Chapitre 5 : Chris.
« Il est indéniable que c'est autour de la famille et du foyer, que les valeurs fondamentales de la société sont crées, renforcés et maintenues. » - Winston Churchill
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- Et merde... marmonnai-je en me prenant les pieds dans je ne sais quoi en passant au salon.
Je me baissai pour vérifier ce que c'était et ce devait être le pantalon d'Andrew. Je le repoussai sur le côté et partis jusqu'à la cuisine pour chercher les médicaments. Mon frère les avait rangé sur le côté droit dans le placard au-dessus de mon évier pour que je sois sûr de ne pas me tromper de boite. J'en pris deux et me servis un café. Ma tête allait exploser.
Habituellement, j'avais déjà mal à la tête à longueur de journée, et là, c'était abominable. Plus jamais je ne boirai de l'alcool en étant aveugle, je réserverai ça pour dans quelques semaines. C'était beaucoup trop dévastateur.
Néanmoins, j'avais bien fais de sortir la veille. Ainsi, j'avais pu connaitre le nom de cette demoiselle et j'avais, par la même occasion, eu la possibilité de vraiment la remercier. J'avais immédiatement reconnu sa voix, plutôt grave pour une fille, tout en restant mélodieuse et attrayante. J'avais pu déceler son sourire à plusieurs reprises lorsqu'elle me parlait.
Ça ne faisait que trois semaines que j'avais perdu la vue, mais je percevais déjà les choses différemment. Mes autres sens se bousculaient tous pour compenser le manque de vision et c'était impressionnant à quel point mon corps s'adaptait rapidement à cet inconvénient, ce qui m'arrangeait. Mais ce qui m'arrangerait davantage encore, serait bien sûr de pouvoir décoller ces fichus pansements de mes yeux.
- Merci de m'avoir réveillé, grogna mon frère en s'affalant sur une chaise.
Le boucan qu'il faisait avec ce simple geste n'était pas pour plaire à ma migraine. Il était d'une délicatesse !
- Pourquoi je t'aurais réveillé ?
- Parce que tu as parlé et que tu as bousculé la chaise de la cuisine.
- C'est toi qui dit ça ? m'exclamai-je en faisant référence au raclement grinçant de sa chaise sur le carrelage. Et puis, ce n'est tout de même pas de ma faute si tu as le sommeil léger, me défendis-je.
Je l'entendis se relever en soupirant et se servir un café. Il sortit plusieurs paquets de gâteaux pour qu'on puisse grignoter.
- Bon alors, j'ai eu raison de t'obliger à sortir hier soir ?
Je savais, par habitude, que son sourire s'étirait d'une oreille à une autre, ravi d'avoir raison et de m'entendre le lui dire.
- Ouais, j'ai pu la remercier comme ça, répondis-je laconiquement.
- Et lui parler un peu aussi.
J'hochai la tête en attendant la suite de ses paroles.
- C'est dommage que tu n'aies pas pu voir comme elle était jolie ! s'exclama-t-il en riant.
- Ce n'est pas parce que tu viens de larguer Élodie que tu dois draguer la première fille jolie que tu vois, lui fis-je remarquer.
- Si, justement.
Je secouai la tête pour montrer mon désaccord. Il s'en suivie une petite discussion sur le fait qu'il n'avait aucun remords, mais selon lui, ça leur pendait au nez depuis un moment cette séparation. Ce qui n'était pas totalement faux. Je le savais qu'Andrew en avait assez d'elle, mais je savais aussi qu'il tenait un peu à elle.
Hier soir, en me rejoignant au bar, il m'avait fièrement annoncé qu'il était célibataire. Élodie avait, une fois de plus, insisté pour qu'ils s'installent ensemble, mon frère et elle, et Andrew avait profité de ce moment pour lui cracher au visage qu'il ne voulait plus d'elle et que c'était terminé entre eux. Et il en avait été heureux toute la soirée !
Finalement, ce n'était peut-être pas plus mal que ce soit finit leur histoire. Au moins, je n'aurai plus à entendre mon frère se plaindre.
- Tu sais quand elle travaille au bar ? me demanda Andrew après mes quelques secondes de réflexion.
- Non, je n'ai quasiment pas parlé avec elle, je te l'ai dis.
- Je vais y retourner samedi prochain alors, décida-t-il.
- Elle a dit qu'elle avait un copain, lui rappelai-je.
