termine par un massage du corps aux pierres chaudes, un pur délice.

On se prépare chez elle, et on file au karaoké. Quand on se stationne sur le parking, je lève les yeux sur l'enseigne et je me demande, comme à chaque fois, comment Mehdi peut laisser cette horreur fixée au-dessus de la porte d'entrée alors que l'intérieur est moderne et magnifique. Tiens en parlant du loup, Medhi, le patron et son plus vieil ami, comme son frère plutôt puisqu'ils ont été élevés ensemble étant donné qu'il est le fils biologique de sa mère d'accueil, nous serre dans ses bras.

— Salut mes beautés, vous vous êtes faites belles pour votre soirée Céline. Essayez de ne pas faire trop d'ombre à mes autres clients.

Elle l'embrasse sur la joue et file à notre table où, nous attendent déjà nos cocas rondelles. Elle s'abstient toujours de boire, probablement à cause de son père qui était connu pour être un alcoolique notoire, je pense même que c'est pour elle que je ne le fais jamais.

Grésillement du micro, tapotage, raclement de gorge qui résonne dans les enceintes. Public tiens-toi prêt, le Boss est dans la place.

— Mesdames et messieurs, bonsoir. Je prends le micro pour vous réexpliquer le fonctionnement de notre établissement. Chaque table dispose d'un écran tactile qui vous permet de sélectionner la chanson que vous désirez, au fur et à mesure des clics de chacun, vous prenez place dans la file d'attente, toutes les dixièmes places, les chanteurs remportent une consommation gratuite, à vous d'avoir la chance d'être bien placés. Les inscriptions démarrent dans : 3... 2... 1.... Amusez-vous bien.

— Quel showman ton frère, allez, on démarre, on commence par Prière Païenne. Vas-y on est combien.

— Septième.

— C'est bon, sélectionne Destin.

— Trente et unième.

— Putain, on n'est pas passé loin, prépare, J'irai où tu iras et direct derrière D'amour ou d'amitié.

— Quarante-septième et cinquante-deuxième. Allez, encore une.

On ne change pas.

— Soixante-neuvième, laisse tomber, on n'a pas de chance ce soir.

Ce n'est pas pour les consommations gratuites, on n'a jamais dépensé un euro ici, mais c'est pour la gagne, s'il y a bien quelque chose qui me transcende, c'est ça. Je suis extrêmement mauvaise perdante et mon esprit de compétition, en plus d'avoir contaminé mes enfants, me perdra.

Plus que deux chansons et c'est à nous. Ma partenaire du soir est surexcitée, je ne comprendrai jamais son amour pour la diva québécoise, c'est une vraie fan, on a cassé nos tirelires, jeunes, pour ses concerts et ses CD et on a cassé nos voix dans la voiture. Depuis que Medhi a monté ce bar, on vient une fois par mois. On ne chante pas que du Céline, mais on a le droit à, au moins à une chanson à chaque fois.

C'est enfin à nous, on monte sur la scène, la musique démarre et on commence à se trémousser, ce sont nos moments de célébrité, tous les habitués nous connaissent.

"Les mains serrées, ça, c'est facile,

Fermer les yeux, j'aime plutôt ça,

Genoux pliés, pas impossible,

Se taire un peu, hum, pourquoi pas,

Mais ma prière, elle est qu'à moi,

J'y mets tout ce que j'aime, ce que j'espère."

...

On est à fond, on chante archi faux, mais tout le monde s'en fout, c'est le crédo de Medhi, "Au Kara'O, c'est comme au Mc Do, venez comme vous êtes", dans ce temple, si tu te moques, tu es radié à vie, c'est pour cette raison qu'il est complet tous les week-ends, les gens se sentent bien, à l'aise et ils savent que personne ne les juge.

On sort de scène en nage, c'est comme si on avait fait un marathon. On va avoir le temps de se reposer, il y a plus de vingt chansons d'attente, soit plus d'une heure trente. On passe juste après un groupe de jeunes filles en soirée EVJF.

"Y a pas de voiles aux volets de mes frères,

Y a pas d'opale autour de mes doigts,

Ni cathédrale où cacher mes prières,

Juste un peu d'or autour de ma voix,

Je vais les routes et je vais les frontières,

Je sens, j'écoute et j'apprends, je vois

Le temps s'égoutte au long des fuseaux horaires

Je prends, je donne, avais-je le choix ?

...

Lorsque l'on se réinstalle, après celle-ci, un jeune homme qui ne doit pas avoir plus de trente ans, m'invite à danser, c'est bon enfant, mais il s'autorise tout de même un petit jeu de séduction qui fait du bien à mon égo. C'est l'aura des femmes épanouies sexuellement me tonne ma blonde. Il me fait tourner comme si on dansait un rock. Comment à son âge peut-il connaitre cette danse ? Et en plus, il est très appliqué. J'avance, je recule, je passe sous son bras, il me fait tournoyer et je ris aux éclats, Kaya se moque de moi et je ris encore plus fort. La chanson se termine, il me fait un baisemain et nous retournons chacun à nos tables respectives. Une demi-heure plus tard, c'est de nouveau à nous.

