Lily Evans
Lily Evans avait l'âge des imaginations florissantes et des rêves insaisissables, et, parallèlement, avait toujours aimé les contes de fées.
La magie de ces histoires la remplissait d'une énergie merveilleuse, grisante, qui nourrissait une passion exacerbée pour le fantastique. À cinq ans, son principal centre d'intérêt était de se vêtir de robes à froufrous et de se convaincre elle-même ( ainsi que, bon gré mal gré, son entourage ) qu'elle était une fée tombée du ciel, et que la vie qu'elle menait était le fruit d'une aventure qui commençait tout juste à prendre forme. À sept ans, c'était presque la même chose, mise à part le fait que Lily avait un goût un peu moins prononcé pour les déguisements.
Sa sœur jumelle, Pétunia, partageait exactement cette même passion pour l'imaginaire. Bien que Pétunia n'ait pas les cheveux flamboyants de sa sœur, ni yeux verts émeraude, et ni ce visage poupin, elle n'était pas moins persuadée que Lily de posséder des pouvoirs magiques.
Ainsi, les deux fillettes formaient une paire parfaite ; fusionelles, mise à part leur apparence, elles semblaient être exactement la même personne.
L'ordinaire ne leur convenait pas. Les rêves étaient bien plus beaux que la réalité, alors, s'il fallait vivre dans les rêves pour être heureux, Lily et Pétunia entreprendraient le nécessaire pour s'extirper du quotidien.
Lily, qui nourrissait ainsi une grande admiration pour sa princesse intérieure, ne se doutait seulement pas à quelle point elle-même, sans paillettes ni artifices, était hors du commun. Elle ouvrit les yeux tardivement, par un pur hasard.
C'était un beau matin d'hiver. La neige recouvrait le toit de la maison, le jardin, et même le voisin qui déblayait despéremment son entrée d'un épais manteau blanc. Un bonhomme de neige lui tenait compagnie, silencieux, assistant à les efforts inutiles de l'homme sans pouvoir lui porter secours.
Comme il faisait trop froid pour sortir, Lily et Pétunia avaient regardé Cendrillon sur le téléviseur capricieux, l'une des premières réalisations de Disney, l'entreprise cinématographique en pleine essort. Deux tasses fumantes de chocolat chaud réchauffaient leurs mains.
- Moi aussi j'ai une marraine la fée ! couina Lily à la fin du dessin animé.
- Pas du tout, notre marraine c'est tante Brigitte ! répliqua Pétunia, un peu déçue.
Les deux soeurs n'aimaient pas trop tante Brigitte. Elle était vieille, aigrie, sentait la cigarette et servait toujours des choux de Bruxelles à la crème quand les Evans lui rendaient visite. Et surtout, elle n'avait rien d'original.
- Oui, mais une autre marraine, précisa sa sœur.
Pétunia haussa les épaules.
- Tu sais Lily... Je crois que j'aime plus trop les Disney, marmonna alors Pétunia.
Lily bondit sur sa chaise.
- Hein ? Pourquoi ?
- Parce qu'on a sept ans maintenant et que nous sommes trop grandes pour ces histoires de bébés.
Lily ouvrit la bouche, la referma, puis secoua la tête pensivement. C'était l'une des premières fois que leurs avis différaient...
- Mais on peut toujours aimer les contes même plus grandes...
- Ben moi j'aime plus, décida Pétunia.
Lily hocha la tête, puis, comme elle était toujours d'accord avec sa sœur, elle déclara :
- Ouais. Tu as raison. Les Disney c'est nul.
Et pour se donner contenance, elle repoussa du pied la cassette vidéo de Cendrillon qui traînait sur la table basse du salon.
***
Aujourd'hui, Pétunia avait attrapé un gros rhume. Elle était toute blanche, reniflait sans arrêt et ses yeux striés des veines rouges qui avaient éclatés sous la fatigue.
- Non Lily, ta sœur reste dans la maison se reposer, avait dit Mme Evans quand la rouquine avait proposé de reconstruire un bonhomme de neige à l'extérieur.
