6 - Gouffre

Au bout de quelques heures, je suis enfin chez moi. Je me sens complètement vidé, c'est peut-être pas plus mal que j'aille pas à cette fête au final. Quatre soirs de débauche d'affilée, je commence probablement a atteindre mes limites.

Je prends une douche rapide, me dégageant à peine de la sueur et la saleté accumulées, avant de m'effondrer sur mon lit. Je m'écroule comme une masse, sans même vérifier mon portable. Malgré le chaos de la journée, je plonge dans un sommeil lourd, trop épuisé pour réfléchir davantage. Les rêves me prennent rapidement, ou plutôt des cauchemars : des images déformées, des sons étranges, dans une ambiance psychédélique. Romane se dandine dans la voiture. Romane qui déboutonne ma braguette. « Tu vois que t'en as envie, tu bandes. » Et soudain, quelqu'un toque à la portière, le grand frère... Non, non pas le grand frère, s'il vous plaît !

Je me réveille en sursaut, le cœur battant à tout rompre, le corps en sueur. J'entends frapper encore, et je comprends enfin que ce bruit n'est pas dans mon rêve, mais quelqu'un toque vraiment à la baie vitrée de ma chambre. Je me frotte les yeux, et je pense savoir qui c'est. Elle va s'inquiéter si je ne lui ouvre pas.

— Val ! Valentino ! C'est moi ! Ouvre !

C'est Paola. Je lui ouvre sans réfléchir.

— Val ! s'exclame Paola dès qu'elle croise mon regard. Elle me prend dans ses bras. 

— Je sais ce qu'il s'est passé aujourd'hui ! elle enchaîne.

— Co... comment ça ? je demande, l'anxiété me nouant la gorge.

— Des salauds ont crevé les pneus de ta moto. Je suis désolée !

Un frisson étrange me parcourt. Je pense à tout ce que j'ai vécu de pire aujourd'hui, mais en même temps, je suis soulagé qu'elle n'en sache rien. Ce ne sont pas ses affaires, ni celles de personne d'ailleurs...

— Oh, c'est rien, je changerai les roues demain.

Je la fais entrer, ou plutôt c'est elle qui entre. Je referme la porte, et elle se jette à mon cou pour m'embrasser.

— J'avais trop envie de toi aujourd'hui ! Je ne peux plus me retenir !

J'en reviens pas. En temps normal, ces mots auraient suffi à me rendre fou, mais là, ils ne me procurent rien d'autre qu'une vague amertume. Je ne peux même pas réfléchir. Je me laisse simplement porter par son étreinte jusqu'à mon lit. Je me déshabille machinalement, sans me poser de questions. D'habitude, j'ai toujours envie, il n'y a pas de raison que ça change du jour au lendemain, et puis elle ne comprendrait pas. On continue de s'embrasser tout en s'asseyant. Elle s'allonge sur le dos, en ouvrant les jambes, face à moi. Je me penche pour attraper une capote dans le paquet sur l'étagère au-dessus de mon lit, comme à mon habitude.

— Mais, mais tu bandes pas ? me demande-t-elle, les sourcils levés de surprise, alors que je suis au-dessus d'elle.

Je jette un coup d'oeil et constate qu'elle a raison. J'étais tellement ailleurs que je ne l'avais même pas remarqué. Je me rappelle soudain de la main de Romane glissant dans mon pantalon et qui m'avait fait entrer en érection malgré moi, accompagné de ce léger sentiment de culpabilité. Elle me questionne à nouveau :

— Je t'excite plus ?

Elle se trompe. Ça n'a rien à voir avec elle. Je dois me rendre à l'évidence, ce que j'ai vécu aujourd'hui m'a complètement coupé toute envie de sexe ! Je ne trouve pas la force de répondre. Ma gorge se serre à nouveau, comme quand j'étais dans ce parking souterrain. Ma mâchoire se crispe et ma lèvre inférieure se met à trembler. Qu'est-ce qui m'arrive ?

— Val, ça va ? Tu es tout blanc. reprend-elle, m'observant avec inquiétude.

