Chapitre 42 : Emmy.
« Dès qu'on tombe amoureux, on devient des menteurs. » - Harlan Ellison
*****
Chaque individu sur Terre mentait. Parfois plusieurs fois par jour, et même à plusieurs personnes différentes. Moi, je ne mentais jamais. Mon dernier mensonge remontait à mes sept ans, quand Maman m'avait demandé si c'était moi qui avait terminé la tablette de chocolat juste avant de passer à table. J'avais secoué négativement la tête et elle m'avait sourit en me disant que le repas était prêt. Sauf que je n'avais pas faim à cause de tout ce que je venais de manger. J'avais donc fini en pleurs en avouant mon mensonge. Depuis, je n'arrivais plus à mentir.
Jusqu'à hier.
- Tout va bien, murmurai-je à mon reflet. Ce n'était qu'un mensonge.
Face au miroir, je gardais les yeux rivés sur mon nombril, la main posée sur le tatouage de mon ventre plat.
- Tout va bien, répétai-je pour me convaincre.
Je hochai la tête, seule dans la salle de bain et terminai de m'habiller. Je relevai mes cheveux en queue de cheval haute et me maquillai légèrement pour rester tout de même présentable.
Quand je passai par le salon pour aller dans la cuisine, je saluai Anthony qui me répondit un vague « Salut », trop absorbé par le jeu vidéo face à lui. Chris ne me jeta pas non plus un regard. Je l'avais volontairement blessé hier soir, et j'en étais consciente, mais je ne pouvais pas faire autrement. On n'avait pas reparlé depuis. Ni regard, ni contact physique ou visuel. Il était sortit de l'appartement au moment où j'étais entrée dans la cuisine après notre discussion. J'avais préparé un repas qu'il n'avait pas mangé, j'étais allée me coucher sans lui, et il s'était réveillé sans moi. J'étais partie à la salle de sport avec Julia en me levant, puis j'étais restée avec elle le midi et pendant le début d'après-midi. Toutefois, j'avais dû rentrer pour me préparer pour aller travailler, puisque toutes mes affaires étaient là.
Je bus rapidement mon thé que je venais de faire et posai la tasse dans l'évier. Alors que j'allais me retourner, les mains de Chris sur mes hanches m'en empêchèrent. Je fermai les yeux sous ce simple contact alors que ses mains continuèrent leur chemin sur mon ventre pour me serrer contre lui.
Quand je me rendis compte à quel point il m'avait manqué après seulement vingt-quatre heure, je compris. Je compris que j'étais bel et bien tombée amoureuse de lui. Mon cœur s'affolait au moindre contact et mon corps se plaignaient lorsqu'il n'était pas là. J'avais peur.
J'étais amoureuse de Chris. Mais ça, ce n'était pas le pire dans cette histoire.
- Je ne t'accusais pas de quoique ce soit, commença-t-il en parlant près de mon oreille. J'ai juste eu peur.
- De quoi au juste ? Que je te cache quelque chose d'aussi important qu'une... que ça ?
Il me retourna doucement face à lui et je rouvris les yeux pour croiser les siens.
- Je sais que tu n'en serais pas capable, mais j'ai un peu perdu la tête. Et puis j'avais peur que tu sois enceinte aussi.
- Je comprends, fis-je en fixant le mur à ma gauche.
Il attrapa mon menton entre ses doigts pour que je le regarde.
- Je ne dis pas que je ne veux pas que tu le sois, se reprit-il en souriant faiblement. C'est juste un peu trop tôt. Je te demande pardon Emmy. J'ai paniqué, c'est tout.
Je hochai la tête doucement et le laissai me prendre dans ses bras, sans pour autant participer à cette étreinte.
- Je suis désolée, murmurai-je contre son cou.
Il déposa un baiser sous mon oreille et je me détachai de lui avant de défaillir complètement.
- Je dois y aller.
- Je viens te chercher ce soir.
- Tu n'es pas obligé Chris. Je suis grande, je...
- C'était pas une question, sourit-il.
