Chapitre 45 : Chris.

« Pour certain, s'acharner rend fort, mais parfois lâcher prise est préférable. » - Herman Heese

*****

J'avais tant redouté ce moment et il était actuellement en train de se dérouler sous mes yeux. J'avais tellement mal mais ce n'était rien par rapport à la douleur qu'elle, elle devait ressentir. Et tout était de ma faute. Je l'avais détruite. Anéantie.

Mon Ange venait de prendre conscience que son ange à elle ne reviendrait jamais. Que sa sœur n'était et ne serait plus jamais parmi nous. Mais pas seulement. En une seule soirée, en seulement quelques minutes, elle s'était rendue compte de trois choses qui atteignaient directement son coeur.

La première étant qu'elle m'aimait. Je l'avais vu dans ses yeux lorsqu'elle n'avait pas pu m'avouer qu'elle ne ressentait rien pour moi. J'avais vu dans ses yeux larmoyants qu'elle refusait de me mentir encore une fois. Alors elle s'était tue. Son coeur venait d'être fragilisé par ma faute.

Ceci avait ensuite engendré la question de sa stérilité qui l'avait terriblement effrayée. Emmy ne s'était probablement jamais posée de questions à ce sujet puisqu'elle n'avait jamais eu de relation qu'elle voulait faire durer. C'était pourquoi elle avait voulu me quitter ce soir. Parce qu'en faisant durer notre relation, elle allait, selon elle, me faire souffrir. Conneries. C'était sans elle que je souffrirais, et c'était avec elle que je pouvais atteindre ce bonheur dont elle m'avait parlé. Être heureux, comme elle le souhaitait. Le seul fait de l'entendre me dire qu'elle s'en allait, la voir faire sa valise, la regarder partir avait été insupportable. La rayer de ma vie en un claquement de doigts comme elle me l'avait demandé m'était impossible.

Emmy voulait s'en aller avant que je ne tombe amoureux d'elle, avant que ce ne soit trop tard, mais elle ne s'était pas rendue compte que je l'aimais déjà depuis des mois et que j'aurais été capable de tout et n'importe quoi pour elle. La faire souffrir n'était pas au programme lorsque je m'étais rendu compte qu'elle me rendrait dingue, mais c'était devenu plus qu'une nécessité. Elle devait comprendre certaines choses primordiales et elle se relèvera de cette épreuve. Doucement, lentement, difficilement, mais elle y parviendra, je le savais. Elle était forte, et je resterai à ses côtés pour l'aider. Si toutefois, je n'avais pas fait naitre de la haine envers moi pour avoir ouvert à nouveau cette blessure qu'elle tentait de dissimuler.

Ce soir, mon « Je t'aime » était sorti inconsciemment, mais je ne le regrettais pas. C'était grâce à ces trois mots que j'avais pu lui faire comprendre que peu importe ses problèmes, je resterai auprès d'elle. Ça ne pouvait pas en être autrement. Je l'aimais bien trop pour la laisser s'en aller, alors je l'ai retenue de la pire manière qui puisse exister, lui balançant la mort de sa sœur, achevant ainsi son petit coeur déjà fissuré.

Ça avait été tellement difficile de lui annoncer que sa sœur ne reviendrait pas comme je l'avais fait, mais j'y étais obligé. Elle avait trop longtemps nié l'évidence. Tout comme sa stérilité, qui m'avait fait l'effet d'une claque dans la gueule. Apprendre du jour au lendemain que la femme que j'aimais ne porterait jamais mon enfant avait été un choc. J'avais beau n'avoir que dix-neuf ans, ça me faisait mal. D'autant plus lorsque je savais qu'Emmy en souffrirait toute sa vie.

J'avais lâchement profité de son moment de faiblesse durant notre discussion pour rajouter le poids supplémentaire de la disparition de Jena à son coeur meurtri. Mais selon moi, c'était le seul moyen pour qu'elle comprenne enfin que sa sœur ne reviendrait jamais. Et elle avait réagit. Très brutalement. Trop brutalement.

Cinq années passées à refuser le décès de Jena, dont les trois dernières à renier sa stérilité lui étaient revenues en pleine figure à cause de moi. Tout cela en une soirée. Je n'aurais peut-être pas dû, c'était beaucoup trop d'un seul coup, mais maintenant, c'était trop tard.

Le mur s'était effondré cette nuit. Tout ce rempart qu'elle avait érigé et renforcé pendant plus de cinq ans autour de son organe vital s'était effondré. J'avais d'abord frappé dessus en lui avouant mes sentiments, puis les fissures étaient apparues quand ma main n'avait fait qu'effleurer son ventre et enfin, j'avais continué de frapper jusqu'à ce que chaque pierre tombe, une par une, en lui rappelant une fois, deux fois, trois fois, dix fois, que Jena n'était plus là. J'avais l'impression que mon coeur s'était enfui quand le sien s'était brisé alors que je savais pertinemment que ma douleur n'était rien du tout comparée à la sienne. Tout était de ma faute. Je l'avais brisée.