Aux premières notes de celle-ci, les clients poussent des cris et sifflent. Ils chantent avec nous et nous, on joue les stars pendant trois minutes vingt-six.

"Chez moi les forêts se balancent et les toits grattent le ciel,

Les eaux des torrents sont violentes et les neiges sont éternelles,

Chez moi les loups sont à nos portes et les enfants les comprennent,

On entend les cris de New-York et les bateaux sur la Seine."

...

Juste le temps de se rassoir et de boire un coup, qu'il nous faut retourner sur scène, Kaya a besoin de moi pour faire les chœurs.

"Il pense à moi, je le vois, je le sens, je le sais

(Je le sens, je le sais)

Et son sourire ne ment pas quand il vient me chercher,

(Quand il vient me chercher)

Il aime bien me parler des choses qu'il a vues, du chemin qu'il a fait et de tous ses projets."

...

On retourne s'installer, je sors mon téléphone pour voire l'heure, il est minuit passé et j'ai plusieurs messages de Marc, le dernier date d'un petit quart d'heure.

Marc : Je m'occupe en t'attendant

Le message est accompagné d'une photo, un selfie de lui en train de lire un de mes romans. Je m'amuse de la scène, le pauvre, il n'est pas au bout de ses surprises. Je fais défiler le reste de la conversation.

Marc : J'espère que tu te régales à chanter, tu dois être la star de la soirée, on a reçu les résultats, on est libres

S'ensuit la capture d'écran de ses résultats. J'ouvre ma boite mail, clique sur les liens et rentre les codes, je prends une capture d'écran à mon tour et lui envoie avec un petit mot.

Bruna : Je m'éclate comme une folle, moi aussi, j'ai eu les résultats. À tout à l'heure, ne m'attends pas, on est loin d'avoir fini. PS : garde tes lunettes la prochaine fois, t'es trop sexy ;-)

Marc : À vos ordres madame, <3. À toute, Bébé

Bébé ? C'est nouveau ça ? Se pourrait-il que Kaya ait raison ?

— Go biche, c'est la der, ce n'est pas le moment de rêvasser.

"On ne change pas, on met juste les costumes d'autre sur soi,

On ne change pas, une veste ne cache qu'un peu de ce qu'on voit,

On ne grandit pas, on pousse un peu tout juste,

Le temps d'un rêve, d'un songe."

...

On finit tranquillement, le bar se vide peu à peu, mais nous, on adore traîner et regarder Medhi s'affairer jusqu'à la fermeture. Il est plus de trois heures quand on décide enfin de s'en aller, je dépose mon amie chez elle et je rentre tranquillement chez moi.

Je récupère le sac que je m'étais préparé et je stoppe l'ascenseur au deuxième, je trouve la clef, comme prévu, sous le paillasson et un post-it collé sur la porte avec "FAIS COMME CHEZ TOI BÉBÉ" inscrit dessus. Je rentre et allume la lumière de mon téléphone, je parcours l'appartement des yeux, trouve tant bien que mal la salle de bains.

Je me dirige vers le lavabo ou un tee-shirt à lui est posé, de nouveau un post-it, "si c'est pour être couverte quand tu dors, je préfère que ce soit avec mes fringues" et une brosse à dents. Il est possible qu'il ait remarqué mon toc dents blanches et je me dis qu'il pense à tout. Je me brosse les dents en recherchant avec mon téléphone sur internet ce qu'est un zinnia rose. Je fais défiler les photos. La fleur n'est pas belle au premier abord, mais il y a quelque chose dans sa simplicité qui me plait. Je me dis que si Marc venait à m'en offrir, j'aimerais peut-être enfin une fleur. Je termine en me passant un coup d'eau sur le visage et enfile son tee-shirt sur ma culotte.J'ouvre une première porte doucement et me retrouve dans une jolie chambre avec trois petits lits, je la referme et ouvre celle d'en face. C'est la sienne, il dort paisiblement sur son flanc gauche, face à l'entrée, l'espace devant lui est vide, paraissant presque me chuchoter qu'il avait gardé un coin pour moi.

Je me glisse sous les couvertures en étant la plus discrète possible. Comme s'il avait senti ma présence, son bras droit entoure mon ventre et m'attire à lui, nous plaçant en cuillère pour la nuit, j'ai envie de lui dire que pour faire ça son lit king-size est trop grand.

Il s'accroche à moi et, dans son sommeil, me souffle que je lui aie manqué. Je ferme les yeux et m'endors dans la chaleur de ses bras.

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Que celle d'entre-nous qui n'a jamais hurlé sur du Céline Dit me jette la pierre 

Allez n'hésitez pas à voter, commenter, critiquer je prends tout

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