Comme je savais qu'il n'allait pas flancher, je lui fis un léger sourire et m'approchai de lui pour l'embrasser sur la joue. Ses mains s'agrippèrent à mes hanches et ses lèvres trouvèrent les miennes au moment où je décollai ma bouche de sa joue. Je répondis timidement à son baiser passionné mais il fut vite interrompu par un bruit présent dans la pièce. On se retourna tous les deux en même temps vers Anthony qui sortait tranquillement une bière du réfrigérateur. Il nous regarda en souriant et referma la porte.
- Ne vous dérangez pas pour moi, j'avais seulement soif.
Puis il sortit de la pièce. Comme si rien ne s'était passé.
Chris secoua la tête de droite à gauche face à l'interruption de son ami, et m'embrassa rapidement une dernière fois. On retourna alors au salon où je mis mes chaussures et enfilai mon manteau.
Je saluai les garçons d'un signe de la main et jetai un dernier regard à Chris avant de fermer la porte derrière moi.
Le pire n'était pas que moi je sois tombée amoureuse de lui. Non. Le pire était que ce sentiment soit réciproque. Et je savais qu'il l'était.
J'avais attendu trop longtemps, et je n'avais désormais plus le choix. J'espérais seulement que ce ne soit pas trop tard.
***
Heureusement pour moi, il n'y avait pas beaucoup de monde ce soir Chez Bruce. Je réfléchissais tellement que je n'aurais pas été très réactive aujourd'hui. Mon mensonge m'obsédait à un point phénoménal et je ne me sentais pas bien depuis hier soir. Je m'en rendais presque malade. Je détestais mentir et je ne savais pas mentir. Ça m'étonnait même que Chris ne l'ait pas compris, c'était pourtant flagrant.
- Tu n'as pas l'air en forme aujourd'hui, me fit remarquer Tristan, installé au bar depuis un peu plus d'une heure.
Depuis qu'il était arrivé, j'avais passé mon temps à discuter avec lui, entre deux services et il m'avait empêché, pendant quelques minutes, de tergiverser autant sur mon mensonge.
- C'est le cas.
- Qu'est-ce qu'il y a ? s'intéressa-t-il.
- Ce n'est pas contre toi, mais je n'ai pas envie d'en parler, dis-je en souriant légèrement.
Je m'emparai d'un verre et d'une bouteille de Coca que je donnai à Jimmy qui attendait près de mon ami pour aller servir en salle.
- Un problème avec ton copain ? insista-t-il tout de même.
- Oui.
- Vous vous êtes disputés ?
- Oui et non. C'est compliqué, Tristan, soupirai-je. Et je n'ai pas envie d'en parler.
- Je comprends. Si jamais tu changes d'avis, je suis là, ajouta-t-il le sourire aux lèvres.
Je le remerciai poliment et m'éloignai de lui pour servir deux hommes que je voyais souvent ici avant de revenir vers mon ami.
- Ce n'est pas parce que tu m'as invité chez lui que ça a créé des tensions, rassure-moi.
Même si le sujet de notre dispute n'était pas Tristan, je ne pris pas la peine de répondre et il reprit en pensant qu'il avait raison.
- Je suis désolé, ce n'était pas mon intention de créer des problèmes.
- Ah oui ? rétorquai-je avec sarcasme. Pourquoi tu as essayé de m'embrasser alors ?
- Je suis vraiment désolé pour ça Emmy, soupira-t-il. Je ne sais pas pourquoi je l'ai fait et je te l'ai dit, je ne recommencerai plus, je te le promet.
- On en avait déjà parlé il y a quelques jours, quand tu es revenu. Je t'avais dit qu'il n'y aurait rien entre nous et que j'avais un copain.
Il souffla et passa sa main dans ses cheveux bruns. Je ne pus m'empêcher de relever que ce geste appartenait à Chris.
- On ne va pas recommencer la même discussion qu'hier. Je suis désolé, d'accord ?
Je le regardai, dubitative. Ses excuses n'étaient pas sincères, j'en étais certaine.
- J'aurais seulement une question à te poser, continua-t-il en se penchant sur le bar, ses avants-bras appuyés sur le bois.
- Une seule, le prévins-je.
Ses yeux accrochèrent les miens lorsqu'il me posa ladite question.
- Pourquoi ton mec te surveille autant ?
Il commençait vraiment à être insupportable.
