Chapitre 2 - La bonne route
— Je suis désolé, s'excuse Harry, la tête basse, face au directeur des déplacements magiques, chez qui la jeune sorcière l'ayant accueilli plusieurs heures plus tôt vient de l'emmener.
— Vous êtes une sommité dans votre domaine, Mr Potter. Et nous sommes bien placés, ici, pour savoir que les génies sont souvent un peu excentriques. Oserai-je dire un peu surréalistes ?
Le sourire surmonté d'une petite moustache en guidon de vélo de l'homme rougeaud est sincère, et son accent prononcé, autant que ses manières un peu datées et sa grosse tête ronde, le rendent immédiatement sympathique à Harry. Le sorcier semble tout droit sorti d'un roman de gare des années 1900. Sans jamais cesser de sourire à son homologue anglais, il ne peut s'empêcher de replacer encore et encore sur son bureau quelques accessoires sans importances, mais surtout déplacés dans un bureau directorial. Une figurine animée d'une sorcière rousse vêtue d'une robe vert et noir qu'Harry ne reconnaît pas, une poignée de trombones magiques en forme de fruits, un paquet de cuberdons hurleurs. Que des objets qu'on n'imagine pas de prime abord dans le bureau d'un homme important.
— Nous ne pouvons pas vous faire rentrer en Angleterre aujourd'hui, hélas, explique l'homme dans un second temps. Nous avons bien essayé, mais le réseau est saturé à cause des départs en vacances et du championnat de bavboules qui se déroule en ce moment même dans notre merveilleux pays. Néanmoins, je suis parvenu à vous avoir un créneau demain matin à sept heures précises. Je propose que vous dormiez cette nuit dans l'un des appartements que nous réservons aux agents étrangers en mission chez nous. Ça vous laissera tout un après-midi et une soirée pour découvrir par vous-même si la réputation des bars liégeois est méritée ou non, conclu-t-il en riant.
Quelques remerciements et explications plus tard, Harry se retrouve une fois encore en plein soleil sur la place St Lambert, surplombant ainsi les installations cachées du Ministère.
S'il est vrai qu'il ne souhaitait pas rentrer ce soir, il n'avait pas prévu que ce serait à cause de son éternelle tête en l'air et d'une maladresse de plus à mettre sur son compte.
Ginny va râler, se rend-il compte en se mettant en marche. Après les quelques mois qu'ils viennent de passer, elle va croire qu'il l'a fait exprès. Oh, et puis qu'elle râle, décide-t-il, ça ne changera pas grand-chose vu à quoi ressemble leur quotidien depuis des semaines.
Flânant sans réel but, Harry passe de rues commerçantes modernes à une enfilade de ruelles à l'aspect plus ancien et ne comportant pour la plupart que des habitations à l'allure vétuste, voire antique. En quelques minutes, pourtant, il se retrouve à nouveaux au centre de la ville et des animations, dans un quartier récent. Ville de contraste, où l'on passe du vacarme des voitures au calme des coteaux, des babillements et cris des passants au sifflement des oiseaux en un clin d'œil.
Alors qu'il marche en détaillant une devanture de l'autre côté d'une rue étroite à sens unique, profitant de l'immobilisation des voitures due à un feu rouge quelques mètres dans son dos, Harry percute l'épaule d'une personne venant en face et qu'il n'a aperçue qu'au dernier moment.
— Excusez-moi, s'empresse-t-il de demander à l'inconnu alors que celui-ci vient de se retourner dans sa direction.
— C'est de ma faute, contre aussitôt l'homme alors qu'il n'a pas encore posé les yeux sur Harry. Je ne regardais pas devant m...
La fin de sa phrase se perd sur ses lèvres alors que celles d'Harry s'entrouvrent sous le choc.
Devant lui, vêtu d'un jean sombre et d'une chemise noire cintrée et aux manches retroussées sur ses avant-bras dont l'un a été bandé, se trouve l'ancien professeur de potion de Poudlard. Ses cheveux sont plus long que dans son souvenir et attachés en un chignon bas qu'il se traîne depuis le matin si l'on en croit les nombreuses mèches qui s'en échappent.
