Chapitre 1
4 septembre 2017
La pluie tombe sans discontinuer depuis maintenant trois jours. Loin de me déplaire, je laisse les lourdes gouttes d'eau couler sur mon visage. À mes côtés, un garçon que je connais à peine marche silencieusement, la tête abritée sous un gigantesque parapluie, qui, à mon goût, est bien trop grand pour sa frêle silhouette.
- Ju', tu me fais de la peine, viens là ! il s'exclame, se décalant pour me laisser de la place à ses côtés.
- Non merci, c'est bon, t'inquiète pas !
Son regard cherche le mien, et quand enfin il le trouve, j'y lis le plus grand étonnement du monde. Alors j'éclate de rire. Son incompréhension est si profonde, qu'il ne fait que froncer les sourcils, faisant redoubler mon rire, bientôt, il me rejoint, et nous ne nous arrêtons que pour nous regarder, ce qui a pour effet immédiat de faire repartir notre fou rire. J'ai mal aux abdos, des larmes perlent aux coins de mes yeux, et mes joues me tirent à force de sourire.
Nous ne ressemblons plus qu'à deux idiots, deux lycéens pleurant de rire au beau milieu de la rue détrempée par la pluie. D'ailleurs, lui aussi est trempé maintenant, il a lâché son parapluie pour se tenir le ventre, et ses cheveux d'habitude ébouriffés sont dégoulinants d'eau, tout comme ses lunettes, il ne voit probablement plus rien.
Se calmant un petit peu, nous reprenons la route pentue qui mène à une petite maison de pierre qui semble coincée sous la montagne. Ma maison. Pas celle qui m'a vue grandir, non, celle-ci est restée bien trop loin. Enfin arrivés sous le portail, des voix se frôlent un chemin jusqu'à nos oreilles. Ma mère a laissé la fenêtre ouverte, je souris à cette pensée, il n'y a peut-être pas qu'à moi que le Nord manque.
Alors que nous entrons dans la maison, nos mères - la mienne, accompagnée de celle d'Alex - se taisent, elles nous dévisagent en silence avant que la mienne n'éclate de rire, bientôt suivie d'Angelle, et nous intime, entre deux sourires, d'aller nous changer.
Je m'enfonce dans ma chambre et enfile un t-shirt que j'ai emprunté à Thomas - bien qu'il sache pertinemment que je ne lui rendrais jamais. Pour la millième fois de la journée, ces six lettres me reviennent en tête. Chaque jour depuis que je suis ici, le souvenir de mon petit ami me disant au revoir revient me hanter.
Et puis, il n'y a rien à faire, je ne me sens pas à ma place dans cette ville de riches au bord de la Provence. Plus que touristique l'été, désertique l'hiver. La pluie et le ciel gris me manquent. Les rues de maisons de briques, les terrils à l'horizon, les plages immenses me manquent. Ici, c'était le rêve de mon père, pas le mien.
Chaque fois que je sors, j'ai l'impression que tout le monde m'observe. Le facteur qui fait sa tournée, une grand-mère qui se rend au marché, une autre qui passe le balai sur son porche. Une mère qui joue avec ses enfants la plage, un homme qui sort de chez lui pour se rendre au travail. Tout le monde m'observe. Après tout, je suis une étrangère.
Alex interrompt mes pensées en toquant doucement à la porte, il a enfilé un vieux t-shirt que mon père portait quand on allait à la piscine à deux. De toute façon, ce n'est pas comme s'il allait le remarquer. Il voulait si bien réussir sa vie que Monaco lui ouvrait les bras. Eh bien, il a réussi, Monaco l'a si bien accueilli que sa maison n'est plus qu'un hôtel pour lui. Sa femme et sa plus jeune fille, des meubles. Vieillis, peut-être, ou bien invisibles, inutiles.
- Hey, ça va ? me demande mon ami en s'asseyant à côté de moi.
En guise de oui, je lui souris timidement.