Elle était alors tombée à genoux et avait pleuré, encore et encore, sanglotant et tremblant de tous ses membres. Elle n'avait plus aucune force pour tenir debout, ou même assise, alors je l'avais serrée dans mes bras, la berçant doucement, laissant ses larmes couler. Cinq années de larmes avaient été versées cette nuit et mon Ange avait fini par s'endormir d'épuisement.

J'ignorais combien de temps je l'avais laissée dormir dans mes bras, assise à même le sol. J'avais peur de la réveiller si je bougeais. Mais je me décidai tout de même au bout d'un long moment à la porter pour l'allonger dans le lit. Mes gestes ne la réveillèrent même pas et elle se recroquevilla sur elle-même lorsque je la couvris après l'avoir débarrassée de son pantalon.

Je restai assis sur le rebord du lit pendant de longues minutes, l'observant attentivement comme pour m'assurer qu'elle était bel et bien endormie et qu'elle n'allait pas se remettre à pleurer la seconde suivante. Je déposai alors un baiser sur son front.

- Je t'aime. Pardonne-moi mon Ange... murmurai-je en quittant la pièce, éteignant la lumière au passage et laissant la porte ouverte.

J'entrai dans la salle de bain et mon reflet dans le miroir me fit sursauter. Un hématome bleu-violacé décorait ma pommette, ma lèvre était ouverte, des cernes étaient visibles sous mes yeux qui eux, étaient injectés de sang et me brûlaient. Je m'aspergeai le visage avec de l'eau froide après avoir retiré mes lunettes et ce fut à cet instant que je vis l'état de mes mains. Les phalanges de ma main droite étaient bien écorchées et celles de la gauche avaient viré au bleu, mais je ne regrettais pas. Ce connard l'avait mérité. D'ailleurs, je recommencerais bien pour pouvoir me défouler encore un bon coup.

En sortant de la salle de bain, j'allai dans la cuisine pour me servir une grande tasse de café. J'en avais besoin pour pouvoir rester éveillé. Je ne devais pas dormir, et de toute façon, je ne pense pas que j'y parviendrais. Je voulais m'assurer qu'Emmy allait bien. Ou plutôt : je voulais pouvoir être auprès d'elle quand elle se réveillera. Parce que non, elle n'allait pas bien. Elle ne pouvait pas aller bien. Pas après ce que j'avais fait. Pas après ce qu'elle venait de comprendre.

Quand je vins à bout de deux tasses de café, je me levai pour aller chercher mon téléphone dans la chambre. Emmy n'avait pas bougé. Je retournai dans le salon, cherchant rapidement un contact et portai l'appareil à mon oreille. Les sonneries retentirent inlassablement et je tombai sur la boite vocale. Je regardai alors l'heure ; il était presque six heure du matin. Je ne savais pas du tout quelle heure il était là-bas, mais il fallait que je lui parle, j'étais perdu, alors je rappelai aussitôt.

Je faisais les cent pas dans le salon en me passant sans arrêt la main dans les cheveux, plus stressé que jamais.

- Chris ? résonna la voix de mon interlocuteur.

Je percevais sa surprise et son inquiétude.

- Chris, tout va bien ?

- Non, je...

Ma gorge se serra. Je n'arrivais pas à parler.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? s'affola-t-il.

- C'est de ma faute, murmurai-je plus pour moi que pour lui répondre.

- Chris, je ne comprends pas. Emmy va bien ?

Comment lui avouer ? Je m'en arrachais littéralement les cheveux.

- Chris ! Est-ce que ma fille va bien ? répéta-t-il en haussant le ton.

- Non. Non je... Je suis désolé.

Les larmes coulaient désormais sans retenue sur mes joues.

- Je suis tellement désolé.

Le silence se fit de son côté pendant quelques secondes et il semblait comprendre ce que j'étais en train de lui dire. Il me demanda d'une voix posée :

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

A cette question, je m'effondrai au sol en pleurant, adossé au mur près de la porte d'entrée et je racontai tout au père d'Emmy. Dans les détails. J'avais besoin de parler à quelqu'un et il était le seul avec qui je pouvais le faire. J'espérais simplement qu'Emmy me pardonnerait.