— Vous êtes... Vous êtes vivant !? bégaye Harry en avalant avec difficulté la salive qui s'est accumulée dans sa bouche. Mais comment ? Comment avez-vous pu...
Plissant ses yeux d'un noir d'encre, Severus Rogue fait claquer sa langue d'agacement. Pourquoi, dans un autre pays que le sien, au milieu de tout ces gens qui marchent sans regarder où ils vont, a-t-il fallu qu'il percute précisément cet avorton-là ?
Remarquant que plusieurs paires d'yeux se sont posées sur eux quand la voix d'Harry s'est brisée sur sa dernière question, il lui empoigne le bras et le traîne jusque dans une ruelle à l'écart. Là, il le lâche et, alors que la question se répète, il sourit avec tout le dédain qui le caractérise.
— Je suis un Maître des Potions, Potter. Vous n'imaginiez quand même pas que j'étais incapable de me protéger contre une morsure de serpent ?
— Mais je vous ai vu mourir ! s'écrie Harry, sentant de grosses gouttes de sueur perler sur son front alors que sa voix s'enraie sur le dernier mot.
— Vous avez cru me voir mourir, nuance.
— Vous n'aviez plus de pouls...
Rogue soupire et jette un œil à sa montre.
— Vous pouvez accepter que j'aie su leurrer le Seigneur des Ténèbres, mais que j'ai pu en faire de même avec le grand Harry Potter, ça, ça vous est insupportable, n'est-ce pas ? Maintenant, si vous pouviez me laisser en paix. Je n'ai pas le temps de jouer avec vous.
Fronçant les sourcils, il secoue la tête.
— Et quand bien même je l'aurai, que je n'en aurais aucune envie, ajoute-t-il sur un ton sec. Alors, considérez simplement que je le suis, mort, et tout ira pour le mieux pour chacun de nous. Au revoir.
Il s'éloigne déjà, abandonnant Harry et toutes ses questions dans la ruelle sombre dont le sol colle sous les semelles et où stagne un fumet évoquant celui de la marée mais en pire. Bondissant dans son ombre, le jeune homme le rattrape pourtant par le poignet et le force à se tourner dans sa direction.
— Non, attendez ! supplie-t-il. Je veux savoir ce que vous avez fait depuis cette nuit. Enfin, je veux dire... Est ce que quelqu'un d'autre sait que vous êtes en vie ? Comment avez-vous fait pour survivre ?
D'un mouvement sec, Rogue libère son bras et dévisage Harry en mettant dans son regard toute la haine et le mépris qu'il a accumulé à son égard au cours de ses années à Poudlard.
— Je ne vois pas qui ça pourrait intéresser, grince-t-il et je ne vois pas non plus pourquoi je vous répondrais. Oubliez-moi, oubliez que nous nous sommes croisés et rentrez chez vous. Je suis sûr que vous êtes attendu.
N'osant pas insister, blessé par ce qu'il a lu dans les yeux de son ancien professeur, Harry le laisse s'en aller sans rien ajouter. Lui, qui pensait qu'avant sa mort l'homme avait fini par l'apprécier un tant soit peu, il semblerait qu'il se soit fourvoyé. Déjà parce que Rogue n'est pas mort, ce qui est déjà, en soit, une nouvelle insensée, mais aussi parce qu'il le déteste au moins autant qu'avant.
Le cœur lourd, Harry reprend le chemin de la civilisation. Est-ce que cette rencontre a vraiment eu lieu ? C'est insensé, impossible, quasiment surnaturel. Est-ce qu'il vient de rencontrer le fantôme de l'homme ? Non, bien sûr que non. Des fantômes, il en a côtoyé pendant ses années à Poudlard, et ils ne peuvent en aucun cas passer pour des vivants. Or là, Rogue est tout ce qu'il y a de plus vivant. Sa peau était chaude, sa voix ne donnait pas l'impression de lui parvenir d'outre-tombe, et ses yeux perçants, ses billes noires enfoncées dans son visage anguleux et pale, n'auraient pu le regarder avec tant de mépris s'il n'avait été bien vivant.