La pluie tombe toujours lorsque Angelle et Alex repartent chez eux. Le sourire aux lèvres, ma mère se tourne vers moi :
- On dirait que j'ai plutôt bien réussi au jeu de cupidon de l'amitié, qu'est-ce que t'en penses ?
Un vrai sourire prend place sur mon visage alors que je lui réponds.
- Une vrai pro, tu pourrais même te lancer dans une carrière !
- J'en parlerais à Angelle, elle se débrouille très bien pour garder les patients en vie toute seule !
Je rigole face à son expression satisfaite.
- J'avais promis à Sarah de l'appeler, j'y vais.
- Oh, je te laisse y aller alors.
Elle dépose un bisou sur mon front et disparaît dans la cuisine.
Enfin seule dans ma chambre, j'attrape mon téléphone et fouille dans mes contacts à la recherche de ma sœur. Après quelques sonneries, elle décroche enfin.
- Juuuuu, ta voix m'avait manqué !
- Tu l'as même pas encore entendue, ma voix..
- Si ! C'est bon ! Alors, raconte-moi tout !
- Je commence par où ?
- Le début ! Tu voulais commencer par où ?
Ah ! Les légendaires questions rhétoriques de ma sœur ! Ces questions auxquelles t'as pas intérêt à répondre autre chose que ce qu'elle veut entendre.
- Bon, alors, ce matin, dans le bus, il y a un mec qui m'a abordée, enfin, il est venu s'asseoir à côté de moi et il a commencé à me parler.
- Oh ! Il est mignon ? Comment il s'appelle ? Il est dans ton lycée ? En terminale ? Dans ta classe ? me demande-t-elle.
Je pouffe de rire face à toutes ces questions. Visiblement, elle a déjà oublié Thomas.
- Il s'appelle Dorian, il est dans mon lycée et en terminale, mais pas dans ma classe, et il a les yeux bleus. Mais genre, bleu glace, tu vois ?
- Genre Ian Somerhalder ?
- Genre. Mais en un peu plus jeune...
- J'me doute bien, en fait non. T'imagines demain, Ian se ramène comme ça dans ton lycée ? Ou dans ma promo ?
- Ta promo déjà pleine de mecs musclés ?
- Ouais, ça en fait toujours un de plus ! s'exclame-t-elle.
- C'est beau de rêver, Sarah !
- Je suis d'accord, donc je vais te laisser et aller dormir pour rêver toute la nuit de Ian qui débarque dans ma promo !"
Je rigole franchement. Ces discussions sans queue ni tête avec ma sœur m'avaient manqué.
- Nan, sérieusement, il t'a parlé de quoi Dorian ? me demande-t-elle en le prononçant comme s'il y avait un -e au bout, créant un mélange entre Dorian et Ian.
Encore une fois, je rigole face à son humour improvisé.
- En gros, il m'a demandé si je prenais le bus tous les jours, et quand je lui ai répondu que oui, il m'a dit qu'il m'attendrait chaque jour.
- C'est trop mignon !
- Carrément. Fin bref, du coup ce soir il a pas pu parce qu'il y avait Alex.
- Dur. Il a dû se sentir trahi le pauvre ! Si vite remplacé... "
Je ne réponds rien. Elle ne croit pas si bien dire. L'image d'une élève du lycée - Charlotte, si je me fie à l'appel des classes - me revient en tête. Je n'ai dû croiser son regard qu'une demi-seconde, pourtant, impossible d'oublier l'éclat de ses yeux caramel, ou l'aura d'intelligence et de classe qui se dégageait d'elle. Je bredouille vite fait quelques excuses, bisous, et au revoir à ma sœur et raccroche le téléphone. En boucle dans ma tête, sans que je puisse dire pourquoi, passent les quelques secondes où j'ai aperçu cette fille aux cheveux d'or.
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réécriture le 09.04.2018
correction et mise en page le 16.08
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