Chapitre 4 - Envie d'aventures
Il est presque midi quand Harry ouvre les yeux. Il a mal au crâne et l'impression que la bouillie qui lui sert de cerveau tente d'expulser ses yeux en dehors de leurs orbites en se pressant tout contre l'intérieur de ses globes oculaires. Quel abrutit. Se payer une telle cuite en semaine. Il va se faire défoncer par Ginny.
Il tâtonne sur la table à sa gauche à la recherche de ses lunettes. Qu'est-ce qu'elle est loin cette foutue table de nuit. Est-ce lui qui l'a à ce point repoussée quand il est rentré après sa nuit de beuverie ? Par Merlin, il peine tellement à se souvenir de sa soirée qu'il ne comprend même pas comment il a pu rentrer jusque chez lui.
À force d'exploration, ses doigts trouvent enfin l'objet tant recherché et en les enfilant enfin sur son nez, Harry baille à s'en décrocher la mâchoire. Il n'a plus qu'à mettre la main sur sa baguette, s'envoyer un petit sort de dégrisement et il sera sur pied. Frais comme une licorne. Ou, à bien y réfléchir, peut-être davantage comme un scroutt à pétards.
Quand il s'assied sur le bord de ce qu'il pense être son lit, Harry réalise tout à coup qu'il n'est pas chez lui. Car chez lui, il n'y a pas de télévision, pas de chaîne hi-fi, pas de table basse en verre devant le canapé. Baissant la tête, il découvre qu'il ne reconnaît pas non plus le plaid qu'il a fait tomber en tentant de se lever et, soudain, il prend peur. Qu'a-t-il fait cette nuit ? Pas quelque chose de stupide, tout de même...
En un bond, il est debout et quand il entend le froissement d'une page que l'on tourne dans son dos, il fait volte-face, la main contre sa cuisse, là où devrait se trouver sa baguette, mais d'où elle a de toute évidence été retirée puisqu'il ne rencontre que la toile de son jean.
À quelques mètres de lui, assis à une petite table de cuisine, Rogue est occupé à écrire dans un carnet à l'air ancien. Sur les pages jaunies, Harry devine de nombreux post-it aux couleurs passées et quantité de fleurs et d'herbes séchées qui empêchent ce qui semble bien être un grimoire de se refermer correctement.
Contrairement à la veille, l'homme n'a pas attaché ses cheveux et ils dégringolent en cascades ébène sur ses épaules et jusqu'au milieu de son dos. Quand il passe une main dedans, il dégage son visage anguleux et les laisse retomber en partie sur son torse moulé dans une chemise bordeaux qu'il n'a pas boutonnée jusqu'au col.
Cette vision percute Harry de plein fouet et, dans son esprit brumeux, les souvenirs de la soirée qu'il a passée avec l'homme lui reviennent comme un crochet du droit lancé par un boxeur aussi agile que costaud.
Dans un silence troublé, Harry se refait le film. Il se rappelle de la statue de Marie, du bar, des verres qui se remplissent seuls. Il se souvient de son trouble grandissant qu'il a choisi de noyer dans la bière. Ils ont parlé, beaucoup, vraiment beaucoup. Oh, Merlin, il lui a dit des choses qu'il n'a même jamais osé avouer à Ron ou à Hermione. Il a ouvert une porte sur ses doutes, ses sentiments, son mal-être.
Plus surprenant encore, l'ancien professeur ne l'a pas remballé. Il l'a écouté, n'a pas vraiment cherché à le réconforter, mais ne s'est pas moqué de lui, ne l'a pas critiqué.
Harry se rappelle qu'il a trouvé ça gentil. Qu'il a trouvé la soirée agréable.
Prenant conscience qu'il ne peut pas rester plus longtemps planté comme un poireau sans piper mot, il s'éclaircit la voix avant de saluer son hôte.
— Enfin réveillé, remarque Rogue sans lever les yeux de son ouvrage. J'ai cru que j'allais devoir vous jeter un sort pour vous forcer à vous mettre debout. Vous avez le sommeil lourd, ajoute-t-il. J'ai passé la matinée à m'activer sans que cela ne semble vous déranger.