Oui, il doit se faire à cette idée. Severus Rogue, le sorcier qu'il a lavé de tout soupçon lors de son procès post-mortem, est bel et bien vivant. Par quel miracle ça, il n'en sait rien et l'ignorera probablement jusqu'à la fin de ses jours, mais l'homme qui a tout fait dans l'ombre pour que la lumière triomphe sur les ténèbres est, aujourd'hui encore, tout ce qu'il y a de plus vivant.
Cette constatation fait sourire le jeune Auror alors qu'il scrute la foule qui s'éloigne aussi bien sur sa droite que sur sa gauche. Nulle part, il n'aperçoit la haute silhouette de l'ancien professeur, mais ça n'a rien de surprenant. Il ne voit aucune raison pour laquelle l'homme se serait attardé après leur petite entrevue.
Prenant un chemin au hasard, Harry suit un groupe de jeunes assez bruyants pendant quelques centaines de mètres avant de les voir s'engouffrer dans une nouvelle ruelle. Des tables et des chaises ont été disposées entre les bâtiments et leurs couleurs criardes égaient la rue qui ne paierait, sans ça, pas de mine. De chaque côté de celle-ci s'alignent bars et boites aux noms tantôt classiques, tantôt étranges. Parfait, c'est là qu'il espérait que les jeunes le conduiraient. Et malgré l'heure inadaptée à la beuverie, Harry choisi un bar dont l'enseigne lui rappelle vaguement deux baguettes de sorciers croisées et y entre.
Sympathisant, presque malgré lui, avec quelques habitués de son âge charmés par son accent british, il se voit très vite entraîné par ces derniers dans une tournée de ce que le Carré, le quartier festif de la ville, a de meilleur — ou de pire, c'est selon — à offrir.
Jusqu'à une heure très avancée de la soirée, l'alcool coule à flots dans les gosiers asséchés, les danses se font plus tactiles, plus maladroites, plus osées entre les garçons et les filles qu'Harry a appris à connaître, mais dont il a oublié les noms, son cerveau étant depuis un moment, déjà, aux abonnés absents.
C'est de ça dont il avait besoin, comprend-il en terminant de siroter un cocktail jaune et bleu où flottent un morceau d'ananas et une cerise au marasquin. D'une bonne cuite dont ni Ginny, ni Ron, ni Hermione n'entendraient jamais parler. Il n'a pas l'intention de rentrer accompagné, pas l'envie de finir la nuit dans des bras, quels qu'ils soient. Il n'est pas ce genre de gars. Non, tout ce qu'il souhaite, c'est se vider la tête. En retirer, juste pour un instant, les prises de bec avec Ginny, les pleurs de Rose et de Teddy, dont il est l'heureux parrain, mais qu'il ne parvient jamais à calmer, l'ennui abyssal que représente la majorité des missions sur lesquelles il travaille depuis quatre ans. À croire que le Ministre n'ose pas envoyer un héros de guerre sur des affaires trop dangereuses, trop complexes, trop susceptibles d'esquinter Celui Qui A Vaincu.
— Vaincu... Ça fait beaucoup pour une seule personne, marmonne-t-il, à moitié saoul, alors que le garçon à sa droite termine à lui seul le seau de punch qu'ils ont commandé moins de quinze minutes plus tôt.
— Tu disais, Ry ? l'interroge-t-il en avalant goulûment le liquide rosé avec sa paille XXL.