A peine mon monologue terminé, son père s'empressa de me rassurer, me disant et répétant que c'était pour son bien, que ce moment était nécessaire pour elle et que j'avais bien fait, puis il me remercia. Il me remercia parce que j'avais ouvert les yeux de sa fille même si je savais que lui aussi en souffrait en ce moment. J'entendais à sa voix qu'il n'était pas bien et qu'il avait mal même s'il essayait de le dissimuler. De mon côté, je ne cachais rien et sanglotais sans arrêt, mais il n'en fit aucune remarque.

Parler avec lui me fit beaucoup de bien, bien plus que je ne le pensais, mais il dû raccrocher après plus d'une heure et demie de conversation. Je lui promis alors de le tenir au courant d'un quelconque changement avant de lui dire au revoir.

La pièce était désormais replongée dans un silence des plus pesant et je commençai à angoisser. Comment réagira Emmy quand elle se réveillera ? Est-ce qu'elle fera à nouveau comme si tout allait bien ? Ou alors passera-t-elle ses journées à pleurer ? Me détestera-t-elle de l'avoir fait souffrir ? Ces questions, toutes sans réponses allaient me torturer jusqu'à son réveil, et pendant les jours à venir, je le savais.

***

Emmy n'était pas sortie du lit de la journée. Ni pour aller travailler, ni pour bosser ses cours, ni pour boire ou manger. Elle n'avait fait que dormir et pleurer toute la journée, ne m'adressant ni un mot, ni un regard. Je ne savais pas si elle m'en voulait jusqu'à ce que dans l'après-midi, je m'allonge près d'elle. À cet instant, elle n'avait pas hésité une seule seconde pour venir se blottir contre moi, humidifiant mon tee-shirt de ses larmes pendant de très longues minutes, avant de se rendormir.

Le jour suivant, le lundi, elle n'était pas allée en cours, et moi non plus. Je voulais rester auprès d'elle. Dans l'après-midi, elle avait accepté de se lever pour manger un peu mais était allée se recoucher après. Son père m'avait téléphoné dans la journée pour savoir comment elle allait et on avait discuté quelques temps. Il m'avait assuré qu'elle finirait par aller mieux, même si elle mettrait toutefois plus de temps pour aller bien.

Le lendemain ainsi que le surlendemain étaient semblables à ce lundi, mais pas le jour suivant.

En ce moment, elle était en train de dormir dans la chambre alors que mon frère venait d'arriver. Lui aussi s'inquiétait pour elle et me demandait chaque jour de ses nouvelles.

- Elle va mieux ? me demanda-t-il une fois dans la cuisine, une tasse de café devant nous.

Je haussai les épaules.

- Je n'en sais rien. Elle a fait un cauchemar cette nuit, elle n'a pratiquement rien mangé hier et elle ne parle toujours pas.

- Elle est encore sous le choc. Laisse lui du temps.

- C'est ce que je fais, mais ça me fait peur.

Je retirai mes lunettes et me frottai les yeux. Ils me faisaient de plus en plus mal ces derniers jours.

- Tu as pris rendez-vous chez ton médecin pour tes yeux ?

Je secouai négativement la tête. Si je prenais rendez-vous, ça voudrait dire laisser Emmy seule pendant quelques heures, et je ne voulais pas. Tant qu'elle ne sortirait pas de sa léthargie, je ne la laisserai pas seule. Ça prendra le temps qu'il faudra, mais je m'en fichais. Andrew le devina facilement puisqu'il n'insista pas.

- Tu crois que j'ai fait une connerie ? lui demandai-je.

- Je te l'ai déjà dit : pour moi, tu as bien fait. Même si je ne sais pas ce qu'est cette deuxième chose qu'elle ne voulait pas admettre, je pense que tu as eu raison. Si elle aurait réalisé tout cela quelques années plus tard, ça aurait été pire.

Il était du même avis que moi même si toutefois, il ne savait rien de Jena. Pour ce qui était de la stérilité d'Emmy, il était au courant puisque le jour où il m'avait annoncé que sa copine était enceinte, j'avais bêtement pensé qu'Emmy l'était aussi. Sauf qu'en parlant avec elle le soir même, j'avais compris qu'elle ne l'était pas, mais qu'elle m'avait tout de même menti sur sa contraception. J'avais ensuite quitté l'appartement pour aller chez mon frère et parler avec lui de tout cela. J'avais émis l'hypothèse, sans vraiment y penser, que peut-être elle n'avait pas besoin de contraception, puis en réfléchissant, je m'étais dit que j'étais dans le vrai. Malheureusement. De plus, quand j'étais à Los Angeles, le père d'Emmy m'avait dit que sa fille était dans le déni pour autre chose que sa sœur et que je devais « essayer de comprendre ». Il savait à quel point je l'aimais et devait donc se douter que ce serait difficile pour moi d'apprendre ça. Je l'avais donc appelé ce soir-là, chez mon frère. Je voulais l'entendre me dire que je me trompais mais il ne l'avait pas fait et j'avais sentis quelque chose se briser en moi à cet instant.