Ce qu'il ne précise pas, c'est qu'il a effectivement jeté un sort sur son invité. L'enfermant ainsi dans une bulle de silence pour lui éviter de se faire réveiller par les bruits en provenance de l'extérieur aussi bien que par ceux qu'il risquait lui-même de faire en travaillant.
— Merci, bredouille Harry en s'approchant de la table où est installé Severus. Pour m'avoir laissé dormir, précise-t-il devant l'air interrogateur de l'homme. Et pour m'avoir écouté raconter ma vie cette nuit.
Rogue balaie ses remerciements d'un mouvement du poignet, l'invitant à ne plus en parler, et ajoute quelques mots à sa rédaction avant de lever à nouveau ses yeux sombres en direction du jeune homme.
Harry se retient in-extremis de réagir avec trop d'emphase, mais cette vision le trouble plus qu'il ne l'aurait pensé. Ses grands yeux noirs, enfoncés dans son visage pâle, semblent sonder son âme, alors que les longues mèches de cheveux qui courent de son front jusqu'à sa mâchoire avant de plonger sur son torse fin et tout aussi peu hâlé, semblent l'inviter à glisser ses doigts entre elles.
Toussotant pour cacher son trouble, Harry détourne le regard avant de reprendre la parole, espérant plus de loquacité de la part de son interlocuteur.
— Bon, c'est pas tout ça, mais qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ?
Le coup d'œil mauvais que lui lance Severus le glace sur place. Que peut-il bien signifier ? Après toutes les confidences auxquelles il s'est laissé aller, ils ne vont quand même pas revenir à leur ancienne relation faite d'insultes, d'irrespect et de détestation. Si ?
— Que voulez-vous dire ?
Son ton est aussi froid que son regard et Harry met quelques secondes avant de trouver ses mots, inquiet quant à la suite de leur échange.
— Eh bien, euh, j'ai raté mon portoloin alors, hum, je suppose que j'ai à nouveau ma journée de libre. Le temps de pouvoir en commander un autre...
Severus fronce les sourcils, commençant à regretter son élan de gentillesse de la veille. Car si son ancien élève ne cesse d'être un abruti fini qu'une fois saoul, ils risquent tous deux de devenir de parfaits poivrots avant la fin de l'année. Enfin, pour peu qu'ils continuent à se fréquenter, ce qui n'a rien d'une évidence. Non, vraiment, il ne sait pas pourquoi une telle éventualité a bien pu lui apparaître comme allant de soi l'espace d'un instant, et ses sourcils s'abaissent encore davantage sur ses yeux alors qu'il se fustige d'avoir des pensées aussi aberrantes.
— Vous aviez prévu de rater ce portoloin ? l'interroge-t-il pour dissiper ses songes absurdes.
— Pas... Pas exactement, non.
Et c'est vrai, comprend Harry. Il ne voulait pas le prendre, mais l'aurait quand même fait s'il n'était pas tombé sur Rogue dans ce bar sorcier.
— Donc le Ministère ignorait que vous ne viendriez pas, continue Severus sans se soucier de son air incertain. On vous y attendait bien ce matin.
Harry approuve, mais n'a pas besoin d'indiquer oralement son incompréhension quant à ce qu'essaie de lui faire comprendre l'homme. Elle est écrite sur son visage.
Soupirant, Severus appuie ses coudes sur la table avant de reprendre d'un ton un poil agacé.
— Vous pourriez déjà commencer par vous excuser auprès de la personne qui vous a attendu ce matin, ainsi qu'auprès de Miss Weasley. Enfin, de Mrs Potter.
— Ginny... murmure Harry, honteux.
Bien sûr, quel imbécile. Elle va lui arracher les yeux s'il ne rentre pas ce soir, surtout si son excuse est qu'il a raté le portoloin parce qu'il cuvait tout l'alcool ingurgité la nuit précédente. Harry se passe les deux mains dans les cheveux, accablé par les choix qui s'offrent à lui. Mentir ou dire la vérité à sa femme. Avec la certitude, dans un cas comme dans l'autre, qu'il va le regretter.
— C'est cela même, confirme Rogue en haussant un sourcil en voyant que la masse de cheveux bouclés ne se ré-affaisse pas une fois qu'Harry laisse retomber ses bras. Et de Kingsley, aussi, ajoute-t-il sans s'arracher à la contemplation de la chevelure hirsute.