— Rien, ment Harry en se demandant pourquoi ses nouveaux compagnons de beuverie lui ont déjà trouvé un diminutif alors que ses amis de longue date, ses vrais amis, ne l'ont jamais fait. Je crois que je vais rentrer, ajoute-t-il alors que la tête lui tourne et qu'il se remet debout en vacillant. Je dois me lever tôt, demain. Tu connais cette rue ? demande-t-il au garçon en lui mettant sous le nez le papier sur lequel le directeur des transports magiques a indiqué l'adresse. C'est ma piaule pour la nuit, mais j'ai aucune idée de comment on y va.
L'étudiant regarde longuement le morceau de papier, soupire, s'éponge le front du dos de la main et attrape un sous-bock sur lequel il se met à griffonner.
— C'est pas loin-loin, mais c'est pas tout près non plus, lui apprend-il. T'en as facile pour vingt minutes de marche. Tu pourrais prendre le bus, mais y en a aucun qui va d'ici à là. Faudrait que tu changes au moins une fois, peut-être deux, ça sera plus rapide d'y aller à pied, vraiment.
Lui rendant son papier et le sous-bock où se croisent désormais plusieurs lignes de différentes couleurs. Il lui explique comment utiliser le plan qu'il vient de lui dessiner et Harry le quitte après une accolade amicale de mecs bourrés.
Pendant dix minutes, il marche en gardant les yeux fixés sur le plan, trébuchant parfois, réfléchissant à la possibilité de se lancer un sort de dégrisement. Quand il arrive sur un pont qui ne semble pas avoir été dessiné par le gars du bar, il étudie plus en profondeur la question. Un sort de dégrisement lui permettrait sans aucun doute de trouver l'adresse avec plus de facilité, mais alors ses pensées reviendraient, ses doutes, ses peurs. Rien n'est vraiment parti, bien sûr. La preuve, c'est qu'il est conscient que tout cela se cache juste sous sa ligne de sobriété. Mais éméché comme il l'est, il parvient encore à vivoter en surface, capable de faire fi de ce que les grands fonds de sa conscience dissimulent à la vue. Et c'est ce qu'il veut, ce dont il a besoin ce soir au moins, alors que la chaleur accablante qui refuse de quitter la ville fait transpirer son corps, coller ses boucles brunes sur son front, dissimulant ainsi sa cicatrice aux badauds noctambules.
Alors il traverse le pont, savoure le vent frais charrié par le fleuve qui fait s'envoler ses cheveux hirsutes. De l'autre côté, il avise une plaque lui indiquant qu'il se trouve à présent en Outremeuse et il soupire en se rendant compte qu'il ignore ce que ça veut dire.
Las, et surtout pas mal bourré, il continue sur sa lancée, tourne à droite, à gauche, puis encore à gauche, et là, à ce carrefour quelconque, il va tout droit. Quand, sur sa droite, il avise une nouvelle ruelle à l'air peut-être encore plus ancien que les précédentes, il s'y engouffre, persuadé qu'il ne trouvera jamais la chambre qui lui a été allouée et qu'il va déambuler toute la nuit durant à travers ces ruelles sorties tout droit du siècle dernier.
Ici aussi, il découvre, stupéfait, que plusieurs cafés et bars sont restés ouverts. Ici aussi, il observe des jeunes et des moins jeunes chercher au fond de verres vides des réponses aux questions qu'ils n'oseront plus se poser une fois dessaoulés.
Un bref instant, il hésite à s'installer au milieu d'eux. Perdu pour perdu, autant qu'il prenne un peu de bon temps. Mais c'était sans compter sur l'une de ces petites statuettes de la Vierge Marie qui ornent tous les coins de rue dans ce quartier. Debout dans son alcôve, la Sainte lui fait tout d'abord un petit signe de la main. Persuadé d'avoir halluciné, Harry n'y prête pas attention et se détourne de la statuette sacrée, lui préférant la vision d'une fontaine tout juste bonne à désaltérer caniches et chihuahuas. Mais alors, vexée d'être ainsi ignorée, la petite femme à la robe bleue se met à insister.
— Pssst... Psssst !
— Quoi ? se retourne Harry, excédé, persuadé qu'il va tomber sur un alcoolique notoire à moitié allongé dans le caniveau.
