12 - Le phare dans la tempête
"- J'aime pas l'orage, on voit plus les étoiles et ça fait trop de bruit.
- Viens là chéri."
La mère ouvre ses bras pour accueillir cet enfant tout triste, qui a l'air terrorisé par la météo. Ce n'est pas si rare de trouver des enfants paralysés par le tonnerre me direz vous, sauf que celui-ci n'a pas peur des gros éclairs. Il est effrayé que les étoiles ne reviennent pas après :
"- Comment t'es sûre qu'elles sont toujours là ? Et si elles ont eu peur elles aussi ? Et si madame la lune ne revient pas non plus ? Et l'étoile de mamie Josette ?
- Elles vont revenir mon cœur, je te le promets. Tu sais, c'est comme quand les nuages cachent le soleil la journée, il revient toujours après, hum ?
- Oui mais là c'est pas pareil, c'est la nuit. On voit rien du tout, imagine si y a un enfant tout seul dehors, il va avoir froid et peur, et il va jamais retrouver son chemin.
- Les enfants ne sont pas tous seuls dehors la nuit Lucas, il y a toujours leur maman pour les surveiller."
Elle rit un peu, même si elle essaye de se retenir pour ne pas paraitre insensible à la peur de son enfant. Cela l'attendrit plus qu'autre chose en réalité, comment comprendre leurs cheminements de pensées ? Elle lui caresse les cheveux tendrement, et dépose un baiser sur son front.
"- Il faut que tu dormes maintenant, il y a école demain. Si tu veux tu dessinera un éclair pour raconter à la maitresse ce que tu as vu !"
Le petit garçon hoche la tête, et se rallonge dans son lit, attentif aux gestes de sa mère qui s'applique à tout mettre en œuvre pour que la nuit de l'enfant ne soit plus troublée : elle tire sur les rideaux, allume la veilleuse qui projettera des étoiles au plafond, et lui chuchote de faire de beaux rêves en fermant la porte derrière elle.
Lorsqu'elle se retrouve seule dans le couloir sombre cependant, toute sa tristesse l'envahit comme une brume de sable qu'elle voyait arriver depuis des semaines mais préférait ignorer. Maintenant qu'elle en est si prêt, l'idée qu'elle va abandonner ce petit être si pur et naïf lui parait insoutenable.
⁂⁂⁂
"- Lucas ? Tu devrais rentrer, tu vas attraper froid.
- Je t'ai déjà dis que je détestais l'orage ?"
Barbara le fixa, incertaine face à la démarche à adopter. Voilà plusieurs dizaines de minutes qu'il avait disparu de son salon, et usuellement lorsque cela arrivait il était toujours sur le balcon. Sauf que le ciel ce soir n'y était pas propice du tout : le déchaînement des éléments créait un vacarme intense, addition de la pluie, du vent et du tonnerre. Le spectacle qui s'offrait à eux serait presque apocalyptique tant la violence des lumières et des sons n'admettait aucun répit. La jeune fille n'avait pas l'habitude de se retrouver seule avec lui, encore moins quand il avait l'air perdu comme ça. Elle frissonna un peu en s'approchant de lui, et lui adressa un sourire qu'elle espérait encourageant.
"- Tout va bien ?"
Il haussa les épaules, comme soudain de nouveau propulsé dans la réalité.
"- Ça va aller t'en fais pas, tu devrais rentrer, tu vas attraper froid.
- Tu sais que c'est exactement ce que je viens de te dire ?"
Elle tenta un rire qui ne trouva pas public, et posa une main sur son épaule.
"- Tu as peur de l'orage ?
- Non, pas vraiment."
Il était rare que Lucas soit aussi froid avec elle, et cela l'inquiétait un peu, mais elle avait vraiment peur de ne faire plus de mal que de bien en le poussant à se confier. Elle laissa tout de même parler le souvenir qui venait de lui remonter.
"- Quand j'étais plus jeune, avec mon petit frère, on était persuadés que notre maison était hantée. Un soir on avait décidé de mener une enquête parce que nos parents étaient sortis pour la soirée, t'aurais du nous voir avec ma lampe torche et lui qui se cachait derrière moi au moindre bruit quand on est descendus dans la cave... Evidemment, on a rien trouvé qui pourrait expliquer les bruits bizarres qu'on entendait toutes les nuits, mes parents affirmaient que c'était des souris dans le plafond mais on les croyait pas, tu vois. Ouais on a rien trouvé mais la porte s'était refermée derrière nous, et on s'est retrouvé bloqués dans la cave à pleurer jusqu'à ce que nos parents rentrent... On s'en est juste sortis avec une énorme peur du noir, qui a tendance à persister un peu trop pour mon grand âge, soupira-t-elle."