- Il ne me surveille pas.
- Très bien. Alors pourquoi du jour au lendemain, on s'est retrouvé à manger chez lui ?
- Ça change quoi ? Qu'on soit chez lui, chez moi, ou chez toi, je ne t'aurais pas embrassé. Et ça n'arrivera jamais, lâchai-je froidement.
Vu la tête choquée qu'il faisait, j'y étais peut-être allée un peu fort...
Le rire de mon collègue résonna à côté de moi.
- Au moins, ça a le mérite d'être clair ! s'exclama-t-il.
Je ne comprenais pas pourquoi il se moquait puisque je lui avais tenu quasiment les mêmes propos quelques mois auparavant. Moins méchamment, toutefois.
- C'est sûr, marmonna Tristan.
Je levai les yeux au ciel et m'éloignai d'eux. Je commençais vraiment à en avoir assez aujourd'hui, et comme si je n'avais pas eu mon compte, Chris et Anthony entrèrent et s'installèrent au bar. Il me restait encore plus d'une demie heure de service. Ces trente minutes allaient être interminables !
Le regard de Chris se posa sur moi un instant, avant de se porter sur mon collègue qu'il n'aimait pas, puis sur Tristan. Qu'il mourait d'envie d'égorger, vu la lueur de colère qui voilait ses beaux yeux. J'ignorais qu'il le connaissait, mais visiblement, c'était le cas. La soirée s'annonçait parfaite !
- Deux bières ? fis-je pour attirer son attention.
- Juste un Coca pour moi, répondit Chris alors que son ami hochait la tête.
Tristan leva la tête pour je ne savais quelle raison, et croisa le regard de mon petit-ami. J'avais vraiment un mauvais pressentiment.
Je déposai les deux verres et la bouteille sur le bar et en profitai pour prendre la main de Chris. Mon geste le fit tourner la tête pour me regarder.
- S'il te plait, arrêtes, murmurai-je.
Anthony nous regarda tour à tour sans comprendre.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Chris lui pointa mon ami du doigt, en prononçant seulement son nom. Ils avaient donc parlé de notre dispute. Puis mon copain releva la tête vers moi et se souvint de quelque chose que j'aurais préféré oublier.
- D'ailleurs, ça a été hier ?
Le ton acerbe qu'il venait d'employer m'énervait.
- Oui, répondis-je simplement avant de m'éloigner pour aller servir quelqu'un de l'autre côté du bar.
Je pris tout mon temps pour ouvrir la bouteille de whisky et verser le liquide brun, avant de rendre le verre à son propriétaire, ce qui ne servait strictement à rien puisque je savais que je n'y échapperais pas. Je n'avais même pas besoin de lever les yeux pour savoir qu'une paire d'iris bleues me fixaient intensément. Davantage encore lorsque Tristan m'interpela quand je repassai devant lui.
J'allais finir par me tuer.
- C'est lui ton mec ?
- Oui pourquoi ?
- Juste pour savoir, répondit-il avec le sourire.
Pourquoi souriait-il ? Je n'en avais aucune idée et je ne tenais pas à le savoir.
- Emmy, fit Chris lorsqu'il s'aperçut de cet échange furtif.
- Quoi ? rétorquai-je froidement.
- Il s'est passé quoi hier ?
On se défia quelques secondes et je me demandai si je serais capable de lui mentir à nouveau. J'ouvris la bouche mais rien ne sortit. Non, je ne pouvais pas. Chris comprit qu'il s'était effectivement passé quelque chose et se redressa brutalement pour se mettre debout.
- Il s'est passé quoi ? répéta-t-il en séparant chaque syllabe.
Il était sur le point d'exploser. Je pris alors sa main pour tenter de le calmer mais il se dégagea et réitéra sa question.
- Chris, ce n'est pas...
- Dis-moi.
Je fermai les paupières et laissai s'évacuer l'air de mes poumons. Ça allait dégénérer, je voyais que Chris était vraiment remonté. Lorsque je rouvris les yeux, je jetai un coup d'œil à Anthony qui hocha la tête, comme s'il avait comprit que j'allais lâcher une bombe.
- Il a seulement essayé de m'embrasser, murmurai-je finalement.