Mais dans son dos, personne. Personne, si ce n'est une petite bonne-femme de plâtre et d'enduit, les poings posés sur les hanches et qui le dévisage comme s'il venait de pisser dans son alcôve.
— C'était pas moi ! se défend le jeune homme, ne sachant pas exactement ce qui lui est reproché.
Mais au lieu de le contredire, la statue secoue la tête de gauche à droite avant de tendre le bras pour lui indiquer l'embranchement d'une autre ruelle aboutissant dans celle où ils se trouvent.
— Vous voulez que je m'y rende ? interroge Harry, passant pour un ivrogne supplémentaire aux yeux des gens attablés dans la moiteur de la nuit.
Roulant les yeux dans leurs orbites, Marie approuve et lui désigne une fois encore la ruelle sombre où personne ne semble faire la fête. Pas rassuré, mais désireux de ne pas se faire excommunier, dans l'hypothèse où cette vision ne serait pas due à la quinzaine de bières et aux différents cocktails qu'il s'est enfilé ce soir, mais bien à un authentique message de la mère du Grand Patron lui-même, Harry lui obéit et s'éloigne alors que les fêtards oublient son existence aussitôt que l'un des leurs se met à dégueuler au-dessus d'une bouche d'égouts.
La ruelle indiquée par la Sainte ne semble pas accueillante et au dernier moment, Harry est tenté de rebrousser chemin. À un mètre de l'entrée, pourtant, il sent une chaleur familière lui chatouiller les extrémités. De la magie. Évidemment. Quoi d'autre que la magie aurait pu donner vie à une statuette pieuse ? Avançant cette fois avec plus d'assurance, il se glisse entre les deux bâtiments noirs qui délimitent le début de la ruelle et, aussitôt, une lumière orangée s'épanouit tout autour de lui.
Ce qui reste invisible aux moldus, ce qui reste caché dans les ténèbres de la nuit pour celles et ceux qui ne savent pas regarder, c'est un cul-de-sac étroit où brillent des guirlandes suspendues dans l'air sans aucun fil et la vitrine d'un bar bruyant qui disperse la lumière orangée de son intérieur sur les pavés gris qui semblent danser pour souhaiter la bienvenue au nouvel arrivant.
Un repère de sorciers. Pourquoi ne lui en a-t-on pas parlé au Ministère ? Il aurait pu passer la soirée ici, parmi ses semblables, au lieu de faire tous les bars du Carré. Quoi qu'à bien y réfléchir, celle qui vient de s'écouler a été tout sauf désagréable. Alors Harry hausse les épaules et se dirige vers le bar sorcier déjà bien animé.
Quand il pousse la porte, il craint un peu que, comme dans les westerns que regardait parfois l'oncle Vernon, tout le monde se taise subitement et se retourne pour le dévisager. Fort heureusement, il n'en est rien. Les habitués continuent à parler et rire entre eux alors que les sorciers et sorcières de passage, comme lui, se désaltèrent seuls ou en petits groupes plus discrets.
Au comptoir, Harry découvre que, contrairement aux établissements sorciers qu'il connaît et fréquente à Londres, il est possible, ici, de commander aussi bien des boissons typiquement magiques que moldues.
Ce pays et vraiment étonnant, se dit-il en commandant une Cuvée des Trolls à une tenancière probablement à moitié Vélane si l'on en croit les très nombreux sorciers la dévorant des yeux dans toute la salle.
Sans s'intéresser davantage à lui qu'à eux, elle le sert, se fait payer et retourne laver une nouvelle fournée de verres sales.
Sa bière en main, Harry se rend compte que le bar est vraiment très rempli, et il est en train d'étudier la physionomie des buveurs solitaires pour tenter de deviner lequel d'entre eux est le moins susceptible de l'envoyer paître s'il lui demande de partager une table, quand il croise deux yeux noirs qui semblent déjà le fixer depuis un moment.