J'avais donc discuté avec mon frère pendant une grande partie de la nuit, mais seulement de ce que je venais d'apprendre. Pour ce qui était de Jena, c'était autre chose. Andrew était mon frère et je lui confiais beaucoup de chose, mais lui parler d'elle serait trahir Emmy. S'il devait être au courant un jour, ce sera parce qu'Emmy lui aura dit. Il l'avait très bien compris.

- Lena va bien ? le questionnai-je pour changer de sujet.

- Ouais.

- C'est tout ?

Il soupira et attrapa sa tasse pour boire une gorgée de café.

- Elle a rendez-vous pour une échographie tout à l'heure.

Voilà pourquoi il avait simplement répondu un petit « ouais » à ma question. Il ne voulait pas s'étendre sur le sujet pour éviter de me blesser. Sa copine était enceinte et je venais d'apprendre en même temps que la femme que j'aimais ne le serait jamais. Ça me faisait mal, mais d'un côté, j'étais sincèrement heureux pour lui. Je ne comprenais que maintenant pourquoi Emmy avait répondu que c'était génial que Lena soit enceinte. Même si je n'avais pas l'âge, selon moi, pour être père, j'aurais préféré qu'Emmy m'annonce attendre un enfant de moi plutôt que de deviner par moi-même que ça n'arriverait jamais.

- Tu vas avec elle ?

- Évidemment, rétorqua-t-il en souriant.

J'avais l'impression que ce qu'il nous arrivait à Emmy et moi, avait changé quelque chose chez mon frère. Il avait pris conscience de certaines choses, dont la plus importante :

- Je crois que tu aimes Lena, fis-je pensivement.

- Je crois aussi, rit-il.

- Tu t'en es rendu compte alors ? le taquinai-je.

- Elle m'a dit qu'elle m'aimait et c'est là que j'ai compris, répondit-il sérieusement. Mais je ne lui ai pas encore répondu.

- Dis-lui.

Il releva les yeux vers moi et saisit parfaitement pourquoi je lui disais cela. Lena espérait comme moi entendre un « je t'aime » en retour. Je n'en voulais pas à Emmy, bien entendu, mais j'espérais qu'elle me le dirait bientôt.

- Je le ferai.

Au moment où il prononça sa phrase, Emmy apparu dans l'encadrement de la porte. Habituellement, c'était moi qui devait la forcer à se lever alors je fus un peu étonné. Elle n'était vêtue que d'un de mes sweats qui lui arrivait juste en dessous des fesses, laissant visibles ses tatouages et ses jambes nues. Ses mains étaient cachées dans les manches du pull, dont une était ramenée à sa bouche. Ses cheveux relevés en chignon informe tenaient au dessus de sa tête et ses yeux brun étaient accrochés aux miens. Elle ressemblait à une enfant perdue, et c'était un peu ça finalement. Emmy était en quelques sortes revenue cinq ans en arrière, à l'âge de ses quatorze ans. Au moment où sa sœur était partie. Et je ne savais pas comment réagir.

Elle semblait attendre la permission d'entrer dans la pièce ou non, étant donné que je n'étais pas seul. En d'autres circonstances, je lui aurais demandé d'aller s'habiller, mais visiblement, elle ne s'attendait pas à voir Andrew ici. Après quelques secondes, elle avança lentement jusqu'à moi et je reculai ma chaise pour qu'elle puisse s'asseoir sur mes genoux. Sans hésitation, elle s'y installa et entoura mon cou de ses bras en y calant son visage. Je déposai un baiser sur son front et encerclai sa taille pour la serrer contre moi. Ça faisait tellement du bien de la voir ailleurs que dans le lit.

Quand je relevai la tête pour voir mon frère, celui-ci souriait. Il termina rapidement son café et se leva.

- Je vais y aller.

- Tu n'es pas obligé de partir, dit Emmy d'une voix un peu cassée.

C'était la première fois que j'entendais sa voix depuis samedi soir, et ça faisait un bien fou. Parce qu'elle me manquait même si je passais mes journées près d'elle, mais plus encore parce que ça voulait dire qu'elle commençait déjà à aller un peu mieux. Un tout petit peu.

- Ce n'est pas contre toi, lui sourit mon frère. Je dois y aller.

Emmy hocha la tête et Andrew déposa sa tasse dans l'évier. Quand il s'apprêta à franchir la porte, Emmy l'interpella.

- Oui ? s'enquit-il en se retournant.

Elle lui sourit faiblement, même si une lueur de tristesse était présente dans ses jolis yeux.

