16 - Le lièvre et la tortue
"- Un bowling sinon ?"
Lucas, Maxence, et toute leur brochette d'amis débattaient depuis dix minutes sur leur occupation de la soirée, n'étant apparemment pas dans le mood pour juste se poser chez Corentin et boire comme d'habitude. Cette dernière idée provenait de Barbara, et elle fit l'unanimité rapidement, au soulagement de notre petit blond qui avait bien peur qu'ils ne décident de retourner en boîte de nuit. Pour se déplacer cependant, cela allait être un beau bazar puisque leur destination, hors du centre, les obligeait à prendre la voiture. Alexandra, Barbara, Mickaël et Arif décidèrent de monter dans celle de Corentin, et Nadège, Henry, Marianne et Lucas dans celle de Maxence. Tous étaient très satisfaits que leur nombre soit parfait pour leur configuration, tous, sauf Lucas : il avait espéré qu'il aurait été nécessaire de demander à Baptiste de les accompagner aussi.
"- Appelle le.
- Quoi ?"
Barbara s'était glissé près de lui, loin du brouhaha des autres, et lui jetait un regard entendu. Il rougit de se dire qu'elle le démasquait si facilement, et se demanda si absolument tout le monde savait comment il se sentait vis à vis de son ami. Depuis quelque jours il avait cessé son déni ridicule sur ses sentiments, mais il n'avait aucune idée de ce qu'il voulait faire maintenant. Il avait l'impression de devenir atrocement dépendant : ils ne se sont pas vus depuis à peine une semaine, au cinéma et il lui manquait déjà. En souriant il se remémora le film qui aurait du être épique, puisqu'ils étaient allés voir le dernier Marvel, mais qui avait tourné en scène d'humour puisque Baptiste avait fait des commentaires tout le long sur les aspects étranges ou invraisemblables. Lucas réalisa que la jeune fille le dévisageait encore, avec un air encore plus amusé, et il se racla la gorge avant de lancer :
"- Il voudra jamais sortir de toute façon.
- Sauf si c'est toi qui demande. Appelle le."
Elle finit par le laisser tranquille, et il resta immobile, perdu sur ce qu'il devait faire.
"- Lucas ? Tu fais quoi ? On y va."
Maxence l'interpella, et il se décida à se mêler aux autres de nouveau. Evidemment, Marianne s'installa devant, aux côtés de son nouveau copain - ils sortent ensemble depuis environ dix minutes, et Lucas ne s'était pas permis de le dire à voix haute, mais il ne croyait absolument pas que cela durerait.
Le blond se retrouva derrière, aux côtés des deux amoureux, qui lui prêtaient si peu attention qu'il finit par sortir son téléphone. Il envoya : "Coco emmène sa colonie de vacances au bowling, tu veux venir les humilier ?". Pendant tout le trajet, il vérifia son téléphone toutes les cinq minutes, il savait qu'il ne travaillait pas ce soir alors à moins qu'il ne dorme à 21 heures, il avait vu son message, et l'ignorait. Il haïssait que ça le blesse à ce point : ok il n'avait pas que des sentiments amicaux à son égard, mais qu'est-ce qui lui garantissait que c'était réciproque ? Qu'il était même intéressé par les garçons ? Il avait entendu parler d'une ex brièvement, une fille donc, mais rien pour laisser croire qu'il pourrait être bi. Et puis il devenait de plus en plus dur de réprimer la tension qu'il sentait entre eux deux, cette envie d'être simplement proche de lui. Au début dormir à côté de lui suffisait, mais maintenant il avait envie de plus. Et si ça n'était pas partagé, que pourrait-il faire ? Laisser tomber leur amitié comme ça, ne plus jamais le croiser pour éviter cet embarras ? Si seulement il était simple de discuter avec Baptiste ! Lorsqu'il lui posait une question sérieuse, il y avait toujours une chance sur deux qu'il ne réponde de manière ironique, ou détourne le sujet. Avec Lila ça avait été infiniment simple; quelques dates restaurant et cinéma classiques, un baiser lorsqu'il l'avait raccompagnée chez elle, et puis elle avait dévoilé ses sentiments, la première. Il n'avait eu qu'à répondre, et se laisser porter, tout au long de leur relation, probablement la raison de son échec... Mais ici il sentait bien que même si c'était réciproque, jamais le brun ne ferait le premier pas, il allait devoir s'en charger tout seul.
Ainsi, de nouveau, il écrivit : "Bah alors, t'as peur de te faire battre, papy ?"
