37 - Eyes closed
Dérangé par la lumière trop vive qui lui piquait les paupières, Lucas ouvrit doucement les yeux. Un violent mal de crâne le fit soupirer : il avait encore beaucoup trop bu la nuit dernière. Les images de la veille étaient encore très floues et revenaient par flash à mesure qu'il émergeait de son lit, pourtant très confortable.
La seule chose dont il voulait vraiment se rappeler à cet instant précis à vrai dire, est l'endroit où il se trouvait. Il tenta donc de se repasser le fil des évènements, en commençant par le plus facile : son point de départ.
La soirée avait débuté chez Maxence, mais il se voyait insister pour aller en boîte de nuit, jusqu'à ce que ses amis ne cèdent et l'y conduisent - il était déjà bien trop éméché pour s'y rendre seul. Au final, Corentin, Arif, Lucas, Henry, Nadège et Maxence avaient accepté. Et eux aussi avaient bien tiqué sur cette liste... "Vous savez qu'on ne va jamais rentrer, n'est-ce pas ?" les avait interrogé Corentin lorsqu'ils se dirigeaient, tout enthousiastes vers leur boîte de prédilection. Entrain vite fané alors qu'il avait continué : "Lucas et Max sont torchés, Henry aussi ce qui nous élimine la seule fille restante, comment vous croyez que va réagir le vigile ?"
Lucas sursauta à ce souvenir : voilà comment Nadège s'était retrouvée à appeler son amie Clara qui les avait rejoint bien rapidement. Voilà où il se trouvait. Ce n'était pas son lit, mais celui de cette presque inconnue.
Il se redressa en catastrophe, constatant qu'il ne portait ni T-shirt, ni pantalon : avaient-ils couché ensemble ? Il ne s'était jamais autant haï d'avoir bu à ce point : si seulement il était sagement resté chez Maxence, comme tout le monde le lui avait dit !
Il avait beau se concentrer sur le fil de la soirée, tout devenait noir à l'arrivée de la jolie jeune fille, dont le visage était inscrit avec une précision déconcertante dans son esprit. Ou peut-être était-ce seulement parce qu'elle se tenait dans l'embrasure de la porte depuis de trop nombreuses secondes maintenant :
"- Besoin d'une aspirine ? "
Incapable de répondre, il la fixa simplement jusqu'à ce qu'elle ne rit de gêne, et réitère :
"- Ou un café pour t'aider à immerger ?
- Je-je veux bien, oui, merci."
Elle lui adressa un sourire avant de disparaître de nouveau, et de revenir avec une tasse fumante, ainsi qu'une petite assiette de gâteaux.
"- Je sais pas depuis combien de temps t'a pas mangé, ça doit pas t'aider à décuver ça."
Il la remercia et s'en saisit, quelque peu embarrassé par sa nudité partielle - et si cela ne la dérangeait pas, c'est qu'il avait nécessairement du se passer quelque chose, non ? La question lui brûlait les lèvres, il avait besoin de savoir, mais comment formuler une idée pareille sans prendre la risque de la blesser ou de passer pour un connard imbécile ?
"- Il s'est rien passé."
Il tourna brusquement la tête dans sa direction, surpris :
"- Comment tu...?
- Je te vois paniquer, et j'ai hésité à te laisser dans le doute, mais je ne voudrais surtout pas que tes premiers souvenirs de moi soient négatifs.
- Hé, je me rappelle de toi hein !
- C'est quoi mon prénom ?
- Clara !
- Je suis très surprise, vu l'état dans lequel t'étais... "
La jeune fille était très taquine, mais l'ambiance s'en relâchait enfin, alors le blond osa questionner :
"- Comment je me suis retrouvé chez toi ?
- Tu m'as draguée très lourdement, et tu m'as demandée combien je prendrais pour venir chez moi, donc j'ai réclamé ton portefeuille."
Face à la mine paniquée du garçon, Clara ne pu se retenir d'exploser de rire :
"- C'est une blague Lucas. T'étais juste super bourré, Nadège gérait déjà son copain alors elle m'a demandé de t'embarquer. Et tu t'es vomis dessus."
Évidemment, il fondit en excuses, qu'elle balaya bien vite en prétextant que ça arrivait à tout le monde et qu'elle s'était bien amusée tout de même lorsqu'il avait essayé de prendre sa douche tout seul - et lamentablement échoué, vous vous en doutez bien.
"- Nadège avait l'air super soulée quand elle t'a confié à moi, c'est pas la première fois que ça arrive, hum ?"
De manière assez étonnante, Lucas se sentait assez en confiance pour s'ouvrir à elle. Elle avait cette manière de sourire, de rire pour tout, comme si rien n'était si grave au fond. Ça l'apaisait.
"- Je sors d'une relation assez compliquée, et j'ai... du mal à retrouver un équilibre.
- Alors tu te réfugies dans l'alcool et la débauche ?"
De n'importe quelle inconnue en lendemain de soirée, cette phrase aurait été pleine de jugement ou d'ironie, ici elle semblait simplement essayer de comprendre, articulant à moitié entre deux bouchées d'un petit gâteau qui donnait vraiment faim à Lucas à présent.