Elle me demande si ça va ? Est-ce que ça va ? À ces mots, je ressens à nouveau le froid de la lame effleurant ma joue, le frisson s'étendant brutalement dans toute ma colonne vertébrale. Mes yeux se remplissent de larmes, comme lorsque j'ai retiré le bandeau. D'un coup, je m'effondre sur le corps de Paola et je me mets à pleurer toutes les larmes de mon corps. Je pleure tellement que ma respiration est complètement saccadée, comme une fillette qui chouine dans les bras de sa mère.

— Je suis désolé ! dis-je difficilement entre deux sanglots, trempant littéralement Paola de mes larmes.

— Mais enfin je... je t'ai jamais vu dans cet état pour si peu, ni même dans cet état tout court. Tu pourrais faire un effort, après ce que je viens de dire !

Elle n'ose pas bouger, et ne peut pas vraiment puisque je suis étalé sur elle... Je reprends mon souffle après quelques secondes.

— Si... si un mec te forçait à le sucer, comment tu le prendrais ?

— Bah c'est ce qu'on appelle un viol, ça va, j'ai compris, je te lâche ! Pas la peine de se mettre dans cet état pour si peu, putain !

Merde, elle doit penser que je dis ça pour elle, parce qu'elle me forçait, alors que ce n'est pas d'elle que je parle. Elle soupire en jetant un œil à l'heure affichée sur son téléphone posé par terre. Instinctivement, je la serre contre moi. Elle a un côté rassurant, presque maternel. Entendre son cœur cogner contre sa poitrine me procure un vague sentiment d'apaisement que je ne saurais expliquer.

— Je n'aurais pas dû venir sans te prévenir, soupire-t-elle à nouveau en se dégageant de moi.

« Reste ! » J'aimerais tellement lui dire, mais ça ferait vraiment trop pitié. Elle se redresse et s'assoit sur le bord du lit. Je reste allongé à pleurer, comme un con, en la regardant se rhabiller. Qu'est-ce que je fous putain ? Depuis quand suis-je devenu ce genre de looser ?


Après son départ, ses mots continuent de résonner dans ma tête : « C'est ce qu'on appelle un viol. » Un viol ? C'est ça un viol ? Je ne veux pas y croire. Mais alors, c'est aussi dégueulasse que ce qu'on raconte ? Quand cette vérité me frappe de plein fouet, c'est comme si tout mon estomac se retournait. Je me précipite aux chiottes, l'angoisse au ventre. Heureusement que mon père n'est pas là ce soir, je préfèrerais crever que de lui expliquer ce qui m'arrive. Je me vide encore et encore, même si j'ai rien avalé de la soirée. C'est comme si mon corps cherchait à se purger de tout ce que j'ai encaissé, mais ça sort pas. Rien ne sort vraiment.

Je me sens sale. Dégoûtant. Je suis déjà à poil, alors je file direct sous la douche. L'eau chaude brûle ma peau, j'alterne avec de l'eau glacée, comme pour essayer de penser à autre chose, mais ça ne fait rien. Je me mets à pleurer, encore. Des putains de larmes qui coulent sans fin. Ça fait des années que j'ai pas pleuré, mais là, c'est incontrôlable. Je me savonne encore et encore, frottant chaque centimètre de ma peau, comme si je pouvais effacer tout ce qui s'était passé avec du savon. C'est con, mais je comprends maintenant ce que les femmes ressentent après s'être fait salir. Cette sensation d'être souillé jusqu'à l'âme.

Je suis au fond du gouffre, encore plus bas que ce que j'ai jamais ressenti. Et j'en ai connu des descentes de bad trip, des moments où tout te semble pourri, mais là, c'est pire. Gerber et pleurer en même temps, c'est même pas suffisant pour faire sortir ce que j'ai en moi. Y'a trop, c'est trop lourd, et j'ai l'impression que ça va jamais s'arrêter. Je suis tellement déchiré que même ça, c'est pas assez. Non, je crois qu'il y a qu'une seule chose qui pourrait calmer ce bordel dans ma tête...

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