23 - Un choc de plus
Je dévisage la petite fille, encore en train de digérer le choc. Sérieusement ? Est-ce que c'est possible que je sois... père ? J'arrive même pas à y croire. Et la mère, ce serait qui, au juste ? Je revois toutes les soirées floues de l'an dernier, défile mentalement la liste des filles que j'ai fréquentées... mais franchement, comment me rappeler de chacune ?
La voilà qui commence à remuer, ses yeux s'ouvrent doucement et, bam, elle me fixe. Ses prunelles sont noires, profondes, comme les miennes...
— Eh ben, t'as un vrai regard de p'tite tueuse, toi, je lâche, un peu à côté de mes pompes. C'est quoi ton nom, au fait ?
Je commence à fouiller le sac, cherchant un indice, une note, quelque chose qui pourrait m'aider à comprendre la situation. Mais à part des couches, des biberons et d'autres trucs dont j'ignore l'utilité, y'a rien. C'est une blague, hein ? Je suis censé faire quoi avec ça, moi ? Je tente de reprendre mes esprits, décroche le téléphone pour appeler la police, mais... pile à ce moment-là, elle se met à pleurer.
Je me fige. Son cri est minuscule, mais il me transperce. Je repose le combiné en jetant un coup d'œil vers elle, qui s'agite dans son landau. C'est là que la question me frappe : et si c'est vraiment ma fille, qu'est-ce qu'ils vont en faire, les flics ? J'imagine l'assistante sociale la récupérant, la confiant à un inconnu...
Je secoue la tête pour me reprendre, mais c'est plus fort que moi. L'idée de l'abandonner me pèse lourd, comme si un truc en moi refusait de reproduire le schéma que j'ai vécu, moi. Au fond, je sais ce que ça fait, de se sentir mis de côté, invisible. Pas moyen de faire ça, même à un bébé qui vient de débarquer de nulle part.
Je pose le téléphone et regarde le sac avec ses affaires. Bon, si je dois vraiment m'occuper d'elle, autant m'y prendre bien. Je fouille, trouvant des biberons, une boîte de lait en poudre... et rien que la vue de cette poudre blanche me fait grimacer. Cette teinte, cette texture... ça me rappelle bien une autre poudre que je m'envoyais pour oublier la réalité. Un drôle de clin d'œil du destin. Sauf que cette fois, c'est pas pour moi...
Je lis les instructions sur la boîte, tentant de comprendre le mode d'emploi du « biberon pour débutants ». Faut-il chauffer l'eau d'abord, mélanger ensuite ? Ou l'inverse ? Je fouille sur mon téléphone, cherchant des vidéos pour préparer un biberon sans déclencher un désastre. Après quelques minutes de tâtonnement, je finis par réussir.
Je retourne dans le salon avec le biberon dans une main et le bébé dans l'autre. Je la soulève doucement, un peu maladroit, mais elle s'installe naturellement contre moi, comme si tout ça était la chose la plus simple au monde. Elle attrape la tétine presque immédiatement, ses minuscules doigts serrant mon t-shirt, son visage parfaitement calme. Avec chaque gorgée, elle semble s'apaiser... et, bizarrement, moi aussi.
Je me pose sur le canapé, continuant de lui donner le biberon. Les respirations lentes et régulières de la petite me font oublier tout le reste. Au bout d'un moment, elle s'endort, encore accrochée à moi. Et alors que je l'observe, je ressens un apaisement que j'avais presque oublié. Un truc différent, vrai, comme une accalmie au milieu du chaos.
Par contre... qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire aux autres ? Cacher cette petite chose ? Sinon, je connais un certain père qui n'hésiterait pas à se charger de ce que je n'ai pas eu le courage de faire.
J'ai à peine le temps de réfléchir que la porte s'ouvre brutalement, et Miguel débarque dans le salon avec son habituel « Je suis là !! » Mais il se fige en me voyant, moi, sur le canapé, un bébé dans les bras, le regard perdu. La surprise se lit immédiatement sur son visage.
— C'est une histoire compliquée, dis-je en essayant de garder un ton détaché.
Je lui fais signe de baisser la voix pour pas réveiller la petite.
— Pourquoi... t'as un gosse ? J'ai raté un épisode ? Tu fais du babysitting ? Il murmure, fixant tour à tour le bébé et moi.
— Regarde dans l'enveloppe sur la table, je réponds en soupirant. Quelqu'un l'a déposée là devant la porte, je... j'y crois pas encore moi-même.
Je le regarde déplier le mot, et son visage passe par toutes les émotions en lisant la même bombe que j'ai lue il y a quelques minutes.
— C'est... c'est ta fille ?! balbutie-t-il.
— Apparemment... je soupire, mes épaules affaissées sous le poids de la nouvelle.
— Alors quoi ? Tu vas abandonner tes études pour devenir... « père au foyer » ? ironise-t-il, sa voix étranglée entre l'étonnement et l'amusement.
Mais la tristesse revient me prendre à la gorge, la même tristesse insurmontable, brutale, que j'ai ressentie ce soir-là, après... ça. Miguel, lui, a déjà dégainé son téléphone, souriant, comme pour immortaliser la scène.
— Pose ça, je grogne, le regard lourd.
— Allez, une petite photo souvenir !!
— J'ai dit non !!! je crie, ma voix éraillée.
Miguel s'arrête, décontenancé, et mon mur s'écroule. Les souvenirs remontent, flous, oppressants. Dans cette voiture, ce cauchemar. La scène me submerge comme une vague, et les larmes coulent, sans que je puisse les retenir. Elles ruissellent silencieusement, traçant des sillons sur mes joues, tombant même sur ma fille, blottie contre moi, qui finit par s'agiter et chouiner à son tour.
— Hé Val... qu'est-ce qui se passe, frérot ? murmure Miguel en posant une main hésitante sur mon épaule, cherchant à comprendre.
Je sens mon souffle se briser, chaque inspiration un combat. J'aimerais tout lui dire, mais en même temps, l'idée de le faire me paralyse. Il me regarde, plus sérieux, se rapprochant doucement de moi sur le canapé, sa main toujours sur mon épaule.
— Désolé, Val, j'aurais pas dû... Si ça compte pour toi, je devrais pas plaisanter. Mais... on dirait qu'il y a autre chose. T'as pas l'air dans ton état normal depuis un moment. T'as même presque disparu, ça fait une semaine qu'on te voit plus en dehors du campus...
Je ferme les yeux, sans rien répondre. La petite continue de pleurer, ses petites mains cherchant les miennes. Je l'essuie doucement d'un doigt, et elle l'attrape, ses doigts minuscules serrant ma main comme si elle refusait de me lâcher. Elle se calme enfin, se recroquevillant contre moi avec la confiance de quelqu'un qui n'a pas encore appris à douter.
Je prends une grande inspiration, Miguel toujours là, le silence chargé de tout ce que j'ai jamais su dire.
— Ouais... Il faut que je te dise quelque chose.
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