— Kingsley ? s'étonne Harry en relevant les yeux vers lui. Pourquoi, donc ?
— N'est-il pas votre patron ? soupire Severus, qui ne peut croire qu'il ne s'est toujours pas énervé face à tant de bêtise. Il est toujours Ministre à ce que j'en sais.
— Oui. Et ?
Rogue laisse ses mains retomber sur la table, incrédule, provoquant un grand BAM et un sursaut du jeune homme.
— Potter ! Vous séchez le travail.
— Oh...
L'incitant d'un mouvement de la tête à plus de lyrisme, Severus attend une réaction qu'il jugera digne d'intérêt, mais Harry semble perdu dans les limbes de sa réflexion et met presque une minute entière avant d'en sortir, s'arrachant par la même aux yeux couleur nuit dans lesquels il semble s'être perdu.
— Je vais envoyer un patronus, bredouille-t-il en se détournant, troublé par l'attente qu'il a cru lire dans les yeux de l'homme et qu'il ne parvient pas à cataloguer.
— Faites donc ça.
Se replongeant dans son travail, Severus laisse à Harry le temps nécessaire à l'invocation dudit patronus. Levant la tête de son carnet aux trois-quart remplit de son écriture fine et nerveuse, il jette un œil curieux au cervidé parcourant son salon alors qu'Harry lui tourne le dos. Il lui semble plus gros et plus impressionnant encore que la fois où il l'a vu mettre en déroute les détraqueurs le soir où Black a failli se faire attraper.
Se rappelant la raison pour laquelle l'homme a failli recevoir le baiser de la créature immonde, il détourne le regard. Certes, Black était un connard, et il a tenté lui aussi de l'assassiner quand ils étaient plus jeune, mais Severus n'en reste pas moins honteux d'avoir créé un tel chahut. C'était une réaction puérile, dictée par des rancunes de jeunesse. Vraiment pas le genre de choses dont on se souvient avec amusement ou fierté sur son lit de mort quand on ressasse les moments forts de sa misérable existence.
Étouffant un soupir, il relève les yeux vers Harry. Le jeune homme termine de transmettre son message à l'attention de la jeune Weasley. Potter. Elle s'appelle Potter, désormais. Une suite logique à leur amourette adolescente, mais qui ne semble pas enchanter l'heureux élu.
Passant la main sur le museau de son patronus, comme s'il s'agissait d'un véritable animal, Harry lui donne l'ordre de partir et c'est ce qu'il fait, se transformant en une minuscule boule lumineuse juste avant de s'enfoncer dans le mur.
— J'ai prévenu Ginny et mon chef que je comptais rester quelques jours, annonce le jeune homme en se retournant vers son hôte.
— Sous quelle excuse, se renseigne celui-ci, se demandant s'il doit lui offrir l'hospitalité pendant la durée de son séjour.
— J'ai prétendu être sur la trace d'un autre mangemort.
— Vous leur avez menti. À moins que vous ne faisiez référence à moi.
Ses yeux suspicieux transpercent Harry et il voit ses épaules s'affaisser alors que le jeune homme imprime un mouvement inconscient de gauche à droite à son visage. Se forçant une contenance, il s'efforce pourtant de sourire.
— Je ne suis pas sur votre trace, fait-il mine de s'amuser. Je vous ai trouvé.
— Vous ne me cherchiez pas, lui rappelle Severus, attendant de voir son masque si fragile se fendre.
Et ça ne tarde pas. Quel piètre menteur, se conforte Severus en voyant ses traits se brouiller.
— Je ne veux pas rentrer aujourd'hui. Je ne veux pas rentrer du t...
Ça suffit pour aujourd'hui, les confidences, décide Rogue en se mettant debout, le coupant au milieu d'une phrase par son mouvement brusque.
— Vous devez avoir faim, articule-t-il à la place. Je propose que nous mangions ensemble. Ensuite vous irez faire un peu de tourisme si cela vous chante.
C'est inattendu, mais Harry accepte.
Il accompagne son ancien professeur dans le laboratoire alors que celui-ci y rapporte ses nombreuses notes, et relève ses manches quand Severus lui demande de l'aider à préparer un plat de tagliatelles au pesto qu'ils dégustent côte à côte dans le canapé, devant un téléfilm auquel aucun d'eux ne prête réellement attention.
