Chapitre 7 : Chris.
« Il n'y a pas de secret mieux gardé, que ceux que tout le monde devine. » - George Bernard Shaw
*****
Je n'ai pas encore appelé Emmy. Je le ferai ce soir. Ou demain. Oui, demain ce serait mieux. J'ignorais pourquoi j'hésitais à ce point à lui téléphoner, c'était pourtant elle qui m'avait proposé vendredi soir au lieu de dimanche. Cette hésitation était surement due au fait que je sois anxieux. J'appréhendais grandement ce rendez-vous - si toutefois c'en était un - et je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allais faire ce soir-là. Ou de ce qu'elle voudrait faire. Ou même de ce que j'allais lui dire.
Je me disais de plus en plus que ce n'était peut-être pas une si bonne idée de l'avoir invitée. Dire que j'y allais à l'aveugle valait autant sur le sens propre du terme que sur le sens figuré. J'espérais vraiment ne pas faire le mauvais choix.
- Chris ? Tu es prêt ?
- Ouais, j'arrive.
Quand je suis arrivé dans le salon, mon frère a explosé de rire. Je lui ai demandé des explications mais il m'a dit qu'il n'y avait rien. J'avais dû mettre un tee-shirt bizarre ou quelque chose du genre, mais quand j'ai touché mon col, j'ai sentis l'étiquette sur le devant. Cet enfoiré allait me laissé sortir avec un tee-shirt retourné et à l'envers. Et ça le faisait marrer. Évidemment.
Après l'avoir insulté et frappé - mais dans le vide, ce qui ôtait davantage de crédibilité - on est descendu pour aller à la salle de sport, à cinq minutes de chez moi. Comme d'habitude, on a commencé par les tapis de course. C'était le seul truc que je pouvais faire seul. Pour le reste, mon frère devait m'aider, alors j'évitais et je me contentais de courir. Andrew se chargea des réglages pour que je puisse courir, mais après seulement quelques minutes d'activité, je l'entendis s'arrêter.
- Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandai-je en continuant.
- Ce ne serait pas Emmy là-bas ? Tu sais la serveuse, ajouta-t-il. Ah ouais, non. Tu ne peux pas savoir, rit-il. Mais c'est elle, j'en suis sûr. Je reconnais ces cheveux.
Emmy était là ? Pourquoi était-elle là ? Je ne l'avais pas encore appelée, alors si elle me voyait elle allait me prendre pour un imbécile, puis annuler pour vendredi pour enfin se rabattre sur Andrew. J'aurais dû l'appeler plus tôt ! Mais bien entendu, comme d'habitude, je prenais toujours la mauvaise décision...
J'entendis mon frère se déplacer.
- Tu fais quoi ?
Il s'arrêta et je descendis du tapis.
- Je vais la voir.
- Attends !
- Quoi ? En plus elle est avec une amie je crois. Viens avec moi, me proposa-t-il.
Il faudrait que je trouve quelque chose pour le dissuader d'y aller. S'il savait que je lui avais caché quelque chose qui était susceptible de l'intéresser, il allait se moquer de moi, en me traitant de trouillard, de gamin et de je ne sais quoi d'autre.
- Non je...
- Salut !
C'était la voix enjouée d'Emmy, sans aucun doute. Depuis ma seconde rencontre avec elle, j'avais reconnu cette voix particulièrement grave pour une fille et je crois que maintenant, je la reconnaitrais à n'importe quel moment. Elle avait un timbre très... spécial. Mais très agréable.
Avec toutes ses conneries, mon frère avait réussi à attirer son attention. Il a été plus rapide que moi pour lui répondre.
- Hey, Emmy ! Comment tu vas ?
- Très bien et toi ?
Une fois encore, j'entendais son sourire.
- Je vais bien je te remercie. Et Chris aussi va bien, ajouta-t-il sur le ton de la plaisanterie.
Je voulais l'assommer. Puis m'assommer ensuite.
Emmy nous présenta son amie - Julia - qui nous salua d'une voix plutôt neutre et sans particularité mais j'entendais son sourire à elle aussi.
- Vous venez ici souvent ? demanda Emmy.
- Tout les mercredis, et vous ? Je ne vous ai jamais vu ici toutes les deux, répondit mon frère en me devançant - encore une fois.
- On vient le dimanche normalement, mais je l'ai trainée ici de force, expliqua Julia en riant.
- Et bien tu as bien fais ! s'exclama Andrew.
Il y a eu un moment de silence avant qu'Emmy ne déclare qu'elles devaient partir. Andrew essaya de les retenir mais en contrepartie, Emmy nous proposa de passer au bar un jour. En promettant qu'elle nous offrirait un verre. Mon frère, évidement, accepta. Alors que je les croyais parties, j'ai sentis une main se poser doucement sur mon bras et la voix d'Emmy se fit plus proche de moi..
- C'est toujours bon pour vendredi ? voulut-elle savoir.
- Oui oui. Je t'appelle ce soir. J'ai eu... Un petit soucis, mentis-je.
