Chapitre 2 : Emmy.

« On apprend lorsqu'on est jeune, et on comprend avec l'âge. » - Marie Von Evner-Eschenbach

*****

- Tu as choisis alors ?

- Oui, je veux celui-là.

Je donnai le motif que je souhaitais à Jack, après avoir longuement hésité avec celui de la page précédente.

- Bon choix, me sourit-il. Je te le fais sur le front ?

- Je pensais plutôt à un endroit moins voyant tu vois, rigolai-je en enlevant ma veste.

- Comme d'habitude, remarqua Jack.

Il enfila une paire de gant après avoir stérilisé tout le matériel nécessaire, pendant que j'enlevai mon tee-shirt. Je m'allongeai sur le dos sur la table et il comprit tout de suite.

- En dessous de la poitrine ?

- Ouais. Par contre, je voudrais des lignes un peu plus fines sur tout le dessin et je voudrais aussi que ça remonte un peu moins sur les côtés. Tu peux faire ça ?

- Je peux tout faire Emmy, tu devrais le savoir ! s'exclama-t-il en souriant. Il faut juste que tu m'enlèves ça, me dit-il en montrant mon soutien-gorge.

- Ah oui, pardon. J'avais oublié.

Je l'ôtai et Jack s'installa près de moi. Il commença par nettoyer ma peau avant de déposer l'aiguille recouverte d'encre sur moi. J'aimais le bruit de la machine, et le petit pincement de ma peau que cela provoquait.

Jack est quelqu'un de super ; tant en tatoueur qu'en ami. Il m'écoute toujours parler de mes problèmes - aussi futiles et simplets puissent-ils être - et de temps en temps, c'est moi qui écoute les siens. Je peux même passer dans son salon seulement pour discuter avec lui quand je m'ennuie et qu'il n'a personne.

Comme beaucoup d'hommes de ce métier, ses bras étaient recouverts d'encre, et le cartilage de ses oreilles était percé plusieurs fois. Il avait une barbe et de courts cheveux bruns et devait avoir une trentaine d'années. Mais ce n'était pas son âge qui allait m'empêcher de parler avec lui.

- Il y a quelque chose qui m'a toujours intrigué, déclara Jack.

- Et c'est quoi ?

- Pourquoi tu te fais des tatouages si c'est pour les cacher ? Aucun de ceux que j'ai fais ne peuvent être vu. Sauf si tu te déshabilles bien sûr ! rit-il tout en restant concentré sur son travail.

- Je n'en ai aucune idée. J'aime bien ce que tu fais mais je trouve que c'est quelque chose de personnel. Mais toi tu n'es pas de mon avis du tout !

- Si. Bien sûr que le tatouage est quelque chose de personnel, mais ce n'est pas ça qui va m'empêcher de les montrer, au contraire. Tu ne veux pas que je t'en fasse un sur le bras après ? Comme ça tu me feras de la pub !

- Tu as bien assez de clients, lui fis-je remarquer.

- Ce n'est jamais assez !

Il en était déjà à la moitié du dessin. Ce n'était que des lignes entremêlées les unes aux autres et le motif en soi, ne représentait pas grand chose mais il était magnifique. Toutes les fois où je suis venue ici, je n'ai jamais été déçue, et je sais que je ne le serai toujours pas cette fois-ci. D'ailleurs, je fais tellement confiance à Jack que pour le tatouage que j'ai sur le bas de mon ventre, je lui avais dis de laisser son imagination tracer ce qu'elle voulait. Je ne saurais dire lequel était mon préféré, je les adorais tous. Peut-être celui de mon dos étant donné que c'était le premier.

- Tu vas encore te faire engueuler par ta mère, me fit remarquer Jack.

- Je sais. Mais elle n'est pas là et puis je suis majeure, ça tombe bien, rigolai-je.

- Donc tu ne vas pas lui dire ?

- Si. Seulement pour le plaisir de l'entendre me crier dessus.

Il leva la tête pour me voir sourire et sourit à son tour en secouant la tête de droite à gauche avant de continuer la ligne qu'il traçait.