Un instant, je cru qu'il allait seulement se contenter de s'asseoir, de me sourire en me disant que ce n'était pas grave puisqu'il ne l'avait pas fait. Mais je me trompais, évidemment.
- Je vais le tuer.
Anthony se releva lui aussi et le retint juste à temps par le bras.
- Essayer Chris. Je l'ai repoussé alors...
- J'en ai rien à foutre.
Il bouscula son ami pour qu'il le lâche et le temps que je fasse le tour du bar pour m'interposer, Chris avait déjà écrasé son poing sur le visage de Tristan qui, étrangement, ne souriait plus du tout.
Anthony attrapa rapidement Chris par les épaules alors qu'il allait s'acharner sur Tristan qui tentait de se relever tant bien que mal, et le propulsa contre une colonne de bois du bar, le maintenant par le col de son tee-shirt.
- Lâche-moi ! s'écria Chris en tentant de repousser son ami qui ne disait rien.
Je ne l'avais jamais vu aussi énervé, et je devais dire que ça me faisait un peu peur. En plus, il n'avait aucune raison de se mettre autant en colère, puisqu'il ne s'était rien passé ! J'avais repoussé mon ami avant même que ses lèvres touchent les miennes alors il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire. Sa jalousie partait trop loin.
De son côté, Jimmy aidait Tristan à se mettre debout tout en me jetant un regard noir de colère. Les clients les plus proches, quant à eux, avaient pris un peu de distance et s'étaient éloignés.
- On sort, ordonna Anthony à mon copain qui se débattait.
- T'as vraiment...
- Dehors ! hurla mon collègue.
- Non c'est bon, intervint Tristan. Je vais y aller de toute façon.
Il s'essuya la bouche et du sang maculait sa main. Il prit sa veste et passa devant moi, qui n'avait pas bougé d'un poil ne sachant que faire, puis devant Chris qui était retenu par Anthony en le regardant bien.
Quand il le dépassa pour rejoindre la sortie, je m'approchai de mon copain dans l'idée de lui faire des reproches, mais Tristan ajouta la phrase qu'il ne fallait pas avant de sortir.
- Je n'y peux rien si ta copine est une allumeuse !
Chris jeta un regard entendu à Anthony, qui le relâcha une fois la porte du bar refermée.
***
- Lâche moi je peux me débrouiller, grogna furieusement Chris lorsque je le suivis jusque dans la salle de bain.
Je ne répondis pas et sortis du désinfectant et des cotons pendant qu'il se lavait les mains, écorchées et pleines de sang.
Même si j'étais énervée, je n'aimais pas le voir blessé. Ça me faisait mal pour lui, bien qu'il ne soit pas très amoché. Comparé à Tristan. Si Jimmy et Anthony ne l'avait pas arrêté, Chris aurait fini en prison pour tentative de meurtre.
Une fois ses mains lavées, il me prit le flocon d'alcool des mains et le reposa brutalement dans le placard.
- Arrête d'agir comme un gamin et laisse moi faire.
- Il n'y a rien à faire. Ce ne sont que des égratignures. Mais vas voir Tristan, je suis sûr qu'il a besoin de toi, ajouta-t-il sans un regard avant de sortir de la pièce.
Je le suivis jusqu'à la chambre et le vis fouiller dans sa commode. Il en sortit un boitier de lunettes qu'il ouvrit et remplaça celles qu'il venait de casser à cause de cette bagarre stupide.
- Donc tu le crois ? demandai-je.
- Qui ?
Il retira son pantalon pour passer un survêtement à la place.
- Tristan.
À la mention du nom de ce dernier, il posa enfin ses yeux sur moi. C'était, certes, un regard noir, mais au moins il me voyait.
- Tu le crois ? répétai-je.
Il fronça les sourcils, ne comprenant visiblement pas où je voulais en venir.
- Tu le crois quand il dit que c'est de ma faute s'il a été tenté de m'embrasser ? Tu penses que je l'ai allumé, comme il l'a si bien dit ?
Il soupira en secouant la tête de gauche à droite comme si je venais de sortir une absurdité sans nom, puis il retira sa veste et s'asseya finalement sur son lit. Il se passa les deux mains sur le visage, las, pendant que je restais dans l'encadrement de la porte.