De l'autre côté de la ville, Baptiste déverrouilla son téléphone en soupirant, il savait qu'il avait déjà cédé avant même de lire le second message. Avec un début de sourire, il répondit : "Ok gros noob, dis leur de pas commencer sans moi ces tricheurs."
⁂⁂⁂
"- Ah bah c'est pas trop tôt !"
L'arrivée du grand brun fut accueillie d'exclamations de joie parmi la bande, qui n'attendait que lui pour commencer à jouer. Il paya sa place, changea de chaussures, et les rejoignit alors que les équipes se formaient : ils avaient décidé d'opter pour des duos. Evidemment, Maxence et Marianne s'assemblèrent, tout comme Nadège et Henry. Alexandra et Barbara se serrèrent la main, prêtes à montrer à "tous ces machos que les filles peuvent faire des strikes aussi", Arif et Corentin commencèrent à réfléchir à quel gage ils leur lancerait quand elles auraient perdu, et il ne resta plus que Mickaël, Baptiste et Lucas. Inquiet, le petit blond se demanda si Baptiste n'allait pas lui dire de se mettre avec leur ami lorsqu'il s'approcha de lui, mais il lui souffla simplement qu'il était temps pour eux de prouver leur supériorité. Micka râla un peu de se retrouver seul, arguant qu'il ferait mieux de se trouver une meuf, puis il se mit à répéter à qui voulait l'entendre qu'il n'avait même pas besoin d'un partenaire pour les battre.
Henry, frimeur comme jamais, commença, et sa boule finit tout à fait à côté des quilles, sans en toucher une seule. Evidemment, tout le monde se moqua de lui, jusqu'à ce que Maxence ne joue et fasse la même chose. Alexandra, en toute décontraction, fit tomber toutes les quilles d'un coup, lui valant des applaudissements de la part de tout le monde. Chacun à leur tour, ils tentèrent donc de remporter les boissons gratuites que le bowling avait promis d'offrir aux vainqueurs. Sans surprise, on aurait dit que leurs vies étaient en jeu tant ils s'y mettaient avec sérieux, surtout Corentin et Arif qui n'hésitaient pas à chuchoter entre eux pour se donner des conseils et débattre de leur stratégie.
"- Ils abusent tellement, s'amusa Lucas.
- Comme si on avait besoin d'une stratégie pour écraser ces noobs, lui répondit Baptiste. Allez, retournes y, vise le côté pour faire tomber les trois de la gauche. Tant pis pour celle de droite."
Sur ses recommandations, il lança, et le résultat fut celui escompté. Il voulu célébrer en tournant sur lui même, mais les chaussures de bowling eurent raison de lui : il glissa, et ses fesses auraient bien rencontré le sol si Baptiste ne l'avait pas rattrapé à la dernière seconde. Il le redressa, et Lucas en resta électrisé : leurs deux corps collés, il avait les yeux juste au dessus de ses lèvres. Il serait resté entièrement bloqué sur cette vision s'il n'y avait pas cette main sur sa taille qui le déconcentrait.
"- T'es vraiment minus... Je ne m'y habituerais jamais..."
En riant, le grand le relâcha, et s'éloigna de lui comme s'il ne s'était absolument rien passé, laissant Lucas pantois, jusqu'à ce qu'il ne décide de retourner s'asseoir avec les autres qui attendaient leur tour. A côté de lui, Alexandra râla :
"- C'est tellement cliché..."
Il fit semblant de ne pas voir le coup de coude que lui infligea Barbara.
Au final, Corentin et Arif gagnèrent, mais collés de peu par le duo des filles. Très loin derrière, Baptiste et son partenaire haussèrent les épaules en découvrant les résultats, bien différent de la réaction de Maxence qui aurait, on se le doute, voulu impressionner un peu Marianne, et se retrouvait même derrière Nadège et son copain. Mickaël, bon dernier, était un peu vexé de ce titre, surtout qu'il avait peu d'écart avec les autres malgré son handicap. Pour se faire pardonner, Arif lui offrit sa boisson, et il cessa un peu de se lamenter. Barbara se rendit au bar aussi, pour commander un milkshake pour Alex, qui ne put s'empêcher de dire à voix haute qu'elle trouvait ça absolument adorable.
"- Allez les jeunes, si vous jouez plus faut libérer la place."
Ils trainèrent un petit moment, jusqu'à ce que quelqu'un ne vienne les virer, et décidèrent de rentrer chacun chez eux, Maxence et Corentin jouant donc évidemment les taxi. Baptiste ne proposa pas d'en ramener, et personne ne lui demanda d'ailleurs, jusqu'à ce que Lucas et lui ne se retrouvent sur le parking, à trainer parce que les chaussures du retardataire n'étaient pas avec celle des autres et qu'ils avaient eu du mal à les retrouver.
