Chapitre 19 : Chris.
« Aucun homme ne peut-être heureux s'il n'a pas d'illusions. Les illusions sont aussi nécessaires à notre bonheur que les réalités. » - Christian Nestell Bovee
*****
Trois jours. Trois jours durant lesquels je devenais de plus en plus stupide à chaque heure de la journée. Trois jours depuis le moment où elle m'avait avouer ce que j'avais voulu entendre, et comme un con, je n'avais rien trouvé à dire. Ou faire.
Je n'aurais pas eut ces lunettes noires sur le nez, ses pansements collés sur mes paupières m'empêchant de voir quoique ce soit, j'aurais embrassé Emmy, et je ne l'aurais lâchée seulement pour que l'air emplisse mes poumons.
Je ne lui aurais rien dit du tout, je n'en aurais pas eut le temps.
Je lui aurais montré que moi aussi, j'avais envie de l'embrasser et que je n'étais pas certain de pouvoir me retenir, pour reprendre ces propres termes qui me convenaient tout à fait. Que j'en mourrais d'envie depuis le début. Que je la désirais même si mes yeux étaient défectueux. Que j'avais cette attirance tellement puissante pour elle que j'acceptais n'importe qu'elle aide de sa part, juste pour sentir l'odeur de vanille qui me permettait de l'identifier et qui me plaisait tant.
Mais je n'avais rien fait de tout cela, non. Ma bouche avait tout bonnement refusé de s'ouvrir, pendant que mes pieds s'étaient ancrés dans le carrelage de ma cuisine. Là où elle m'avait planté après le silence qui avait suivi ces paroles.
- Je suis vraiment trop con... marmonnai-je.
- Depuis le temps que je te le dis ! s'exclama mon frère sur le tapis de course voisin du mien.
- Oh ça va.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu es bien grognon ce soir, se moqua-t-il délibérément.
- Je ne suis pas grognon, comme tu dis.
- C'est à cause d'Emmy ?
Si tu savais...
Je n'avais rien dit de tout cela à Andrew. Je ne voulais pas entendre son rire résonner dans mes oreilles jusqu'à la fin de mes jours, à cause de ce que je n'avais pas fait. Parce qu'il l'aurais fait, c'était certain. Et il aurait toutes les raisons du monde de la faire ! Moi-même je ne faisais que m'auto-flageller.
- Vous vous êtes prit la tête ? insista-t-il.
Au contraire, c'était le silence radio depuis soixante-douze heures. Elle ne m'avait pas appelé et moi non plus. Qu'aurais-je bien pu lui dire ?
De son côté, si elle ne m'avait toujours pas téléphoné, c'était probablement parce que j'en avais foutu un sacré coup à sa fierté. J'avais dû la vexer de n'avoir rien répondu, et elle ne voyait donc plus l'intérêt de me contacter. J'aurais dû dire quelque chose, n'importe quoi pour ne pas devoir faire face à un silence horriblement pesant et déplaisant.
J'aurais aussi aimé pouvoir lire dans sa tête, mais déjà que je ne pouvais rien percevoir dans ses yeux, c'était compliqué. J'étais compliqué.
- Chris je te parle ! s'écria mon frère comme si j'étais à cinq cent mètres de lui.
- Et je t'entends.
- Alors réponds-moi. Qu'est-ce qu'il se passe ?
J'étais compliqué, voilà ce qu'il se passait. Ce handicap - parce qu'il l'était plus que jamais aujourd'hui - me freinait à un point auquel je ne m'étais jamais attendu. Il me freinait parce que c'était à cause de ça que je n'avais rien fait. Non pas que je voulais voir Emmy avant, mais parce que je ne comprenais pas son intérêt pour ma personne. Pourquoi une fille voulait d'un mec qui ne pouvait pas la voir ? Ce n'était pas logique. Même si je lui avais dit que ce n'était pas irréversible, je l'avais aussi prévenue que je ne savais pas quand je pourrai revoir la lumière du jour.
Ça ne la dérangeait donc pas que je ne la regarde pas ? Que je ne puisse pas lui dire qu'elle était belle sans passer pour un menteur fini ?
- Chris ! Tu vas finir par te péter la gueule si tu ne fais pas attention à ce que tu fais.