Une minute passa lentement et silencieusement, jusqu'à ce qu'il relève la tête. Il restait beau, même avec sa lèvre légèrement ouverte et le bleu qui commençait à se former sur sa pommette. Il avait reçu nettement moins de coups qu'il n'avait donné, et heureusement ! Je lui en voulais d'avoir agit de la sorte, mais je devais tout de même avouer que Tristan avait dépassé les bornes avec sa dernière remarque. Mais ce n'était pas une raison pour transformer son visage en un Picasso médiocre !
Chris continuait de me fixer de ses perles bleues-grises, ses mains aux phalanges égratignées jointent devant sa bouche.
- Tu ne vois donc vraiment rien... murmura-t-il.
- Qu'est-ce que je devrais voir ?
À nouveau, il secoua la tête en soupirant.
- Je suis fatigué, déclara-t-il en se levant pour fermer les volets.
Je ne pus m'empêcher de me demander si sa phrase avait un double sens. Était-il simplement épuisé physiquement ou en avait-il assez de moi ? Égoïstement, je me mis à espérer cette seconde éventualité. Alors, même si ça me faisait mal, je décidai de tout arrêter maintenant. J'étais allée trop loin, je n'aurais jamais dû refuser de n'être que son amie. Tout cela allait lui faire du mal. Je le savais. Mais c'était mieux ainsi. Pour lui, c'était beaucoup mieux. Pour moi, par contre, je ne savais pas ce que ça allait donner...
- Je vais rentrer chez moi.
Il fit immédiatement volte-face et je pus lire de la déception et de la colère sur son beau visage.
- Alors c'est comme ça que ça se passe ? Une dispute et tu fais demi-tour ?
- On n'habite pas ensemble Chris.
Il ouvrit la bouche pour répondre quelque chose mais se ravisa et se contenta d'un « Ok ». Il devait vraiment être énervé pour ne pas insister.
Sauf qu'il n'avait pas compris ma phrase.
Aussi, j'ouvris sa commode et pris mes vêtements que j'avais apporté chez lui au fur et à mesure des jours et les déposai sur le lit.
- Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il effaré.
Je ne répondis pas et m'approchai du coin de sa chambre où résidait ma valise depuis notre retour des États-Unis mais il me retint par le bras, me retournant brusquement face à lui.
- Ne me dis pas que tu es en train de me quitter...
Ce n'était qu'un faible murmure, empli de supplication et de détresse, que je pourrais aisément voir dans ses yeux, si je ne me refusais pas à les regarder.
- Lâche-moi s'il te plait.
Comme il ne m'écoutait pas, je retirai moi-même mon bras de sa poigne et tirai ma valise. Je l'amenai près du lit et m'emparai de la pile de vêtements qui était sur la couverture, mais Chris donna un coup dedans en me faisant sursauter et tout tomba au sol.
- T'es sérieuse ? Juste pour ça tu t'en vas et t'arrêtes tout ? s'énerva-t-il.
Je m'accroupis au sol pour ramasser mes vêtements, n'osant pas lever les yeux vers lui. L'intonation de sa voix suffisait à me faire mal.
- Putain Emmy ! s'écria-t-il hors de lui.
C'était la première fois que je l'entendais parler comme ça. Je ne l'avais jamais autant énervé et déçu à ce point. Je le percevais au son de sa voix.
- J'ai juste pété un câble, d'accord ? continua-t-il désemparé. Le voir là, ce soir ça a juste été la goutte de trop ! Ce weekend j'étais à cran je sais, et je suis désolé Emmy. Je suis désolé de l'avoir frappé mais je... Je n'ai pas pu me retenir. Et arrêtes de ranger ça, merde !
Je sursautai lorsqu'il haussa le ton sur sa dernière phrase et interrompis inconsciemment mes mouvements un instant, puis je me relevai pour aller chercher ma seconde paire de chaussures pour les ranger. Quand je me mis debout, il se posta devant moi pour m'empêcher de passer et me fit relever la tête pour que je le regarde. Ce qui je fis, malgré moi et je pus ainsi voir la douleur dans ses yeux. J'aurais dû partir il y a bien longtemps.
