Chapitre 25 : Chris.

« L'amour rend aveugle. L'amour doit rendre aveugle. Il a sa propre lumière. Éblouissante. » - Daniel Pennac

*****

Ma question sonnait tellement faux que même moi je n'y croyais pas une seule seconde. Comme si après tout ce que je venais de lui dire, je souhaitais sérieusement rester juste ami avec Emmy. Mais si c'était ce qu'elle voulait, je m'y plierai. Si elle me le demandais, on resterait amis, et j'attendrai de retrouver la vue pour lui prouver que je ne mentais pas. Et même si plus tard, elle ne voudrait rien de plus, alors je m'y ferai. Je préférais cent fois être seulement son ami, que n'être rien d'autre qu'une vague connaissance. Je ne supporterais pas d'être séparé d'elle après toutes ces semaines passées à ses côtés. Bien que ce fut ce que j'avais voulu évité depuis le début, j'étais devenu dépendant d'elle et j'avais besoin d'elle. Voilà tout.

Emmy ne répondit pas immédiatement, ce qui avait le don de me torturer. Extérieurement, j'étais calme et j'attendais. Mais intérieurement, c'était un réel bazar dans ma tête. J'aimais le fait qu'elle ne réfléchisse pas avant de parler, qu'elle soit spontanée, alors qu'elle prenne un temps de réflexion en ce moment n'était pas bon signe. Ou peut-être que si, je l'ignorais. Soit elle réfléchissait à un moyen de me répondre en douceur que oui, on resterait amis. Soit... Soit elle ne savait pas elle-même ce qu'elle voulait.

J'avais tendance à pencher pour cette seconde solution. Ses réactions étaient souvent contradictoires avec moi ces trois derniers jours, alors un énième « Je ne sais pas » ne m'étonnerait guère.

Je patientais. Longtemps. Trop longtemps. Et au moment où j'allais craquer et ouvrir la bouche pour répondre à sa place que j'attendrai, elle me coupa dans mon élan et ne murmura qu'un seul mot.

- Non.

Non ? Quoi, non ? C'était quoi ma question déjà ? Je ne savais plus. Je ne savais plus si cette réponse était celle que j'espérais ou pas, puisque je ne me souvenais plus de la question que je lui avais posé.

- Je sais qu'il y a un décalage énorme entre ce que je fais et ce que je dis et tu dois être perdu...

Ça, pour être perdu, je l'étais...

- ... mais je crois que... Je ne veux pas être ton amie.

Une minute... Qu'est-ce que ça voulait dire ? Elle ne voulait plus rien de moi, pas même une relation amicale ou bien alors...

- Je ne veux plus être seulement ton amie, se reprit-elle pour enfin dire ce que j'avais espéré entendre.

Je tournai la tête vers elle, comme si je pouvais voir dans ses yeux si elle disait la vérité. J'aurais voulu m'approcher d'elle pour poser mes mains sur son visage et lui demander de répéter ces mots afin de me rendre compte de leur authenticité, mais elles restèrent sagement croisées devant moi, mes coudes en appui sur mes cuisses.

- Mais j'ai peut-être trop attendu, continua-t-elle en se levant.

Quoi ? Non !

- Je suis désolée de changer d'avis comme ça et je comprends que tu puisses m'en vouloir pour hier. Je n'aurais pas dû venir ce soir et je...

- Arrête, l'interrompis-je.

Je voulus attraper sa main pour l'empêcher de partir mais ne rencontrai que du vide ce qui avait le don de m'exaspérer. Elle s'était déjà éloignée et je ne m'en étais pas aperçu.

- Assieds-toi s'il te plait, lui intimai-je.

Une fois à nouveau à sa place, je lui répondis enfin. Elle avait mal compris mon silence.

- Je t'en veux un peu pour hier mais beaucoup moins maintenant que tu m'as parlé. Ce n'est surement pas ça qui me fera changer d'avis, et tu as bien fait de venir, ajoutai-je en tendant le bras pour poser ma main sur les siennes qui maltraitaient furieusement ses doigts. Ce n'est pas trop tard Emmy, alors ne pars pas. S'il te plait.