- Si tu es de l'avis de ma mère je ne reviens plus, il n'y a pas de soucis.

- Non ça va aller, rit-il. Tu vas en vouloir des autres plus tard ?

- Aucune idée, en général, ça me prend sur un coup de tête.

- Je sais. Et voilà ! C'est terminé.

Il nettoya un nouvelle fois ma peau et prit un miroir pour me montrer son travail. Comme je l'avais penser, il était sublime et exactement comme je le voulais. Il avait apporté les modifications que je lui avais demandé, et c'était parfait. Ça rendait même mieux que dans mon imagination.

Jack appliqua ensuite une crème et recouvrit l'encre d'un large pansement blanc. J'ai eu droit à toute les recommandations habituelles sur comment désinfecter tout ça et tout ce qui allait avec, puis je l'ai payé.

- Merci beaucoup.

- Je t'en pris. A bientôt ?

- Bien sûr ! lui souris-je.

Je l'ai salué de la main et j'ai quitté le petit salon pour retourner à mon appartement qui n'était qu'à quelques minutes de marche. J'avais une voiture, mais circuler dans cette ville pour un si court trajet est tout bonnement impossible et inutile. C'était d'ailleurs pour cette raison que j'avais pris un appartement tout près de la fac. J'y habitais depuis seulement trois mois et je le trouvais déjà trop petit étant donné que j'avais loué un studio. Mais ça me suffisait pour le moment.

Comme c'était ma première année à la fac, je ne connaissais pas grand monde sur place puisque je ne vivais pas dans ce coin là de la capitale, mais je m'étais déjà fais quelques amis.

Le soir, j'ai téléphoné à ma mère pour lui dire que j'avais un nouveau tatouage, et comme je m'y étais attendue, elle avait hurlé. " Encore un ? Tu ne crois pas que tu en a assez ? Il faudrait peut-être arrêter, ça va te bousiller la peau. Et puis tu gaspilles ton argent pour rien, etc. ". En fait, je ne savais même pas pourquoi je lui disais tout cela. Je pourrais très bien le lui cacher, elle ne le verrait surement pas dans un futur proche, mais je ressentais le besoin de lui dire. Elle ne vivait plus avec moi, et c'était nouveau pour moi, alors je continuais de la prévenir de chaque changement dans ma vie. Bien que ces changements n'étaient pas très nombreux en quelques mois. A part mes tatouages et mes cours, je n'avais pas grand chose à lui dire, mais ça lui faisait plaisir d'avoir de mes nouvelles, tout comme moi j'aimais en avoir d'elle et de mon père.

Je les appelais environ une fois par semaine pour les rassurer que j'allais bien et que mon studio n'avait pas encore brûlé, et à chaque fois que j'avais l'un de mes parents au téléphone, leur première question était de savoir comment allait mon travail. Ils détestaient le fait que je m'échine à bosser - dans un bar qui plus est ! - alors qu'ils pouvaient me payer tout ce dont j'avais envie. Mais si j'avais décidé de ne pas partir avec eux et de prendre un appartement, c'était parce que je voulais être indépendante, voilà tout. Et ça, ils avaient beaucoup de mal à le comprendre.

Le lendemain matin, je me suis retrouvée à courir jusqu'au bâtiment de la fac de psychologie à cause de mon téléphone qui avait eu la bonne idée de s'éteindre dans la nuit. J'avais déjà raté le premier cours et le second commençait dans cinq minutes. Mon but n'était donc plus d'arriver à l'heure mais d'être en retard le moins possible.

Toutefois, alors que j'allais tourner à l'angle du bâtiment de biologie, j'ai vu un jeune homme de l'autre côté de la rue accroupi sur le trottoir qui semblait chercher quelque chose à tâtons. Il portait des lunettes de soleil alors que le temps était nuageux et c'était ce qui m'avait fait m'arrêter et traverser la route.

- Vous avez perdu quelque chose ? lui demandai-je en m'approchant.

Il ne se releva pas et me répondit froidement que non.

- D'accord. Comme vous voulez.