- Aucun problème, me sourit-elle. A ce soir alors !
- Ouais... marmonnai-je ne sachant même pas si elle pouvait encore m'entendre.
Je me retournai pour reprendre ma course comme si rien ne s'était passé mais Andrew arrêta le tapis. Il ne semblait pas de mon avis et avait sans doute assisté à ces quelques mots échangés.
- Raconte tout à ton grand frère, m'ordonna-t-il un sourire en coin.
Je devinai, par la proximité de sa voix, qu'il était face à moi. Probablement les bras appuyés sur le tableau de bord du tapis de course. J'ai tendu la main pour vérifier si j'avais raison et je ne me trompais pas. Il n'allait pas bouger sans avoir une réponse. Je tentai tout de même une diversion, qui s'avèrerait probablement inutile.
- Arrête de dire que tu es mon grand frère.
- Arrête de changer de sujet, dit-il sur le même ton lassé que moi.
Je soupirai. Je connaissais tellement bien mon frère que ça en devenait lassant parfois ! Et comme je savais qu'il n'allait pas lâcher l'affaire, je lui avouai que j'étais retourné au bar le lendemain de leur rencontre, entre lui et Emmy. J'ajoutai qu'on avait un peu parlé, que je lui avait demandé de sortir un soir et qu'elle m'avait donné son numéro. Sans entrer dans aucun détails. Dans tout les cas, il n'y avait pas tellement de détails.
- Et pourquoi tu m'as caché tout ça, dis-moi ?
- Je n'en sais rien, Andrew, soufflai-je. Peut-être parce que je pensais qu'elle t'intéressait.
Il a explosé de rire et je lui en ai demandé la raison. Il a remis en route le tapis et est monté sur le sien pour qu'on continue de courir tout en parlant.
- Ce n'est pas le cas, m'avoua-t-il peu après.
- Alors pourquoi j'en avais l'impression ? Tu n'arrêtais pas de me poser des questions à son sujet, et là tu l'as vue et tu as voulu aller lui parler.
- Samedi soir au bar, j'ai tout de suite remarqué qu'elle t'intéressait. Surtout quand tu m'as demandé d'intervenir quand elle parlait avec les deux gars bourrés.
- Alors pourquoi tu me parlais d'elle ? Que tu voulais aller la revoir ? lui demandai-je en secouant la tête en signe d'incompréhension.
Une fois de plus, il rigola.
- Pour te faire cracher le morceau.
- Donc tu savais ? m'exclamai-je surpris.
- Seulement qu'elle t'intéressait. Pas le reste.
Je comprenais maintenant. Il s'était bien moqué de moi pendant ces quelques jours, et il aurait continué encore longtemps. Il m'avait même proposé de retourner au bar ce week-end et visiblement, il avait l'intention d'en profiter une soirée supplémentaire. J'étais donc heureux de lui avoir gâché ce plaisir, même si je ne saisissais pas d'où lui venait cette obsession pour tout savoir sur tout.
- Donc, si je résume, tu t'en fous d'elle ?
- Non, je ne m'en fous pas. Elle est pas mal, c'est vrai - même plus que pas mal, en réalité - et puis elle est vraiment sympa. Enfin, elle en a l'air, d'après ce que j'en ai vu. Mais elle ne semble pas avoir le moindre intérêt pour moi.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce que c'est le cas. Comme tu ne peux pas le savoir, je vais te le dire : c'est toi qu'elle regardait au bar et tout à l'heure. Pas moi, dit-il en souriant. Et puis, physiquement, son amie est plus mon genre.
Disait-il la vérité ? Ça me semblait étrange. Pourquoi me regarder moi alors que je ne pouvais pas la voir ? Qui pourrait préférer un aveugle à un voyant ? Non, elle ne me préférait pas. On ne se connaissait pas. Peut-être était-ce parce que je l'intriguais. Ou autre chose, n'importe quoi, je ne sais pas.
- Tu veux que je te la décrive ?
Sans attendre ma réponse, il continua :
- Alors : elle a des...
- Non, le coupai-je. Je ne veux rien savoir.
J'étais aussi surpris que lui par ma réponse. Bien sûr que je voulais savoir comment elle était, mais je voulais le savoir en la voyant, pas en entendant une description approximative de la part de mon frère. Je ne m'étais jamais réellement basé sur le physique comme critère de sélection - si je pouvais appelé ça comme ça. Bien entendu, comme tout le monde, mon regard était attiré par les jolies filles, mais je n'avais pas de genre particulier. Je me trouvais étrange quelques fois. Comme en ce moment.
- Pourquoi ? me questionna mon frère.
J'entendais presque une petite touche d'indignation et d'étonnement dans sa voix.
- Parce que. Maintenant laisse-moi courir, je commence à avoir un point de côté.
- La discussion n'est pas terminée petit frère. Mais je la laisse en suspens. Jusqu'à demain. Quand tu lui auras téléphoné.
