11 - L'univers a été fait juste pour moi
Lucas rit, tandis qu'elle le faisait tournoyer sur cette piste de danse improvisée.
"- Allez, bouge chéri, lâche toi!"
Elle gloussait en chantant, très fort et très faux un air qu'il ne saurait plus identifier; sûrement Katty Perry ou Ariana Grande : elle aimait ces chansons simples, pleines de bonne humeur. Il était fasciné par les couleurs qui tournoyaient sur sa robe : du rouge, du jaune, du violet. On aurait dit un drapeau, flottant dans le vent, agitant, fièrement, tout son bonheur. La voir aussi heureuse était rare : il en chérissait chaque instant. Le cœur gonflé de joie, il tourna, et tourna autour d'elle, agrippant ses mains comme si sa vie en dépendait. A bout de souffle, ils finirent par s'allonger sur le sol, le sourire aux lèvres.
"- Tu sais Lulu, le bonheur ça viendra pas tout seul. Tu devra arracher chaque morceau qui se présentera à toi avant de devenir barge. Je vais te dire un secret : quand je vais au travail, que je renseigne avec plaisir tous ces hypocrites de cadres, que je souris lorsque tes grands parents me complimentent sur ma jolie maison, je fais semblant. Tout ça c'est... c'est pas la vie."
Elle était soudainement devenue grave, les yeux rivés sur le plafond, elle débitait :
"- T'es pas obligé de te conformer à ça. Tu peux être qui tu veux."
Elle tourna la tête dans sa direction et posa sa main sur sa joue, tendrement.
"- Tu es déjà extraordinaire chéri, ne te contente pas du minimum. Je serais toujours fière de toi."
Tu m'as appris le courage des étoiles avant que tu ne partes
Comment la lumière persiste sans cesse, même après la mort
À bout de souffle, tu as expliqué l'infini
À quel point il est rare et magnifique de seulement exister
La chaleur sur son visage s'estompa, Lucas se réveillait, des larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Il ressemblait à un petit enfant, allongé ainsi dans le lit, à fixer le plafond comme si ses réponses s'y trouvaient. Il voudrait que ses prières soient enfin entendues, et qu'elle revienne, ne serait-ce qu'un court instant pour tout lui expliquer. Car c'est ce que font les mamans, n'est-ce pas ? Mais la sienne était partie, et il se retrouvait désespérément seul face à ses doutes. Il en avait honte, mais il lui en voulait, à cet instant précis, il la blâmait de ne plus être là.
Dans un sursaut, il se souvint qu'il n'était pas dans son lit, mais réalisa avec soulagement que Baptiste n'y était plus et n'avait pas assisté à ce moment embarrassant. Comme s'il avait besoin de repenser à sa mère en ce moment...
Il rejoignit son hôte dans le salon, où il était installé sur le canapé, regardant il ne savait quel programme sur son ordinateur.
"- Et bah dis donc, tu te lèves que maintenant ? Qui aurait cru qu'un tout petit corps comme le tiens avant besoin d'autant de sommeil...."
Lucas leva les yeux au ciel et ne se priva pas de rétorquer :
"- Normal, tu sais plus on vieillit plus on se lève tôt, ma grand-mère se lève à 5h tous les matins, tu vas pas tarder à finir comme elle...
- Tu sais quoi, c'est fou parce que t'as quand même l'air super fatigué.
- Tsss... Bon, t'aurais pas vu mon téléphone ?"
Il lui désigna l'entrée, où se trouvait sa veste, et effectivement, il y trouva son téléphone - déchargé, évidemment. Il lui emprunta un chargeur, et se dit qu'il allait manger un petit déjeuner en attendant, même s'il était déjà onze heures.
Une fois servi, il s'installa à côté de lui, et Baptiste lui proposa de regarder des vidéos sur Youtube. Lorsque Lucas bailla, au bout d'à peine cinq minutes, le brun s'esclaffa :
"- Mais t'es vraiment fatigué en fait ?
- Et tu sais que tu radotes ? En plus je suis pas fatigué, c'est tes trailers de jeux vidéos qui sont nuls, sérieusement, qui regarde ça comme une série.