— Vous êtes sûr de ne pas vouloir sortir ? s'enquiert Severus une heure et demie plus tard. Je vais me remettre au travail et je risque de ne pas être très loquace.
— Ce n'est pas un problème répond Harry en haussant les épaules. J'ai besoin de réfléchir, de toute façon, et ce n'est pas dans un centre-ville bondé et bruyant que j'y arriverais.
— Comme vous voudrez.
Pendant deux heures, Harry reste allongé dans le divan, se relevant parfois pour marcher de long en large dans l'appartement, s'arrêtant ensuite pour regarder les gens passer sous la fenêtre. Riverains tenant leurs sacs de courses à bout de bras, touristes brandissant appareil photo ou téléphone devant eux, étudiants profitant de leurs vacances pour se défoncer à la beuh ou à la bière malgré l'heure pas assez avancée pour qu'il devienne acceptable d'être déjà dans un état pareil.
Retournant sur le canapé une fois de plus, Harry s'y agenouille. Posant ses bras croisés sur le dossier, il se met à observer l'homme qui ne s'arrête d'écrire que pour plonger dans ses pensées, à la recherche d'une information manquante. Sa tête posée sur ses avant-bras, il se mordille la lèvre inférieure de longues minutes durant avant d'oser interrompre le fil créatif que Rogue semble dérouler sans la moindre difficulté.
— Severus...
— Je vous ai dit de ne pas m'appeler comme ça ! le reprend-il sans lever les yeux de son carnet.
— Mais c'est votre prénom.
— Et alors ? Est-ce que j'utilise le vôtre, moi ?
— Vous pourriez.
— Eh bien, je n'en ai pas envie.
— Bien, faites comme vous voulez, mais moi, j'ai envie de vous appeler Severus.
Souriant de l'échange surréaliste, Harry se tait assez longtemps pour que l'homme reprenne son travail, ne s'agaçant même pas du regard qu'il sent posé sur lui.
— Severus... tente pourtant le jeune homme une nouvelle fois.
Déposant son stylo, excédé par cette familiarité et cette seconde interruption en quelques minutes, Rogue relève la tête vers lui. Le visage défait qu'il découvre le surprend et il fronce les sourcils, soudain soucieux. Il a bien compris à ses allers et retours et ses nombreux soupirs qu'Harry était en pleine introspection, mais il n'imaginait pas que cela lui en coûtait autant.
— Je ne retournerai pas en Angleterre, lâche Harry sans y mettre la moindre émotion.
C'est vraiment là qu'il en est arrivé après une réflexion de plusieurs heures ? Mais à quoi peut bien ressembler sa vie là-bas pour qu'il soit prêt à tout abandonner sur un coup de tête ?
Sans y mettre plus d'émotions que lui, Rogue hausse à son tour les épaules.
— Eh bien, n'en faites rien.
— Je vais partir...
— Bien.
— J'ai besoin de voir des choses différentes, des gens différents...
— Excellente idée, approuve Severus en hochant la tête. Mais je ne vois pas en quoi ça me concerne.
OK, c'est là que ça se corse, grince Harry pour lui-même. Il gonfle ses poumons si fort qu'il s'en fait mal, puis laisse s'échapper tout cet air imprégné, bien que ce soit subtil, du parfum de Rogue.
— Je veux que vous veniez avec moi.
Severus ouvre la bouche, se redresse sur sa chaise. Il veut parler, s'en empêche et se laisse aller contre le dossier, ramenant ses bras contre lui pour les croiser sur son torse.
— Vous vous êtes cogné la tête ? À moins que vous n'ayez pas dessaoulé ? Pourquoi est-ce que je vous accompagnerais ?
Harry déglutit, mal à l'aise. C'est maintenant que ça se joue. À moins qu'il n'ait déjà eu sa chance et qu'elle ne soit passée ? Dans tous les cas, il est lancé, à présent, et il doit aller au bout de ce qu'il a prévu.
— Rien ne vous retient ici.
— Qu'en savez-vous ? commence à s'énerver le Maître des Potions. J'ai très bien pu refaire ma vie, dans cette ville.
Terrifié à l'idée de se planter, craignant de ne pas être arrivé aux bonnes déductions, Harry développe, la bouche plus sèche que le Grand Canyon en plein mois d'août.