Il la regarda en souriant tristement, puis redirigea son attention sur l'extérieur, et elle se dit qu'elle allait laisser tomber et rentrer au chaud lorsqu'il répéta :
"- J'ai pas vraiment peur de l'orage."
Alors elle se figea et attendit simplement qu'il continue, en espérant qu'il n'allait pas mettre trop longtemps à se décider parce qu'il faisait vraiment froid sous la pluie.
"- En fait c'est un peu comme toi, finit-il par souffler, ça me rappelle trop de mauvais souvenirs. Quand j'étais petit j'en avais peur, et ma mère venait toujours me rassurer. Aujourd'hui elle est plus là... pour ça."
Elle réalisa soudainement que c'était bien la première fois qu'elle l'entendait parler de sa mère. Lucas évoquait parfois son père, dans des anecdotes ou simplement pour dire qu'il allait lui rendre visite, mais jamais, jamais il n'avait mentionné l'existence d'une maman, et elle ne l'avait jamais noté avant. Était-elle décédée ? Elle ne voulait pas poser la question, cela lui paraissait indiscret et brusque, mais elle ne savait pas vraiment quoi répondre non plus.
"- Mais qu'est-ce que vous foutez dehors par ce temps ?"
La jeune fille ne pu s'empêcher de pousser un soupir de soulagement en réalisant qu'on venait enfin la sauver de ce long moment embarrassant, et se retourna pour sourire à Alexandra, qui était, semble-t-il, partie à sa recherche bien vite. Elle en eut le cœur réchauffé, et ce sentiment ne pu que s'accroître lorsque son amie la tira à l'intérieur, enfin suivie par le blond qui avait eu son lot de tempêtes. La nouvelle venue les interrogea du regard, tentant probablement de comprendre ce qu'elle venait d'interrompre, mais Barbara aurait été bien incapable de répondre tant elle était perplexe. Et le garçon gardait le regard figé devant lui, vide et...éteint.
"- Vous faites une contre-soirée sur le balcon ? Vous êtes sûrs que c'est le moment approprié ? interrogea une nouvelle voix"
Nadège riait en approchant du petit groupe, mais haussa un sourcil en constatant le stoïcisme de ses amis.
"- Eh bah quelle ambiance les gars, je devrais peut-être rentrer chez moi, plaisanta-t-elle.
- Pardon pardon, s'exclama l'hôte de la soirée, je savais pas que tu venais finalement, c'est cool !
- Ouais, ça s'est décidé au dernier moment, j'étais avec ma pote en fait, et j'ai décidé de l'amener du coup, elle dit bonjour aux autres dans le salon, je vous la présente ?"
Ils acquiescèrent tous trois, et se remirent enfin à parler et bouger, comme si toute leur énergie avait été absorbée et qu'ils se réveillaient à peine, ils se dirigèrent alors vers le bruit et la lumière. Leurs amis les accueillirent avec des blagues sur les vêtements trempés de Lucas et Barbara, et cette dernière sursauta lorsqu'il se pencha pour lui chuchoter :
"- Regarde qui est déjà en train de prendre l'amie de Nadège à part..."
Il avait repris un ton amusé et détaché, ce qui la surpris, mais elle suivit son regard et ne pu que rire en constatant qu'effectivement, Maxence accaparait la nouvelle arrivée, mais qui se détacha de lui en les remarquant. Elle semblait timide, donc ils commencèrent par décliner leurs prénoms, et tous rirent lorsqu'Arif et Mickaël jugèrent de bon goût d'échanger leurs identités, ce qui laissa notre inconnue perplexe. Nadège leva les yeux au ciel et frappa les deux imbéciles, avant de corriger :
"- C'est l'inverse, leurs prénoms. Tss... Bon, je vous présente Marianne du coup, je l'ai rencontré pendant un stage, elle est très très mims donc je suis sûre qu'elle va vous plaire, mais commencez pas tout de suite à la taquiner. N'est-ce pas Arif ? Micka ?"
A tour de rôle, elle fusilla du regard les garçons, qui n'en rirent que d'avantage, et elle cessa d'espérer qu'ils sauraient se tenir, car ça ne serait probablement jamais le cas. Avec soulagement, elle vit Henry sortir de la cuisine, et il passa un bras autour de ses épaules en annonçant :
"- Bon, je vous ai fait des pizza incroyables, on fait un jeu en attendant ?"
Evidemment, il avait proposé cela en espérant un poker, mais personne ne semblait d'accord, et c'est Maxence qui finit par trancher en proposant de laisser choisir Marianne :
"- Heuuu... J'aime bien le Président, hasarda-t-elle ?"
Alex qui avait lancé l'idée jura qu'elle "aimait déjà cette petite nouvelle", et Nadège partit à la recherche d'un jeu de cartes dans son sac. Pendant que tout le monde s'installait tant bien que mal autour de la table, Lucas se rapprocha de Barbara, car il commençait déjà à regretter son moment d'égarement.
