La flamme de la bougie vacillait, comme en équilibre précaire sur sa mèche, et les ombres qu'elle provoquait sur les murs ressemblaient à des fantômes de lumière se mouvant en silence.
Sous ces lueurs, Sirius Black tourna une page de son livre, et son froissement résonna dans sa chambre paisible. Il parcouru des yeux les quelques lignes tracées sur l'ouvrage, encore incapable de déchiffrer les plus longs. Il se référa donc aux images - des croquis de champignons vénéneux.
Il bailla à s'en décrocher la mâchoire, songeant que son activité était atrocement ennuyeuse. En fait, tout était de la faute de la bibliothèque de square Grimmaud, si barbante qu'un insomniaque lui-même s'endormirait en commençant n'importe quel ouvrage !
La chandelle était presque fondue. Sa cire liquide coulait le long de son socle, formant une tache blanchâtre qui se solidifiait quelques instants plus tard. Sirius y enfonça un doigt, et son ongle y laissa une emprunte en forme de croissant de lune. Puis la flamme dévora le moignon de la mèche avant de s'évanouir, laissant derrière elle le souvenir d'un filet de fumée et une odeur d'encens.
Sirius referma le livre et contempla son lit plongé dans la pénombre avec réprobation. S'il était complètement abruti par sa lecture, il n'avait tout de même pas envie de se coucher maintenant.
Il traversa la chambre, contournant son bureau en bois de chêne, un fauteuil moelleux et un tapis capitonné aux couleurs émeraudes. Il sortit par la porte entrouverte et se dirigea vers la pièce suivante, où une silhouette endormie formait une bosse sombre sur un matelas de plume.
- Pssssst ! Reg ! souffla le petit garçon.
Son frère se redressa aussitôt, parfaitement éveillé.
- Sirius ! s'exclama Regulus. Toi aussi tu n'arrives pas à dormir ?
- Non. Tu viens avec moi ?
- Ouais !
Regulus chassa ses couvertures et bondit auprès de son grand frère. Ce dernier lui passa un gilet autour des épaules pour éviter que la fraîcheur nocturne n'atteigne sa santé fragile.
Les deux frères Black sortirent dans le couloir et descendirent les escaliers silencieusement. Ils se glissèrent dans la cuisine et se servirent du flan pâtissier, reliefs du dîner. Puis ils remontèrent, les yeux brillants de gourmandise.
Sirius arrêta son frère d'un geste de la main.
- Regarde !
Il désigna d'un signe de tête la porte entrebaillée d'une pièce au fond du couloir.
- On y va ?
- Bof, Sirius... fit Regulus de sa voix fluette. Tu sais bien que père n'aime pas trop que l'on y soit...
- Mais père et mère sont couchés, ils n'en sauront rien ! argua-t-il.
Regulus hésita, partagé entre la curiosité et la discipline. Sirius se redressa, gonfla les biceps et contracta ses abdominaux.
- Et puis, j'ai six ans et toi bientôt cinq ! Nous sommes des hommes, maintenant ! ajouta Sirius, achevant de le convaincre.
- D'accord, mais pas trop longtemps alors...
Ils se dirigèrent vers la pièce obscure, évitant de marcher sur les lattes de plancher grinçantes. Le plus grand des deux alluma une chandelle, l'obscurité fuyant la flamme dans un halo d'or.
La lumière illumina les tapisseries ouvragées. Dans ce petit salon privé de Square Grimmaud, celles-ci y était mise en valeur en couvrant des pans de murs entier, telle une immense fresque brodée.
Les deux frères s'assirent côte à côte sur un divan rembourré et les contemplèrent tout en dégustant leurs parts généreuses de flan.
Comme à chaque fois, le cœur de Sirius s'emballa. Il y avait quelque chose de très beau et de très solennel qui se dégageait de ces lignes enchevêtrées s'éloignant dans tous les sens. La famille Black y était comme un immense arbre, chaque membre étant une feuille de celui-ci, se balançant au gré du vent des générations.
Il réussit à déchiffrer quelques noms assez courts, dont le sien et celui de Regulus. Les autres étaient bien compliqués, tous plein de lettres et de mots composés. Sirius en connaissait tout de même un, célèbre, sans même savoir le lire.
Phineas Nigellus Black.
Cet ancêtre avait été l'un des directeurs de la prestigieuse école de sorcellerie de Poudlard. Ce seul titre, ajouté à celui de son nom de famille, imposait respect et reconnaissance à quiconque évocant sa mémoire.
- Les jeunes maîtres ne devraient pas être ici, grommela une voix nasillarde.
Sirius et Regulus sursautèrent tout en découvrant la petite silhouette rosâtre de Kreattur, l'elfe de maison du 12, Square Grimmaud. Ses longues oreilles légèrement poilues pendaient de chaque côtés de son visage comme deux appendices informes, et ses immenses yeux vitreux les scrutaient avec réprobation.
- On ne fait rien de mal, Kreattur, se justifia Sirius en oubliant momentanément les tapisseries. On regarde juste...
L'elfe haussa ses épaules faméliques.