"- Juste l'alcool, au grand damne de mes amis qui aimeraient bien que je passe à autre chose, mais je sais pas comment faire, soupira-t-il.
- Ça fait combien de temps que cette personne t'a quitté ?
- Plus d'un mois maintenant, mais... je t'ai pas dis que c'était lui qui avait rompu ?
- Non, c'est vrai, mais ça se devine pas trop difficilement."
Elle riait encore, alors il esquissa un sourire aussi, et commença à piocher dans ce qu'elle avait amené, soulageant son pauvre estomac bien affamé.
"- Commence par arrêter de te mettre minable tous les soirs, je te promets que ça ira beaucoup mieux après.
- Ouais, t'as sûrement raison. ça me ressemble tellement pas tout ça c'est..."
En soupirant, il réalisa qu'il ne saurait pas terminer sa phrase, mais que c'était probablement mieux comme ça. Pourquoi lui racontait-il tout ça ? Elle continuait de le dévisager avec ses yeux bienveillants, plein de mascara et d'eye-liner de la veille toujours pas effacé, et il ne pouvait s'empêcher de la trouver terriblement belle. Elle se leva, faisant s'agiter ses cheveux si clairs qu'il se demanda de quelle couleur il pourrait les qualifier : blancs ?
En commençant à ranger la chambre, elle lui raconta cet ami bloqué sur son ex depuis près d'un an, qu'elle s'évertuait à vouloir aider, alors qu'elle savait bien que le déclic ne pouvait venir que de lui même. Lucas voyait bien où elle voulait en venir : il ne pouvait pas continuer à être passif et attendre pathétiquement que Baptiste ne lui revienne. Ou bien il décidait réellement de tourner la page, ou bien il essayait de le récupérer, mais dans les deux cas il se devait de se reprendre en main. Et la première étape en était de ne pas passer la matinée sur le lit de son hôte à la regarder nettoyer ses bêtises.
Il l'aida à changer les draps et ramasser tout ce qu'il avait fait tomber hier soir, puis se mit à la recherche de son téléphone. Penchée sous le lit, elle finit par s'exclamer :
"- Je l'ai !"
En se redressant, elle se cogna la tête, malgré l'avertissement - un peu tardif cela dit - du jeune homme, ne provoquant que de nouveaux rires qui se répercutaient partout dans la pièce, et sur Lucas qui ne comprenait pas comment elle pouvait dégager tant de... couleurs. Il était triste, malade, silencieux, tandis que tout ce qu'elle faisait débordait de musicalité et de bonnes ondes. Il se sentait noyé de soleil, quand bien même il faisait gris, dehors comme dans son cœur. Il se reconcentra sur Clara, qui essayait en vain d'allumer l'appareil.
"- T'as plus de batterie, annonça-t-elle avec un ton presque dramatique, qui amusa le garçon. Tu connais le numéro d'un ami qui pourrait venir te récupérer ?
- Hum je pensais à Maxence à la base mais je le connais pas, je peux toujours demander à Laurène."
Il n'était pas très doué pour retenir les numéros de téléphone, et celui de son amie lui restait de cette époque au collège où elle avait un portable et qu'il devait passer par le fixe de chez lui pour la joindre. Ce souvenir aussi le fit sourire. Depuis combien de temps n'avait-il pas sourit sobre ?
Après tout, elle l'avait récupéré dans des situations bien pires que celle là, alors même s'il était un peu gêné de l'appeler pour ça, il lui donna l'adresse, heureusement pas trop éloignée du domicile de la jeune fille.
"- Je te prête des vêtements ?"
Lucas cru mourir de honte lorsqu'il réalisa qu'il avait passé tout ce temps en caleçon.
⁂⁂⁂
Il discuta encore avec Clara ; de tout, de rien, de comment elle avait rencontré Nadège lors d'un job d'été, mais ne la connaissait pas tant que ça en réalité, de la difficulté de gagner sa vie en tant que chanteuse sans notoriété... L'amie de Lucas finit par klaxonner en bas de l'immeuble, faisant un peu exploser la bulle dans laquelle il s'était évadé le temps de quelques instants. Il la remercia de nouveau pour tout ce qu'elle avait fait pour lui, et après une hésitation, ajouta :
"- Alors, à bientôt ?
- À bientôt Lucas."
Il se sentait étrangement léger quand il monta dans la voiture de son amie, ce qui ne lui échappa évidemment pas :
"- Hum Lucas, c'était chez qui ça ?
- C'est pas du tout ce que tu crois, elle m'a juste hébergé hier soir parce que j'étais trop torché et que les autres en avaient marre.
- T'as quand même l'air moins grave que ces derniers temps, mais si tu ne veux rien dire qui suis-je pour te forcer... Tu veux passer à la maison ?"
Elle n'était pas seulement sa plus vieille amie, elle était aussi celle qui le connaissait le mieux. Et elle savait parfaitement à quel point il haïssait se retrouver seul après une soirée. Le voyant qui hésitait, elle ajouta :
"- Il y a déjà Seb et Léna.
- C'est vrai ? Je pense à elle justement, je trouve qu'elle ressemble beaucoup à Clara.