"- Par rapport à tout à l'heure... On peut faire comme si rien ne s'était passé ?
- Bien sûr, tu es sûr que ça va ? C'est parce que Bapt' est pas là ?
- Hein ? Non, pourquoi ? répondit-il en fronçant les sourcils"
Ils parlaient doucement pour éviter qu'on ne les entende, mais personne ne semblait leur prêter attention, Max et Arif étaient bien trop occupés à se disputer sur les règles.
"- Comme ça, comme ça..."
Elle n'avait pas envie de l'embêter plus que ça, même s'il lui brûlait de l'interroger sur la nature de leur relation, il était très difficile de comprendre ce qu'il pouvait bien se tramer entre eux lorsqu'elle pouvait seulement deviner que chaque fois qu'ils disparaissaient simultanément c'est qu'ils étaient ensemble. Elle se dit qu'elle trouverait ça agaçant d'être attiré par quelqu'un qui ne montrait jamais ses vrais sentiments, et se sentit bête en laissant son regard dériver vers Alexandra. Ce n'est pas la même chose. Elle secoua la tête, comme pour chasser toutes ses pensées parasites, et se reconcentra sur le moment présent, où Corentin avait fini par départager les garçons en cherchant les règles officielles, qui donnaient raison à Arif. Maxence faisait presque la tête, mais Marianne lui proposa à boire, et il reprit un sourire charmeur pour accepter. Henry distribua les cartes, et Barbara fut surprise de constater que, comme elle, Lucas refusa de jouer. Rapidement, il se leva en annonçant qu'il allait surveiller les pizza, et elle se dit qu'elle allait le suivre.
"- J'ai un peu de mal à te comprendre ce soir, commença-t-elle lorsqu'ils furent éloignés.
- Ma mère est pas morte, balança-t-il de but en blanc. Je sais que tu te poses la question depuis tout à l'heure, donc voilà, elle est pas morte. C'est juste... compliqué.
- Merci de me l'avoir dit Lu', t'es pas obligé en vrai, je sais que je suis souvent trop curieuse, mais je veux pas te forcer à quoi que ce soit.
- Ouais je sais, je te fais confiance c'est tout. Je parle pas souvent d'elle, alors je me perds vite tu vois ?"
Elle hocha la tête, se demandant s'il allait compléter ses bribes de confessions, mais il semblait avoir terminé, et se redirigeait déjà vers les éclats de voix, où Maxence accusait Arif de tricher "mais je te dis que t'as pas le droit de finir par un 2 !". Plein d'espoir, l'accusé se tourna vers Corentin qui fut contraint d'admettre que cette règle était correct, et qu'il s'en trouvait donc disqualifié. Ils firent quelques parties de plus, jusqu'à ce qu'Henry ne ramène à manger, et Lucas se força à goûter une part, attendant de capter l'attention de son meilleur ami. Leurs regards finirent par se croiser, et il lança :
"- Max, ça t'embête de rentrer maintenant ?"
Il avait l'air un peu déçu mais il accepta car il travaillait le lendemain matin, et lorsque Marianne les suivit dans l'entrée pour dire au revoir, le blond fit semblant de regarder autre part alors qu'ils s'échangeaient leurs numéro. Dans la voiture, cela lui permis de construire la conversation, et d'éviter toute question sur son attitude de ce soir. Même lui ne comprenait pas pourquoi il était triste et mélancolique à ce point. "C'est parce que Bapt' est pas là?" Il soupira en y repensant, mais hésita environ trois secondes avant d'attraper son téléphone au fond de son sac pour lui envoyer un message. Son cœur loupa un battement en constatant qu'il avait été devancé : "Désolé je pouvais pas ce soir, tu as du être anéanti par mon absence mais mon patron m'a demandé de le remplacer. Tu voudrais passer voir où je travaille ce week-end ?"
Il eu un mal fou à réprimer son sourire en découvrant son invitation. Il se rappela la première soirée chez Barbara, la partie de beer pong qu'il avait fait exprès de perdre juste parce que Baptiste ne voulait pas que toute la bande ne débarque dans son bar. Il se sentait privilégié, et cette pensée niaise lui donna envie de se frapper la tête contre le tableau de bord. Mais, hé, il allait encore découvrir de nouvelles choses de son ami, et ça ne pouvait qu'effacer tout ce qui avait tourné dans sa tête ces derniers jours.
Ce soir là, il s'endormit plus facilement que d'habitude, et son excitation d'adolescent amoureux l'exaspérait, mais il n'avait même pas envie qu'elle ne s'apaise. Parce que ça rendait son quotidien infiniment plus doux.
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