- Félicitations.

Mon frère répondit sincèrement à son sourire et la remercia avant de sortir, puis elle se blottit à nouveau contre moi, restant silencieuse un long moment. Je n'osais pas ouvrir la bouche de peur de la brusquer. Je caressais distraitement sa cuisse nue tout en sentant son souffle chaud dans mon cou. Une part de mon inquiétude s'était envolée.

- Tu veux toujours de moi ? demanda-t-elle timidement.

Je ne pus retenir mon sourire.

- Toujours, mon Ange.

Elle se redressa pour me regarder et attendre une confirmation de ma part.

- Même si je t'ai menti ? Que je t'ai caché des choses importantes ? Et que je t'ai fait du mal ?

- Je t'aime Emmy. Bien sûr que je veux toujours de toi, malgré tout ça.

Je portai ma main à sa joue pour la caresser doucement lorsque ses yeux se remplirent de larmes.

- Même si je suis brisée et qu'il manque une partie de moi ?

Une perle d'eau glissa sur sa joue et je la capturai en déposant un baiser dessus.

- Laisse moi être là pour toi, pour t'aider à aller mieux.

- Ça me fait mal Chris... souffla-t-elle en laissant retomber sa tête sur mon épaule.

- Je sais. Et tout ça c'est à cause de moi, je suis tellement désolé si tu savais.

Elle ne répondit pas, et ça m'arrangeait. Je n'avais pas envie de l'entendre me dire que oui, c'était de faute, qu'elle m'en voulait ou quoique ce soit d'autre. Je culpabilisais déjà bien assez.

Après de longues minutes de silence, elle se redressa et essuya ses joues avec les manches de son pull.

- Je vais prendre une douche, me prévint-elle avant de m'embrasser sur la joue.

Mais je n'étais pas de cet avis et ne la laissai pas se lever. Elle fronça les sourcils en me regardant puis compris et colla délicatement ses lèvres aux miennes. Quatre jours que je ne l'avais pas embrassée et c'était dingue de se rendre compte du manque que je ressentais. Elle m'était indispensable et ses lèvres m'étaient vitales. Quatre jours que je ne respirais plus, et elle venait de réapprovisionner mes poumons en air avec un seul petit baiser. J'espérais sincèrement que ce baiser était le signe qu'elle était revenue sur ses mots. Sur le fait qu'elle me quittait. Ça ne pouvait pas en être autrement, je ne le supporterai pas.

- Appelle moi s'il y a un problème, la prévins-je alors qu'elle sortait de la cuisine.

Elle hocha la tête et disparut dans le couloir.

Le fait qu'elle parte s'enfermer seule dans une pièce m'inquiétait. La veille je l'avais retrouvée assise sur le sol de la salle de bain, en train de sangloter, alors j'avais toutes les raisons de me faire du soucis.

En entendant l'eau couler, je commençai à cuisiner pour nous deux. En espérant toutefois qu'elle accepterait de manger aujourd'hui.

Près d'une demie heure plus tard, Emmy n'était toujours pas sortie. Je laissai la cuisine en plan et allai frapper à la porte.

- Ça va ?

Pas de réponse et aucun bruit. Je commençais à m'inquiéter.

- Emmy ?

- Oui tout va bien. J'arrive dans quelques minutes.

J'expirai l'air contenu dans mes poumons, soulagé. Elle n'aurait pas pu répondre immédiatement, non ?

- D'accord.

Je retournai dans la cuisine en me disant que si elle n'avait pas été aussi déprimée ces derniers jours, je lui aurais hurlé dessus pour m'avoir fichu une telle frousse.

Quelques minutes plus tard, Emmy me rejoignit. Je sentis sa présence avant même qu'elle ne parle, comme toujours.

- Toi, tu fais à manger ? plaisanta-t-elle timidement.

- J'essaie ! On verra ce que ça donne. Tu as faim ? lui demandai-je en me tournant vers elle.

Mon sweat avait été remplacé par un de mes tee-shirt noir et Emmy avait enfilé ce pantalon noir que j'aimais tant. Comment faisait-elle pour être aussi sexy sans même chercher à l'être ?

Pour toute réponse, elle haussa nonchalamment les épaules et s'approcha de moi, ses yeux rivés aux miens se plissèrent d'inquiétude.

- Tu as mal aux yeux ?

- Un peu, fis-je honnêtement.

- Ils sont plus rouges que d'habitude, remarqua-t-elle.

- Ça passera, ne t'inquiète pas.

Je m'écartai un peu d'elle et ouvris le placard pour prendre le sel.

- Tu as pris un rendez-vous avec le médecin ?

- Non.

- Fais-le, ce n'est pas normal que ce soit si rouge.

