22 - Peux-tu combler le vide de mon âme ?
Lucas se tenait devant l'immeuble de Maxence depuis cinq bonnes minutes à présent, mais il n'arrivait pas à se décider à rentrer. Il était temps d'officialiser sa relation auprès de son meilleur ami, et il s'inquiétait un peu de sa réaction. Non pas qu'il n'allait pas approuver leur couple, simplement qu'il allait être déçu de ne pas avoir été mis au courant plus tôt. Il se dit qu'il avait déjà fait le plus dur hier, en informant Laurène, qui lui avait crié dessus en apprenant toute l'histoire, mais avait fini par le prendre dans ses bras, heureuse de savoir qu'il était heureux.
"- Allez."
Il prit une grande inspiration et pénétra le bâtiment. Arrivé devant la bonne porte, il toqua, et attendit. De longues secondes s'écoulèrent sans qu'il n'entende de bruit, et se sentit bien bête de ne pas avoir pensé à prévenir de sa venue. Mais Maxence finit par lui ouvrir :
"- Tiens, un revenant."
Il s'écarta pour le laisser rentrer, et Lucas se sentit gêné, ce qui était une première depuis bien longtemps avec son vieil ami. Il ne savait pas quoi dire pour lancer la conversation. Heureusement pour lui, le brun finit par s'en charger :
"- Bon, je crois que Coco t'a dit pour Marianne et moi ?
- Ouais. Je suis désolé de pas avoir été là pour toi, tu te sens comment ?
- Ça va Lucas. C'était pas... c'est moi qui l'ai quittée hein.
- Pourquoi ?"
Il haussa les épaules, un air fataliste sur le visage :
"- Comme d'hab', j'ai finit par me lasser. Mais c'est une chouette fille, je voulais pas lui faire de mal. Tu savais que ça finirait comme ça, pas vrai ?"
Il hocha la tête, se demandant dans quelle mesure être honnête leur bénéficierait réellement. Un "je te l'avait dit" serait clairement en trop.
"- C'est souvent comme ça, alors ça me surprend plus vraiment, mais j'espérais que ça serait différent.
- Moi aussi."
Ils s'installèrent dans le canapé en silence, puis Lucas se décida à lancer :
"- Peut-être que tu devrais arrêter de date ?
- C'est encore plus triste comme option ça.
- Mmh, mais juste te laisser un peu de temps, avant de mettre des sentiments, encore.
- Ouais."
Un ange passa, le temps qu'ils ne rassemblent leurs esprits. Il était temps pour le blond :
"- J'ai un truc à te dire."
Maxence releva la tête pour laisser apparaître un sourire, il avait visiblement sa petite idée de ce qui allait être dit.
"- Tu te rappelles la soirée au bowling, y a un moment ?
- Heu, oui ?"
Il fronça les sourcils, visiblement surpris que cela en revienne à ça. Si pour Lucas le temps était passé extrêmement vite, il devait bien réaliser que cet événement remontait à près d'un mois et demi.
"- Tu m'as oublié sur le parking, et...
- Nan c'était volontaire ça, tu sais, l'interrompit-it."
Il leva les yeux au ciel, mais ça ne le surprenait pas.
"- Du coup je me suis retrouvé avec Baptiste, et il m'a ramené chez lui. On a mangé et..."
Sans le vouloir, il faisait ainsi monter le suspens, mais il avait du mal à se lancer, alors il s'autorisa à quelques instants de silence.
"- Je l'ai embrassé.
- Oh-oh mais qui aurait cru que tu avais tout ce courage en toi ? Je suis fier de toi !
- Non, tu devrais pas. Il m'a repoussé. Puis je l'ai embrassé de nouveau. Et il m'a encore repoussé.
- Merde. Je l'avais pas venu venir ça.
- Il m'a ignoré pendant quelque jours, mais j'arrêtais pas de le harceler d'appels, alors il a été obligé de me répondre.
- Pourquoi je sens que cette discussion s'est pas très bien passée ?
- On s'est engueulé, genre...fort."
Lucas avait peur de continuer, peur de la réaction de son ami sur cet événement qui continuait de le hanter.
"- Quand on est venu à la soirée chez Corentin, il avait encore des vieux bleus sur le visage, et il a raconté qu'il s'est battu avec un client au bar, tu te souviens ?