Je caressai de mon pouce le dos d'une de ses mains, et ses mouvements se stoppèrent.

- Donc on est... ensemble ? demanda-t-elle hésitante tout en resserrant doucement ses doigts autour des miens.

- C'est ce que tu veux ?

- C'est ce que je veux.

Son aveux spontané me fit lâcher un soupir de soulagement imperceptible. Contrairement à tout à l'heure, ces mots étaient prononcés avec plus de certitude. Ils étaient sortis plus spontanément de sa bouche et je me mis à sourire sans pouvoir m'en empêcher. Quelques minutes auparavant, je pensais qu'elle allait se sauver une fois de plus, et là, elle disait enfin ce que j'avais souhaité.

Encore un illusion paradisiaque. Est-ce que tout allait disparaitre quand j'ouvrirai enfin les yeux ? Il ne le fallait pas. Surement pas.

Je m'approchai un peu plus d'elle sur le canapé et ma main qui était encore libre se leva pour se poser sur sa joue. Je voulais sentir sa réaction en entendant mes mots. Au seul contact de ma paume, ses paupières se fermèrent sous mon index, ses lèvres se pincèrent sous mon pouce et sa mâchoire se décontracta sous mes trois autres doigts.

- Alors oui, on est ensemble, confirmai-je finalement.

À peine mes mots furent-ils prononcés, qu'Emmy serra davantage ma main droite. Sous ma main gauche, je sentis d'abord un léger souffle d'air chaud sortir d'entre ses lèvres, semblable au soupir de soulagement que j'avais laissé échapper quelques secondes auparavant, puis un fin sourire se dessina lentement sur son visage.

Ne tenant plus, j'amenai finalement mes lèvres au contact des siennes dans un baiser doux et incroyablement tendre. Ma main glissa sur sa nuque et remonta dans ses cheveux que je devinais relevés en queue de cheval, pendant que ses lèvres bougeaient lentement contre les miennes, déposant délicatement l'amertume du café qu'elle venait de boire contre ma bouche.

Je me reculai légèrement, rompant ainsi tout contact avec ses lèvres, avant de sentir ses mains autour de mon cou et son corps se coller au mien, au moment où son visage se cala contre mon cou. Mon nez se logea alors instinctivement dans l'écharpe qu'elle avait autour du cou et mes bras encerclèrent sa taille. Je ne pus m'empêcher de constater qu'elle portait encore son manteau.

- Tu as froid ? lui demandai-je doucement, brisant ce silence reposant.

- Non.

Je me défis de cette étreinte et désignai son manteau.

- Alors pourquoi tu le gardes ? la questionnai-je, désormais amusé, bien loin de l'anxiété qui avait envahi mon corps depuis son arrivée. Tu ne comptes tout de même pas t'enfuir encore une fois ?

Emmy se leva et j'entendis le fermeture éclair glisser.

- Ça veut dire non ? insistai-je.

- Oui, répondit-elle en souriant. J'avais juste froid en arrivant.

Les manches glissèrent et elle déposa le vêtement sur le canapé. Je l'entendis faire quelques pas, puis des notes de musiques jouées au piano s'approprièrent la pièce. Je connaissais tellement bien ce disque que je savais que c'était Beethoven. La neuvième musique sur les vingt-deux présentes sur la compilation que m'avait prêté Emmy. Mis à part deux ou trois musiques que je n'appréciais guère, ce CD me plaisait beaucoup.

Je sentis le canapé s'affaisser à nouveau près de moi.

- Ça veut dire que tu me fais confiance ?

- Je vais essayer, dit-elle honnêtement.

Ce n'était pas tout à fait la réponse que j'espérais, mais c'était tout de même mieux que rien. Et je préférais une réponse honnête comme celle-ci qu'un mensonge.

Ce qui me rappelait que moi aussi, je lui devais la vérité. J'ignorais comment elle allait réagir, mais je ne pouvais pas lui cacher plus longtemps.

Je tendis la main dans l'idée de trouver la sienne, mais je m'arrêtai sur sa cuisse.

- Je dois te dire quelque chose ?

- Oui ?

