17 - Fin de semaine

Mon père croise les bras face à moi, son regard dur et accusateur.

— Comment ça se fait que tu rentres à cette heure ? Il est quatre heures du matin, Val ! T'étais où exactement ?

Je comprends pas pourquoi il est aussi vénère. J'ai pas disparu pendant une semaine non plus !

— Je t'ai laissé une note, t'as pas vu ? je rétorque en essayant de m'éclipser vers ma chambre. Je suis crevé, j'ai juste envie de disparaître sous les draps.

— Arrête de me prendre pour un con ! Je me fiche de savoir où tu dors ou avec qui, ce que je veux savoir, c'est pourquoi t'as raté une journée entière de cours hier ! Et toutes les heures que tu sèches depuis le début de la semaine ? Ta directrice m'a même appelé pour savoir si c'était normal !

Super, la directrice qui balance. Comme si j'avais besoin de ça en plus.

— Et j'imagine que t'as pas su quoi lui répondre, puisque t'es jamais là, j'enchaîne, désinvolte, sans même y réfléchir.

La gifle me frappe sans prévenir. Merde, elle fait mal celle-là. Pas juste physiquement, mais au fond. Je le fixe, surpris, mais lui, il est toujours là, aussi furieux.

Je me fige, un goût amer dans la bouche. Il m'a rarement frappé. Je crois que ça me touche plus que je veux l'admettre.

— Montre-moi ton sac.

Je pourrais m'énerver, me rebeller, mais à quoi bon ? Pour une fois, il risque pas de trouver de substances bizarres ou de quoi vraiment m'incriminer. Alors je lui tends mon sac sans broncher, comme pour abréger ce moment. Il fouille à l'intérieur, frénétique, et tombe sur le dessin de Wendy. Il s'arrête, perplexe.

— Tu t'intéresses à l'art, toi, maintenant ? Il me demande, sceptique.

— Ouais, voilà. Je suis allé voir une ancienne camarade qui habite dans le sud. Elle fait du dessin, et j'ai accepté de poser pour elle... Et si je sèche les cours, c'est parce que je suis en pleine crise existentielle d'orientation. J'ai besoin de prendre du recul, dis-je, avec mon air le plus neutre possible.

Son visage se fige. Il me regarde comme si j'avais sorti la connerie du siècle, et il éclate de rire. Un rire presque désabusé.

— Tu te fous de moi, là ? Toi, en crise existentielle ?!

Je le fixe, impassible, malgré son rire.

— Ouais, je suis très sérieux. D'ailleurs, c'est la directrice qui m'a conseillé de réfléchir. Alors, j'ai pensé à tester une filière artistique. Voir si ça me parle.

Mon père éclate de rire encore plus fort. Il pense que je plaisante, mais je reste de marbre. En vrai, j'en sais rien, moi. Je cherche juste des excuses.

— Toi, dans l'art ?! C'est la meilleure, franchement !

C'est qu'il se fout de ma gueule ce vieux con en plus.

— J'ai pas dit que j'allais faire de l'art ! Je voulais simplement tester ! En fait, j'aimerais partir en droit.

Je balance ça d'un coup, presque sans réfléchir. Mais quelque part, c'est logique. Si je veux foutre des types comme les Vega derrière les barreaux, il va bien falloir que je comprenne comment ça marche.

— Le droit ? Eh ben... Si c'est sérieux, je veux que tu t'en occupes dès lundi. T'as plus intérêt à sécher un seul cours, tu m'entends ?

Je hoche la tête. Pas la peine de discuter. J'ai pas la force pour un débat stérile. Je vois dans ses yeux qu'il est surpris de ma soumission soudaine. Et puis, son regard change, devient plus doux, presque inquiet.

— Écoute, désolé de t'avoir crié dessus, d'accord ? J'ai eu une semaine compliquée moi... Je sais que je suis pas souvent là, mais... tu sais que je serais dévasté s'il t'arrivait quelque chose. Tu es mon seul fils.

Là, c'est le pompon. Le discours du père en mode « je tiens à toi ». Il se rend compte de rien, lui. Est-ce qu'il tient autant à moi que ce qu'il prétend ? Il a même pas idée à quel point ma semaine a été pire que la sienne. Lundi, j'ai été convoqué dans le bureau de Mme Torres pour des graffitis. Mardi, je me suis fait bousiller ma moto, je me suis fait agresser, et la nuit j'ai essayé de crever d'une overdose en plus de m'être pris la honte devant mon plan cul. Le lendemain, j'ai découvert un massacre dans mon campus, j'ai passé un interrogatoire toute la matinée, une vraie torture psychologique, puis je suis rentré chez moi. Jeudi, Paola a répandu des rumeurs sur moi. Je suis rentré, j'ai pris un bus interminable pour rencontrer une fille que je connaissais même pas. Vendredi, j'ai passé l'après-midi avec elle, j'ai pleuré dans ses bras. Samedi, j'ai voyagé toute la journée, et c'est que maintenant, dimanche, 4 heures du matin, que je peux enfin souffler. Et il faut encore que je me fasse sermonner. Ouais, t'as aucune idée de la semaine pourrie que j'ai eue, papa.

Je me demande comment il réagirait s'il savait tout. Je mets au défi quiconque de faire pire. Au moins, la prochaine sera forcément mieux. Parce que là, même si je me fais renverser par un camion, ça pourra pas être pire. Ouais, j'aurais largement préféré mourir que de passer cette semaine.


Je pars dans ma chambre, m'affale sur mon lit un instant, je réfléchis, longuement. Et puis soudain, je me relève. Malgré tout ce qui se passe, je refuse de sombrer. Je me redresse encore, déterminé, et fixe la fenêtre de ma chambre. Mon reflet me renvoie une image de résilience, même fatiguée. « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort », c'est Nietzsche qui a dit ça, non ? Je me l'approprie comme un mantra. À partir de maintenant, je reprends le contrôle. J'en ai assez de la débauche et des escapades sans lendemain.

La drogue, je vais définitivement lui dire adíos et la prochaine femme avec qui je coucherai sera la bonne, celle qu'il me faut dans ma vie, et pas avant que j'en sois sûr. Aussi fini de me soucier de ce que les autres pensent. Les rumeurs, les jugements, je les enterrerai. Demain, je vais m'occuper de ma moto, celle qui traîne sur le parking du campus comme un rappel de ma chute.

Lundi, je frapperai à la porte de Mme Torres et lui annoncerai que je veux changer de filière. C'est un nouveau départ, une renaissance. Je sens une montée d'énergie, une force que je n'avais pas ressentie depuis des lustres. Puis, plus tard, j'irai à la recherche de cet homme que Wendy m'a mentionné. Un nouvel espoir, une nouvelle chance.

Et si j'en ai le courage, je ferai face à Paola. Je lui dirai en face que je refuse de laisser son jugement me détruire. Je dois retrouver ma voix, prendre position.

Il est temps d'arrêter de fuir. Il est temps de voir la vérité en face, aussi cruelle soit-elle. Parce que je sais, au fond, que je suis plus fort que ça. Et cette fois, je suis prêt à me battre, je n'ai rien à perdre, et j'ai tout à gagner...

Je vais me relever, pour moi mais aussi pour Wendy, pour Lie Killer, pour tous ceux qui sont victimes de ce système et qui ont perdu l'espoir de retrouver une vie normale. C'est à eux que je dédie mon histoire.

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