Me péter la gueule ? Ouais. Probablement. Quand je lui parlerai, je me casserai sûrement la gueule, parce que je ne savais pas quoi faire. J'avais l'impression que ma confiance en moi s'était envolée en même temps que ma vue. Mais finalement, c'était logique : comment quelqu'un pouvait-il être sur de lui sans être capable de constater par lui-même qu'il n'a pas confondu shampooing et coloration ?
A l'heure d'aujourd'hui, il ne subsistait en moi que deux certitudes : 1) Emmy voulait m'embrasser - et j'avais l'air d'un parfait gamin à me ressasser sa phrase sans arrêt. 2) Je ne sortirai pas avec elle - si toutefois son aveu était de paire avec une hypothétique relation avec moi - tant que ma vue serait aux abonnés absents.
- J'ai compris ! C'est parce que tu sors enfin avec Emmy ?
Rectification : 2) Il faut que je parle avec elle pour avoir une chance de répondre - tardivement, certes - à ce qu'elle m'avait dit. Toutefois, j'ignorais totalement si j'allais lui dire ma réponse, ou la lui montrer.
Je me berçais peut-être d'illusions, mais ça me plaisait. Et puis, il ne me restait que ça ces derniers temps : illusion et imagination. Alors j'avais le droit de me complaire à ce que bon me semblait, pas vrai ?
***
- C'est la deuxième fois que tu trébuches, Chris ! se moqua mon frère alors que je venais de buter contre le trottoir face à mon immeuble. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ce week-end avec ta copine - et j'aimerais bien le savoir, crois moi - mais ça t'a complètement vidé la tête.
C'était tout le contraire : il ne s'était absolument rien passé ce week-end et ma tête était remplie de questions sans réponses. Insupportable !
- Et en plus, tu ne me réponds jamais !
- Je dois me concentrer pour éviter de tomber, rétorquai-je inutilement.
- Mais bien sûr...
Je continuai de gravir les marches en prenant garde de mettre un pied devant l'autre, mais je m'arrêtai sur le palier du troisième étage. Une odeur de vanille que je connaissais parfaitement flottait dans les airs et m'enivrait totalement. Soit son parfum survenait chaque fois que je pensais à elle, soit elle n'était pas loin. Ou elle venait de partir, au choix.
L'idée que quelqu'un d'autre pouvait posséder la même fragrance ne me vint même pas à l'esprit.
- Qu'est-ce que tu fous Chris ? Tu vis plus haut je te rappelle, grogna mon frère, légèrement sur les nerfs.
Je me dépêchai de le rejoindre et plus j'avançais, plus l'odeur était présente. Mon hypothèse se transforma en certitude quand mon frère ouvrit la bouche.
- Salut Emmy, tu nous attendais ?
Pourquoi elle t'attendrait toi devant chez moi ?
- Ouais, hum... En fait, j'ai essayé de t'appeler et tu n'as pas répondu. Alors je suis venue. Mais j'avais oublié que vous étiez à la salle de sport, alors voilà...
Je devinai qu'elle s'adressait à moi étant donné que Andrew n'avait pas son numéro. À moins que... Non. Non, il ne l'avait pas. De plus, il ne répondit rien, alors je pris la parole, pendant que mon frère déverrouillait la porte.
- Désolé, je ne prends pas mon téléphone quand j'y vais, m'excusai-je en me passant une main nerveuse dans les cheveux. Tu... Tu veux entrer ?
- Bien sur qu'elle veut entrer ! s'exclama mon frère à sa place. Elle attend depuis des heures dans les escaliers, assise dans le froid, à même le sol, alors je ne pense pas que ce soit uniquement pour apercevoir ta belle gueule l'espace d'une seconde.
Qui m'avait donné un frère comme lui ? Le jour ou je retrouverai la vue, je lui ferai la peau !
Le rire d'Emmy retentit légèrement près de moi, et je la suivis dans mon appartement.
- Andrew ? l'appelai-je en refermant la porte derrière moi.
- Ouais ?
- Ferme-la de temps en temps, tu veux ?
Il explosa de rire et s'installa sur le canapé.
- Comme je suis un grand frère aimant et aimable, je te laisse aller prendre ta douche en premier, m'informa-t-il en souriant. Emmy, tu veux boire quelque chose ?
- Tu vas surtout rentrer chez toi, rétorquai-je un peu énervé à l'idée qu'il puisse se retrouver seul avec elle.