- Hier matin j'ai... Hum... Entendu.

- Entendu quoi ? me demanda-t-elle.

Je pouvais presque percevoir le froncement dubitatif de ses sourcils.

- Toi et Andrew.

- Quoi ? Tu étais réveillé et tu as écouté tout ce qu'on a dit ? reprit-elle comme pour s'assurer d'avoir bien compris.

- Ouais je... Désolé.

Comme elle ne répondit pas, je continuai :

- Je ne voulais pas écouter, je te le promet. Quand je me suis réveillé et que tu n'étais plus là, je me suis levé. J'ai entendu vos voix dans la cuisine alors je voulais vous rejoindre mais quand j'ai entendu Andrew te demander si tu allais partir et quand tu as répondu que oui, je... J'ai voulu savoir pourquoi. Parce que je pensais que tu n'allais jamais me le dire. Mais je me suis trompé. Excuse-moi.

J'angoissais à l'idée de ne pas voir sa réaction et elle n'esquissa pas un seul mouvement que je pourrais tenter d'interpréter.

- Emmy ? l'appelai-je en exerçant une légère pression sur sa cuisse.

Sa main se déposa sur la mienne et elle serra doucement mes doigts.

- Ça va, ne t'inquiète pas.

- Vraiment ?

- Oui oui. De toute façon, tout ce que je lui ai dit, je viens de te le dire, non ?

Entendre son sourire me rassura et je hochai la tête.

- Donc tu ne m'en veux pas ?

- Un peu, mais bon. On est quitte comme ça, plaisanta-t-elle en s'approchant de moi.

Je retirai ma main de sa cuisse pour la passer autour de ses épaules. J'embrassai sa tempe et on s'adossa au canapé. La dernière fois que je l'avais prise dans mes bras remontait à seulement deux jours, et j'en étais déjà devenu dingue. Je crois que si elle m'avait demandé à ce qu'on reste seulement amis, je n'aurais pas beaucoup aimé. Voire même pas du tout. Mais ce n'était pas le cas ! Heureusement.

- Tu avais peur que je te mente ?

- À propos de quoi ?

- Tu as entendu ce que j'avais dit à ton frère, et pourtant, tu m'as posé les mêmes questions. Tu pensais que j'allais te mentir ? Je ne mens jamais.

- Non. Pas du tout. Je voulais juste... pouvoir te rassurer moi-même. Je sais que ce que je t'ai dit aujourd'hui ressemblait beaucoup au discours d'Andrew hier, mais c'est la vérité. Je voulais que tu m'entendes te le dire.

Une nouvelle mélodie débutait pendant qu'elle semblait perdue dans ses pensées. Tchaïkovski et son Lac des Cygnes me répondit plus rapidement qu'Emmy.

- D'accord. J'avais besoin de réfléchir, ajouta-t-elle pensive.

- Je comprends. Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ?

- Toi, dit-elle en souriant.

- Ce que je t'ai dit t'a fait changé d'avis ?

- Oui.

- Donc tu n'étais pas venue ce soir dans cette optique là ? compris-je finalement.

À nouveau, elle mit quelques secondes avant de répondre.

- Non. J'étais seulement venue pour m'excuser.

- Et maintenant que tu t'es excusée, tu veux partir ? la questionnai-je en souriant.

- Non, répéta-t-elle en se redressant juste assez pour m'embrasser sur la joue.

Elle reprit sa place initiale avant de m'avouer, en jouant avec mes doigts, que c'était Julia qui l'avait poussée à revenir me voir.

- Je l'aime bien, elle, conclus-je.

- Ouais et bien pas moi, bougonna Emmy.

- Merci... marmonnai-je.

- Non non, je ne dis pas ça pour aujourd'hui, se reprit-elle en riant. C'est juste qu'elle me persécute depuis que je te connais pour me pousser à aller vers toi.

- Ça me rappelle vaguement mon frère...

Emmy se défit de mon emprise et se tourna face à moi.

- C'est ce que j'ai remarqué hier. Je suis certaine qu'il était sur le point de m'attacher à la chaise pour pouvoir m'arracher les doigts un par un pour avoir fait du mal à son petit frère.