"- Il se fout de moi là..."
La voiture de Max n'était plus là. Notre petit piéton hésita à le rappeler pour l'engueuler et lui dire de venir le chercher, mais ça pourrait être une opportunité de passer un moment ensemble, encore, alors il se tourna simplement vers son ami pour lui faire un sourire qui le trouva très agaçant.
"- Bon t'as faim ? céda-t-il"
⁂⁂⁂
"- Attrape-moi Bapt', si tu en es capable!
- Tu vas voir ce qui t'attend tête de nœud !"
Les deux jeunes hommes couraient à travers la maison, riant d'innocence. Le blond avait l'avantage de sa petite taille, et se faufila entre les meubles, jusqu'à ce que le grand ne finisse par le perdre : il connaissait cet appartement par cœur désormais. Criant de fausses menaces, Baptiste essuya le reste de sauce bolognaise que Lucas avait étalé sur son nez, puis se dirigea vers le couloir où il avait aperçu la petite tête disparaitre.
Cessant tout bruit, le brun s'approcha de la porte entrebâillée de sa chambre, dont une faible lumière émanait.
Soudain, le plus jeune hoqueta de surprise, se retrouvant plaqué contre le mur, les poignets au dessus de la tête.
"- Et bien alors mon chéri, on fait moins le malin, hum ?
- O grand Baptiste, maître suprême du cringe, il y a eu un malentendu, vous devez me croire, je vous respecte trop pour vous attaquer avec de la nourriture, malgré vos blagues douteuses.
- Je ne peux pas pardonner une insolence pareille sans punition..."
Leurs cœurs battaient la chamade, et on n'entendait rien d'autre que leurs respirations encore courtes de leur course poursuite. L'ambiance n'avait jamais été si électrique.
Naturellement, leurs lèvres étaient comme attirées. S'approchant dangereusement du visage du plus jeune, les prunelles du brun semblaient habitées par un nouveau désir, feu incandescent, qui chatouillait le ventre du blond.
"- Pardon, désolé, je sais pas ce qu'il m'a pris."
Lucas rouvrit les yeux, réalisant qu'il ne savait même pas quand il les avait fermés. Baptiste s'était reculé précipitamment, libérant des poignets dont le benjamin ne savait plus quoi faire. Il aurait juste voulu lui agripper la nuque, et enfin - enfin! - goûter à ses lèvres. Il glissa sa main sur celle du plus grand, et le tira jusqu'à lui, malgré sa réticence.
"- Baptiste..."
Il avait soufflé son prénom, mais le brun lui répondit, comme sur un ton d'avertissement :
"- Lucas..."
Il savait que cela aurait du l'arrêter. Il savait qu'il aurait juste du le lâcher, et laisser tomber pour le moment. Mais il était grisé par l'atmosphère de leur soirée, et il n'arrivait pas à regarder autre chose que sa bouche. Il n'arrivait même plus à hésiter, il n'y avait qu'une seule idée qui tournait en boucle dans son cerveau : il allait embrasser son ami. Lentement, il laissa son visage dériver, et il bougeait si lentement qu'il mit quelques instants à réaliser que leurs lèvres se touchaient enfin. Il avait l'impression qu'il avait attendu ce moment toute sa vie, qu'il ne vivait que pour cela et qu'il n'aurait même pas besoin d'un après. Il voulu intensifier leur baiser en glissant ses mains jusque sa nuque, mais Baptiste ne répondit toujours pas, et le repoussa contre le mur. Le regard de Lucas était bourré d'incompréhension, et il ne réfléchit pas lorsqu'il tenta de nouveau de l'embrasser.
"- Lucas, putain !"
Cette fois-ci avec violence, le plus grand stoppa leur échange, et recula de quelque mètres. Il avait un regard fermé, énervé.
"- Je te laisse ma chambre, je vais dormir dans le canapé."
Sans lui laisser le temps de répondre, il sortit de la pièce et claqua la porte derrière lui.
"- Merde."
Il se sentait atrocement stupide, et humilié. Il aurait voulu s'excuser, expliquer pourquoi il avait cru que cela serait une bonne idée. Décrire comme chaque parcelle de son corps lui hurlait d'agir ainsi depuis des semaines, et qu'il pensait vraiment que c'était la même chose pour Baptiste. Mais à présent il se demandait : s'était-il trompé sur toute la ligne ? Venait-il de ruiner leur amitié ? Seul dans un lit où il n'avait jamais dormi sans lui, il mit longtemps à sombrer, tournant et retournant la soirée. Aurait-il pu faire les choses différemment ?
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