Il m'énervait à se précipiter vers elle à peine vingt-quatre heures après Élodie. En plus, je savais qu'il faisait ça seulement pour s'amuser et pour profiter de sa liberté fraichement acquise, comme il disait. C'était donc qu'il considérait qu'être en couple était une sorte de prison ? Si c'était le cas, pourquoi s'être enfermé pendant plus de quatre mois ? Je ne comprendrai jamais mon frère...
- Pourquoi tu es aussi froid d'un seul coup ? rétorqua-t-il en souriant.
- J'ai seulement un mal de tête horrible et tu n'arranges pas les choses, répliquai-je.
Il rigola et je lui demandai ce qui le faisait rire à ce point mais il me répondit qu'il allait prendre une douche. Emmy allait donc peut-être être la prochaine copine de mon frère. S'il s'avérait, bien sûr, que le fait qu'elle aie déjà quelqu'un soit un mensonge. Et aussi, si mon frère lui plairait, ça allait de soit. Étrangement, cette idée me déplaisait. Un peu.
Hier soir, elle avait prétendu aux deux mecs lourds qu'elle sortait avec le serveur. Je les avais entendu parler ensemble et rien dans leur conversation ne montrait qu'ils étaient ensemble, j'aurais plutôt pensé à deux amis. En plus, quand mon frère était intervenu en proclamant haut et fort qu'il était le frère de son copain, elle n'avait pas protesté. Mais c'était certainement pour faire reculer ces deux imbéciles. Ça avait fonctionné et j'en étais content.
C'est moi qui avait dis à Andrew d'aller l'aider. Je l'aurais bien fais moi-même mais j'aurais été loin d'être crédible avec ma canne blanche et mes lunettes de soleil. J'avais pensé qu'il allait se présenter comme son frère, ou alors comme son copain, mais non. Alors ça m'a un peu étonné.
Peu de temps après, j'ai entendu mon frère sortir de la douche, alors j'y suis allé à mon tour. L'eau chaude qui coulait le long de ma colonne vertébrale me détendit instantanément. J'y suis resté un bon quart d'heure sans bouger, puis je me suis lavé rapidement. Les premiers jours après mon opération, j'avais eu beaucoup de mal à m'habituer à me doucher dans le noir. Plusieurs fois, je m'étais trompé de bouteille de shampooing ou gel douche, mais le pire étant le réglage de l'eau chaude ou froide. Mais maintenant, ça allait mieux, j'avais pris le coup de main pour ces petits gestes futiles du quotidien.
En sortant de la salle de bain, mon frère était devant une émission de télé qui parlait d'agents de police, de banlieue et de tout ce qui allait avec. Je me suis assis près de lui pour écouter. Sauf que je n'ai pas pu.
- Tu crois qu'elle est à la fac ? Elle habite juste à côté alors c'est possible.
Je savais qu'elle y était. La veille elle m'avait dit qu'elle allait être en retard en cours lors de notre première rencontre. Pourtant, j'ai répondu à mon frère que je l'ignorais.
- Vous ne vous êtes rien dit en fait, constata Andrew, déçu.
- Non. Je te l'ai dis : je l'ai remerciée et elle aussi. C'est tout, soupirai-je.
J'aurais été capable de la voir, j'aurais vraiment discuté avec elle. J'aurais essayé de savoir ce que mon frère me demandait. Mais ces trois dernières semaines, j'avais beaucoup trop perdu confiance en moi. C'était pour cette raison que je ne sortais plus avec mes potes et que Charlotte m'avait largué. J'étais devenu une larve qui déprimait jour après jour dans son coin. C'est pourquoi, j'avais laisser Andrew draguer cette fille. Je ne savais d'elle que sa voix que j'appréciais beaucoup, mais tant pis pour moi, ça attendra quelques semaines. Il y en aura d'autres et visiblement, ce n'était pas moi qui intéressait Emmy.
- On retourne au bar cet après-midi ? me proposa-t-il.
- Tu n'as pas un match amical tout à l'heure ? lui rappelai-je.
- Ah oui exact... marmonna-t-il.
Toutefois, ça question me fit réfléchir quelques instants. Mais le tout n'était plus de savoir si on y retournait tout les deux, c'était de me demander si moi j'y retournais. Seul. Je voulais la revoir - sans mauvais jeu de mot - même si je ne pensais pas qu'elle allait être enchantée. En plus, je ne savais même pas si elle y travaillait encore aujourd'hui.
- Tu viens me voir jouer ? plaisanta mon frère.