- Qu'est-ce que tu proposes alors ?
- Tu connais Léna Situations ?
- L'influenceuse Instagram ? Je regarde pas ce genre de trucs, désolé.
- Quel boomer ! C'est une pote de Laurène, tu sais, elle était à mon anniversaire chez Corentin.
- Luciole ?
- Ouais c'est ça. Elle me parle H24 d'elle, mais je prends jamais le temps d'aller voir ce qu'elle fait.
- Normal ? Tu veux regarder des haul maillots de bain ?"
Ils continuèrent de se chamailler, sans jamais réussir à se mettre d'accord sur une vidéo, jusqu'à ce que Lucas ne déclare qu'il était temps pour lui de rentrer chez lui. Baptiste n'était, au départ, pas très enclin à le laisser s'en aller, mais il avait assuré qu'il n'allait pas passer l'après-midi seul, émettant l'idée de passer voir son père. Sur d'énièmes remerciements, il finit donc par quitter son refuge temporaire.
⁂⁂⁂
"- Tu crois qu'elle pense à moi parfois?"
Il n'y avait pas vraiment besoin d'expliciter ce "elle", au vu du regard que son père lui lança. C'était soudain, brusque, et inattendu. Elle n'était pas un tabou intentionnellement, mais la vérité était qu'ils n'avaient pas du parler d'elle depuis des mois, des années ? Il n'y avait plus grand chose à dire en fait. Le fils se disait que l'homme avait bien le droit de tourner la page, et le père avait peur de remuer le couteau dans une plaie mal cicatrisée. Et voilà que, sans préavis, son image s'illuminait dans leurs têtes. Lucas observa son père froncer les sourcils, déverrouiller son téléphone, et lire la date avec une douloureuse lueur de compréhension dans le regard. Vendredi, cela ferait 15 ans qu'elle était partie. Le jeune homme lâcha un rira anxieux :
"- J'ai passé plus de temps sans elle que avec, peut-être qu'elle se rappelle même plus qu'elle a un fils.
- Bien sûr qu'elle se rappelle Lucas...
- Je pourrais aussi bien être mort, qu'est-ce que ça changerait pour elle ? Elle viendrait à mon enterrement ?"
Il riait maintenant franchement, hystériquement, sous le visage désemparé de l'homme qui ne savait pas quoi faire pour l'aider. Le voir ainsi souffrir lui brisait le cœur, et il n'avait aucun moyen d'atténuer cette peine. Maladroitement, il lui tapota l'épaule, attendant qu'il se calme. Les rires s'apaisèrent, mais son air tragique ne disparut pas.
"- Je voudrais juste pouvoir lui parler. Lui dire qu'elle me manque, que je l'aime toujours. Que je la hais pour ce qu'elle nous a fait. Bordel je la hais !"
Il fit sursauter son père en se mettant à hurler, et manqua de renverser son tabouret lorsqu'il se mit debout, tournant et tournant sur lui même comme un possédé.
"- Dans les films au moins y a, je sais pas, une putain de lettre, quelque chose ! Mais non, elle a préféré compter sur son gamin de 10 ans pour transmettre le message. J'ai tant essayé de me rappeler ce qu'elle m'a dit cette nuit là, des nuits entières à essayer d'écrire ses mots exacts, comme si j'allais réussir à trouver une formulation qui me permettrait de lui pardonner. Tu te rappelle comme tu me croyais pas ? Quand t'es rentré à la maison le lendemain et que tu pouvais pas croire qu'elle m'ait laissé tout seul toute la nuit, c'était le seul truc qui t'inquiétait. Je te répétais que c'était pour toujours et tu me croyais pas, tu continuais de l'insulter sur son répondeur parce qu'elle était "irresponsable !" "il aurait pu lui arriver n'importe quoi !""
L'imitation - clairement fatiguée - les fit rire un court instant, avant que les deux hommes ne réadoptent un silence triste. Ils étaient chacun fermés dans leur bulle de souvenirs, beaucoup trop flous pour Lucas, ce qui le frustra, et le poussa à demander :
"- T'as gardé des photos d'elle ?"