- Non ?"
Il s'en souvenait parfaitement, et il venait de comprendre ce que sous entendait le blond.
"- Vous vous êtes battus ?
- Je l'ai frappé."
Il avait tellement honte de devoir raconter ça de nouveau !
"- Mais... pourquoi ?
- Il m'a blessé, et, je sais pas, je me suis laissé dépasser par mes émotions. Il m'a dit des choses horribles."
C'était un sentiment étrange que de ne pas vouloir avouer ce que lui avait dit Baptiste ; il ne voulait pas que Max en ait une mauvaise image.
"- J'ai vrillé quand il est revenu sur l'épisode du baiser, et qu'il m'a traité de pute.
- Sérieusement ? Hé mais c'est quoi son problème à lui ? T'as bien fait, si tu veux je peux aller en remettre une couche et lui casser la gueule.
- Doucement Max."
Il s'amusa de cette réponse peu surprenante.
"- C'était y a longtemps. Tout va mieux maintenant.
- Quoi, il t'a soudainement avoué son amour pendant que tu le frappais et vous sortez ensemble, c'est ça ?
- Plus ou moins ?"
Lucas grimaça sous le regard sévère de Maxence, puis développa :
"- Après ça il a recommencé à m'ignorer, pendant une bonne semaine, puis...
- Tu te fous de ma gueule ? Hé je vais aller le voir moi même.
- Max... Il a finit par m'inviter chez lui, pour un dîner, on s'est encore engueulés et au final, ça va. C'est pour ça que je suis pas trop sorti ces derniers temps, j'étais un peu... obnubilé par mon nouveau copain.
- Je comprends pas."
Lucas ne s'attendait pas à ce manque d'enthousiasme, et dire que Max avait été le premier à l'encourager à le draguer...
"- Je comprends pas comment vous pouvez juste passer au dessus de tout ce qui s'est passé comme ça. C'est pas sain.
- Il est jamais sorti avec un homme avant."
Il avait un peu l'impression de le trahir, mais avoir un avis extérieur sur sa relation pourrait peut-être lui faire du bien.
"- Ses parents sont très croyants, genre il a été à l'école catho et tout, et il avait jamais envisagé d'être attiré par un mec.
- Mmh, je vois.
- Si j'arrive à lui pardonner ses erreurs, tu peux peut-être en faire de même ?
- Nan, c'est mon rôle de meilleur ami de continuer de le détester, pour veiller à ce que tu finisses par dans une relation toxique, tout ça."
Cet élan de grand frère protecteur les fit rire, et Lucas était soulagé : Max le soutient, même s'il ne le dit qu'à demi-mots.
"- Bon, tant qu'on en est sur les secrets. Faut que je te montre un truc."
Il récupéra son téléphone, et ouvrit YouTube. Il finit par lancer un clip vidéo, et tendit l'appareil à Lucas, qui fronça les sourcils au début, puis finit par comprendre. Il s'agissait de Cheveux, une chanson improbable qui aurait pu faire rire le blond si elle ne restait pas aussi bien écrite et musicalement agréable. A la fin du clip, il baissa les yeux et s'exclama :
"- Un million de vues ! Je savais pas que tu t'es sérieusement mis à la musique.
- Ouais, rougit-il. J'ai lancé cette chaîne y a quelque mois et je postais juste des covers, c'était ma première chanson originale, je m'attendais pas à ce que ça marche aussi bien.
- Je suis content pour toi, vraiment. Je savais que tu finirais par tout déchirer. Tu travailles déjà sur ton prochain tube ?
- Ouais, j'ai eu une idée. Ça sera La chanson de la démonétisation.
- Je suis sceptique.
- Tu verra, ça va déchirer !"
⁂⁂⁂
"- Baptiste ?
- Hum ?"
Lové contre son torse, Lucas semblait soudain grave. Il avait passé l'après-midi avec Maxence, et était finalement venu retrouver son copain pour la soirée. S'arrachant à la contemplation des étoiles, il se redressa.
"- Tu as déjà pensé à ce qui arriverait si on disparaissait tous d'un coup ?
- Genre apocalypse de zombies ?