- Ta gueule, rigolai-je.
Il m'expliqua que je match qu'il allait jouer était déjà gagné d'avance et commença à me parler de ses adversaires. J'écoutais sans vraiment le faire mais j'avais l'air plutôt crédible étant donné qu'il n'avait fait aucun commentaire à ce sujet.
Quand il est retourné chez lui vers quatorze heure, je suis allé sur mon ordinateur pour bosser mon cours d'histoire de l'art espagnol mais mes pensées ont commencé à divaguer au bout de quelques minutes vers une certaine jeune serveuse.
Je savais qu'elle était jeune puisque Andrew l'avait tutoyée. Comme je ne connaissais pas son âge, mon premier réflexe avait été de la vouvoyer, par politesse et aussi par réflexe. J'avais toujours respecté les personnes plus âgées que moi, tout comme mon frère, c'était donc qu'Emmy devait avoir à peu près le même âge que nous.
Sur un coup de tête, j'ai fini par fermer mon ordinateur. Je me suis habillé rapidement, j'ai pris mes lunettes de soleil, ma canne et je suis partis en claquant la porte de mon appartement. Il fallait que je vérifie certaines choses.
En arrivant, je me suis installé au bar, comme hier soir et la voix grave du serveur me demanda ce que je voulais boire. Il déposa mon verre de soda devant moi et s'éloigna. Elle n'était donc pas là. J'appuyai sur le bouton du cadran de ma montre et une voix robotique m'annonça quinze heure quarante-sept. Elle ne travaillait peut-être que le soir. Tant pis, je vais boire mon verre et rentrer chez moi après. Je n'aurais pas dû venir.
- Emmy ! Viens-voir s'il te plait ! appela le serveur.
Finalement, j'avais peut-être bien fait.
- Oui ?
- Il n'y a pas beaucoup de monde, je peux te laisser le bar deux minutes le temps que j'aille m'acheter des cigarettes ? demanda le serveur.
Elle ne répondit pas et le serveur la rappela à l'ordre.
- Oui oui, pas de problème. Vas-y, bredouilla-t-elle.
- Merci, je reviens vite.
Je l'entendis s'éloigner et bus un gorgée de ma boisson.
- Salut Chris. Tu vas bien ?
J'entendais au son de sa voix qu'elle souriait. Une marque de politesse habituelle, sans doute mais au moins, elle se souvenait de mon prénom. Ce seul fait me fit sourire.
- Je vais bien merci, et toi ?
- Ça va. Je reviens dans une seconde, s'empressa-t-elle d'ajouter.
Quelques instants plus tard, elle était de retour face à moi. Je pouvais sentir sa présence.
- Désolée. Il n'y a presque personne alors ça devrait être bon maintenant, rit-elle.
- Ce n'est pas grave.
Je décidai d'engager la conversation puisqu'elle semblait plutôt d'accord.
- Tu travailles ici tout les jours ?
- Seulement le samedi soir et le dimanche après-midi. La semaine j'ai cours, m'informa-t-elle ce qui confirma ce que je pensais.
J'ai tout de même voulu insister pour le savoir.
- Tu es à la fac ?
- Ouais. Psychologie.
- Vraiment ? rigolai-je en haussant les sourcils.
- Vraiment ! s'exclama-t-elle en riant.
J'entendais les cliquetis des verres. Elle devait être en train de nettoyer et ranger.
- Tu as du courage !
- Il en faut. C'est le seul moyen pour devenir psychologue, alors je n'ai pas trop le choix, déclara Emmy avec entrain.
- En effet.
- Et toi ? Tu es à la fac aussi ? voulut-elle savoir.
C'était étrange. Le premier sujet qu'on abordait avec moi était mes yeux. Ou dans son cas, j'aurais pensé qu'elle m'aurait demandé ou était mon frère. Politesse une fois encore ? Peu importe, ça m'arrangeait.
- Fac de langues.
- Ah ouais ? s'exclama-t-elle intéressée. Anglais et allemand ?
- Espagnol, pas allemand, rectifiai-je en souriant. Je n'ai jamais aimé cette langue, ça ne ressemble à rien.
- Pourtant, c'est plus répandu que l'espagnol, non ?
- C'est vrai. Mais je m'en fiche, c'est l'anglais qui m'intéresse, lui dis-je.
Le serveur refit son apparition et Emmy l'informa qu'elle prenait sa pause. Même si j'avais l'impression qu'elle l'avait déjà commencée. Je lui redemandai un verre et elle s'en servis un par la même occasion, avant de s'asseoir sur le tabouret à côté de moi.