Non pas que j'étais jaloux, je craignais seulement la discussion qu'ils pourraient avoir tout les deux.
- Tu ne vas quand même pas rester plein de sueur face à cette demoiselle, Chris ? Elle est venue pour te voir, pas pour te sentir.
Charmant commentaire Andrew... Merci, vraiment !
- Et puis je vais la surveiller, ne t'en fait pas ! m'assura-t-il en souriant de plus belle.
Génial ! J'étais totalement rassuré maintenant !
***
Après une douche prise en quatrième vitesse et un orteil perdu à cause d'une bouteille de shampooing que je croyais en équilibre sur le rebord de ma douche, je sortis enfin de la salle de bain, les cheveux encore dégoulinant.
- Il n'y avait plus d'eau chaude pour que tu sortes aussi rapidement ? demanda Andrew en riant.
Il le faisait vraiment exprès, ce n'était pas possible autrement...
- En attendant, il sent bon, lui, contesta Emmy.
- Ouais, c'est ça ! Change de camp ! riposta le gamin qu'était mon frère. Enfin, je vais vous laisser tranquille étant donné que je ne suis pas le bienvenu. Je suppose que je n'ai pas besoin de te faire à manger Chris ?
Ce n'était pas vraiment à moi de répondre à cette question, alors je laissai faire Emmy.
- Je le ferai, ne t'inquiète pas, confirma mon amie en souriant.
- Très bien, alors je m'en vais. Ne faites pas trop de bêtises !
J'imaginais parfaitement le sourire en coin et le clin d'œil complice qu'il aurait pu faire à cet instant. Il était affreusement lourd aujourd'hui !
Quand la porte claqua, je laissai échapper un soupir de contentement très peu discret, avant de me laisser tomber sur le canapé.
- Désolé. Il est vraiment chiant quand il s'y met...
- Ne t'en fait pas, je commence à avoir l'habitude ! rit-elle. Ça ne me dérange pas.
- Ouais, et bien ça se voit que ce n'est pas toi qui subit !
- Tu n'en ferais pas autant si c'était la situation inverse ?
Oh que si !
- Là n'est pas la question, rigolai-je à mon tour.
Son rire m'avait manqué ces trois derniers jours. Emmy et moi avions pris l'habitude de nous téléphoner presque tout les jours, étant donné que les messages n'étaient pas très utiles pour mon cas. Et depuis trois jours, il n'y avait rien eut.
C'était dingue de se dire que cette fille ne sortait jamais de mes pensées, qu'elle soit avec moi non. Qu'elle m'obsédait au point de me demander plusieurs fois par jour ce qu'elle faisait et avec qui. Que malgré le fait que son visage soit très flou pour moi, il ne sortait pas de ma tête. Comment pouvais-je être à ce point... accroc ? à une fille sans jamais l'avoir vue ? Pire encore : si elle accaparait toutes mes pensées aujourd'hui, qu'est-ce que ça allait être quand je pourrai enfin planter mes yeux dans les siens !
Je commençais déjà à m'effrayer moi-même et à m'enflammer quelque peu. Il se pourrait très bien qu'elle ne soit ici ce soir que pour me demander d'oublier les derniers mots qu'elle m'avait dit...
Sans que je ne m'en rende compte un silence s'était installé depuis plusieurs secondes maintenant. Silence qu'elle meubla rapidement.
- Tu veux manger maintenant je suppose ?
***
Après avoir mangé ce qu'Emmy avait préparé, nous étions installés sur le canapé. On avait discuté de tout et n'importe quoi pendant le dîner, comme si rien ne s'était passé, sauf du sujet que je voulais aborder. Et il fallait que je l'aborde d'une façon ou d'une autre, alors je tentai quelque chose.
- Tu as dis que tu m'avais téléphoné avant de venir ; tu voulais quelque chose de spécial ?
- Savoir comment tu allais. Et te voir.
Me voir... Si seulement moi je pouvais la voir et voir le sourire qu'elle arborait en ce moment même !
Son commentaire me fit sourire et la musique préférée d'Emmy se mit en route. J'aimais beaucoup cette musique moi aussi.
- Je vais bien, répondis-je simplement.
- Je vois.
Un léger silence s'abattit entre nous, laissant les cordes des violons résonner agréablement.