— Vous habitez un tout petit appartement à deux pas d'un bar sorcier où vous buvez seul. Vous avez accepté ma compagnie alors que vous me détestiez à l'époque. Vous m'avez ramené chez vous et laissé dormir jusqu'à midi. De votre propre aveu, vous regardez trop la télé. Si c'est ça le quotidien d'une personne qui est heureuse de son sort et a refait sa vie, je veux bien être transformé en strangulot.
L'avorton. Contre toute attente, il sait se servir de ses yeux et de ses oreilles, grogne Rogue en le fusillant du regard.
— Ne me tentez pas...
— Venez avec moi, supplie Harry.
— Pourquoi ?
Il n'a toujours pas mis fin à la discussion, c'est inespéré. Harry ne pensait pas pouvoir aller jusque-là dans sa demande et il se tortille sur le canapé où ses genoux ont creusé deux cratères qui se résorberont dès qu'il se sentira le courage de se lever.
— Parce qu'autant vous que moi, nous n'en pouvons plus de passer à côté de nos vies. Je ne suis pas aussi Gryffondor que vous ne l'imaginez, souffle-t-il d'une voix faible. J'ai peur de partir seul. Mais je ne peux plus rester.
Ses yeux sont à deux doigts de verser des larmes et Rogue le voit prendre sur lui pour éviter que ça ne se produise. Lui demander de l'accompagner dans un road-trip insensé, c'est une chose, pleurer devant lui en est une autre. Et il n'est pas prêt pour ça.
— Je regrette de m'être marié, avoue-t-il. Je ne veux pas devenir père, je ne supporte plus de devoir rendre des comptes au Ministère et de courir après tout un tas de connards recherchés pour des raisons parfois absurdes. Je veux me retrouver et découvrir ce que je veux faire du reste de ma vie.
Ça se tient, et en réalité, Severus pense qu'il y a de grandes chances que ce soit la meilleure décision que pourrait prendre Harry aujourd'hui. Mais ça n'explique pas son envie soudaine de compagnie. De sa compagnie.
— Vous devriez faire ça seul.
Harry secoue la tête.
— Je vous l'ai dit, je n'ose pas.
— Que craignez-vous ? l'interroge Severus sans animosité, réellement curieux de connaître la réponse. Pas la solitude. Vous êtes déjà seul. Vous quittez votre jeune épouse dévouée pour traquer n'importe quel mangemort de seconde zone dans un autre pays. De votre propre aveu, ajoute-t-il avec un sourire sarcastique, l'informant ainsi qu'il n'est pas le seul à savoir regarder et écouter. Vous vous retrouvez également seul le soir ayant suivi sa capture alors que vous êtes Celui qui a Vaincu. Ce n'est pas la solitude que vous craignez, vous êtes déjà habitué à la côtoyer.
Comme si Harry avait besoin d'une preuve supplémentaire que l'homme pouvait tout voir, tout entendre. Il détourne les yeux, pas très fier de ce qui va suivre.
— J'ai peur des souvenirs. Des remords.
Évidemment, réalise Severus. De quoi d'autres, en connaissant son passé ? Mais ça ne répond pas à sa question initiale.
— Pourquoi ne pas partir avec vos amis de toujours ?
— Ils ont une vie de famille, un travail. Ils sont heureux...
— Mais pas vous, complète Rogue sans le lâcher des yeux, tachant d'établir un nouveau contact.
Sans succès, le garçon se contentant de s'affaisser un peu plus dans le divan, las, ou bien désespéré.
— Pourquoi moi ?
Harry relève la tête. Severus s'est à nouveau penché sur la table, dans sa direction. Son menton appuyé sur ses mains jointes, il est attentif, réceptif, et ça donne du courage au jeune Auror.
— J'ai aimé notre petite soirée.
— Et ?
— Je suis content que vous soyez en vie.
— Et ?
— Je sais pas, avoue Harry. J'ai juste envie que vous veniez avec moi.
— Et si je refuse ?
Harry détourne les yeux une fois de plus, mais contrairement aux autres fois, il revient aussitôt les planter dans ceux de Rogue. Il a besoin de voir ses réactions, ses micro-mouvements, le moindre indice qu'il acceptera de lui laisser.