- Je ne suis pas...

- Son petit frère, je sais, me coupa-t-elle en souriant. Je reprends juste ses mots.

Je soupirai.

- C'est dommage que Julia ait déjà quelqu'un. Ils auraient fait un beau couple mon frère et elle, constatai-je.

- Ouais. Et ils nous auraient peut-être lâchés un peu, me fit remarquer Emmy avant de m'embrasser rapidement sur la bouche.

Elle se leva et j'entendis ses pas aller en direction de la cuisine.

- Tu as mangé ? me cria-t-elle depuis l'autre pièce en faisant couler le robinet.

C'était comme si rien ne s'était passé entre nous. Comme si elle n'avait pas quitté mon appartement hier matin pour y laisser un vide en moi. Elle agissait à nouveau comme avant et n'était plus autant mal à l'aise que tout à l'heure. Et c'était plus que plaisant. J'avais eu peur que cette discussion jette un froid entre nous, comme quand elle venait d'arriver tout à l'heure. Mais ce n'était pas le cas. Et c'était parfait.

- Non. Je comptais commander une pizza, répondis-je en la rejoignant. Tu manges avec moi ?

- Ouais, mais pas de pizza.

- Je m'en serais douté, rétorquai-je en entrant dans la cuisine où elle commençait déjà à sortir de quoi cuisiner quelque chose. Tu as déjà avaler une part de pizza ?

- Oui, mais je préfère la vraie nourriture.

Depuis que je connaissais Emmy, on n'avait pas mangé une seule pizza ou un seul truc gras quelconque provenant d'un fastfood. Elle avait toujours cuisiné ou réchauffé quelque chose chez elle ou chez moi. Ce qui était loin de me déplaire, étant donné qu'elle cuisinait très bien. Mais un peu de nourriture grasse de temps en temps ne faisait pas de mal, pas vrai ?

- En plus, tu as déjà commandé une pizza hier soir, me rappela-t-elle.

- Et alors ? Attends... Comment tu le sais ?

- Le carton est encore sur la table, rit-elle.

***

- Tu finis les cours à quelle heure mercredi soir ? demandai-je à Emmy en débarrassant la table.

- Seize heure trente. Pourquoi ?

- J'ai un rendez-vous chez le médecin pour qu'il fasse le point sur mes yeux. Il y aurait moyen que tu... m'emmènes ? demandai-je hésitant.

- Oui, pas de problème. C'est à quelle heure ?

- Dix-sept heure trente. Il y a quinze ou vingt minutes en voiture.

- D'accord.

- Merci. T'es un ange.

- Un ange ? répéta-t-elle en souriant. Parce que j'accepte de t'emmener chez quelqu'un qui te redonnera la possibilité de voir ?

Un léger rire sortit de ma bouche et je m'approchai d'Emmy qui était en train de nettoyer la table. Elle s'arrêta en sentant ma main sur le bas de son dos et se tourna face à moi. Mes mains trouvèrent rapidement ses hanches et je fis un pas de plus vers elle.

- Ouais. Un ange. En fait, tu es même mon ange gardien, l'informai-je en souriant à seulement quelques millimètres de ses lèvres.

Ce qui était entièrement vrai. Dire qu'elle m'avait fait ouvrir les yeux, dans ma situation, n'était pas vraiment approprié, mais c'était tout de même le cas.

- Tu sais qu'un ange gardien c'est sensé protéger et sauver la vie de quelqu'un ? me taquina-t-elle en enroulant ses bras autour de mon cou.

- Tu m'as sauvé la vie tout à l'heure quand j'ai voulu sortir les assiettes et qu'un verre a failli m'assommer.

- Je l'admet, concéda-t-elle.

- Et même si ma fierté masculine en a prit un coup, tu m'as protégé vendredi soir en sortant de boite, me rappelai-je.

- Ta fierté masculine ? releva-t-elle en riant.

- Ouais. Elle disparait des fois sans me prévenir. Comme vendredi soir par exemple. Et comme chaque fois que je te demande de l'aide. Ou alors, quand tu me fais à manger et...