Je ne pouvais m'empêcher de te demander
De le répéter à nouveau
J'ai essayé de le noter
Mais je n'ai jamais pu trouver de quoi écrire
C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent à parcourir un vieil album photo, caché au fond d'un placard, parfois riant, parfois pleurant. A la fin il y eu un silence respectueux, presque comme une minute de deuil. Ce fut le père qui le brisa :
"- Tu sais, j'aurais du le voir venir. Elle a jamais été heureuse avec moi, elle parlait toujours de ses rêves d'aventures, de son envie de découvrir le monde. Elle était pas faite pour rester à la maison avec un gamin.
- Est ce que j'étais un accident ?
- Quoi ? Non pas du tout ! Mais c'est moi qui l'avait poussé, j'étais persuadé qu'elle serait heureuse, que le magique instinct maternel arriverait et tout irait bien. Je m'étais bien trompé."
Lucas ne savait pas trop quoi répondre à cela, alors il ne dit rien, se leva et rangea ce qu'ils avaient sorti. Quand il revint, son père avait toujours le regard figé, et il s'en voulu un peu d'avoir abordé le sujet. Il lança :
"- J'ai parlé d'elle ce matin.
- Avec Lila ?
- Non, je... merde."
Il réalisa seulement qu'il n'avait pas informé son père de sa rupture, il lui parlait toutes les semaines et il n'avait même pas songé à lui raconter un truc si basique et si central dans sa vie. Ils étaient assez proches, mais il restait une pudeur respectueuse; ils ne s'étalaient jamais trop sur leurs sentiments.
"- On est plus ensemble, ça va faire un mois."
L'homme afficha une mine surprise, puis un sourire attendri pour l'encourager à s'expliquer.
"- C'était prévisible tu sais, ça faisait un moment que notre couple battait de l'aile alors... Mais j'ai rencontré quelqu'un !
- Déjà ?
- Non, pas dans ce sens là ! C'est Baptiste, un nouvel ami."
Il ne savait pas vraiment pour quoi cette méprise lui donnait envie de rougir, mais il se reprit :
"- J'ai dormi chez lui hier soir, c'est rare que j'aille chez de nouvelles personnes, mais je fais plein de nouvelles choses ces derniers temps tu sais.
- Tu grandis."
Il avait un regard fier, que seul un parent pouvait donner, et cela lui réchauffa un peu le cœur.
"- Elle avait raison tu sais, l'univers a été créé juste pour être vu de tes yeux."
Lucas ne comprenait pas cette phrase, même si elle lui faisait monter un drôle de sentiment dans le ventre. Il avait l'envie incompréhensible de dire à son père de se taire.
"- Tu te rappelles pas ? C'est toi qui me l'avait dit pourtant. Juste avant qu'elle parte. Vous étiez dans le jardin.
- On regardait les étoiles, souffla-t-il.
- Et elle t'a dit que l'univers a été créé juste pour être vu de tes yeux, répéta-t-il."
Je donnerais n'importe quoi
Pour te l'entendre dire une nouvelle fois
Que l'univers a été fait
Seulement pour être vu de mes yeux
C'était comme la pièce manquante. C'était si banal, si cliché de se dire qu'il avait été obsédé par les étoiles depuis tout ce temps pour un simple dernier souvenir avec sa mère, qu'il avait oublié jusqu'à maintenant. Il en avait presque envie de se mettre à pleurer, mais ça n'aurait aucun sens. Ces souvenirs étaient une bonne chose. Il n'allait tout de même pas se mettre à détester l'astronomie, juste sous le prétexte que c'était elle qui l'y avait initié. Même si ça le tentait.
Il avait infiniment peur de grandir et de devenir un adulte, mais en réalité cela faisait bien longtemps qu'il n'était plus un enfant. Il devait juste l'accepter.
À bout de souffle, j'expliquerai l'infini
À quel point il est vraiment rare et magnifique de seulement exister
Sleeping At Last, Saturn ( traduction de La Coccinelle )
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