- Peut-être, mais Kreattur devrait aller voir maître Orion et tout raconter... D'autant plus que Kreattur sait qui vole les desserts dans la cuisine, maintenant !
Sirius et Regulus jetèrent un regard coupable sur les miettes jonchant le tapis, et sur la crème pâtissière ayant souillé leur chemises de nuit. Il était impossible de nier l'évidence.
- De toute façon, on s'en fiche ! s'exclama Sirius, vibrant de défi et de détermination. On ira dans nos lits avant que tu ne préviennes père et mère !
Regulus soutint aussitôt son frère, se disant sans doute que les plus âgés détenaient les meilleures solutions.
- Ouais ! renchérit-il avec un sourire fier. En plus, on est plus rapide que des chevals de course !
- On dit des chevaux, fils, intervint une voix sevère.
Sirius et Regulus se figèrent, stupéfaits de voir la silhouette imposante de leur père, Orion Black, se tenir dans l'embrasure de la porte. Même en tenue de nuit, Orion Black émanait une aura d'autorité tassant la bravoure naïve de ses deux garçons.
- Kreattur avait prévenu les jeunes maîtres, marmonna l'elfe avec délices. Et les jeunes maîtres vont être châtiés pour avoir désobéi et mangé du flan...
- Aux cuisines, Kreattur, exigea Orion d'un ton incisif tout en s'avançant dans la pièce.
Son visage taillé à la serpe pénétra dans le halo de la chandelle, révélant une expression impassible. Les deux frères déglutirent tandis que Kreattur déguerpissait, ne laissant derrière lui qu'une vague odeur de linge humide.
- Regulus, Sirius...
- On n'a rien fait, père ! s'écria Sirius avec l'énergie du désespoir.
- C'est lui qui a eu l'idée ! accusa Regulus, terrorisé, en pointant un doigt vers son frère.
Ce dernier lui donna un discret coup de pied dans les tibias, et il émit un minuscule couinement de douleur.
Orion Black les contempla quelques instants épouvants, silencieux. Sa bouche aux lèvres fines semblait avoir disparu derrière les bords de sa moustache grisonnante. Enfin, il s'approcha d'une lenteur délibérée vers ses fils, et s'assit sur le canapé en soupirant. Ils retinrent leur souffle, le cœur battant.
- Vous regardiez les tapisseries ? demanda Orion Black d'une voix calme.
- Oui, père, bredouilla Sirius en fixant la pointe de ses orteils.
- Elles sont très anciennes. Depuis des dizaines et des dizaines de générations, les Black demeurent ici, au 12, Square Grimmaud. Londres est une ville pleine d'infâmes moldus, mais recèle également de précieux secrets... Nous.
Les deux frères clignèrent des yeux, suspendus à ses lèvres.
- Ces tapisseries ressencent chaque membre et chaque alliance faite par notre famille depuis des générations. Vous voyez tous ces noms ? Ce sont vos pères, vos mères, vos oncles, vos tantes, vos cousins et vos cousines... Nous sommes tous sang-purs, pour préserver le lien éternel qui nous lie : la magie.
- Toujours purs, récita Sirius, émerveillé.
L'ombre d'un sourire effleura les lèvres d'Orion.
- Exactement, Sirius. Toujours purs.
Puis il se leva et s'approcha de la tapisserie, son pas lourd faisant résonner le sol parqueté en-dessous de lui.
- Mais parfois, des membres de notre famille choisissent un autre chemin, poursuivit-il d'une voix dure. Un second sentier humiliant, déshonorant, atroce. Des sorciers se marient et engendrent une descendance avec des moldus, des sang-de-bourbe.
Il pointa du doigt un trous brûlé dans un coin, que Sirius et Regulus n'avaient jamais remarqué auparavant.
- Andromeda Tonks, votre cousine, asséna Orion avec un tel mépris que ce prénom semblait être un poison dans sa bouche. Elle est partie vivre avec un moldu !
Regulus lâcha un couinement terrifié tandis que Sirius contemplait le minuscule cercle carbonisé, l'air perplexe.
Orion s'agenouilla en face de ses deux fils, l'air grave. Il prit leurs mains miniatures entre ses grands doigts caleux, les enfermant dans le secret des confidences.
- Mais vous, mes fils, vous ne commettrez pas une telle erreur.
Les deux jeunes garçons hochèrent la tête, hypnotisés par ce regard électrique.
- Vous êtes Sirius et Regulus Black, poursuivit-il avec force. Vous recevrez une lettre de Poudlard et vous réaliserez de brillantes études à Serpentard. Vous aurez un avenir brillant, une famille noble, une vie pure.
Sirius sentit la poigne de son père lui transmettre une détermination implacable. Une fierté piquante parcourait ses veines palpitantes.
Oui, c'était sûr, il honorera sa famille comme tous ses ancêtres avant lui. Lui et Regulus seront des étoiles brillantes dans la constellation des Black. Ils réussiront !
- Souvenez vous, mes fils, murmura Orion en déposant un baiser glacial sur le sommet de leurs fronts. Toujours purs.
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