Cette discussion m'aurait exaspéré en temps normal, mais là, c'était différent. Ça montrait qu'Emmy tentait de remonter la pente après ces quelques jours d'absence, alors j'appréciais grandement ses efforts.

- Je téléphone demain, concédai-je. Tu m'accompagneras ?

Elle hocha la tête en souriant doucement puis posa sa main sur ma joue, caressant de son pouce ma lèvre inférieure.

- Tu as encore mal ? demanda-t-elle en faisant référence à ma blessure de ce week-end.

- Non.

- Et tes mains ?

Elle baissa les yeux sur mes mains et je les lui montrai. C'était encore un peu bleu et écorché, mais ça ne me faisait pas trop mal. Emmy les caressa doucement et leva les yeux vers moi, attendant ma réponse.

- Ça va, lui assurai-je.

Je déposai un baiser sur son front puis elle se recula et commença à mettre la table. Une fois le repas prêt - qui était loin d'être aussi excellent que les plats d'Emmy, mais qui restait tout de même bon - on dîna tous les deux, en silence. Le silence m'oppressait ces derniers jours, mais celui-là ne me dérangeait pas. Emmy était dans la même pièce que moi, me regardait, et mangeait. Pas beaucoup, mais elle mangeait. C'était déjà ça.

On s'installa ensuite sur le canapé, le Boléro de Ravel en fond sonore, sa tête reposait sur mes cuisses et je pouvais caresser ses cheveux encore humides, mon autre main ayant les doigts emmêlés aux siens.

- Comment tu as su ? voulut-elle savoir après un long moment sans un mot.

Je soupirai doucement et entrepris donc de lui expliquer.

- Je l'ai deviné. En quelques sortes.

- Comment ça ?

Je posai nos mains liées sur son ventre sur lequel était dissimulé sous de l'encre noire, une longue cicatrice. Je n'avais pas parlé de ce détail avec Andrew, le jugeant bien trop personnel.

- Je n'avais jamais fait attention, mais il y a quelques semaines, j'ai vu ce que cachait ton tatouage. Ta cicatrice. Je ne t'ai pas posé de questions parce que je préférais attendre que tu m'en parles toi-même, comme tu l'avais déjà fait quelques fois.

- Et seulement grâce à ça, tu as su ? s'étonna-t-elle.

Je secouai négativement la tête.

- Tu ne sais pas mentir, mon Ange...

- Oh.

Elle ne paraissait même pas surprise du fait que j'avais compris qu'elle avait menti.

- Ouais.

- Je suis désolée d'avoir menti, s'excusa-t-elle en s'asseyant pour être à ma hauteur. Je déteste ça et je ne le fais jamais mais j'ai eu peur Chris. Je comptais partir alors je ne voulais pas que tu saches. J'avais peur de ta réac...

- Tu comptais partir ? la coupai-je, perdu.

Elle hocha doucement la tête et baissa les yeux.

- Mais ce n'est que le lendemain que tu as voulu...

Me quitter.

- ...t'en aller, dis-je à la place.

- Même sans le problème avec Tristan, je voulais partir. Pour ne pas t'infliger mes problèmes. Mais je n'y arrivais pas, et je repoussais le moment à chaque fois.

Je ne souhaitais pas revenir sur cet idiot, ni sur son problème de confiance en elle et en moi, alors je décidai d'opter pour autre chose, tout en craignant un peu sa réponse.

Je passai ma main sous son menton pour lui faire relever la tête.

- Tu veux toujours partir ?

Elle se mordit la lèvre inférieure et répondit timidement.

- Tu m'as dit que tu voulais toujours de moi, alors je voudrais bien rester un peu plus longtemps si tu es d'accord.

Son air innocent me fit rire malgré moi, et je réussi ainsi à lui arracher un sourire amusé.

- Bien sûr que je suis d'accord. Je te veux toi, et pas seulement pour un peu plus longtemps.

Elle soupira comme si elle était soulagée d'un énorme poids. Il faudra régler ce problème de confiance en elle d'une façon ou d'une autre et très bientôt. Mais pour ce soir, Emmy exigea la suite de mon explication. Moi qui pensait qu'elle aurait oublié...

Je redoutais un peu sa réaction, puisque je l'avais un peu trahie, mais je lui devais la vérité. Maintenant qu'elle me parlait, je n'allais pas me taire.

- Comme je t'ai dit, après cette dispute je suis allé chez mon frère. Je suis désolé Emmy, vraiment, mais j'ai parlé de ça avec lui. Je lui ai expliqué que je savais que tu avais menti, mais que j'étais sûr que tu n'étais pas enceinte et on a parlé. Du coup, on a émis l'hypothèse que... Que...

