24 - Secret bien gardé
Miguel range son téléphone, tire une chaise, et s'installe en face de moi, le regard attentif, comme prêt à encaisser ce que je m'apprête à lui dire. J'essuie les dernières traces de larmes qui traînent encore sur mes joues avec ma manche, inspirant profondément pour me calmer. Une part de moi sait que c'est le moment de tout dire, de déballer ce que je garde depuis des jours, mais... jusqu'où je peux aller ?
- La semaine dernière, quand je t'ai appelé, t'étais en train de te défoncer, pas vrai ? commence-t-il, comme pour m'encourager à continuer.
- Ouais, si tu m'avais pas appelé... j'aurais peut-être vraiment fait une connerie, j'avoue, ma voix un peu cassée. Je te dois beaucoup, tu sais.
- J'ai senti que tu partais en vrille. T'avais une voix de mec désespéré. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Je serre la mâchoire, pris entre deux feux. Si je lui dis... tout ? J'essaie de prendre sur moi, de trouver les mots qui déballeraient la vérité sans l'exposer complètement, et pourtant...
- C'est quand... quand je suis monté dans la voiture de Romane, tu te souviens ? finis-je par dire d'une voix plus basse.
Miguel acquiesce, intrigué, mais patient.
- Ouais... ? Où tu veux en venir ?
- C'était... un guet-apens. Son frère nous a rejoints, et ils m'ont agressé... C'était une vengeance personnelle, je lâche finalement, chaque mot me brûlant la gorge.
Miguel me fixe, ses yeux s'écarquillant au fur et à mesure qu'il comprend.
- Putain, Val... J'aurais jamais deviné... C'étaient ça, tes bleus ? Je pensais que tu t'étais juste battu.
Je baisse la tête, un nœud dans la poitrine, tandis que Miguel continue, plus tendu :
- Et le lendemain, ils sont morts. C'est là que la PDI a commencé à t'emmerder, c'est ça ? Mais attends, Val... Tu penses que ça pourrait être en rapport avec ce qui t'es arrivé ? Est-ce que...
- J'y suis pour rien, ok ? je coupe, plus froidement que prévu. J'en sais rien, en vrai... enfin, presque rien. Mais forcément, avec les vidéos de surveillance et tout, tu te doutes bien que la PDI m'a sauté dessus dès qu'ils ont pu. Voilà pourquoi ça va pas trop. Se faire accuser pour un truc pareil... c'est l'enfer, franchement.
Miguel acquiesce, puis murmure, presque pour lui-même :
- Ça me rappelle la fois où j'ai failli buter mon beau-père...
Je le fixe, surpris. Cette histoire, il n'en parle jamais, ou alors très vaguement.
- Parce qu'il battait ta mère, c'est ça ?
Miguel sourit, un sourire sans joie, même crispé, juste une ombre, et hoche la tête, détournant légèrement les yeux.
- Ouais... c'est pour ça, répond-il, mais je vois à son regard que c'est pas la seule raison.
On reste là, en silence, nos secrets planant entre nous, comme s'ils étaient sur le point de se révéler. Je me demande si Miguel a deviné le fond de mon histoire, tout comme j'ai cru entrevoir une part de la sienne.
Miguel finit par briser ce court silence :
- Bon, dommage qu'ils soient morts, on serait allé les défoncer ! Ha ha... comme à l'ancienne... Sinon, premier degré, on fait quoi de... « ta fille » ?
Ce qu'il dit là pourrait me donner une bonne occasion de justifier mon enquête pour retrouver Lie Killer et de recevoir une aide supplémentaire. Mais faut avouer que l'urgence actuelle, que j'avais presque oubliée, concerne ma potentielle progéniture en train de gesticuler sur mes genoux.
-Tiens, prends-la deux secondes, dis-je en la lui tendant un peu brusquement.
- Hé ! Doucement ! Sa tête ! Tu dois la tenir mieux ! Pas comme ça ! s'exclame-t-il en me l'arrachant presque des mains.