— Alors je rentrerais à Londres, explique-t-il. Je me ferais pardonner, je dirais oui pour cet enfant que je ne veux pas et j'accepterais les missions les plus dangereuses et les plus éloignées possibles.
— Ce serait du suicide, grince Severus en plissant les yeux.
— Ce sera un meurtre.
Pendant de longues secondes, aucun deux n'ajoute rien, puis Severus se met debout. Il lui tourne le dos, s'appuie au comptoir supportant sa lourde machine à café et soupire.
— Vous me faites du chantage, Potter.
— Arrêtez de m'appeler comme ça.
— Je vous appellerais comme j'en ai envie, rétorque-t-il d'une voix où Harry sent poindre l'irritation, alors qu'il se retourne pour lui faire face.
Appuyé contre le plan de travail, les mains posées sur le comptoir dans son dos et avec ses longs cheveux cascadant jusqu'à ses pectoraux qu'Harry devine grâce à sa chemise mal boutonnée, il est indécent, sexy en diable, se rend compte le jeune homme.
— Vous voyez, lui sourit-il sans joie, nous sommes pareils.
L'homme ne répond pas, se contente de l'observer, et Harry se décide enfin à se lever. Il prend son temps pour contourner le divan, s'humecte les lèvres, repousse la chaise que Rogue a délaissée pour prendre sa place devant la table et lève les yeux dans sa direction, plus décidé que jamais.
— Venez-vous avec moi ?
Severus détourne le regard quelques secondes, comme s'il cherchait la réponse à cette question, puis revient aux yeux du jeune homme. Moins froid qu'il ne le souhaite, mais à des années-lumière d'être chaleureux.
— Non, tranche-t-il. Je n'aime pas qu'on me menace.
Harry se frotte le menton et la bouche sans y réfléchir, absorbé dans ses pensées, et approuve du chef sans s'en rendre compte.
— Bien, lâche-t-il après quelques secondes de réflexion. Je vais partir, alors. Mais laissez-moi essayer une dernière chose pour tenter de vous convaincre.
Severus hésite. Il n'a aucune idée de ce qu'à l'intention d'essayer Harry, mais il pressent que ça ne pourra être qu'une idée stupide comme il en a l'habitude. Son manque de réaction est pourtant pris pour une approbation et Harry continue sur sa lancée.
— Si ça fonctionne, rappelez-vous que je le pense, que cette pensée m'obsède depuis hier soir et que je ne sais pas quoi en faire parce que c'est nouveau pour moi. Si ça ne fonctionne pas, en revanche, faites-moi une fleur, dites-vous que c'est l'alcool qui coule encore dans mon sang qui parle, et juste lui.
— Potter, tente de le raisonner Severus avant qu'il n'aille plus loin, vous allez dire quelque chose que vous allez regretter.
Bien sûr qu'il va le regretter. Ou peut-être pas. Ça ne dépendra que de la façon dont l'homme face à lui réagira.
— Severus... j'ai envie de vous.
— Vous... quoi ?
Il a mal entendu. Une telle déclaration ne peut pas sortir de nulle part comme cela. Et pourtant, le visage du Gryffondor est si sérieux, ses yeux si plein d'espoir.
— J'ai envie de passer mes mains dans vos cheveux, explique Harry, de coller mon corps au vôtre, de connaître le goût de votre peau, la sensation de vos lèvres sur la mienne, la moiteur de votre langue, les frissons que provoqueront vos mains dans mon dos, votre bouche sur ma nuque...
— Potter...
— J'ai envie de vous, Severus. J'ai envie de toi. Je ne me l'explique pas, mais c'est comme ça.
Severus est comme pétrifié. Y a-t-il la moindre chance pour que Potter ait entendu parler de ses... préférences ? Si c'est le cas, ça n'a pu venir que de Lupin ou de Black, ils étaient les seuls dans l'entourage du jeune sorcier à être au courant. Mais ils sont morts depuis des années, alors pourquoi Harry aurait-il attendu si longtemps avant d'en jouer ?
Mais si ce n'est pas ça, s'il n'est pas au courant, se pourrait-il que...
— Vous êtes marié...
