10 - Suis moi, je t'attends
Pour Lucas les jours s'écoulaient, et se ressemblaient. Cela faisait presque un mois que sa copine l'avait quitté, et la situation ne semblait pas avancer. Apparemment elle allait rester sur Paris définitivement, et il ne se voyait pas prendre le train pour la supplier de lui donner des explications. Parce qu'il savait parfaitement pourquoi elle avait enfin mis un terme à leur relation. Ça ne rendait pas les choses plus faciles à accepter.
Il avait repris son vieux quotidien, ne sortant pas à part pour aller à la fac, même pas pour l'anniversaire de Maxence où il avait fait une apparition si courte qu'il lui avait fait la tête pendant deux jours. Il avait le sentiment d'être coincé dans le passé, surtout à vivre dans ce qui aurait du être leur appartement commun. Il devait y rester jusqu'à fin mars pour ne pas avoir payé des loyers dans le vide, mais il avait de la chance : son ancien logement n'avait pas été loué et il allait pouvoir le récupérer. C'est en appelant son meilleur ami pour lui annoncer ça qu'il s'était retrouvé dans un guet apens :
"- Lucas, y a une fête chez Corentin ce soir, tu as intérêt de venir, ou je ne te parle plus jamais. Il est temps de recommencer à faire des trucs, je m'inquiète pour toi. Je viens te chercher à 20h, sois prêt."
Il ne lui avait même pas laissé le temps de répondre avant de raccrocher, et au fond était-ce une si mauvaise idée ? Des amis, de la musique, et de l'alcool, voilà de quoi lui occuper l'esprit.
⁂⁂⁂
"- C'est gentil d'avoir proposé de me ramener, merci.
- Je n'allais pas laisser Maxence te ramener, vu dans l'état dans lequel il était..."
En riant, les deux hommes s'installèrent dans la voiture du brun, claquant leurs portières dont le bruit résonna dans la nuit. Le soleil ne devrait pas tarder à se lever, mais pour l'instant la nuit était noire, sans même l'illumination d'une lune, cachée par les nuages.
Lucas reprit :
"- Faut pas lui en vouloir ; il s'est fait recaler en beauté par Alexandra...
- Par Alex?"
Baptiste démarra le moteur, regardant dans le rétroviseur pour effectuer sa manœuvre. Son ton était détaché, mais il y perçait une pointe de surprise.
"- Oops, ne lui dis pas que je te l'ai dit!"
Lucas gloussait, et le conducteur lui jeta un regard étonné :
"- Tu as vraiment bu?
- Juste un peu ne t'inquiète pas..."
Employant un ton de confidence, il finit par lui faire un clin d'oeil, qu'il ne vit pas, concentré sur la route.
"- Alex donc?
- Il était à fond sur elle, soupira-t-il. Il a essayé de l'embrasser cet imbécile. C'était supposé être sa soirée courageuse tu vois, mais elle l'a recadré, gentiment d'ailleurs, trop... Il faut que tu le saches, elle est pas bi du tout, elle est lesbienne ! M'enfin c'est Maxence, il s'en remettra, mais il était bien triste ce soir, ça m'a peiné.
- C'est pour ça que tu as bu aussi alors? le taquina-t-il. "
Le jeune lui mit une petite tape sur la tête pour punir ce sourire en coin, mais il se fit réprimander :
"- Hé, je conduis!
- Tu es si sérieux... Boire un peu plus t'aurait rendu plus amusant.
- Et comment serais-tu rentré chez toi, hum?"
Lucas cessa de rire, adoptant une mine triste. Surpris par ce brusque changement d'humeur, Baptiste lui jeta un coup d'oeil.
"- Lucas?
- J'ai pas envie de rentrer; depuis que Lila est partie je... La maison est vide, souffla-t-il. Je me sens encore plus seul."
Il baissa la tête, un peu honteux de cet aveux de faiblesse : allait-t-il se moquer? Il ne s'était pas moqué la dernière fois, lors de leur balade nocturne, qui n'avait d'ailleurs jamais été réabordée. Mais là il était triste pour une fille, qui l'a laissé tomber en plus, n'était-ce pas pathétique ? Il ne voulait pas s'apitoyer sur cette situation dont il était, au fond, le seul responsable, mais il devenait dur de supporter cette solitude qui le rongeait. Il ne supportait plus de rentrer chez lui dans le silence, car il n'en entendait que trop bien le bruit de son cerveau qui, lui, ne se taisait jamais. Le pire était la nuit, lorsqu'il se retrouvait à contempler le plafond dans la pénombre, recroquevillé au milieu d'un lit bien trop grand pour lui. Son odeur encore partout... Et c'est lorsqu'il n'arrivait pas à dormir, habité par ses souvenirs, qu'il avait envie de pleurer à s'en noyer l'âme. Mais il avait déjà craqué deux fois avec Baptiste, il devait rester fort. Cette petite phrase lui avait échappée - et il en remettait volontiers la faute sur l'alcool - mais ça ne se reproduirait plus. Il secoua la tête, déterminé à garder le peu de dignité qui lui restait; et le silence éloquent de son ami ne fit que renforcer cette volonté.
⁂⁂⁂
Lucas releva les yeux, sentant que la voiture s'était arrêtée. Il lâcha pourtant une exclamation de surprise en constatant le lieu où ils se trouvaient :
"- Qu'est ce qu'on fait là...?
- C'est chez moi.