Cette fois encore, il déglutit avec difficulté, troublé par l'intensité du regard assassin posé sur lui. Et pourtant, la curiosité, et l'absence de sobriété, certainement, le poussent à faire de son mieux pour en apprendre plus au sujet de celui qui semble vouloir le voir déguerpir.
Slalomant entre les tables, il peut voir les yeux de l'homme rapetisser à mesure qu'il s'approche, se transformer en deux fentes pouvant à peine être qualifiées d'ouvertes.
En posant sa bière sur la table, Harry lui sourit.
— Alors vous habitez ici, maintenant ? lâche-t-il en se laissant tomber sur la seule autre chaise disponible autour de la petite table.
Ramassant son propre verre, Rogue le vide d'un trait et se lève, prêt à quitter le bar et cet insupportable avorton de Gryffondor.
— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? ne peut-il pourtant s'empêcher de rétorquer.
— Rien, admet Harry en haussant les épaules. Mais j'ai envoyé à Azkaban des gens qui seraient très intéressés de vous savoir en vie.
Incrédule, Rogue le dévisage avec encore plus d'amertume. Quel petit con.
— Vous comptez révéler l'information ? s'enquiert-il en tachant de garder son calme. Beaucoup de sorciers veulent ma mort. C'est intelligent de votre part, vous allez pouvoir vous débarrasser de moi sans vous salir les mains. Félicitations.
Il a déjà commencé à s'éloigner quand Harry le retient par le poignet pour la deuxième fois de la journée. Par Merlin, même en six ans, ils ne se sont jamais autant touché qu'en cette seule petite journée.
— Je n'ai pas l'intention d'en parler, affirme-t-il en plantant ses yeux verts dans les siens, plus sombres.
— Alors pourquoi l'avoir mentionné ? s'agace Rogue sans pour autant dégager son bras. N'espérez pas me faire chanter, Potter !
Harry soupire si fort que les sorciers de la table d'à côté se retournent, curieux de découvrir ce qui a bien pu faire un bruit pareil.
— Mais arrêtez d'avoir une si mauvaise opinion de moi, grince Harry en desserrant sa prise, laissant ainsi à ses doigts la liberté de glisser jusqu'à la paume de son ancien professeur sans que ça ne soit volontaire de sa part. Je ne ferai rien de cette information, vous m'entendez ? Rien.
Se libérant cette fois de son emprise, mis mal à l'aise par cette attaque qui s'est presque transformée malgré elle, malgré eux, en caresse, Rogue entoure cette fois de lui-même son poignet droit dans sa main gauche, prolongeant en quelque sorte, le contact qu'il vient de couper entre lui et le fils de son ennemi de toujours.
— Pourtant, vous me détestez, riposte-t-il.
— Pas vraiment, soupire Harry. Ou pour être plus exact, plus maintenant. J'ai lavé votre nom après la guerre, grâce aux souvenirs que vous m'avez confiés. Vous ne voulez pas vous rasseoir ? Ce serait plus confortable de vous regarder en face que de devoir lever la tête comme ça pour pouvoir capter votre regard.
Choisissant d'ignorer cette dernière partie, bien qu'il bouillonne de lui demander pourquoi ce serait si important qu'ils se regardent dans le blanc des yeux au vu de la situation, Rogue accepte pourtant de se rasseoir, conscient que, maintenant qu'il a commencé à répondre aux provocations de son ancien élève, il risque de ne pas s'arrêter de si tôt.
— Je devrais vous remercier, je suppose ? grimace-t-il en frappant son verre vide trois fois contre la table.
— Faites ce que vous voulez. Je ne l'ai pas fait pour ça, répond Harry en avalant une lampée de sa bière.
Alors qu'il repose son verre, il voit, incrédule, celui de Rogue se remplir sous ses yeux alors que l'homme dépose sur le bois sombre de la table quelques piécettes qui disparaissent aussitôt. Dans un mouvement trop rapide pour sa tête pleine d'alcool qui se met à vaciller, il se retourne juste à temps pour voir la barmaid quitter leur table des yeux et déposer le contenu de sa main dans la caisse.