- Non, juste... Si on arrêtait tous d'exister d'un coup, sans s'en rendre compte. Personne ne le saurait jamais, personne ne pourrait le raconter. Ce serait comme si nous n'avions jamais existé. Tu crois que c'est comme ça quand on meurt ?"
Les deux hommes se dévisageaient. Le plus grand chercha de la tristesse, de la peur dans ces grands yeux bleus qui le fixaient, mais il ne semblait même pas être question de ça.
"- Est ce que tu vas m'annoncer que tu as un cancer ?"
Tenta-t-il de rire, et si le petit esquissa un sourire, il redevint bien vite sérieux. Baptiste n'esquiverait pas le sujet si facilement cette fois.
"- Je crois... je crois qu'on ne meurt jamais vraiment, se reprit-il. On laisse toujours une trace à ceux qui nous ont côtoyés. Tu sais il suffit de croiser le regard d'une inconnue dans la rue pour changer sa vie, et tu ne le saura jamais, mais ton empreinte reste. Ton âme vit, et c'est ce qui fait tout notre être, non ?
- Mais on finira quand même pas disparaitre. Dans quelques dizaines d'années tous ceux qu'on a connu partiront à leur tour. Et il ne restera plus rien de nous, plus rien de ce que nous avons pu faire, être, aimer."
Le brun passa tendrement sa main dans les cheveux du benjamin qui semblait tout à coup perdu, désemparé face à l'immensité d'un univers qu'il ne pouvait pas comprendre. Baptiste voudrait le serrer plus fort dans ses bras, pouvoir le rassurer et garder sa tête contre son torse pour toujours, pour qu'il ne lui arrive jamais rien. Mais que pouvait-il faire pour changer ce qui a toujours été et sera, pour l'éternité ? Avec ses grands bras ballants, son corps qui prenait parfois trop de place, il ne serait pas fichu de les protéger d'un chien un peu trop énervé. Alors les mettre à l'abri de la mort ? Il n'aimait pas penser à ça. Sa propre fin ne l'effrayait pas - plus du moins, depuis bien longtemps. Mais imaginer un monde sans Lucas ?
"- Je crois que même après ma mort je ne pourrais pas accepter que tu disparaisses.
- Hé, tu ne vas pas me laisser tout seul quand même ?
- Je ne sais pas Lu'. Tu crois que je pourrais vivre sans toi ? Même quand tu pars trois jours voir tes grands-parents j'ai peur. Peur que tu ne reviennes pas, qu'il t'arrive un truc sur la route et que soudainement je ne sois plus rien. Ce serait plus simple si on n'était jamais nés, on aurait pas à mourir.
- Je ne crois pas que je pourrais vivre dans un monde où tu n'as jamais existé.
- Je l'ai dit en premier !"
Lucas rit, et Baptiste se sentit soulagé d'entendre ce son à nouveau, si pur que cela chassa la noirceur de son âme qui s'était installée lors de cette discussion. Le blondinet s'arrêta pourtant instantanément, et planta son regard, gravement, dans celui du brun, dont le cœur s'était arrêté, de peur de ce sérieux trop soudain.
"- J'ai l'impression que je sais pas assez de choses de toi. On passe tout notre temps ensemble, et je sais jamais ce que tu penses. Si ça se trouve t'es de droite et je le sais même pas !
- Nan. Je déteste les riches, plaisanta-t-il. Tu me connais Lucas, je te le promets. Peut-être que tu sais pas ma couleur préférée et l'âge auquel j'ai appris à faire du vélo, mais tu me connais, mieux que personne."
Il prit une grande inspiration, et se lança :
"- Je t'aime Lucas."
Le blond en eut le souffle coupé. Il lui offrit un immense sourire :
"- Merci Baptiste.
- Tu peux pas répondre merci à un je t'aime !
- Si si je peux, j'ai trop de déclarations d'avance sur toi, c'est à toi maintenant.
- Ça marche pas comme ça."
A mesure que le plus grand reprit ses caresses, Lucas s'apaisa, sans se départir de son sourire, retrouvant sa place bien au creux de ses bras, les seuls dans lesquels il se sentait vraiment en sécurité. Un baiser se déposa sur son front et il ferma les yeux.
Aussi petits soient-ils à l'échelle de l'espace, il se sentait plus grand, niché contre son amoureux. Ensemble, ils n'avaient plus peur. Ils ne seront plus jamais seuls.
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