- Et l'hypothèse était vraie, comprit-elle.

Je hochai la tête.

- Mon Ange, je suis désolé, m'excusai-je à nouveau et prenant ses mains.

Puis je me lançai dans l'explication de la conversation que j'avais eu avec son père, à Los Angeles. À propos de ce secret dont je n'étais, à ce moment-là, pas au courant, mais que je venais d'apprendre. Elle ne semblait pas très bien le prendre, et je pouvais comprendre. Cependant, je ne m'arrêtai pas là. Autant continuer sur ma lancée et tout déballer d'un seul coup.

- J'ai téléphoné à ton père.

- Quand ?

- Vendredi soir. Chez Andrew.

Elle retira ses mains des miennes.

- Pour lui demander confirmation ?

Elle semblait blessée de mon acte, mais qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Sur le moment, ça m'avait parut être la seule solution, mais maintenant, je doutais réellement.

- Oui je... Je te demande pardon.

- Tu comptais m'en parler quand ?

- Je l'aurais fait ce week-end s'il n'y avait pas eu... ce qu'il s'est passé. Je l'aurais fait, je te le promet.

- Et mon père t'a tout raconté alors ?

- Je l'ai appelé pour lui demander si ce que j'imaginais était vrai, commençai-je à expliquer. Il a alors voulu savoir comment j'étais au courant, et je lui ai dit que je l'avais compris, sans m'étendre là-dessus. Il n'a fait que confirmer et me dire que ça faisait trois ans que tu le savais.

Emmy baissa la tête, interdite. Peut-être ne savait-elle pas comment réagir, j'ignorais ce qu'il se passait dans sa tête ces derniers temps. J'aimerais tellement le savoir pour pouvoir agir comme il le fallait.

- Tes parents s'inquiètent vraiment pour toi, Emmy. Ils t'aiment et...

- Tu leur as dit ? m'interrompit-elle en relevant ses yeux humides vers moi.

Je n'osais pas répondre. J'avais l'impression que tout ce que j'avais fait pour elle ces derniers jours n'était pas bon. Que je n'avais pris que les mauvaises décisions. J'avais fait ce que je pensais être juste et bon pour elle, mais ses réactions aujourd'hui me faisaient comprendre l'inverse.

- Tu les as appelé depuis ce qu'il s'est passé samedi soir ? s'étrangla-t-elle en sanglotant.

- Em...

- Réponds, souffla-t-elle désespérée.

On se fixa quelques secondes interminables avant que je n'acquiesce doucement.

- Je ne savais pas quoi faire Emmy, me justifiai-je en attrapant sa main pour ne pas qu'elle s'échappe. Vendredi soir quand j'ai dit à ton père que je te parlerais de tout ça, il m'a demandé de le rappeler. Je ne pouvais pas mentir à ton père, déjà parce que je n'en avais pas le droit vis-à-vis de lui, mais aussi parce que je n'y arrivais pas. Rien que le fait se repenser à ce week-end, ça me déchire le coeur Emmy, alors je ne pouvais simplement lui dire que tu allais bien...

Me remémorer cette discussion était horrible et ma vue commençait à se brouiller, mais je devais finir. Je devais tout lui dire, pour qu'elle me croit et qu'elle me fasse confiance.

Je pris une inspiration en serrant davantage sa main dans la mienne et continuai :

- J'ai craqué aussi, Emmy. Je ne pouvais pas lui dire que tu allais bien alors que j'étais en train de pleurer au téléphone. Je suis sincèrement désolé, mais comprends moi aussi. Je ne savais pas quoi faire, je ne pouvais en parler à personne et je... Je sais que ça t'a fait mal de prendre conscience de tout cela, et que ça te fait toujours souffrir, mais pour moi aussi ça a été difficile. Je t'ai dit toutes ces choses horribles dans le seul but de te faire craquer et je m'en veux à un point que tu ne peux pas t'imaginer. Mais je devais le faire Emmy. Tu ne pouvais rester dans l'ignorance. Ça me tue de te voir comme ça, mais je devais le faire. Je t'aiderai, mon Ange. Je ferai tout pour toi, pour que tu ailles mieux. Et tu finiras par aller mieux, je te le promet. Mais s'il te plait pardonne moi. J'étais perdu, je ne savais pas quoi faire et...

- Tais toi, me coupa-t-elle d'une voix douce. Tais-toi s'il te plait.

Puis elle se jeta dans mes bras me serrant contre elle et je la portai pour qu'elle s'installe sur mes genoux.

- J'ai compris Chris, murmura-t-elle. Je suis tellement égoïste que je ne prends même pas en compte le fait que tu souffres aussi, alors je suis désolée. Je suis vraiment désolée. C'est pour ça que j'ai voulu partir, pour t'éviter tout ça et...