S'il ne voulait pas que je l'aide, c'était son problème après tout. J'allais reprendre mon chemin mais je l'entendis souffler, alors j'ai tout de même regardé autour de moi ce qu'il aurait pus perdre, et j'ai vu une canne blanche dans l'angle qui rejoignait le trottoir à la route. J'avançais pour aller la récupérer mais il m'interpela.

- Attendez.

Bien qu'il ne puisse pas me voir, je me suis tournée vers lui pour le regarder et il se redressa.

- Vous... Je cherche ma canne en fait, bafouilla-t-il.

- Je viens juste de la voir.

Je m'approchai de la route pour prendre l'objet et retournai près de lui.

- Tenez, lui dis-je en tendant le bras.

Il fit de-même et j'avançai la canne pour la mettre dans ses mains.

- Merci. Quelqu'un m'a bousculé et je l'ai fais tomber, m'expliqua-t-il en se passant la main dans les cheveux.

- Aucun problème. Je dois y aller, bonne journée.

J'avais l'air de quelqu'un d'impoli, mais j'étais vraiment pressée.

- Attendez ! répéta-t-il quand je m'éloignais.

- Oui ?

Il pointa le bâtiment que je venais de passer.

- C'est le bâtiment de lettres ou de biologie ?

- Biologie.

Il me remercia et je continuai ma course en m'excusant encore une fois - alors que je n'avais aucune raison de le faire. Au final, je suis arrivée en retard de dix minutes à mon cours de psychologie de l'enfant, mais j'ai réussi à me faufiler dans l'amphithéâtre sans trop attirer l'attention des étudiants. J'allumai mon ordinateur et commençai à taper rapidement tout ce que le prof disait, en me déconnectant de tout le reste l'espace d'un instant pour m'enfermer dans ma petite bulle. J'adorais mes cours et ils me passionnaient tous. Sauf peut-être la biologie qui était un peu moins intéressante, mais elle n'en était pas moins nécessaire et essentielle.

J'ai encore dû courir en sortant de ce cours pour rattraper Julia, une amie, qui ne m'avait probablement pas vue arriver.

- Emmy ! Tu étais au cours ? Je ne t'ai pas vue.

- Oui, je me suis levée en retard.

- Tu étais aussi en anglais à huit heure ?

- Non, rigolai-je, mais l'anglais je n'en ai pas vraiment besoin alors ça me dérange moins.

On sortit du bâtiment pour aller dans celui de biologie. Pendant le trajet, j'ai parlé à Julia du jeune homme que j'avais croisé en venant, et elle pensait exactement la même chose que moi. Les gens n'avaient vraiment aucun respect. Pas seulement parce que ce type était aveugle, c'était seulement un manque de politesse de bousculer quelqu'un sans se pré-occuper de quoique ce soit.

Pour ma part, lorsque je rentrais accidentellement dans quelqu'un, je me confondais en excuses pendant plusieurs minutes. Sauf si la personne en face de moi était désagréable, ça allait de soit. Alors, je m'excusais rapidement et reprenais mon chemin après avoir vérifié que je n'avais pas causé de problèmes. Mes parents m'avaient toujours appris la politesse, et je m'appliquais à chaque fois à mettre en œuvre, le plus souvent possible, ces leçons de savoir vivre.

- N'empêche, il était mignon, souris-je à Julia en m'asseyant à une place dans l'amphithéâtre.

- Mais il est aveugle, comment veux-tu qu'il sache que toi tu es sublime ? me lança-t-elle en rigolant.

- D'abord, je ne suis sublime, c'est toi qui l'est. Ensuite, je l'ai croisé rapidement alors je ne pense pas que je le reverrais quelque part. Et puis je ne l'avais jamais vu avant.

- Il est peut-être nouveau sur le campus, supposa Julia.

- Peut-être, oui.

La fin de cette discussion a été marquée par l'arrivée de la prof et de ses explications sur les neurones et les synapses ainsi que tout ce qu'il se passait dans le cerveau lorsqu'on prenait une décision, ou lorsqu'on réfléchissait. Tout ce qui était un peu chiant à vrai dire, mais aussi tout ce qui était obligatoire. Malheureusement.

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