- Pourquoi l'anglais ? me questionna-t-elle, intriguée.
- Je veux être prof de français.
- Aux États-Unis ?
- États-Unis ou Australie, je ne sais pas encore. Mais je veux partir d'ici en tout cas, rigolai-je.
- Dans ce cas, je te déconseille Los Angeles. Pour des vacances, c'est bien mais pour y vivre, ce n'est pas l'idéal... déclara-t-elle pensive.
Elle aurait vécu donc aux États-Unis ? Je lui posai la question. Elle m'expliqua qu'elle avait fait trois années de cours là-bas et qu'elle était donc bilingue. Ça m'aurait bien arrangé moi, d'être bilingue. Pas que j'avais du mal avec mes cours, mais ce serait beaucoup plus simple pour ma futur carrière.
Je lui demandai aussi si elle avait vécu ou visiter d'autres villes et elle me parla brièvement de New York. Elle fit la même réflexion que pour Los Angeles : seulement pour les vacances. Pour ma part, je n'avais jamais quitté la France, alors je ne pouvais faire aucun commentaires sur ce qu'elle disait.
- Emmy, ta pause est finie, annonça le serveur.
Une pause plutôt rapide. A peine dix minutes je dirais. Emmy répondit à l'instant.
- Ouais j'arrive. Je suis désolée, je vais devoir te laisser. En plus, il commence à y avoir du monde, s'excusa-t-elle.
Je remarquai seulement maintenant le bruit ambiant des conversations autour de moi. Je lui payai les consommations même si elle protesta que ce n'était pas la peine. Au final, elle prit le billet et me remercia.
- Tu travailles jusqu'à quelle heure ? lui demandai-je, peu sûr de moi.
- Ce soir je finis à vingt-trois heure parce que ma collègue a pris sa journée au dernier moment. Mais d'habitude, je sors à dix-huit heure, m'informa-t-elle.
Il fallait que je me lance. Tant pis pour moi si elle refusait - ce qui ne m'étonnerait pas - je voulais tout de même essayer.
- Ça te dirait de sortir dimanche prochain ? Manger quelque part, ou je ne sais pas, bredouillai-je.
- Vendredi soir je ne travaille pas si tu es libre.
Une fois encore, j'entendais son sourire. Le serveur - du nom de Jimmy, d'après ce que lui avait répondu Emmy - l'appela mais elle lui demanda d'attendre une minute.
- Vendredi soir alors, lui souris-je à mon tour.
Un homme s'installa au bar et demanda un café à Emmy.
- Je vais y aller, tu as du travail. Je peux avoir ton numéro ?
- Attends une seconde.
J'entendis un bruit de stylo, je crois, puis une feuille toucha le bout de mes doigts.
- Tiens. Ah oui... Je... Tu ne vas pas pouvoir le lire, comprit-elle embêtée.
- Je me débrouillerai, ne t'en fais pas, lui dis-je en souriant.
- Ok, tant mieux alors, se détendit-elle. Tu m'appelles avant vendredi ?
J'hochai la tête en me levant.
- Génial, alors j'attendrai. Je suis vraiment désolée, je dois y aller. Jimmy va finir par me tuer, rigola-t-elle.
- Alors ne te fais pas tuer, lui répondis-je en riant.
- Bonne fin de journée Chris.
- Toi aussi Emmy.
Elle s'éloigna rapidement et j'ai quitté le bar, sans bousculer personne, et je suis rentré chez moi en me demandant comment j'allais pouvoir faire pour entrer son numéro dans mon téléphone. Si je demandais à mon frère ou à mes amis, ils seraient capable de changer un chiffre ou deux, juste pour me faire galérer et se foutre de moi. J'avais l'air malin avec mon morceau de papier moi...
En arrivant sur le palier devant ma porte, j'ai fais quelques pas en arrière pour frapper chez mon voisin, un étudiant de troisième année en informatique, timide et réservé. C'était ma seule solution pour le moment. Et puis, je ne pensais pas qu'il oserait me faire un coup tordu, alors je lui ai gentiment demandé d'enregistrer le numéro dans mon répertoire au nom de Emmy. Comme je m'y attendais, il le fit sans me poser de question et me rendit mon portable.
Après l'avoir remercié, je suis rentré et j'ai enfin pu me mettre au travail. Je téléphonerai demain à Emmy.
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