Il devait avoir l'air d'un imbécile à sourire sur son tapis de course, mais je devais l'être tout autant à me torturer l'esprit pour une fille que je ne connaissais pas.
***
- Maintenant que tu as pris une douche, que tu as mangé et que tu as fais la vaisselle bien comme il faut, tu prends ton téléphone et tu fais ce que tu as à faire, me dit Andrew en s'asseyant près de moi sur le canapé.
- Tu vas surtout sortir d'ici et rentrer chez toi, lui ordonnai-je.
- Pas avant que tu aies téléphoné.
- Ce que tu n'as pas compris, c'est que je ne ferai rien tant que tu ne seras pas sorti.
Il se releva en soupirant et s'avança vers la porte.
- Tu es vraiment un gamin quand tu t'y mets ! grogna mon frère. Tu as intérêt à m'appeler dès que tu auras raccroché avec elle.
La porte s'ouvrit puis se referma. Je soupirai de lassitude.
- Et après tu dis que c'est moi le gamin, Andrew.
Je savais qu'il était encore là, mais il ne se manifesta pas.
- Je n'ai pas entendu tes pas après que tu aies ouvert la porte et j'entends encore ta respiration. C'est faible mais je l'entends encore. Je ne suis pas sourd, et encore moins stupide.
Il ne put se retenir de rire et m'expliqua qu'il ne pouvait pas s'en empêcher, alors je l'ai moi-même mis dehors, en m'assurant de mes propres mains qu'il avait quitté la pièce. Je suis allé dans ma chambre avec mon téléphone et grâce à la commande vocale de mon smartphone, je l'ai appelée. Elle a répondu à la troisième sonnerie.
- Allô ?
- Emmy ? C'est Chris.
- Ah, salut !
Quelque chose dans sa voix m'interpela. Elle semblait paniquée, ou je ne sais pas.
- Je te dérange ?
- Non je... Hum. Attends. Je te reprends dans une minute. Ne quitte pas.
- Euh... Ok.
J'entendis quelques bruits de fond. Je savais que j'aurais dû attendre encore un peu. Elle était occupée et je l'ai dérangée. Très vite, elle repris le téléphone, m'obligeant à stopper mes tergiversions.
- Excuse-moi, j'avais un plat dans le four et ça allait brûler... Bref. Voilà. Tu vas bien ?
- Très bien et toi ? Tu es sûre que je ne te dérange pas ? Je peux rappeler plus tard si tu préfères.
- Non, ne t'inquiète pas. Aucun problème.
Elle souriait encore. Je le savais.
Elle me demanda ensuite si ma séance de sport s'était bien passée. Je lui répondis et lui retournai la question. Puis je me suis excusé de ne pas avoir appelé les jours précédents, sans lui donner d'explications. J'espérais qu'elle ne m'en demanderait pas parce que je ne saurais pas quoi lui dire à part peut-être : " Désolé j'ai paniqué comme un petit collégien. Je ne savais pas quand appelé ni quoi te dire alors voilà ! ". Ce qui n'était pas très glorieux pour moi. Heureusement, je n'ai pas eu besoin de lui mentir et je lui ai posé la question qui m'intéressait.
- Tu as cours jusqu'à quelle heure vendredi ?
- Dix-huit heure. Et toi ?
- Quinze heure.
Et maintenant, comment allait-on faire pour se retrouver ? Je n'avais pas pensé à ça... Je ne pouvais pas la rejoindre parce que je ne connaissais pas les bâtiments qu'elle fréquentait, et je ne savais pas non plus où elle habitait. Elle l'avait montré à mon frère mais je n'avais pas pu le voir.
- Tu veux qu'on se retrouve à quelle heure ? la questionnai-je.
Elle réfléchit un instant avant de me donner rendez-vous à dix-huit heure trente devant le bâtiment de biologie. Elle avait fait exprès de me donner un point de repère que je connaissais, et je l'en remerciais. Je ne la connaissais pas, mais je l'appréciais déjà.
J'ai raccroché juste après en lui souhaitant bon appétit et me suis mis au travail pour reprendre mes cours de littérature anglaise. Être aveugle était vraiment épuisant. J'avais vraiment hâte de revoir.
Néanmoins, je continuais de me poser des questions à son propos. Évidemment. Dont la plus grande : Pourquoi moi et pas mon frère ? Je lui demanderai peut-être si on continue de se voir. On verra vendredi. Ou une prochaine fois.
Mon téléphone sonna quelques minutes plus tard. Je pourrais mettre ma main à couper que c'était Andrew. Et ça n'a pas loupé. Il m'a immédiatement demandé si j'avais appelé et je lui ai répondu que oui avant de lui raccrocher au nez. C'était un vrai gamin et il semblait avoir oublier de grandir en maturité. Il devait être en phase de blocage sur sa quatorzième année de vie. Quelque chose dans le genre. Je pouvais être certain qu'il viendrait chez moi dès samedi en réclamant chaque détails de cette soirée.
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