Chapitre 25
07 février 2018
— C'est pas vrai !
Charlotte me regarde depuis deux bonnes minutes, les yeux grands ouverts.
— J'y crois pas !
Je hausse les épaules en signe d'impuissance. Si c'est vrai. Crois-y, Charlotte.
— Heureusement que je suis là, alors ! T'aurais raté ta vie, vraiment ! C'est pas possible...
Elle secoue la tête et ses cheveux blonds voltigent sur ses épaules. Son expression choquée n'a pas disparu de son visage depuis que je lui ai annoncé ce qui semble être un crime pour elle.
— Jamais vu Pretty Woman. T'as pas honte ?
Je hoche la tête négativement, avant de demander :
— Il y a vraiment de quoi avoir honte ?
Ses yeux s'agrandissent instantanément, et elle me regarde avec un air désolé.
— T'as pas idée, Juliette.
Elle s'empare de l'ordinateur avec précipitation, s'installe sous la couette et me regarde :
— Prête à voir toutes tes convictions changer ?
— Je doute que ça change si radicalement.
— Je l'ai déjà dit Juliette, t'as pas idée.
Un sourire taquin naît sur ses lèvres, et elle s'empresse d'essayer de le cacher, détournant la tête. Je fais mine de ne rien voir, et m'enfonce sous la couette, appuyant mon bras contre le sien.
Elle lance le film, et au bout de quelques minutes, je sens sa tête se poser sur mon épaule. Je ne dis rien, ne fais rien. Je reste là, à apprécier le moment. Plus la sensation de l'avoir tout près de moi que le film, à vrai dire. Elle avait raison sur ce point, j'avais pas idée. Pas idée de combien je me sentirais bien, ici, maintenant. De combien je me surprendrais, à avoir envie de rester là toute ma vie, à vouloir que ce moment dure pour toujours.
Je ré-oriente mon regard vers l'écran, Julia Roberts déambule devant des boutiques de luxe, et je me demande si Charlotte le fait aussi, parfois. Avec Ana, peut-être ? Ou sa sœur, dont elle m'a parlé une fois ? Je laisse une nouvelle fois mon esprit s'échapper et imagine la blonde dans les rues de Monte-Carlo, un chapeau au large rebord sur la tête, portant une robe blanche immaculée et des sacs de shopping au bras. Chanel, Saint-Laurent, Cartier, elle ne manque de rien. Le soleil éclabousse la jetée et elle rit à gorge déployée. Avec qui ? Je ne sais pas. Peut-être moi.
Sa tête qui bouge sur mon épaule me fait revenir à la réalité.
— Tu lui ressembles un peu, je trouve, finit-elle par annoncer. À Julia Roberts. Y'a un petit air.
Je pouffe, une façon pour moi de me moquer gentiment d'elle. En réponse, je reçois un petit coup dans l'épaule.
— Quoi ? C'est vrai !
— Ah ouais ? Tu trouves ?
— Ouais.
Nouveau ricanement. Nouveau coup dans l'épaule.
— C'est un compliment, tu sais. Elle est jolie, Julia Roberts.
Mon cœur s'emballe, et j'ai l'impression qu'il va s'enfuir de ma poitrine, j'ai l'impression que si Charlotte regardait, elle pourrait le voir bondir hors de mes vêtements à chaque battement, avant de revenir en place pour ensuite repartir de plus belle.
Mes joues chauffent, et je sens comme un feu m'envahir. Tant brûlant que réconfortant. Aussi dangereux qu'agréable.
Un sourire se met à étirer mes joues, et j'essaye de le cacher, faisant de mon mieux pour penser à autre chose. Pour faire descendre les coins de mes lèvres qui s'obstinent à rester pointés vers mes oreilles.
Finalement, je sens Charlotte bouger de nouveau pour se retourner vers l'ordinateur.
Les minutes s'écoulent, les unes après les autres. J'essaye de suivre le film, mais la tache s'avère être bien plus compliquée qu'elle n'y parait. Les mots de Charlotte tournent en boucle dans ma tête. Certains n'y auraient pas prêté attention, ils se seraient contentés de marmonner "merci", puis de hausser les épaules. Avec certains, j'aurais réagi comme ça, aussi. Mais pas avec Charlotte. Parce qu'avec elle, ça ressemblait à une promesse, prononcée à demis-mots.
Le générique de fin se fait bientôt entendre, sans que je n'ai retenu plus de trois scènes. Charlotte va me tuer.