- Hum, alors elle s'appelle Clara...
- Arrête, secoua-t-il la tête, amusé de la voir si curieuse pour si peu, et quelque peu embarrassé aussi.
- Depuis quand tu es si gêné avec moi ?"
Ce n'était pas qu'une question de discussions à propos de filles, il savait qu'elle parlait de manière plus vaste, mais, de mauvaise foi, il préféra nier :
"- Je vois pas de quoi tu parles, c'est toi qui veux toujours tout savoir.
- Tu sais très bien que je parle pas de ça Lu', j'ai l'impression que t'as fais d'énormes progrès pour t'ouvrir au monde depuis que je suis revenue ici, mais que tout s'est effondré après ta rupture. Je veux dire, t'es pas passé me voir depuis un mois, Léna a essayé de t'appeler des tas de fois, et rien, rien du tout. Vous vous entendiez bien pourtant, non ? J'aime pas quand tu t'isole comme ça...
- Mais je m'isole pas, regarde, hier soir encore je suis sorti.
- Et je parle pas de ça non plus."
Elle leva les yeux au ciel, car cet imbécile lui faisait clairement perdre patience.
"- Tout le monde essaye de t'aider Lu', parce qu'on sait que c'est difficile pour toi. Mais tu fais n'importe quoi. Sérieusement, hier la bande de Maxence en avait tellement marre qu'ils t'ont refilé à une inconnue ?
- C'est pas une inconnue, c'est une amie de Nadège et...
- Tu la connaissais avant hier ? l'interrompit-elle
- Non, avoua-t-il à contrecœur.
- C'est exactement ce que je veux dire, souffla-t-elle. Max t'a hébergé pendant des semaines, ils se débrouillent toujours pour te proposer des occupations les soirs et week-end, mais tu finis bourré à chaque fois, ils pourront pas continuer éternellement comme ça. Et je compte pas prendre le relais hein, tu reste dormir chez moi ce soir, mais t'aura pas une seule goutte d'alcool. C'est clair ? Et va falloir qu'on revoit ton emploi du temps, parce que je suis à peu près sûre que tu passe plus de temps à décuver qu'à suivre tes cours. D'ici quelque mois tu vas devoir chercher un vrai travail, tu te rappelle pas comme c'était la galère ?
- Bien sûr que si Laurène, j'ai travaillé pendant cinq ans avant de me relancer dans les études, je sors pas du lycée non plus.
- Mais on dirait là. Je suis pas convaincue de tes performances, tu devrais pas être en pleine recherche d'un stage pour valider le deuxième semestre ?
- J'en ai pas trouvé."
Il n'osait plus trop dire quoi que ce soit à vrai dire, s'il comparait souvent Laurène à sa sœur, ce serait définitivement son ainée. Voir sa mère.
"- Alors voilà c'est fixé, ce matin tu vas me faire le plaisir de donner des nouvelles à à peu près tout ton répertoire qui s'inquiète désespérément pour toi, ensuite tu vas venir faire une sortie avec moi, et une vraie sortie, pas juste t'enfermer dans une salle très bruyante en buvant plus que ton foie ne peut supporter. Et cette semaine on te cherche un stage, et pas de soirées, ça se fait sobre ça.
- Tu travailles pas ?"
Il n'avait pas très envie de l'avouer, mais la voir le prendre en main de la sorte le soulageait plus que jamais, bien qu'il s'en sentait coupable : lui qui la taquinait toujours avec son emploi du temps de ministre, il ne voyait pas comment elle pourrait faire tout ça sans empiéter sur ses impératifs.
"- Cyprien est au Japon pour trois semaines, donc je suis en vacances, mais peut-on appeler ça comme ça dans la mesure ou j'ai un enfant à charge maintenant ?"
Ils étaient à présent garés chez elle, mais elle n'avait pas l'air d'avoir finit, alors Lucas ne bougeait pas de son siège, effrayé de se faire de nouveau réprimander.
"- Laisse pas une histoire d'amour te bousiller comme ça, je sais que t'as pas choisi que ça se finisse comme ça mais c'est le cas alors faut que tu fasses avec. C'est la dernière chance que je t'offre, et je doute que qui ce soit ait encore la patience après, alors prends là, ok ?"
Il hocha la tête en la remerciant du bout des lèvres, se promettant qu'il lui prouverait sa gratitude dès qu'il aurait moins mal à la tête, un peu ébahi de réaliser le dévouement de tous ces gens - ses amis - qui semblaient tous vouloir l'aider.
"- Il y a des gens qui t'aiment Lucas. Des tas. Et c'est pas pour rien, tu le mérites. Mais il est temps d'ouvrir les yeux, de voir que t'es pas tout seul parce qu'il est parti, qu'on est encore des tas et qu'on compte pas te laisser. Allez viens, ils doivent se demander pourquoi je mets si longtemps et connaissant Léna elle a probablement déjà retourné mon appart. Et souris un peu !"
Elle avait probablement raison, peut-être devrait-il faire confiance à tout cet amour, et se donner une chance de se remettre. Était-il capable de vivre - réellement - sans Baptiste ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top