- Oh."
Le blond se tortilla sur son siège, mal à l'aise face au silence de son interlocuteur, dont la courte phrase était la première depuis sa confession un peu plus tôt.
"- Bon, tu descends ou tu attends que je vienne te détacher moi-même?"
L'interpellé rougit face à cette remarque, et finit par quitter l'habitacle et suivre le brun, d'un pas hésitant. Ils pénétrèrent le bâtiment sans un bruit, seulement troublé par les pas maladroits du blond qui peinait à monter les escaliers. Arrivés dans l'entrée de l'appartement, il essaya d'enlever ses chaussures - pleine de boue d'une flaque dans laquelle il avait marché sur le parking -, mais il se trouva incapable d'accorder ses doigts pour défaire ses lacets.
"- Qu'est ce que tu fais?"
La voix de Baptiste le fit sursauter, et il lui jeta un regard piteux :
"- J'y arrive pas..."
Le grand esquissa un sourire attendri : cette moue lui donnait l'air d'un petit enfant, démoralisé face à une immense difficulté. Sans un mot, il se baissa pour l'aider; surprenant notre garçon resté stoïque.
"- Allez viens, je vais te donner un pull, le tien a encore de la bière.
- Tu me ramènes pas chez moi...?"
Timidement, il osa enfin poser la question qui le brûlait depuis qu'ils étaient arrivés. Encore assis par terre, il gardait les yeux sur le sol pour éviter de croiser son regard ; l'alcool - ou peut-être était-ce la présence de Baptiste? - lui faisait perdre tous ses moyens.
"- Tu préfèrerais que je te ramène?
- Non ! Enfin... J'étais jamais venu chez toi avant, ça m'intimide."
Baptiste pouffa face à cette franchise déroutante, et sauta sur l'occasion pour le taquiner:
"- Hum, donc je t'intimide?
- Prends pas trop la confiance !
- Ça te dérange?"
Avec un petit "non", il se releva finalement, et surprit l'asiatique en se dirigeant directement vers le couloir qui - il supposait - menait à la chambre. Le brun eut un petit temps de latence - Lucas pouvait être si déstabilisant quand il avait bu! -, poussa leurs chaussures dans un coin, et se rendit à son tour dans la pièce où son ami avait disparu.
Dans l'embrasure de la porte, il se figea : dos à lui, le blond fouillait dans un des tiroirs, sûrement à la recherche d'un nouveau t-shirt puisqu'il ne portait plus le sien. Il ne saurait dire pourquoi cette vue le troubla, et il eut la soudaine pulsion - difficile à refreiner - de l'enlacer, et sentir sa peau contre la sienne. Le coupant dans sa contemplation, le petit se retourna et son visage s'éclaira :
"- Ah te voilà ! C'est un bazar ton placard... Où sont les t-shirt?"
Il déglutit en détaillant malgré lui son torse, descendant sur ses abdominaux finement dessinés ( il se dit d'ailleurs qu'il ne savait pas qu'il faisait du sport, peut-être devrait-il le questionner plus tard ? ), mais se reprit rapidement :
"- Deuxième tiroir, à droite.
- Merci!"
Il s'affaira de nouveau jusqu'à trouver un haut noir qu'il enfila, sous le regard redevenu impassible de son hôte.
"- Bon bah je vais aller dormir sur le canapé, merci encore de m'avoir ramené."
Baptiste hocha la tête, puis se mordit la lèvre en le regardant s'éloigner lentement. Au dernier moment, il céda :
"- Viens dormir avec moi."
Lucas sembla surpris de cette demande, mais déclina :
"- Je me suis déjà incrusté chez toi, je vais pas prendre ton lit en plus ! Le canapé m'ira très bien, ne t'en fais pas.
- Arrête les politesses avec moi, hum ? Crois moi, tu ne veux pas dormir sur ça, à moins d'aimer les torticolis, tenta-t-il de rire pour détendre l'atmosphère, mais Lucas ne lui rendit qu'un regard sérieux.
- Baptiste...
- C'est juste pour se tenir compagnie, pas vrai ? Te prends pas la tête Lu', viens là j'ai sommeil."
Il s'allongea alors sous sa couverture et ferma les yeux, bien décidé à ne pas lui montrer à quel point cette proposition l'angoissait derrière ses airs nonchalants. Il entendit la porte se fermer, la lumière s'éteindre, et ne su pas vraiment s'il était seul jusqu'à ce que des pas discrets ne se rapprochent de son lit. Dans la pénombre, il sourit en sentant son ami s'allonger à ses côtés, et se retourna pour éviter ne lui tourner le dos. Au bout de quelques instants, une petite tête vint se caler au creux de son cou, cherchant sûrement de la chaleur - de la tendresse. Doucement, il murmura :
"- Bonne nuit Lucas.
- A toi aussi."
Plusieurs minutes passèrent sans qu'aucun des deux ne prononce un mot. Baptiste fixait le plafond, se remémorant la soirée qui venait de s'écouler. Il n'aurait jamais pensé finir avec Lucas dans son lit ! Il eut envie de rire, mais se retint de justesse : il ne voudrait pas le réveiller.
Juste à cet instant, le blond souffla :
"- Merci Baptiste.
- C'est normal Lu'."
Et enfin, ils fermèrent tous deux leurs yeux, prêts à sombrer dans le royaume des rêves : pour un court instant, ils étaient apaisés.
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