— J'trouve ça beau, comment ils s'aiment, tous les deux. C'est un peu un goal, tu vois ? J'aimerais bien aimer et être aimée comme ça, un jour.
Ses paroles m'interpellent. Non, elle ne va pas me tuer. Pire, la tristesse voile sa voix, et mon cœur fait un bon dans ma poitrine, seulement cette fois, je ne souris pas, mes joues ne chauffent pas. Je me tourne vers elle et attrape son visage pour planter ses yeux dans les miens.
— Eh, tu trouveras. On est encore jeunes. On a le temps, encore. T'en fais pas pour ça.
Elle me regarde, son regard est triste, mais un sourire commence à prendre forme sur son visage. Elle hoche la tête, avant de demander :
— T'en as déjà connu, des personnes comme ça ?
— Tu me demandes si j'ai déjà eu des relations ? Sérieuses ? j'ajoute bien vite.
Elle marmonne quelque chose qui ressemble plus ou moins à "oui", et mon cœur se serre. Thomas. Dire que je suis remise de sa disparition serait mentir.
— Oui. En arrivant ici, j'étais en couple. Il s'appelait Thomas. On a été en couple pendant un peu plus de deux ans. Depuis que je le connais, il a toujours aimé boire en soirée - même quand on était en troisième. Je l'ai souvent vu bien bourré, mais il a jamais vraiment dépassé les bornes au point de finir à l'hosto. D'après son frère, quand je suis partie, ça été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, et il sortait de plus en plus, et revenait complètement ivre chez lui. Un soir, en octobre, il est pas revenu. Il a fait un coma éthylique. Les médecins ont dit qu'il aurait peut-être pu s'en sortir si il avait eu que de l'alcool dans le sang. Mais il avait fumé, ou peut-être qu'il avait commencé à consommer des drogues plus dures, je sais pas... Peu importe ce qu'il avait pris, ça lui a été fatal.
— Oh, Juliette. Je suis désolée.
Les larmes menacent de couler sur mes joues, et Charlotte se rapproche de moi, m'entourant de ses petits bras. L'attention me remonte un peu le moral et je prends sur moi pour que ma voix ne tremble pas quand je lui demande :
— Et toi ?
Elle prend une grande inspiration et déclare :
— J'ai été en couple du début de la seconde à la fin de la première. C'était un ami à mon frère, il avait deux ans de plus que moi, je savais que ça durerait pas.On est quand même restés un moment ensemble, mais c'était compliqué, je découvrais le lycée, lui il était déjà en deuxième année de prépa - il avait sauté deux classes, c'est pour ça qu'on avait que deux ans d'écart. Il est resté avec moi encore un an après avoir quitté la prépa, mais je savais bien qu'il allait voir ailleurs. Après le bac, les gars pensent plus qu'avec leur queue. Quand on se voyait, je faisais semblant de rien et tout allait bien. Mais ça allait plus. On a fini par se séparer en mai.
— Je suis désolée, aussi.
— Le sois pas. J'étais plus amoureuse de lui, je sais même pas si je l'ai vraiment aimé comme ça un jour. J'suis passée au-dessus maintenant.
Plus une trace de tristesse dans son regard ou sa voix. Je lui souris. J'aurais aimé connaître ce garçon. Voir ce qu'il avait de si incroyable pour qu'elle l'aime - ou qu'elle l'apprécie, au moins. Voir s'il me ressemble, un peu aussi. Pour se faire une idée de ce qu'elle peut bien penser de moi. Je me perds dans mes réflexions. Seuls deux mots en ressortent : pourquoi lui ?
Je retourne chaque mot du monologue de Charlotte dans tous les sens, essayant de glaner des informations sur lui, des choses qui se seraient cachées entre les lignes.
Et puis ça me frappe. Toutes ces questions à propos de lui. C'est parce que je suis jalouse. Terriblement jalouse. Et je me rends compte que je veux plus.
J'entends Charlotte bouger, et quand je me retourne, elle vérifie son téléphone.
— Je ferais mieux d'y aller.
— Attends.
Ma main attrape son poignet avant que je ne puisse me rendre compte de ce que j'ai dit. "Oups, c'est sorti tout seul." Elle hausse les sourcils en guise de question.
— Reste encore un peu.
Elle secoue la tête.
— Je peux pas, vraiment.
Elle se lève et je la suis.
— On se voit bientôt ?
— Bien sûr.
Elle fait une petite moue, avant de tourner les talons, ses cheveux voltigeant sur ses épaules.
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publié le 30.10.18
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