Ses lèvres sur les miennes m'empêchèrent de terminer cette liste non exhaustive, à mon plus grand plaisir. Je ne pourrai jamais me lasser de cette sensation, de cette douceur et du délicieux goût de ses lèvres.

Ses mains remontèrent dans mes cheveux alors qu'elle entrouvrait la bouche pour que je puisse y avoir accès, sauf que mon téléphone sonna à ce même moment, nous faisant sursauter tout les deux. Un léger grognement plaintif s'échappa de mes lèvres et alors que je voulais reprendre ce que j'étais en train de faire, Emmy tourna la tête et s'empara de mon téléphone.

- C'est Andrew, m'informa-t-elle.

- Même quand il n'est pas là, il trouve le moyen d'être insupportable, marmonnai-je avant de décrocher et de lui répondre en me séparant d'Emmy. Ouais ?

- Du coup je ne peux pas venir ce soir. Je suis encore à l'entrainement, et je ne sais pas combien de temps ça va durer.

- Tu me l'avais déjà dit, lui rappelai-je.

- Je t'avais dit que ce n'était pas sûr.

- De toute façon je ne t'ai pas attendu.

- T'as commandé une pizza ?

Si je lui disais maintenant, au téléphone, qu'Emmy était avec moi en ce moment, il insisterait jusqu'à ce que je lui raconte chaque détail de la conversation. Ce qu'il n'aurait ni aujourd'hui, ni plus tard. Tout ce que je lui dirai, ce sera que j'étais avec elle, et puis c'est tout. Il était beaucoup trop curieux.

- Ouais, mentis-je.

- Ok, cool. Je t'appelle demain pour qu'on voit pour mercredi. Salut.

- Non je...

Il avait déjà raccroché. Je lui expliquerai demain que je n'aurais plus besoin de lui. Je l'entends déjà me dire « Je te l'avais dit ! » quand je lui annoncerai que je serai avec Emmy. Il ne me lâchera plus avec ça pendant des mois ! Mais peu importe. Tant que je suis avec elle, il pourra bien dire ce qu'il voudra.

L'eau du robinet coulait, ce qui me signifiait qu'Emmy faisait la vaisselle. Je lui avais dit plusieurs fois de laisser, puisque ça, j'étais capable de le faire, mais elle s'obstinait. Alors je pris un chiffon et essuyai ce qu'elle me donnait pour ensuite y ranger dans le placard, tout en lui parlant de mon frère. Elle aussi pensait comme moi : on entendra Andrew se venter pendant très longtemps !

- Et de mon côté, ajouta-t-elle lassée, j'aurai Julia.

- Et bien, je te propose de ne rien leur dire ! dis-je sans vraiment y penser.

- N'y pense même pas. Je ne veux pas me faire décapiter, rit-elle.

***

Emmy venait de partir depuis seulement une vingtaine de minutes et je sentais déjà un vide dans mon appartement. Cette fois-ci, je ne lui avais pas proposé de rester, peut-être par crainte qu'elle s'en aille à nouveau dans la nuit, ou bien parce qu'elle aurait sans doute refusé à cause des cours demain matin.

De plus, j'appréhendais beaucoup mon rendez-vous de mercredi. Je savais pertinemment que le médecin ne m'enlèverait pas mes pansements cette semaine, alors je n'avais pas d'espoir à avoir de ce côté-là. Ce dont j'avais peur, c'était qu'il me dise que j'en aurais encore pour plusieurs mois. Ce qui était probable, si les cicatrices de mon opération n'étaient pas rétablies, ou s'il y avait une infection, ou un autre problème quelconque qui surviendrait.

Honnêtement, si Emmy ne serait pas là, ça m'importerait peu de rester dans le noir pendant encore quelques semaines. Bien entendu, ça m'embêterait, mais pas plus que ça. Mais elle était là. Et je ne pouvais définitivement pas concevoir l'idée de rester dans l'obscurité des jours et des jours sans la voir. C'était impossible.

Inenvisageable.

Je redoutais réellement ce rendez-vous. Pire encore : il m'effrayait. Il fallait que j'en parle à quelqu'un. J'en avais besoin.