- Si je me tais, alors toi aussi, l'arrêtai-je avant qu'elle ne me ressorte des phrases qu'elle a déjà prononcé. S'il te plait.

Elle hocha doucement la tête.

On resta ainsi, dans les bras l'un de l'autre pendant de longues minutes, sans parler, ni bouger, et c'était agréable, malgré la discussion qui avait précédé ce moment de tendresse.

Cette semaine avait été douloureuse, mais c'était un mal nécessaire pour elle.

- On peut aller se coucher ? demanda-t-elle timidement.

Elle se recula un peu pour me regarder et je hochai la tête. Tant qu'elle était avec moi, je pouvais aller n'importe où.

On se leva et je lui pris la main pour aller jusqu'à ma chambre. J'avais besoin de ce contact constant pour m'assurer qu'elle était toujours là.

Je me déshabillai et retirai mes lunettes avant de me coucher dans le lit et elle me suivit.

Au lieu de venir poser sa tête sur mon torse ou de se mettre dos à moi pour que je la serre dans mes bras comme elle en avait l'habitude, elle s'allongea sur le côté et me regarda, alors je fis de même. Elle porta sa main à ma joue et me caressa en faisant de petits cercles avec son pouce. La lampe de chevet était toujours allumée alors je pouvais la regarder. Voir ses yeux bruns me fixer. Elle était tellement belle.

- Pardonne-moi pour ce que je t'ai dit ce soir-là, murmura-t-elle. Et pardonne-moi de t'avoir fait du mal volontairement. Je suis vraiment désolée. J'avais peur et j'étais perdue. Je n'avais jamais ressenti tout ça, et je ne comprenais pas ce qu'il se passait. C'est la seule solution que j'ai trouvé. Fuir et fermer les yeux sur ce que je ressentais pour toi. Je te demande pardon, Chris.

- C'est oublié, d'accord ? dis-je immédiatement pour qu'elle cesse de se tourmenter inutilement.

Elle hocha doucement la tête et me sourit timidement.

- Ça sera difficile nous deux, Chris.

- Je sais. Mais c'est toi que je veux et personne d'autre, affirmai-je avec conviction. Je serai toujours auprès de toi mon Ange. Toujours. Si c'est ce que tu veux.

- C'est ce que je veux.

Mon coeur accéléra la cadence à ces mots alors que ses doigts se crispèrent légèrement sur ma nuque.

Dis-le mon Ange. Je t'en supplie, dis-le. J'en ai tellement besoin.

Et ce fut à cet instant que je compris qu'Emmy était bel et bien un ange. Mon Ange. Parce qu'elle exhaussa mon vœu le plus cher.

- Je t'aime Chris.

Ce n'était pourtant que trois petits mots, mais ça me faisait un effet de dingue que je ne saurais décrire. J'avais envie de rire, de pleurer, de sauter de joie, de hurler au monde entier ce qu'elle venait de me dire, mais me contentai de la supplier :

- Redis-le s'il te plait.

Un sourire éblouissant étira ses lèvres, quand elle répéta :

- Je t'aime, murmura-t-elle une seconde fois avant de venir dans mes bras.

Je basculai sur le dos, elle allongée sur moi. J'étais au paradis. Tout simplement. Rien n'était mieux que cet instant. La femme que j'aimais m'aimait en retour et j'étais fou d'elle.

Sans que je ne le lui redemande, elle me répéta encore une fois ces quelques mots. Que demander de mieux ?

Un baiser de sa part vint parfaire ce moment magique. Je pouvais enfin dire que c'était un baiser rempli d'amour des deux côtés, et c'était parfait.

Mes doigts s'enfonçaient dans la chaire de ses hanches et j'avais envie d'elle. J'avais envie de lui faire l'amour et de lui murmurer un « Je t'aime » en admirant ses yeux plein d'amour et de désir, mais je savais que ce n'était pas le moment. Elle était encore beaucoup trop chamboulée de ce week-end.

Quand elle décolla ses lèvres des miennes, nos yeux se croisèrent et je vis que quelque chose s'était allumé dans son regard. Comment était-ce possible d'aimer autant quelqu'un ?

Un sourire sublime se dessina sur son visage et je déposai un léger baiser sur ses lèvres avant qu'elle ne s'allonge à mes côtés, venant poser sa tête sur mon torse. Son bras gauche reposait sur mon ventre et je fis glisser mes doigts sur chaque petit oiseau qui s'envolait. Ce tatouage était magique, et il était pour moi, en quelques sortes, puisque ces oiseaux étaient présents dans son coeur grâce à moi. Alors je ferai en sorte que jamais ils ne disparaissent.

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