- Ah, ça va ! Je savais pas que t'étais un expert en bébés, j'ironise, en levant les mains comme pour m'excuser.
- Contrairement à toi, je suis pas fils unique, alors ouais, j'ai quelques connaissances, balance-t-il avec un petit sourire satisfait.
- Génial, je t'appellerai quand faudra changer les couches... dis-je, en me levant pour aller vers la salle de bain.
J'ai besoin de souffler. J'entends Miguel faire du baby talk à travers la porte. Il roule déjà des rrrrrr et fait des bruits idiots. Je lève les yeux au ciel. Pfff, je pensais pas qu'il deviendrait gaga si vite.
Je reviens quelques minutes plus tard, en me frottant le visage avec une serviette. Miguel berce la petite avec une attention que je n'aurais jamais soupçonnée chez lui.
- Val, en vrai... elle te ressemble, t'as vu ? Elle a les mêmes yeux noirs que toi, dit-il en la regardant fixement.
Je sens une boule se former dans ma gorge. J'évite de croiser son regard, et je murmure :
- Putain... qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire...
Au même moment, la porte d'entrée s'ouvre d'un coup. Mon père entre, sans prévenir.
- Ah tiens, salut Miguel. Pourquoi t'as un bébé dans les bras ? demande-t-il, comme si c'était la scène la plus normale du monde.
- Sa... salut, Pablo... euh, ça... ça va ? répond Miguel avec une spontanéité qui frôle la panique.
Nos regards se croisent brièvement, une tension palpable dans l'air. Je recule discrètement pour cacher l'enveloppe dans ma poche, essayant de gagner du temps pour trouver une explication qui tiendrait à peu près la route.
Mon père se tourne vers moi.
- En fait, c'est...
- ...c'est ma petite sœur ! m'interrompt Miguel, avec une assurance qui me laisse bouche bée. Elle vient de naître il y a quelques jours et... je dois la garder aujourd'hui. Ma mère a besoin de repos et mon père travaille.
Je facepalme. Sérieusement Miguel ? Mais à ma grande surprise, mon père hoche la tête, un sourcil légèrement levé.
- Je savais pas que ta famille attendait encore un enfant. Et en plus, te laisser t'en occuper, toi, c'est étonnant, rétorque-t-il avec une pointe de sarcasme.
- Ouais, ha ha... c'est fou ! Mais ils sont tellement débordés que je deviens quasiment parent officiel à plein temps là !
Mon père le fixe, sceptique, puis se tourne vers moi avec un air plus accusateur.
- Et toi, Val ? Pourquoi t'as pas proposé quelque chose à boire à Miguel, hein ? T'as aucune éducation ou quoi ?
- Euh... on allait se poser justement, et... euh... commencer un projet ensemble, je bafouille, tentant d'aligner un semblant de logique.
Miguel enchaîne avec un sourire revanchard :
- D'ailleurs, Val a accepté de m'aider à garder ma petite sœur. Bientôt prêt à être père ton fils !
Son histoire tient plutôt bien la route. Enfin, sauf si on considère que jamais je n'aurais accepté un truc pareil, et encore moins que mon père puisse gober une excuse aussi tirée par les cheveux.
- Hein ?! Val ? Du baby-sitting ? T'es sérieux, là ? C'est vrai, Val ? me demande-t-il en se tournant vers moi, le regard mi-amusé, mi-sceptique.
Je sens la sueur perler sur ma nuque.
- Euh... ouais, enfin... c'est... la directrice qui me l'a recommandé... pour... je bafouille en cherchant désespérément une suite crédible.
Miguel, visiblement en pleine forme, me coupe la parole avec un sourire éclatant :
- ...pour son changement de filière ! Elle voulait qu'il prenne un vrai défi, sortir de sa zone de confort, tout en prouvant qu'il pouvait être responsable. On a trouvé que garder ma petite sœur, c'était parfait. Et puis, il a jamais eu de petit frère ou de petite sœur, alors c'est l'occasion rêvée !
Je le regarde, sidéré. Ce mec improvise mieux que moi, et ça me fout presque la haine.
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