- Est-ce que c'est à cause de ce que je t'ai dit dimanche soir que tu ne m'as pas rappelée ?
C'était si évident que ça ? Bien sûr. Je n'avais pas ouvert la bouche avant aujourd'hui, donc c'était logique.
- Ton silence veut dire que oui, comprit-elle. Désolée... s'excusa-t-elle en s'enfonçant dans le canapé.
- Ne t'excuse pas. Ce n'est pas exactement à cause de ce que tu as dit... Je n'ai pas su quoi te répondre et... Je m'en veux un peu.
- Tu n'as pas à t'en vouloir. Je t'avais dit que ce n'était pas toujours bénéfique de dire ce qui me passait par la tête, dit-elle en riant doucement.
Sans réfléchir, je me tournai vers elle pour déposer mes mains sur son visage avec délicatesse. Je voulais voir son sourire mais il n'était pas présent sous mes pouces. Elle semblait surprise de mon geste mais ne dégagea pas mes mains.
Je voulais voir son sourire. Je devais la faire sourire. Je pourrais très bien lui demander de m'en offrir un, mais je préférais qu'il vienne d'elle-même. Demander à une personne de sourire et tout faire pour qu'elle le fasse d'elle-même étaient deux choses diamétralement opposées. Et la première n'était définitivement pas ce que je souhaitais. Je voulais sentir un sourire vrai et sincère sous mes doigts.
- Ça fait quoi si je t'embrasse sur ta musique préférée ? lui demandai-je sérieusement tout en me demandant d'où me venait cette confiance.
Je n'avais pas prévu de dire cela, mais une fois prononcée, cette phrase me plaisait beaucoup.
Doucement, ses lèvres s'étirèrent en un léger sourire, mais qui était tout de même magnifique. J'imaginais ses yeux bruns plantés dans les miens à cet instant, alors que ses dents étaient en train de mordre machinalement sa lèvre inférieure.
J'avais gagné.
Soudain, son sourire s'élargit davantage, laissant mes pouces détailler chaque millimètres de ses lèvres, laissant ma peau s'imprégner lentement de la chaleur de la sienne, avant que son souffle ne réchauffe mes doigts quand elle ouvrit la bouche pour prononcer quelques mots.
- Fais-le et tu verras.
Il ne m'en fallut pas plus pour approcher mon visage du sien et enfin goûter à ses lèvres. Elles étaient encore plus douce que sous mes doigts, c'était encore mieux que dans mon imagination, à tel point que je me demandais en ce moment même si ce n'était pas qu'une illusion.
La plus belle des illusions.
Les archets des violons passèrent plus rapidement sur les cordes des instruments au moment où Emmy passa sa main sur ma joue, puis sur ma nuque avant d'arriver dans mes cheveux. J'entrouvris la bouche pour frôler ses lèvres de ma langue mais j'y trouvai la sienne à la place. Je me délectais de cette douceur et me perdais totalement dans ce baiser. Je n'étais plus maître de moi. Je ne faisais qu'agir, sans réfléchir.
Jamais mon imagination ne m'aurais permis de ressentir autant de choses pendant ce baiser. Jamais un baiser ne m'avait fait ressentir autant de choses. C'était invraisemblable.
Ma main glissa jusqu'à sa taille que j'agrippai avec beaucoup plus de fermeté que je ne le pensais. Je voulais me persuader qu'elle était toujours là. Qu'elle n'avait pas disparu. Que cet instant était bien réel. J'en avais besoin.
Le baiser pris fin en même temps que la dernière note de violon s'évapora dans le silence de mon appartement. Entre deux musiques, la seule mélodie que l'on pouvait entendre était le mélange de nos respirations frénétiques tentant désespérément de ralentir la cadence. Tout comme mon cœur qui n'était pas très loin de bondir de ma cage thoracique.
Comment faisait-elle ? Comment était-ce possible qu'elle me mette dans un état pareil avec un simple baiser ? Avec de simples caresses sur la joue et dans mes cheveux ? Avec un simple sourire que je ne pouvais qu'imaginer ?
C'était complètement dingue. Totalement insensé. Que me faisait-elle ?
Emmy passa ses deux mains sur ma nuque et approcha mon visage pour murmurer quelques mots contre mon oreille.
- Maintenant, j'ai une raison de plus d'adorer cette musique.
Et moi dont !
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