— Évidemment, vous me croyiez mort.
Clignant des yeux plusieurs fois, Harry fait de son mieux pour rattraper le fil de la conversation qui lui a échappé au moment où il a vu le verre se remplir tout seul. Quand il pense y être parvenu, il hoche la tête d'un air qu'il veut sérieux.
— C'est pas faux.
Soulevant son verre pour le porter à ses lèvres, Rogue s'interrompt pour le dévisager quelques secondes avant de reprendre la parole.
— Quel est le mot que vous ne comprenez pas ?
— Pardon ?
— Non, rien... s'excuse l'homme, se rendant compte de sa méprise et tentant d'effacer d'un mouvement de la main ce qui vient de se passer. Je crois que je passe un peu trop de temps devant la télévision moldue ces derniers temps, explique-t-il entre deux autres gorgées.
— Quoi ? insiste Harry qui n'a rien compris.
— Rien.
Décidément, l'alcool me rend lent, réalise Harry en s'absorbant dans la contemplation de l'homme qui s'est remis à boire.
Remarquant que leurs deux verres sont vides et qu'arrêter de boire maintenant ne le fera de toute façon pas dessaouler plus vite, Harry tente de reproduire ce qu'il a vu son ancien professeur faire. Il pose devant lui la monnaie pour deux verres de plus et frappe trois fois du sien sur la table. Dans la seconde, les pièces disparaissent et les verres se remplissent. Fier de lui et de sa capacité de déduction, il se tourne vers Rogue, un petit sourire satisfait au coin de la bouche.
Ravalant une remarque acerbe, l'homme se contente de secouer la tête en portant sa nouvelle boisson à ses lèvres.
— Vous n'êtes pas obligé de passer la soirée avec moi, le rabroue-t-il. Ni de m'offrir à boire.
— Ça ne me déplaît pas tant que ça, pour tout vous dire, avoue Harry, bien incapable de mentir à ce stade avancé d'alcoolémie.
Plissant à nouveau les yeux, l'homme pose sur lui un regard suspicieux.
— Je suis le premier à trouver ça suspect, rassurez-vous, tente de dédramatiser Harry en haussant les épaules. Je suppose que c'est ce qu'on appelle la maturité.
— Je doute que vous puissiez un jour vous vanter d'en posséder, ne serait-ce qu'un peu.
— Vous êtes dur, fait mine de s'offusquer le Harry bourré qui a pris le contrôle.
— Pas tant que ça.
Imitant son interlocuteur, Harry plisse alors les yeux tant et si bien qu'il ne distingue bientôt plus que le menton de l'homme. Dans un désir de paraître plus sérieux, il joint ses mains entre elles, les coudes posés sur la table, et se met à pianoter avec ses doigts sans se rendre compte qu'ils ratent systématiquement la phase où ils sont censés se rejoindre.
— Vous venez vraiment de dire ce que je crois que vous venez de dire ? l'interroge-t-il, un air de conspirateur fatigué vissé aux traits.
Ne comprenant pas, Rogue se repasse la discussion sans y découvrir quoi que ce soit pouvant expliquer la réaction de cet idiot de Potter.
— Professeur, se lance alors Harry avec un sourire en coin, vous venez de faire une blague. Une blague salace.
**
Bon, les gens !
J'ai un peu changé la couverture. C'est mieux, je crois, même si c'est toujours loin d'être bien. Maintenant on dirait un de ses vieux bouquins qui parlent de tout un tas de conspirations cheloues, vous trouvez pas ?
Je crois que les moins de 30 ans risquent de ne pas avoir la ref, c'est vraiment un vieux machin, le truc dont je vous parle xD Je me souviens que mon père en avait tout plein, mais j'aurais du mal à vous donner plus d'infos.
À part ça, j'espère que ce chapitre vous a plu. Il n'en reste déjà plus que trois ;)
Des bisous.
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