Grâce à la commande vocale de mon téléphone, la voix enjouée de ma mère me parvint au bout de la troisième sonnerie.

- Chris, mon chéri ! Comment tu vas ?

- Je vais bien et toi Maman ? Tout se passe bien à l'hôtel ?

- Tout est parfait. Ces derniers jours, on a eu très peu de réservations alors c'était plutôt tranquille. Et puis on a avancé dans les travaux. Les nouvelles chambres sont quasiment prêtes.

- Tant mieux alors, souris-je en entendant ma mère joyeuse. Et Papa ?

- Je viens juste de le laisser. Il était en train de s'énerver sur son nouvel ordinateur alors je me suis enfuie.

Je riais tout seul en imaginant mon père hurler après un appareil nouvelle génération.

- Tu as bien fait, lui assurai-je.

- Et comment ! Bon, sinon : ne me dis pas que tu m'appelles pour me dire que toi et ton frère ne venez pas à Noël ! Parce si c'est le cas, je te promet que je prends la voiture et...

- Non Maman, la coupai-je avant qu'elle ne termine son monologue de remontrances interminable. On vient toujours.

- J'espère bien.

- Je t'appelais pour autre chose, en fait.

Un silence de quelques secondes se fit à l'autre bout du téléphone.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Tout va bien ?

- Oui ça va, soupirai-je.

- Ne me mens pas Chris. J'entends que ta voix est devenue beaucoup trop sérieuse d'un seul coup. Tu as des problèmes ? C'est tes yeux ? Il y a un soucis ?

- Maman !

- Quoi ? Je me fais du soucis, Chris. Dis-moi ce qu'il se passe.

Même à des centaines de kilomètres, elle percevait quelque chose de changé en moi. Entendait-elle aussi que j'étais en train de devenir fou ?

- Mes yeux vont bien Maman. Enfin, je crois. J'ai un rendez-vous mercredi alors je te dirai quand j'en saurai plus.

- Ne t'inquiète pas, ta vue va revenir, ma rassura-t-elle bien qu'elle ne pouvait pas me le certifier à cent pourcent.

- J'espère, soupirai-je. Mais ce n'est pas ça le problème.

- Donc il y a bien un problème, se rendit-elle compte.

- Ce n'est pas vraiment un problème... marmonnai-je.

Depuis le début de ma conversation avec ma mère, je tripotais nerveusement l'écharpe d'Emmy, que j'avais volontairement oublié de lui rendre. J'imaginais le tissu rouge que m'avait décrit mon frère glisser sur mes doigts, au rythme des violons de Vivaldi.

- Chris ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ? insista ma mère, inquiète.

J'inspirai un grand coup avant de me lancer.

- N'en parle pas à Andrew s'il te plait.

- Promis.

- Très bien. Tu te souviens d'Emmy ?

- Emmy ? répéta-t-elle. La jeune fille qui était venue avec toi pendant les vacances ?

- Oui.

- Bien sûr que je m'en souviens. Comment va-t-elle d'ailleurs ?

Inconsciemment, un sourire se dessina sur mon visage. Le fait que ma mère appréciait Emmy me plaisait beaucoup.

- Elle va très bien, répondis-je simplement.

- Tant mieux. Je l'aime beaucoup cette jeune fille. Elle est adorable.

- Je suis content que tu l'apprécies, Maman.

À nouveau, le silence s'installa. Quand ma mère reprit la parole, je l'imaginais parfaitement les sourcils froncés et un sourire amusé sur son visage. Elle avait compris. Normal, c'était ma mère. Elle savait tout. Elle devinait tout.

- Chris ? s'enquit-elle.

Allongé sur le canapé, je me passai nerveusement la main dans mes cheveux trop long. Je détestais quand Andrew avait raison, et ces derniers temps, c'était devenu beaucoup trop fréquent. Comme en ce moment, par exemple. Et ça m'effrayait un peu, je ne pouvais le nier. C'était pour cette raison que j'avais cette nécessité de me confier à ma mère. La seule avec qui je pouvais vraiment parler.

- Je crois que je suis amoureux, Maman.

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