- Je suis désolé, s'excusa-t-il sincèrement.
Puis il se mit à parler, sans que je ne puisse l'interrompre.
- Je suis réellement désolé Emmy. Ça ne se reproduira plus, je te le promet. Mais c'est vrai que ce week-end, c'était trop. Je... J'ai craqué, c'est tout. Déjà hier, j'ai commencé à paniquer en pensant que tu étais enceinte, puis quand je suis revenu à l'appartement, je me suis souvenu que ce... Cet imbécile était avec toi alors ça m'a encore plus énervé. D'autant plus quand je vous ai vu tous les deux sortir de l'immeuble en souriant. Puis je suis monté chez moi et je pétais un plomb parce que j'avais besoin de réponses, tout simplement. Mais tu n'étais pas là, alors je t'ai attendu longtemps. Après il y a eu ta réflexion, et ça m'a fait mal que tu penses ça de moi, que tu penses que je ne te faisais pas confiance, alors que je ne cesse de te répéter d'avoir confiance en moi. Donc oui, j'étais énervé et j'ai préféré partir pour qu'on ne continue pas à s'engueuler. D'ailleurs, si tu te le demandes, j'étais chez mon frère. Encore. Parce que c'est à cause de lui que j'ai commencé à douter alors j'ai voulu lui parler de toi. Je voulais qu'il me rassure.
J'en avais assez entendu alors je tentai de contourner Chris mais il me stoppa une fois de plus en me tenant par le bras.
- Ce soir, quand j'ai su ce qu'il avait fait, c'était trop. J'ai juste pété un plomb Emmy. Je pète vraiment un plomb en ce moment !
- Chris je...
- Non ! s'écria-t-il en s'éloignant un peu de moi.
Il se mit à faire les cents pas dans la chambre, se passant la main dans les cheveux toutes les cinq secondes.
- Ça m'énerve de voir tous ces mecs te tourner autour alors que tu ne te rends même pas compte que tu plais. Je suis jaloux mais je n'y peux rien ! Je ne supporte pas de te voir avec un autre, même si c'est pour lui parler. Mais tu vois, le pire là-dedans, c'est que je ne sais pas quoi faire parce que tu ne vois rien. Tout le monde s'en aperçoit, sauf toi, et je ne sais pas ce que je dois faire. J'ai envie de te dire que je t'aime mais j'ai peur de ta réaction ! Je ne sais pas comment te le dire ou te le faire comprendre ! Je ne sais même pas si...
Il s'interrompit soudainement et braqua un regard apeuré sur moi. Ses mots lui avaient visiblement malencontreusement échappé et il venait seulement de s'en rendre compte.
Pendant cette infime seconde de prise de conscience, mon cœur rata un battement. Ou plusieurs. Peut-être avait-il même disparu de ma poitrine.
« Je t'aime. »
Il l'avait dit. Je le savais. Je savais que j'aurais dû m'enfuir avant qu'il ne prononce ces mots. J'allais le faire souffrir, encore plus que je ne le pensais. Savoir qu'il m'aimait et l'entendre me le dire étaient deux choses complètement différentes. Ça rendait cet aveux bien trop réel.
En ce moment même, la crainte que je m'en aille réellement était plus visible que jamais dans son regard, et je voyais qu'il disait vrai. Qu'il m'aimait. Et par dessus tout, qu'il avait peur de l'impact de ces mots.
Chris prit une inspiration et s'approcha de moi. Je voulais reculer, mais je n'y parvenais pas. Il plaqua ses deux mains sur mes joues et murmura quelques mots qui brisèrent quelque chose en moi que je n'avais pas ressenti depuis très longtemps.
- Je suis fou de toi mon Ange. Je t'en pris, ne t'en vas pas...
Je n'arrivais pas à décrocher mon regard du sien alors que je ne voulais qu'une seule chose : prendre mes jambes à mon cou et quitter cet appartement au plus vite pour ne plus jamais y remettre les pieds.
Mais non. Mes yeux restaient plongés dans les siens et mes pieds semblaient s'être enfoncés dans le sol.
Je voulais m'en aller avant qu'il ne soit trop tard, sauf que j'oubliais quelque chose.
C'était déjà trop tard.
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