Et avec une femme. Non, vraiment, tout ça est absurde. Severus pense être plutôt bon pour comprendre les intentions des autres, et depuis qu'il l'a rencontré dans ce bar, Harry lui a semblé honnête envers lui. Il s'est ouvert, lui a parlé de choses très personnelles. Ils ont même plaisanté ensemble. Mais d'ailleurs, cette plaisanterie, n'était-elle pas graveleuse, comme le lui a fait remarquer Harry ? Est-ce que déjà à ce moment le garçon pensait à ce genre de choses ?
— Ça fait des années, maintenant, que je n'ai plus eu envie de Ginny, plus eu envie de personne, comme j'ai envie de vous, siffle Harry, le souffle court, sans jamais cesser de le fixer dans les yeux.
Cette situation a presque quelque chose de familier. Severus se souvient du moment où il s'est rendu compte de son attrait pour les hommes. Il se rappelle le courage qu'il a dû réunir avant d'oser se déclarer à ce professeur remplaçant à peine plus âgé que les élèves de dernière année dont il faisait partie. Il se souvient des rires et des moqueries, le lendemain, quand Black et Potter ont répandu la nouvelle dans leur classe. Ces petites enflures...
Severus s'est longtemps demandé comment ses ennemis avaient été mis au courant. Et puis, quelques années plus tard, dans le bureau de Dumbledore, il a appris en quoi consiste ce qui est peut-être la partie la plus intéressante de l'héritage touché par Harry : une cape d'invisibilité. Tricheur jusqu'au bout, malhonnête...
Mais Harry n'est pas James, et le regard qu'il lui lance en ce moment même n'est qu'une preuve de plus à ajouter à cette constatation.
— Vous êtes gay, Potter ? Bi ?
— Aucune idée, avoue celui-ci. Et vous, monsieur ?
Il pourrait lui répondre, au point où il en est, mais l'envie de plutôt le lui montrer l'excite un peu et il se rapproche de lui. Quand les pointes de leurs pieds se touchent presque, il passe une main dans les cheveux d'Harry, profitant du moment pour lui caresser la joue lentement, très lentement. Le jeune homme, électrisé, ne peut retenir un gémissement de traverser ses lèvres et il ferme les yeux, en attente de la suite.
Suite qui se fait tant et si bien attendre qu'il finit par les rouvrir. Le visage de Severus n'est qu'à quelques centimètres du sien. Qu'attend-il pour l'embrasser, par Merlin, Morgane et tous les autres ?
— Comment pouvez-vous ne pas le savoir ?
Quoi ? Oh, il parle de son orientation sexuelle, comprend Harry. Mais est-ce vraiment le moment idéal pour parler de ça ?
— Je suis avec Ginny depuis longtemps, vous savez... bredouille-t-il. Et je n'ai jamais vraiment regardé qui que ce soit d'autre depuis... C'est peut-être anormal ? Je ne sais pas... Il y a bien eu quelques hommes que j'ai trouvé beaux et intéressants, mais comme j'étais marié... Enfin, je le suis toujours mais... Ce que je veux dire, c'est que... peut-être que les conditions sont idéales, aujourd'hui, ou que les astres sont alignés, je ne sais pas, mais, enfin... c'est sur vous que ça tombe. Voilà. C'est vous que je veux.
C'est mignon, Severus doit le reconnaître, et tentant. Mais c'est aussi un jeu dangereux.
— Vous êtes encore alcoolisé, lui fait-il remarquer sans pour autant détacher sa main de sa tignasse rebelle.
— Vous me repoussez ?
— Je veux être sûr que vous ne dites pas ça sous l'influence de l'alcool.
Bien sûr que j'ai dit ça sous l'influence de l'alcool a envie de hurler Harry. Je n'en aurais jamais eu le courage, sans ça, mais ça ne veut pas dire que ce n'est pas réel. Mais il ne peut pas lui dire ça, Rogue ne comprendrait pas ce qu'il veut lui transmettre, alors il opte pour un compromis.
— Si je suis sobre et que je n'ai pas changé d'avis, vous partirez avec moi ? Vous accepterez de m'embrasser ?
Un sourire désabusé, les yeux qui se plissent, Severus n'a toujours pas pris de décision. Tout ça a si peu de sens. Mais Harry en attend une, alors il se lance, ne promettant rien, mais ne fermant pas non plus la porte.
— Peut-être.
Parce que ce qu'il pourrait trouver derrière l'intéresse plus qu'il n'oserait l'avouer.
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