Un peu déçue, Lily était donc sortie seule dans le grand jardin de la maison. Comme elle habitait à la campagne, un grand champ recouvert de neige bordait la demeure. Elle s'y enfonça, pataugeant dans la neige épaisse. La morsure glaciale de l'humidité à travers son pantalon la fit frissonner, mais elle poursuivit vaillament son chemin.
Non loin de là, neige remua légèrement, comme si quelque chose s'agitait sous la couche gelée. Lily pensa naïvement à un lutin, avant de se fustiger :
Non ! Les lutins n'existent pas ! Ça doit être un lapin, juste un lapin !
C'était dur de connaître la normalité des choses, songea-t-elle ensuite, attristée.
Elle tenta de rassembler un peu de poudreuse pour commencer le bonhomme de neige. Mais sans Pétunia, pour soutenir avec elle la boule principale, c'était plus difficile. Elle recommença plusieurs fois une figure informe, un peu plus découragée de secondes en secondes. Ses doigts étaient gelés, son nez coulait abondamment. Elle commença à fredonner la musique de La Belle aux Bois dormant avant de se rappeler que désormais, elle detestait les Disney.
Soudainement prise de colère, elle donna un grand coup de pied qui démolit complètement sa structure fragile. Mais elle glissa sur une plaque de verglas, et attérit brutalement sur les fesses. Le froid l'enveloppa tel un grand manteau piquant.
Lily sentit une larme couler sur sa joue, puis deux, puis trois...
Elle resta ainsi, assise dans la neige en sanglotant. En réalité, elle ne savait pas vraiment pourquoi elle se sentait aussi triste. Parce que Pétunia n'aimait plus Disney ? Parce qu'elle s'était sentie obligée d'y renoncer également pour se mettre sur un pied d'égalité avec sa sœur, et ne pas engendrer de désaccord ? Parce qu'il faisait froid ? Ou parce que ce bonhomme de neige était impossible à réaliser ?
Ou parce qu'au fond, elle savait que la magie n'existait pas ? Que ce n'était qu'une fantaisie enfantine ?
Elle ferma les yeux en reniflant.
Soudain, quelque chose de doux et chaud chatouilla sa main. Elle entrouvrit une paupière et se tint immobile, béate de stupéfaction. Une petite fleur blanche de printemps poussaient doucement entre ses doigts frigorifiés. La tige grandissait lentement, tandis que les pétales en cloches se déployaient tel une mère ouvrant ses bras à un enfant.
Lily ouvrit la bouche, stupéfaite. Comment se faisait-il qu'une fleur pousse aussi vite ? En plein hiver ?
Elle se pencha, oubliant tout à fait sa mélancolie. Une dernière larme tomba dans la neige. Quelques secondes plus tard, une petite tige émergea au même endroit, s'épanouissant en une plante semblable.
Puis une troisième, une quatrième, une cinquième... Bientôt, il y eu un parterre de fleurs aux pieds de Lily.
Une étincelle enflamma son cœur.
Toutes ces plantes... C'est magique... se dit elle.
Mais oui ! C'était cela ! La magie existait ! Lily en avait la preuve vivante devant ses yeux.
Un sourire immense fleurit ses lèvres. Quand elle racontera ça à Pétunia !
Elle leva les yeux vers le ciel pour tenter d'apercevoir sa bonne étoile dans les nuages gris, mais son regard s'attarda sur un bref mouvement qui avait attiré son œil. Elle tressaillit en se rendant compte qu'un visage était tournée vers elle, derrière la haie du jardin.
C'était celui d'un petit garçon qui devait avoir son âge. Lily ne distinguait que sa silhouette filiforme et ses longs cheveux noirs, mais elle était certaine d'une chose : il la regardait.
Son sourire fana aussi vite qu'il était apparu. Elle jeta un regard coupable aux fleurs à ses pieds, comme si elle était responsable d'une vilaine bêtise.
Le petit garçon était toujours là, immobile.
Lily sentit une sueur froide couler entre ses deux omoplates et se détourna de l'enfant inconnu, qui n'avait pas cillé. Terrorisée à de lui adresser la parole, elle fila directement vers la maison en courant, sans un regard pour les petites pousses éphémères qui s'épanouissent encore dans la neige.
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